Une homophobie religieuse

L’homophobie, inhérente aux sociétés patriarcales, est nourrie par toutes les religions, ce qui permet chaque année à des milliers d’assassins de se justifier de crimes contre des personnes LGBT. Au lendemain de la tragédie, deux pasteurs baptistes US en appelaient ainsi à la mise à mort des «sodomites». Le premier regrettait qu’il n’y ait pas eu plus de «prédateurs» et de «pédophiles» tués: «Si nous vivions dans une nation juste (…), ajoutait-il, le gouvernement ferait une rafle de tous ces gens, les mettrait dos au mur, face à un peloton d’exécution, et leur ferait exploser la cervelle». Le second déclarait: «La bonne nouvelle c’est que 50 au moins de ces pédophiles ne vont plus jamais s’en prendre à des enfants; la mauvaise, c’est que de nombreux homos de ce bar sont encore en vie…» (Washington Post, 15 juin). De même, dans les pays où l’islam fondamentaliste domine, les personnes LGBT endurent actuellement la prison, des châtiments corporels, voire la peine de mort. Ailleurs, la plupart des imams, même «libéraux», condamnent l’homosexualité comme un péché, même s’ils appellent souvent à ne pas ostraciser le pécheur… L’évêque catholique de St. Petersburg (région d’Orlando), ne se trompe donc pas lorsqu’il constate: «C’est la religion, y compris la nôtre, qui s’en prend verbalement et nourrit le mépris envers les gays, les lesbiennes et les personnes transgenres. Ces attaques contre les hommes et les femmes LGBT sèment souvent la graine du mépris, puis de la haine, qui peut enfin conduire à la violence» (Washington Post, 13 juin).

 

Du racisme à la queerophobie

Aux Etats-Unis, les religions témoignent d’une «tolérance» très relative envers l’homosexualité. La principale enquête d’opinion, menée en 2014, auprès d’un large échantillon de fidèles, montre ainsi que 36% seulement des chrétiens évangélistes et des mormons considèrent l’homosexualité comme socialement acceptable, contre 45% des musulmans, 66% des autres protestants, 70% des catholiques et 80% des juifs et des bouddhistes. Ces différences en disent d’ailleurs plus long sur le poids des traditionnalistes au sein de chacune de ces confessions, que sur une véritable différence de point de vue entre elles. C’est ainsi que les milieux chrétiens réactionnaires et racistes font voter des lois homophobes, au nom de «la liberté religieuse» aujourd’hui, dans des Etats du Sud, en réponse à la décision de la Cour Suprême de légaliser le mariage pour tous au niveau fédéral, en juin 2015. Cependant, la majorité de l’establishment US a pris une autre direction: donner un statut respectable aux gays de classe moyenne, blancs ou portant un «masque blanc», selon la formule de Frantz Fanon, auxquels ils ont ouvert les portes du mariage – 58% de l’opinion publique y est favorable, la Cour Suprême a validé ce droit, et un large lobby de grandes entreprises le défend activement contre la droite chrétienne. Ne sont-ils pas les porteurs désignés de cet homo-nationalisme, qui fait front à un sud barbare. Un sud qui hante les territoires dominés de l’Empire, mais aussi les «banlieues» non blanches des villes US? Un sud stigmatisé, tantôt comme islamiste «intolérant» et violent, tantôt comme interlope et vecteur de pratiques sexuelles suspectes (queers) 1. En décimant au fusil d’assaut un club LGBT latino et afro-américain de Floride, Omar Mateen n’aurait-il donc pas obéi à une haine plus queerophobe que strictement homophobe?

 

L’arme des forces spéciales US

Ce n’est pas un hasard en effet si l’arme du crime d’Orlando a été le fameux Sig Sauer MCX, développé pour les forces spéciales US. Le bilan effrayant de cet acte de guerre puise ainsi aux sources mêmes qui alimentent les admirateurs bien-pensants de Donald Trump: la fascination morbide pour les Opérations Spéciales de l’impérialisme avec ses armes à feu légères, silencieuses et extrêmement létales2. Ainsi le tueur d’Orlando pouvait-il s’identifier aussi bien au NYPD, un corps de police qui n’avait pas voulu de lui, aux bérets verts, aux agents de la société militaire privée G4S, comme aux unités du Hezbollah ou de Daech, qui sont d’ailleurs leur image en miroir. Ces professionnels de la violence, souvent en délicatesse avec la loi et la morale ordinaire, éveillaient en lui le même attrait, quelle que soit leur obédience politique. Faut-il s’en étonner d’ailleurs, quand on sait que les Etats-Unis passent leurs plus gros contrats d’armements avec l’Arabie Saoudite et les autres pétromonarchies wahhabites, que le Département d’Etat travaille main dans la main avec la Russie de Poutine, avec la République islamique d’Iran, alliée elle-même au Hezbollah… contre Daech en Syrie et en Irak ? De même, cette «guerre sans fin» ne déploie-t- elle pas ses effets jusque dans les rues des Etats-Unis, où les diverses polices recourent à des équipements militaires provenant des surplus de l’armée, et font un usage disproportionné de la force, en particulier à l’égard des minorités de couleur. Omar Mateen n’était pas un pion téléguidé par Daech ou par une quelconque organisation terroriste, comme le révèle aujourd’hui l’enquête en cours. Il portait en lui les contradictions les plus explosives d’un monde, où la guerre de tous contre tous, et souvent de chacun contre soi-même, désarticule le corps social selon de multiples fractures de classe, de couleur, de nation, de genre, d’orientation sexuelle, etc. Pour les plus vulnérables et les plus meurtris, il arrive alors que la religion ne permette plus même d’exprimer, pour paraphraser Marx, «le soupir de la créature opprimée», ou «l’âme d’un monde sans cœur». A l’effroi au quotidien, il peut arriver qu’ils préfèrent une fin terrifiante, quel qu’en soit le prix pour eux-mêmes et pour «les leurs».

 

  • 1. Voir à ce propos le livre de Peter Drucker, Warped : Gay Normality and Queer Anti-Capitalism, Chicago, Haymarket Books, décembre 2015.
  • 2. Selon un expert, le Sig Sauer MCX est «aussi silencieux qu’un MP5, aussi létal qu’un AK-47 et plus modulaire que tout ce qui a pu être conçu jusqu’ici».