Contre toute attente, le Conseil d’Administration du Mouvement contre le Racisme et l’Amitié entre les Peuples (MRAP) réuni le 4 février, association historique d’éducation populaire de lutte contre le racisme et le fascisme, porte plainte contre France Soir car certaines caricatures feraient un amalgame entre terrorisme et islam (celle représentant Mahomet coiffé d’une bombe et celle le montrant armé d’un cimeterre).
_ Si à l’évidence la caricature de Mahomet coiffé d’un engin explosif est une bénédiction pour les extrémistes musulmans qui, en toute mauvaise foi, exploitent ce qu’ils considèrent comme un blasphème pour provoquer un mouvement mondial de solidarité de l’ensemble des croyants, que dire des errements du CA du MRAP quand il accrédite le caractère raciste de ces caricatures alors que celles-ci peuvent être interprétées d’une toute autre manière par les musulmans progressistes eux-mêmes. Par exemple, cette caricature pourrait signifier que les terroristes islamistes instrumentalisent la religion musulmane et son prophète au profit de leur haine. Par conséquent, au nom de l’antiracisme et de la lutte contre l’islamophobie, en ayant choisi une thèse hasardeuse par ailleurs défendue par les fondamentalistes religieux, les dirigeants du MRAP portent la responsabilité d’avoir conduit l’ensemble de leur mouvement à placer au second rang une valeur fondamentale pour les démocrates : la liberté d’expression.

En réalité, il semble que le MRAP sous-estime aujourd’hui la mobilisation des minorités anti-démocratiques agissantes sur le territoire français, notamment dans les espaces urbains ségrégués. En effet, n’acceptant pas la libération des mœurs des sociétés modernes jugées décadentes, des acteurs politico-religieux intégristes utilisent les sentiments d’insécurité de populations migrantes précarisées et souvent discriminées pour manipuler des lois démocratiques basées sur le respect fondamental des droits de l’homme, dont le droit à la reconnaissance culturelle, pour faire pression sur les personnes afin qu’elles adoptent des comportements conformes à un ordre moral « théologiquement correct ».
_ Ainsi, en choisissant d’intenter des procès en « islamophobie » à tous ceux qui, loin d’être des racistes d’extrême-droite anti-musulmans, au nom de la liberté d’expression, de la laïcité et de l’émancipation des individus, tirent la sonnette d’alarme devant l’avancée importante des fondamentalistes islamistes en France et en Europe, la direction actuelle du MRAP paraît hiérarchiser le combat antiraciste et démocratique alors que notre société d’immigration riche de sa diversité culturelle mais socialement fragmentée est sujette à un racisme protéiforme porté par une multiplicité de promoteurs ethnico-religieux partisans du « choc des civilisations ».
_ Ainsi, au lieu de combiner un combat laïque contre toutes les formes de racisme avec un attachement à la liberté d’expression, notamment le droit de croire ou de ne pas croire et ainsi de caricaturer toutes les religions et tous les religieux, les responsables du MRAP, sans doute involontairement, rejoignent le camp des « croisés de la morale ». Il est effectivement très surprenant qu’un mouvement laïque croise les activistes religieux qui confondent la critique, voire la remise en question des croyances ou des préceptes religieux avec du racisme ou de l’islamophobie. Dans cette perspective, l’athéisme ou le blasphème sont assimilés à une forme de racisme.
_ Paradoxalement, les porte-parole du MRAP alimentent dès lors la victimisation, l’essentialisation et la crispation des identités mais aussi cautionnent les tendances les plus rétrogrades et archaïques d’une minorité de croyants musulmans.

Face à la montée des intégrismes, des tentatives d’intimidation pour imposer un ordre moral et religieux étriqué et au développement des « logiques de guerre » par des gouvernements totalitaires qui pour se maintenir au pouvoir sont prêts à enflammer des populations désespérées par les conséquences désastreuses d’un système économique mondial ultra-libéral générateur d’injustices, de misère et d’insécurité sociale, le temps n’est pas à la division de l’ensemble des antiracistes mais à la mobilisation unitaire de tous les démocrates désireux de défendre un projet de société basé sur le respect de tous les individus, de leurs croyances philosophiques ou religieuses, la liberté d’expression et l’émancipation de chacun.

Manuel Boucher Sociologue.