Sur la violence palestinienne, le décryptage du figaro
Catégorie : Global
Thèmes : MédiasRacisme
C’est un de ces grands moments qui fait que le journalisme français est admiré sur la planète entière.
Le titre d’abord :
Israël : Nétanyahou promet de « défendre les frontières »
Ça n’est pas titré : « L’armée israélienne ouvre le feu sur des manifestants non armés et tue 12 personnes ». C’est titré directement du point de vue israélien.
Le chapeau résume :
Les violences de la journée palestinienne de la Nakba ont fait au moins douze morts à la lisière de Gaza, du Liban et sur le plateau du Golan.
Tournure classique : des violences font des morts. Pas « des soldats israéliens tuent des manifestants », ça pourrait donner l’impression d’un traitement inéquitable de l’information. Quand Israël tue des palestiniens, c’est la faute à pas de chance : « les violences de la journée palestinienne », voilà le vrai responsable.
Prenons bonne note de la volonté de se préparer des Israéliens, malheureusement au mauvais endroit (parce que quand ils sont préparés au bon endroit, comme par exemple en pleine mer, les Israéliens évitent de tirer dans le tas) :
Les Israéliens s’étaient préparés à des troubles dans les Territoires palestiniens. Ce sont les frontières qui se sont enflammées.
L’imprécision qu’on retrouve dans la plupart des médias français :
À l’occasion du jour de la Nakba, où les Palestiniens commémorent la catastrophe que fut pour eux la création de l’État d’Israël en 1948
Non, la Nakba, c’est l’épuration ethnique de la population arabe de Palestine par les israéliens, pas « la création de l’État d’Israël ». Épuration qui a eu lieu avant, pendant et après la proclamation de l’État israélien.
Et une autre imprécision :
des manifestants ont tenté de pénétrer en Israël depuis le Liban, la Syrie et la bande de Gaza
Le plateau du Golan n’est pas « en Israël ». Sauf pour Israël, évidemment.
Pour ne pas dire les choses, la tournure classique :
Ils ont été accueillis par les tirs des gardes frontières israéliens, qui auraient fait au moins douze morts et plusieurs dizaines de blessés.
Ça n’a l’air de rien, mais c’est systématique. On n’écrit jamais « les gardes frontières ont tué douze personnes ». Quant il s’agit d’Israël, on écrit que « les tirs des gardes frontières auraient fait au moins douze morts » . La tournure est indirecte (ce sont les tirs qui font des morts, pas les gardes frontières), elle permet d’éviter l’intentionnalité directe (les bidasses ont pu tirer sans vouloir tuer, alors que la tournure « les bidasses ont tué des manifestants » ne permet plus cette distance) et au conditionnel.
Vraiment, ici, la phrase est très alambiquée : « ont été accueillis par les tirs […] qui auraient fait […] douze morts ». Noter que, dans l’ensemble de cet article, il est fait mention de « gardes-frontières » israéliens, et jamais de « soldats ».
Répétons l’excuse qui a pourtant déjà introduit le paragraphe précédent (il est important pour un journal français de bien fournir, avec l’annonce d’un massacre perpétré par Israël, tous les arguments permettant de justifier ce massacre) :
Les Israéliens ont été pris par surprise.
Présentons, à nouveau, le point de vue exprimé par l’armée israélienne :
Et la police israélienne, nettement mieux préparée qu’il y a une dizaine d’années à faire face aux manifestations palestiniennes par des moyens non létaux, était prête à empêcher que ne dégénèrent les affrontements qui l’opposent régulièrement aux chebab, les jeunes Palestiniens.
Notez bien : « moyens non létaux », parce que nous sommes l’armée la plus je-ne-sais-quoi du monde. Et l’introduction inutile d’un mot arabe, « chebab », qui signifie simplement « les jeunes » en arabe. Tsahal contre les « chebab » : donnons de l’étrangeté à une information pourtant simple. Suggérons que « chebab », ça induit quelque chose de pas très net, qui justifie qu’on dise ça plutôt que « les jeunes » tout court (ça sonne un peu comme « shabiha », le seul mot arabe que l’on trouve actuellement dans les médias français pour désigner des milices pro-régime en Syrie).
Le troisième paragraphe, à nouveau, répète la justification déjà fournie dans les deux paragraphes précédents :
Mais les manifestants sont apparus là où on ne les attendait pas.
