Le fascisme tue. ensemble, combattons-le ! manifs les 22 et 23 juin un peu partout !
Catégorie : Global
Thèmes : Racisme
Dans le respect de leurs différences, les organisations soussignées appellent à s’unir pour rendre hommage à Clément et pour éliminer la haine fasciste.
Confortés par des partis qui reprennent des propos et des pratiques de l’extrême droite, les groupes fascistes refont surface. Les dernières actions contre le mariage pour tous et toutes ont été l’occasion pour eux d’être mis sur le devant de la scène. Nous dénonçons la banalisation du FN et de ses idées xénophobes et racistes.
L’exclusion, le rejet de l’autre, la fermeture des frontières, la désignation de boucs émissaires, la dénonciation de l’immigration comme responsable de tous les maux sont des attitudes qui, l’histoire en témoigne, conduisent au pire. L’Etat entretient un climat délétère en organisant des expulsions massives qui participent à la stigmatisation des immigré-es et des Roms. Au contraire, il est nécessaire d’agir avec détermination contre les commandos fascistes.
Odieux et inacceptable en lui-même, le meurtre de Clément dépasse le drame individuel. Agressions contre les lesbiennes, bi-es, gays et les personnes trans, contre les immigré-es et les personnes issu-es de l’immigration, les musulman-es, actes antisémites, violences envers des militant-es antifascistes et des organisations progressistes, se sont multipliées dans toute la France comme à travers toute l’Europe. Le mensonge, la haine, la violence, la mort, voilà ce que porte l’extrême-droite, de tout temps et en tous lieux.
Ce n’est pas une question morale ; le fascisme se nourrit des peurs face à l’avenir : 5 millions de chômeurs et chômeuses, 8 millions de personnes vivant sous le seuil de pauvreté, 3,5 millions de mal logé-es, accroissement de la précarité, conditions de travail dégradées, licenciements, fermetures d’entreprises… Face à l’explosion des inégalités et aux politiques d’austérité, il faut reconstruire l’espoir collectif en une société plus juste. La question de la répartition des richesses que nous produisons est fondamentale. L’extrême-droite est à l’opposé de ces valeurs.
Utiliser la mort de Clément serait méprisable. A contrario, c’est honorer sa mémoire que de dire publiquement et ensemble ses engagements syndicaux et antifascistes, et de poursuivre encore plus nombreux-euses et déterminés-es ses combats pour la liberté et une autre société.
Unité contre le fascisme et l’extrême-droite ! Manifestation à Paris, dimanche 23 juin à 15h à Opéra.
Des manifestations seront aussi organisées en commun dans d’autres villes.
Nos organisations se réuniront de nouveau après la manifestation : éradiquer la menace fasciste nécessite un travail dans la durée et l’organisation de collectifs locaux. Nos organisations sont différentes, mais elles ont un point commun essentiel : le refus de l’intolérance, du nationalisme, de la haine, et de l’exclusion ; tout le contraire de ce que veut imposer l’extrême-droite !
Le fascisme et l’extrême-droite ne sont pas des courants politiques avec lesquels on dialogue ou on compose. Leur système est basé sur la violence physique, la haine, l’asservissement des peuples.
