« Violences urbaines », incivisme, vandalisme, des termes qui ne constituent plus des entrefilets dans l’actualité mais qui de plus en plus la structurent.

Une société décadente est une société qui n’arrive plus à assumer ses contradictions, à assurer la « paix sociale », c’est-à-dire assurer le maintien et la stabilité du rapport social dominant (ici le salariat) avec ses propres moyens, une société qui n’a plus comme recours que la violence pour gérer ses contradictions.

Ces évènements qui choquent par leur violence et la gratuité des actes, sont le fait d’individus qui ont perdu tous repères, qui n’ont plus aucune référence sociale, exclus du tissu social ils s’en prennent à tous les symboles même les plus respectables de notre société comme la violence contre les pompiers

. Ce ne sont pas eux qui sont décadents mais le système qui est capable de les engendrer.

LE PROBLEME ET SA SOLUTION

Comment avoir la prétention de trouver une solution à ce problème alors qu’on ne sait pas, ou plutôt, on ne veut pas le poser correctement. Car de quoi s’agit-il ?

A moins d’affirmer que les « bandes des banlieues » sont des délinquants-nés, ce que l’extrême droite appelle les « bandes ethniques » et que donc la solution est leur élimination au sens physique du terme, la seule autre explication c’est que ce phénomène, qui prend de l’ampleur, est d’origine sociale.

L’exclusion massive de salariés du « bas de l’échelle sociale », combinée avec des relents de racisme de l’époque coloniale a jeté aux marges de notre société toute une population exclue du lien social fondé sur le salariat, d’ailleurs le seul lien que le système marchand puisse créer.

Les cités autrefois ouvrières se sont transformées en « ghettos sans espoir » regroupant une population consciente d’être parquée, exclue, à la recherche d’une stabilité sociale que le système marchand lui refuse. (voir l’article « DROGUE, ECONOMIE SOUTERRAINE ET SOCIETE PARALLELE »)

On a beaucoup critiqué et l’on critique beaucoup, et je pense à juste titre, les conceptions « communautaristes » des pays anglo-saxons, au nom d’une conception de la citoyenneté issue des Lumières. Soit ! Mais le problème c’est que cette intégration citoyenne n’a pas marché pour ces populations. Pourquoi ?

La réponse facile serait de dire, et beaucoup ne se gênent pas pour l’affirmer : « Elles n’ont pas voulu s’intégrer ». Ceci est absolument faux.

Dès le début, dans les années soixante, les immigrés, que nous avions besoin pour nos usines, ont été traités comme du bétail… J’exagère ? Souvenez vous : bidonvilles, marchands de sommeil, ratonnades,… et, ce qui n’a rien arrangé, en pleine guerre d’Algérie… puis, ce qui a aggravé la situation, l’ouverture vers la mondialisation Jusqu’aux Harkis qui ont été, et sont, victimes de la même discrimination…

Le système marchand a considéré ces êtres de la même manière qu’il traite tout individu, de manière utilitaire… Or là, à la différence des salariés nationaux marginalisés, il s’agissait d’une population fragilisée, coupée de ses racines, d’une culture très différente de la nôtre, qui aurait eu un besoin urgent et spécifique d’aide à l’intégration… C’est tout le contraire qui a été fait… et l’on s’étonne qu’à la troisième/quatrième génération la rupture ait lieu… Ce qui est étonnant c’est qu’elle ne se soit pas produite plus tôt.

Nous vivons aujourd’hui, au niveau national, avec les violences urbaines, les conséquences du fonctionnement de ce système aggravées par des politiques irresponsables et démagogiques.

Le repliement communautaire de ces populations ne s’explique certainement pas par leurs volontés de recréer, à priori, une communauté : aucun texte, aucune déclaration, aucun discours, aucun mouvement constitué ne l’atteste, mais par l’incapacité du système marchand de faire fonctionner la citoyenneté. Le système politique de démocratie marchande a été incapable, et est incapable de faire fonctionner l’intégration, d’où le développement rampant du communautarisme qui est un moyen de recréer un lien social refusé par le système lui même. (voir l’article « LA MARCHANDISE CONTRE LA CITOYENNETE »).