Des biens étranges manifestants…
Dimanche, plusieurs milliers de Palestiniens, arrivés par bus depuis l’intérieur de la Syrie se sont rassemblés devant la clôture
Je sens qu’on essaie de me faire passer un message… C’est d’ailleurs répété en intertitre :
Arrivés par bus
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La phrase la plus explicite adopte à nouveau la tournure euphémisante classique :
Les gardes-frontières israéliens ont ouvert le feu sur les manifestants, tuant au moins quatre d’entre eux, et en blessant un nombre indéterminé.
Les gardes-frontières ont « ouvert le feu », et la conséquence est qu’il y a des morts. À nouveau, la tournure permet de laisser penser qu’ils ont « ouvert le feu » sans intention de tuer.
Tournure encore plus alambiquée pour le massacre de Maroun ar-Ras :
Malgré les tentatives de l’armée libanaise pour les empêcher d’atteindre la frontière, des dizaines d’entre eux ont attaqué à coup de pierres les gardes-frontières israéliens, qui ont riposté en ouvrant le feu à balles réelles.
Le journaliste offre ici une nouvelle justification : les manifestants (non armés, donc), ont « attaqué à coup de pierres », les israéliens ont « riposté ». Et l’euphémisme habituel : « en ouvrant le feu à balles réelles ».
Euphémisme qui conduit à cette phrase classique :
La fusillade aurait fait entre six et dix morts et plusieurs dizaines de blessés.
C’est donc « la fusillade » qui a fait des morts, et non l’armée israélienne. (Et au conditionnel, tant qu’on y est.)
Le paragraphe suivant est heureux de vous faire savoir ce qu’en pense Benyamin Nétanyahou, premier ministre israélien directement responsable du massacre :
Nétanyahou a insisté sur le fait que les manifestations n’avaient rien à voir avec les frontières de 1967, mais « visaient directement l’existence d’Israël ».
Choix étrange de l’expression « insisté sur le fait que… », alors qu’il ne s’agit pas d’un fait, mais d’une allégation saugrenue.
Le paragraphe qui suit est heureux de vous faire savoir ce qu’en pense… le brigadier général Yoav Mordechaï, l’un des porte-parole de l’armée israélienne. Comme ça, dites-donc, ça vous fait une sacré pluralité des points de vue.
« Nous assistons à des provocations orchestrées par l’Iran sur les frontières syriennes et libanaises, pour tenter d’exploiter les commémorations du jour de la Nakba », a-t-il assuré.
Et voilà, aucun point de vue arabe ou palestinien sur ce massacre. Les soldats israéliens tuent plus de dix palestiniens non armés, et le Figaro ne cite que des responsables israéliens. De plus, il le fait non pour leur demander des explications, mais uniquement pour leur permettre de justifier leur crime. À aucun moment, par exemple, le journaliste ne demande qui a donné l’ordre d’ouvrir le feu, ou s’il s’agit de règles d’engagement déjà définies (les gardes-frontières israéliens ont-ils l’autorisation d’ouvrir le feu, d’emblée, sur des manifestants non armés, y compris dans le territoire occupé du Golan ?).
Puis un paragraphe bien pratique :
À Tel-Aviv, un camionneur palestinien a jeté son véhicule contre un bus et des voitures, faisant un mort et plusieurs blessés, sans que l’on sache très bien si son geste était directement lié aux manifestations palestiniennes.
Le fameux « terroriste » arabe israélien, immédiatement arrêté, a prétendu que son pneu avait éclaté. Un détail qui n’intéresse pas le Figaro, qui préfère parler de « son geste », devenu dans l’article suivant « cette attaque ».
Mais bon, à ce stade, si l’armée israélienne le dit, c’est que c’est vrai. Alors, certes, on ne sait si « son geste était directement lié aux manifestations », et on omettra de préciser que le camionneur ne revendique pas un attentat et soutient qu’il s’agit d’un accident de la route, mais si on peut établir une sorte d’équivalence des « violences », on ne va pas se gêner.
Le paragraphe finale est, logiquement, épatant :
les manifestations aux frontières d’Israël représentent un phénomène préoccupant pour les services de sécurité israéliens
Israël massacre 13 manifestants désarmés, mais c’est un phénomène préoccupant pour… les services israéliens. On peut difficilement condenser aussi clairement le racisme féroce des journalistes qui couvrent ainsi les crimes israéliens.
Terminons donc par une remarque finaude :
ces mouvements non armés sont beaucoup plus délicats à contrer que les tirs de roquettes, attentats et attaques d’organisations telles que le Hezbollah ou le Hamas, dont la violence justifie les mesures de représailles israéliennes.
Oui, vous avez bien lu : l’article du Figaro conclut que tous les autres crimes israéliens sont justifiés, et ça ne demande absolument aucune forme de discussion.
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