————————–
Premiers signataires (au 17 juin) :
AC !, Act Up Paris, Action antifasciste Paris Banlieue, ACTIT, AFASPA, Alternative Libertaire, AIDES, APEIS, ATMF, ASEFRR (Association de solidarité en Essonne avec les familles Roms Roumaines), ATTAC France, CAAC (Collectif des associations et ami-es des Comores), CADAC, CEDETIM/IPAM, CGA, CGT Educ’action (Versailles, Créteil, Paris), CNDF, CNT-f, CNT-SO, Collectif Antifasciste Paris Banlieue, Collectif CIVG Tenon, Collectif Hétéros au boulot, Collectif Oui Oui Oui, Collectif VAN (Vigilance arménienne contre le négationnisme), Collectif de Saint Denis contre le FN et l’extrême droite, CONEX (Coordination nationale contre l’extrême droite), Confédération paysanne, Convergence et Alternative, DAL, DIDF, Droits devant !!, EELV, FA, FASE, FASTI (Fédération des associations de solidarité avec les travailleur-euse-s- immigré-e-s), Fédération Anarchiste, Fédération Sud Education, Femmes Egalité, FIDL, FSU, Fondation Copernic, Front de gauche Latinos, GARçES, Gauche Anticapitaliste, Gauche Unitaire, GISTI, Jeudi Noir, Justice et Libertés, L’appel et la pioche, La Horde, La LMDE, Les Alternatifs, Lesbian and Gay Pride Lyon, Lesbiennes of Color, Les Debunkers, Les Effronté-e-s, Living room project Marne la Vallée, Marche Mondiale des femmes, Marches européennes contre le chômage, MRAP, Mémorial 98, MJCF, MNCP, M’PEP, NPA, PCF, PCOF, PG, Pink Bloc Paris, Ras l’Front Marne-la-Vallée, Ras l’Front 38, RedSkins Limoges, République et Socialisme, Réseau pour un avenir sans fascisme, SGEN-CFDT Académie de Versailles, SLU (Sauvons l’université), SNESUP-FSU, SNPTES-UNSA, SNTRS-CGT, Solidaires Etudiant-Es, SOS Racisme, Sortir du colonialisme, STRASS, Syndicat des avocats de France, Syndicat de la magistrature, UJFP, UNEF, Union syndicale Solidaires, UNL, UNSP, VISA (Vigilance et initiatives syndicales antifascistes)…
22 juin 2013 :
– Grenoble, à la gare, 16h30
– Le Mans, Place de la République, 15h
– Lyon, Place Bellecour, 14h
– Marseille, Vieux Port, 11h
– Montpellier, Place du Peyrou, 15h
– Nantes, Place Royale, 16h
– Nimes, Carré d’Art, 11h
– Rennes, Place du Parlement de Bretagne, 15h
– Saint Nazaire, Esplanade des droits de l’homme, 17h
– Tours, ancienne Mairie, 15h
23 juin 2013 :
– Bordeaux, Place Jean Moulin, 16h
– Caen, Place Saint Pierre, 15h
– Paris, Place de l’Opéra 15h
Liste mise a jour sur : http://lahorde.samizdat.net/2013/06/19/lextreme-droite-tue-combattons-la-liste-des-manifestations-des-22-et-23-juin/
« En vérité, y a-t-il donc une différence entre un racisme et un autre ? Ne retrouve-t-on pas la même chute, la même faillite de l’homme ? »
Frantz Fanon, Peau noire, masques blancs.
Le fascisme tue.
Le racisme est tout aussi meurtrier.
Et pourtant…
« [Clément] a été tué comme pourraient l’être les non-blanc-he-s, les immigré-e-s, indigènes, musulman-e-s, qui sont l’objet du racisme le plus décomplexé. Sa mort émeut l’opinion comme rarement la mort des victimes non-blanc-he-s des crimes policiers, des ratonnades et autres assassinats racistes ont ému l’opinion. Malgré le poids de la douleur, nous ne pouvons pas l’ignorer[1]. »
Ces lignes évoquent bien l’énorme décalage existant entre l’ampleur des mobilisations consécutives au meurtre de Clément Méric, et celles bien plus modestes qui entourent d’habitude les victimes des crimes racistes, policiers et pénitentiaires.
Clément Méric était un étudiant blanc de Sciences Po, et un militant antifasciste. C’est sans doute cet engagement qui a provoqué un tel déchainement de violence de la part de son agresseur. En réponse, les proches de Clément Méric ont insisté sur sa qualité de militant antifasciste. Cette appartenance a provoqué l’émoi et la mobilisation de la plupart des mouvements, organisations et sympathisants de gauche. Beaucoup y ont reconnu l’un des leurs. Certains l’ont exprimé sans ambages :
« Lorsque j’ai appris, hier soir, la nouvelle, j’ai cru tout d’abord que je te connaissais. Ce n’était pas le cas. Je t’ai pris pour un autre.
Mais plus j’y réfléchis, et plus je me dis que oui, je te connaissais. Même si nous ne nous sommes jamais rencontrés. Même si, jusqu’à hier soir, j’ignorais ton existence. Oui, je te connais. Tu es mon camarade. Tu es notre camarade.
Et ils t’ont tué. Ils ont tué l’un des nôtres[2]. »
A la lecture de ces quelques lignes, il est difficile de nier que le clivage racial, qui structure l’ensemble de la société et traverse les organisations et collectifs de gauche, n’a pas joué un rôle décisif dans ce positionnement. La gauche sociale et politique a reconnu en Clément Méric l’un des siens, à tous points de vue.