Ce que nous analysons comme une intention, la tendance communautariste, n’est en fait que la conséquence du fonctionnement du marché (exclusion d’une bonne partie de cette population du rapport salarial), aggravé de l’échec de l’intégration (ségrégation raciale qui ne dit pas son nom).

Il est bien évident qu’aucune force politique, aucun parti politique, aucun homme politique n’est capable, n’a le courage d’assumer une telle faillite… ces hommes clairvoyants et responsables préfèrent en jeter la responsabilité sur les « sauvageons » (la Gauche), les « bandes ethniques », (l’extrême droite), la « racaille à nettoyer au karcher » (la Droite)… chacun appréciera les nuances…

Nous sommes aujourd’hui entrain de payer non seulement les conséquences du fonctionnement du système marchand, mais aussi l’incompétence des politiciens que nous reconduisons systématiquement au pouvoir.

Pris à la gorge par un problème qu’il ne veut pas voir, l’Etat ne peut plus agir qu’avec ce qu’il connaît le mieux, qui demande le moins de réflexion, qui peut plaire aux citoyens excédés et qui est payant électoralement, la répression.

MAIS QUE FAIT LA POLICE ?

Justement, parlons en

L’accumulation de forces de police ne peut évidemment pas résoudre le problème, au contraire, sa présence est un puissant excitant pour des individus qui désormais exècrent tout ce qui peut représenter un ordre qui les exclu.

La police ne peut agir que sur les conséquences, la délinquance, pas sur les causes de celle-ci. N’oublions jamais que la police n’est que le bras armé du pouvoir, or le pouvoir, l’Etat n’a pas pour vocation de remettre en question le fondement du système dont il est le garant. C’est donc tout logiquement qu’il intervient avec le seul moyen qui lui reste : la force. Ceci est vrai dans ce cas, mais ceci est aussi vrai dans de nombreux conflits sociaux aujourd’hui, du fait du rétrécissement de ses marges de manœuvres.(voir l’article « NEGOCIER, MAIS NEGOCIER QUOI ? »)

La différence avec les autres conflits c’est que, dans les violences urbaines, il n’y a pas à proprement parler de revendications précises telles qu’on les connaît dans les autres conflits, d’où l’apparence du caractère « gratuit » des actes de vandalisme, ce qui bien entendu motive encore plus le pouvoir pour utiliser la force, et avec l’approbation du plus grand nombre qui ne « comprend pas » de telles attitudes d’incivisme… l’impasse sociale est totale.

Dans ce contexte c’est donc le fait policier qui l’emporte sur le fait social. Les conditions de l’intervention policière occultent le vrai problème qui est à l’origine de la situation.

La question n’est plus de savoir « comment en est-on arrivé à cette situation ? » , mais « que s’est-il passé lors de l’intervention policière ? ». La discussion, la réflexion, si j’ose dire, glissent sur le terrain de l’anecdote, de la désinformation, quand ce n’est pas de la propagande et de l’exploitation politicienne. Les protagonistes racontent chacun leur histoire, ont leur version dans laquelle ils sont innocents et victimes, se renvoient la responsabilité,… ce qui se termine dans les méandres des polémiques politiciennes, des procédures administratives, voire judiciaires…. jusqu’à la prochaine fois. Car il est bien évident qu’il y aura une/des « prochaines fois »… tout simplement parce que rien n’est réglé et que la situation qui a engendré l’évènement perdure.

Le phénomène de violence que la France connaît sur le plan intérieur est en fait un des aspects, le volet local, des conséquences de la mondialisation marchande. L’instrumentalisation des individus, le pillage des richesses naturelles à travers toute la planète, le développement inégalitaire, autrement dit le développement économique fait en dépit des valeurs humanistes, atteint aujourd’hui les limites du tolérable pour les riches, du supportable pour les pauvres. Le déploiement de force dans les cités n’a d’égal que l’érection d’une muraille protectrice autour de l’Europe et/ou des Etats Unis pour contenir la pauvreté. Il est temps d’en prendre conscience.

Patrick MIGNARD

Voir aussi l’article « DECADENCE »