La mobilisation, d’ampleur, n’est pourtant pas finie. Une grande manifestation nationale « Le fascisme tue. Ensemble, combattons-le ! » est prévue pour le dimanche 23 juin 2013. Elle est signée par la plupart des organisations de la gauche française, et par de nombreux collectifs antifascistes. Figure aussi, parmi les signataires, SOS Racisme, une organisation fossoyeuse de nombreuses luttes de l’immigration et des banlieues depuis les années 1980. Toutes ces organisations ont participé aux réunions préparatoires de la manifestation. L’idée a été émise d’inviter les collectifs qui luttent contre l’islamophobie ou contre les brutalités et crimes policiers, à faire partie du cortège de tête, mené par des collectifs antifascistes.
Cette invitation est-elle autre chose que de la cosmétique militante ? Une façon de mettre un peu de couleur dans un cortège qui risque fort d’être désespérément blanc ? Car les organisateurs savent bien qu’une manifestation « unitaire » contre l’extrême-droite, qui ne réunit que des Blanc-he-s, manquera cruellement de crédibilité en termes de lutte contre le racisme.
Mais si les partis, groupes et autres collectifs signataires de cet appel souhaitaient réellement soutenir les collectifs qui luttent contre le racisme, y compris contre celui que déchaine dans les banlieues l’Etat à travers ses forces répressives, il y aurait d’autres choses à faire qu’une invitation symbolique à venir manifester dans l’espace politique de la gauche.
En effet, si l’invitation de ces organisations est sincère, alors nous les appelons à venir soutenir sur le terrain les collectifs qui luttent contre l’arbitraire du pouvoir d’Etat. Nous les invitons à venir soutenir sur la durée les familles de victimes des crimes racistes, qui mènent dans l’isolement un long et couteux combat pour la justice et la vérité.
Nous savons pourtant que cette invitation restera lettre morte. Non par pessimisme ou par un catastrophisme sans doute assez mal venu en cette période où tout le monde appelle au combat contre l’hydre fasciste. Nous ne sommes pas nés de la dernière manifestation. Nous savons pertinemment que parmi les organisations signataires, certaines œuvrent contre nous dans les combats que nous menons. Nous en avons fait l’expérience à maintes reprises.
Comment croire, en effet, en la volonté de lutter contre le racisme affichée par des organisations et des collectifs qui comptent dans leurs rangs si peu de musulman-e-s, d’immigré-e-s, d’habitant-e-s des banlieues ?
Comment croire en la volonté de lutter contre le racisme affichée par des organisations et des collectifs qui refusent en leur sein (statutairement ou dans les faits) des femmes qui affichent clairement leur appartenance à l’islam ?
Comment croire en la volonté de lutter contre le racisme affichée par des organisations et des collectifs qui ont soutenu le vote de lois racistes et islamophobes, comme celle du 15 mars 2004 sur l’interdiction du hijab à l’école, ou celle du 14 septembre 2010 interdisant le port du niqab dans l’espace public ?
Comment croire en la volonté de lutter contre le racisme affichée par des organisations et des collectifs, alors que certaines militent activement pour l’extension de ces législations islamophobes en cherchant, notamment, à empêcher les musulmanes portant le hijab de travailler ?
Comment croire, encore, en la volonté de lutter contre le racisme affichée par des organisations qui font tout leur possible depuis des dizaines d’années pour invisibiliser les luttes de l’immigration et des banlieues, dès lors que ces luttes souhaitent rester à bonne distance de la gauche blanche et de son paternalisme ?
Enfin, comment croire en la volonté de lutter contre le racisme affichée par des organisations et des collectifs qui refusent toute référence faite à l’islam par des militants pour qui la religion musulmane constitue pourtant un puissant levier dans leur engagement politique et social ?
Oui, comment croire…
Comme dit le hadith : « Le croyant ne peut être mordu deux fois à partir du même trou de serpent.[3] »
Les décalages existant entre le combat antifasciste et les luttes de l’immigration et des banlieues nous empêchent de croire naïvement à une soudaine « convergence des luttes », à un possible « front unique », synonyme à nos yeux de confusion des esprits et de déni de la réalité.
Car le racisme ne peut pas être réduit au fascisme et à l’extrême droite. Il existe bel et bien dans des organisations et des collectifs qui n’ont rien de « fascistes », ou qui s’affirment même ouvertement « antiracistes » ou « antifascistes ».
Pour paraphraser l’adresse de Fanon à Octave Mannoni[4], nous pouvons alors dire que si nous ne voulons nullement enfler le monde de nos problèmes, nous voudrions tout bonnement demander à la gauche si elle ne pense pas que pour nous, les différences entre le racisme de cette gauche et celui de l’extrême-droite sont impalpables ?
Y a-t-il, en effet, une si grande différence entre le racisme qui préside à l’exclusion de femmes voilées d’organisations politiques, de l’école ou des entreprises, et le racisme qui préside à l’interpellation ou à l’agression de ces mêmes femmes musulmanes, comme ce fut tout récemment le cas à Argenteuil ? Ne retrouve-t-on pas, à chaque fois, « la même faillite, la même chute de l’homme ? »
Pour autant, nous ne pouvons mettre tout le monde dans le même sac raciste. Nous avons déjà eu l’occasion de dire que si « l’anticolonialisme et l’antifascisme sont deux combats distincts », « ils peuvent se rejoindre par moments, comme lors du combat d’Omar al-Mokhtar (1862-1931) contre la colonisation italienne de la Lybie dans les années vingt[5] ».
Plus près de nous et de manière plus modeste, à Saint-Etienne en mai dernier, des militants de collectifs antifascistes ont accueilli et mis à la disposition de membres du Collectif Vérité & Justice pour Jamal leur espace autogéré (La Gueule Noire) pour débattre notamment des mobilisations à Gennevilliers, des questions carcérales et de l’auto-organisation des Noir-e-s et des Arabes. Un concert s’est tenu dans la foulée et la recette a été versée au Collectif Vérité & Justice pour Jamal. Un exemple parmi d’autres de travail en commun, sans paternalisme ni évacuation de la question raciale.
Historiquement, pourtant, la jonction entre l’anticolonialisme et l’antifascisme se fait systématiquement « au détriment des colonisés, lorsque l’anticolonialisme est soumis à l’agenda occidentalocentriste de l’antifascisme européen[6]. »
C’est précisément ce qui se passe aujourd’hui dans la grande mobilisation antifasciste consécutive au meurtre de Clément Méric. Nous voyons fleurir un peu partout des « No pasaran ! ». Prononcé par Dolores Ibárruri Gómez, ce slogan était celui des républicains espagnols résistant aux assauts des troupes franquistes. Il symbolise, depuis la guerre civile espagnole, la lutte antifasciste.
Mais d’un point de vue anticolonialiste, que représente-t-il ? Pas grand chose. La République espagnole était une république coloniale. Elle occupait une partie du Maroc et elle a toujours refusé toute concession sur cette question. Nos prédécesseurs de l’Etoile Nord Africaine ne s’y trompaient pas en refusant de partir mourir pour défendre une république coloniale, alors même que leurs pays – le Tunisie, l’Algérie et le Maroc – étaient occupés.
Aujourd’hui, les mêmes perspectives occidentalocentristes s’expriment et s’écrivent. Le texte d’appel à la manifestation du 23 juin 2013[7] ne fait nulle mention de l’« islamophobie », ce terme qui n’existe pas pour la majorité des organisations signataires. D’ailleurs, parmi elles, ne figure aucune organisation musulmane ou de lutte contre l’islamophobie, ni même aucune organisation significative de l’immigration ou des banlieues. Pas une référence aux agressions racistes et islamophobes, ni évidemment au racisme institutionnel et aux lois racistes et islamophobes, que certaines organisations signataires ont soutenu.
Dernièrement, la Ligue de Défense Juive (LDJ) a revendiqué l’agression à Saint-Mandé (94) d’un jeune homme prénommé Mounir, qui est tombé dans le coma suite aux coups qui lui ont été assénés. Des musulmanes portant le hijab se sont faites agresser à Argenteuil le 20 mai et le 13 juin 2013. Une autre femme musulmane portant le niqab a été interpellée et violentée par la police dans cette même ville. Sans parler, pour les dernières années, des victimes de l’ordre social raciste, que sont Yassin Aibeche, Lahoucine Aït Omghar, Abdelhakim Ajimi, Zyed Benna, Mohammed Ben Maamar, Amine Bentounsi, Lamine Dieng, Wissam El Yamni, Jamal Ghermaoui, El Mahjoub Gmili, Nabil Mabtoul, Youcef Mahdi, Mahamadou Marega, Sofiane Mostefaoui, Lakhamy Samoura, Tina Sebaa, Moushin Sehhouli, Abou Bakari Tandia, Bouna Traoré, Ali Ziri…
Nous pourrions continuer longtemps à égrener la liste de ces victimes, pour lesquelles la mobilisation n’a jamais atteint celle qui prévaut aujourd’hui pour Clément Méric.
Dans cette situation, que peut bien signifier l’invitation évoquée plus haut faite à certains collectifs qui luttent contre l’islamophobie ou contre les brutalités et crimes policiers, d’intégrer le cortège de tête de la manifestation ?
Va-t-on trimballer les musulman-e-s, les Noir-e-s et les Arabes, au gré de l’agenda militant de la gauche, tout en ignorant le reste de l’année les luttes de ces mêmes musulman-e-s, Noir-e-s et Arabes, jugées non conformes à la praxis de cette gauche, qu’elle soit social-démocrate, marxiste ou libertaire ?
« En pays colonial, disait-on, il y a entre le peuple colonisé et la classe ouvrière du pays colonialiste une communauté d’intérêts. L’histoire des guerres de libération menées par les peuples colonisés est l’histoire de la non-vérification de cette thèse[8]. »
De même que l’histoire des luttes de l’immigration et des banlieues, avec son lot de récupérations, de diabolisations et d’invisibilisations, est celle de la non-vérification de la communauté de vues et d’intérêts entre la gauche et les immigrés.
C’est ce que nous apprennent, depuis l’Etoile Nord Africaine en passant par le Mouvement des Travailleurs Arabes (MTA) et les Marches des années 1980, près de quatre-vingt-dix années de combats menés par nos ainés, et que nous essayons de poursuivre modestement.
Alors, oui.
Le fascisme tue.
Le racisme est tout aussi meurtrier.
Et pourtant…
Rafik Chekkat & Youssef Girard, le 17 juin 2013.
———————————–
[1] « Pour Clément : La rage au cœur, ne jamais oublier, ne jamais pardonner » : http://sudsciencespo.wordpress.com/2013/06/10/pour-clem…nner/
[2] Julien Salingue (militant du NPA), Clément : http://npa29.unblog.fr/2013/06/08/clement-julien-salingue/
[3] Rapporté par al-Boukhari.
[4] « Nous ne voulons nullement enfler le monde de nos problèmes, mais nous voudrions bonnement demander à M. Mannoni s’il ne pense pas que pour un Juif les différences entre l’antisémitisme de Maurras et celui de Goebbels sont impalpables », in Frantz Fanon, Peau noire, masques blancs, Seuil, 1952, p. 69.
[5] Youssef Girard, « Éradiquer les « fascistes basanés » : la gauche et la répression (post)coloniale », etatdexception.net.
[6] Ibid. La conclusion du texte,que rend tristement d’actualité le meurtre de Clément Méric, rappelle que « Les colonisés et les postcolonisés possèdent leur propre agenda politique, qui diffère nécessairement de celui des antifascistes. Les libertés démocratiques défendues par ces derniers furent toujours des droits centripètes, s’appliquant aux seuls occidentaux. De ce fait, la libération des postcolonisés ne peut nullement passer par la défense d’une « démocratie » républicaine, qui a toujours légitimé leur subordination à un système racialement hiérarchisé. »
[7] http://www.lepartidegauche.fr/actualites/communique/le-…23703.
[8] Frantz Fanon, « Les intellectuels et les démocrates français devant la question algérienne », El Moudjahid, décembre 1957, in Pour une révolution africaine, Paris, Ed. La Découverte, 2001, p. 91.
Il y a des situations qui vomissent leur vérité. La mobilisation massive suscitée par l’assassinat politique de Clément Méric par des groupes fascistes, doublée par une indignation nationale me plonge dans un profond malaise. A quelques malheureuses exceptions, les manifestants étaient blancs, les organisations étaient blanches. L’émotion était blanche. L’identité blanche des signataires de l’appel, « le fascisme tue, ensemble combattons-le ! » est sans ambiguïté [1].
Dans le monde parallèle des indigènes, des mobilisations contre ces mêmes fascistes ont eu lieu : Suite à une agression ignoble par des fachos, la colère gagne la banlieue d’Argenteuil. La victime est, Leila O., une jeune musulmane enceinte qui allait perdre le bébé qu’elle portait. A quelques malheureuses exceptions, les manifestants étaient indigènes, les organisations étaient indigènes. L’émotion était indigène. L’indignation n’était ni nationale, ni strictement locale. Elle a suivi les contours de la nation indigène. L’identité indigène des signataires de l’appel d’Argenteuil, « l’islamophobie tue ! » est sans appel [2].
Le malaise, que je veux exposer ici est le suivant : Le PIR comme organisation politique et décoloniale n’existe que parce que le champ politique blanc est au service du pouvoir blanc – prioritairement au service des classes dominantes et secondairement au service du peuple blanc. Les immigrés et leurs descendants, lorsqu’ils bénéficient des acquis des luttes populaires et progressistes ne sont que les bénéficiaires collatéraux des dites luttes. Ils n’en sont pas les destinataires principaux sauf lorsqu’ils mènent et dirigent leurs propres combats. L’anniversaire des 30 ans de la marche nous rappelle sans ambages combien précieuses sont l’autonomie et la direction de nos affaires.
Ainsi, s’il va de soi que le PIR sera spontanément et dans la mesure de ses moyens de toutes les mobilisations en faveur de tout indigène subissant violences ou humiliations, son adhésion aux mobilisations contre le fascisme et pour la mémoire de Clément Méric nous pose un problème à la fois politique et moral. Clément Méric était un jeune blanc qui s’est engagé politiquement contre un ennemi commun : le fascisme. Mieux que ça, il était engagé, en position minoritaire, contre l’islamophobie. Ceci nous rend redevable et politiquement, et moralement vis-à-vis de lui et cela justifie amplement notre participation aux premières mobilisations. Mais cette reconnaissance exprimée et assumée par nous peut-elle justifier la poursuite de notre engagement aux cotés des forces qui se constituent autour d’ « un des leurs » mais qui restent extrêmement timorées face à la violence inouïe que subissent les non-blancs ? En d’autres termes, le PIR doit-il participer et par conséquent renforcer les forces qui s’entêtent à servir le peuple blanc, à dissoudre la lutte contre le racisme dans l’antifascime, pour mieux invisibiliser les conflits d’intérêts raciaux qui structurent et divisent les classes populaires, et à mépriser, volontairement ou pas, les indigènes qui sont les premières et nombreuses victimes du racisme d’Etat ? Le PIR doit-il se solidariser de ces forces, mouvements, associations qui, par calcul politique (empêcher la division) et/ou par indifférence raciste (l’islamophobie n’existe pas) se font les complices objectifs des fascistes qu’ils combattent (sincèrement) et qui ne manqueront pas de s’interroger – et de déplorer – l’absence des basanés – « qui sont pourtant dans l’œil du cyclone fasciste ».
Face à ce dilemme, ma décision est prise : j’irai marcher le 23 juin au milieu des blancs, au rythme de mots d’ordre qui me seront globalement étrangers et décidés par des organisations qui construisent leur unité sur notre exclusion et grâce à ces indispensables ennemis que sont le FN ou le fascisme. J’irai marcher pour honorer la mémoire d’un frère de lutte, tout comme Tommie Smith et John Carlos ont porté le cercueil de l’Australien Peter Norman. D’aucun y verra au pire, une forme de capitulation dans l’honneur, au mieux, la manifestation de ce que l’on pourrait appeler une pol-éthique. Les deux sont vrais, il faut bien l’admettre. Sans ce pouvoir que l’immigration et la banlieue peinent à construire, la dépendance sera notre destin et la victoire contre le racisme, une chimère. A terme, les classes populaires blanches subiront – bien qu’après nous – le retour du bâton.
Heureusement, James Baldwin est là pour me consoler : « C’est de la montage de la suprématie blanche que les noirs ont à coups de pic détaché la pierre de leur personnalité. J’ai le plus grand respect pour cette humble armée d’hommes et de femmes noirs qui piétinait devant d’innombrables portes de service, disant « oui, Monsieur » et « non, Madame » afin d’acquérir un nouveau toit pour l’école, de nouveaux livres, d’autres lits pour les dortoirs. Cela ne leur plaisait guère de dire « oui », Monsieur » et « non, Madame », mais le pays ne manifestait aucune hâte à éduquer ses Noirs, et ces hommes et ces femmes savaient qu’il fallait que cette besogne-là soit faite et ils mirent leur amour-propre dans leur poche afin de l’accomplir. »
http://www.indigenes-republique.fr/article.php3?id_arti…=1848