Critique féministe du nationalisme
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Catégorie : Global
Thèmes : Genre/sexualitésNationalismeRacisme
L’essor du nationalisme est en partie dû à l’effondrement des forces antipatriarcales et antiracistes et des analyses soutenues par ces forces de gauche. La lutte antinationaliste doit par conséquent renouveler ces analyses. Il est donc important d’analyser d’abord comment le nationalisme, le racisme, le patriarcat et la politique démographique s’intègrent tous dans des structures de pouvoir.
Le nationalisme est à la fois une idéologie et un mouvement. Les nationalistes pensent que toute personne appartient d’abord à un peuple (Volk) ou à une nation. Tous les autres groupes ou catégories auxquels un individu peut appartenir sont secondaires aux yeux des nationalistes.
La lutte des femmes est considérée comme moins importante, et parfois même comme dangereuse. Il n’est bien sûr pas très bénéfique pour l’unité de la « nation » que des femmes commencent à s’organiser contre le pouvoir masculin. Pour les nationalistes, tout être humain a une place fixe et déterminée à l’intérieur de la « nation » ; dévier de son rôle menace la force de cette « nation ». C’est pourquoi ils attachent tant d’importance aux rôles sociaux qui sous-tendent toutes sortes de traditions. Les femmes sont donc toujours supposées procréer et élever leurs enfants dans le respect des traditions nationales. Et elles doivent vivre selon une morale irréprochable pour honorer la « nation ». Les hommes, quant à eux, sont censés être forts. Ils doivent construire la terre et la nation, et aider à les défendre contre les autres « nations ».
Le viol
La gauche radicale considère souvent que le nationalisme est un problème secondaire. Quant aux militants ou aux théoriciens qui y accordent de l’importance, ils analysent rarement le rôle central du patriarcat dans le nationalisme. Ils ne font pas de différence entre l’influence exercée par le nationalisme sur les hommes et sur les femmes. Cette erreur est liée à l’incapacité de percevoir l’importance politique de la « sphère de la reproduction » dans la société, erreur que la gauche radicale commet souvent.
Il existe de nombreux exemples de situations, cependant, où le nationalisme a des conséquences complètement différentes pour les hommes et pour les femmes. Prenons par exemple les camps en Bosnie au milieu des années 90. Le viol systématique des femmes de l’ennemi était considéré comme un moyen de déshonorer l’essence de l’autre nation.
Ou prenons le cas de la politique néerlandaise en matière d’immigration : les fonctionnaires de l’État décident qui a le droit de vivre sur le sol de « notre nation ». Ils accordent le plus souvent aux femmes des cartes de séjour dont la validité dépend de celle de leurs maris. Cette situation oblige les femmes à vivre avec leurs époux pendant des années, même lorsque ces maris les maltraitent.
En matière de politique démographique, le nationalisme et le patriarcat font également bon ménage. Lorsque les politiciens considèrent que la population d’une « nation » donnée n’est pas assez ou trop nombreuse, ils déclenchent presque toujours des campagnes pour faire l’éloge des femmes de telle ou telle nationalité qui ont davantage — ou moins — d’enfants qu’elles. Malheureusement, ils ne s’arrêtent pas là et ne se contentent pas d’essayer de les endoctriner. Les naissances sont souvent stimulées par les allocations ou, dans le cas inverse, les États pratiquent la stérilisation de masse, parfois volontaire et parfois forcée.
Blut und Boden (Le sang et la terre)
Le nationalisme prend de nombreuses formes, de l’effrayant nationalisme völkish (national-populiste) des nazis au nationalisme civique très libéral qui caractérise de nombreuses démocraties occidentales. Chaque nationalisme est constitué d’un mélange d’éléments biologiques, culturels et civiques. Il ne faut pas bien sûr négliger les différences entre les nationalismes qui privilégient les éléments biologiques, culturels ou civiques, mais tous les nationalismes sont patriarcaux et exclusifs.
Les nationalismes à dominante biologique considèrent que les liens de sang entre les membres du peuple (Volk) sont essentiels. Dans ce cadre de pensée, un peuple ne peut survivre qu’en se reproduisant lui-même. Une telle idéologie définit immédiatement la fonction la plus importante des femmes de ce Volk : la procréation.
Pour influencer la croissance de leur peuple, ces nationalistes s’intéressent beaucoup aux nouvelles techniques de reproduction. Ils pensent que ces techniques leur permettront d’accroître le nombre de naissances dans leur propre peuple et de diminuer le nombre d’enfants des autres peuples. Pour cela, il suffit de diffuser des contraceptifs de longue durée et des techniques bon marché de stérilisation.
L’éducation
Dans les nationalismes à dominante culturelle, la tradition, la religion, la langue et la littérature jouent un rôle central pour déterminer qui fait partie de la nation — et surtout qui n’en fait pas partie. L’objectif de toutes les manifestations nationalistes culturelles est de fournir une représentation symbolique et idéologique de la nation idéale.
Et ces manifestations assignent toujours des rôles spécifiques aux hommes et aux femmes. Les deux sexes sont responsables de la survie de la « nation », mais chacun à sa façon. Les hommes doivent protéger la « nation » contre les intrus extérieurs en utilisant leur force. Les femmes doivent élever les enfants de la « nation » en leur enseignant les traditions, par exemple en leur faisant apprécier la cuisine, les vêtements et les contes traditionnels qu’on leur a transmis.
A cause de leur rôle éducatif, les femmes sont considérées comme « les représentantes de la nation » et incarnent son « honneur ». C’est pourquoi elles sont souvent les cibles privilégiées de la violence masculine, par exemple lorsque, pendant une guerre, les hommes d’une nation pensent qu’ils peuvent souiller l’honneur et l’innocence de la nation qu’ils combattent en violant ses femmes.
Ce type de violence s’exerce aussi au sein de la nation elle-même, si par exemple une femme essaie de refuser d’endosser son rôle traditionnel. Dans ce cas, elle déshonore sa famille et sa nation. Les femmes sont souvent mises au ban de la société, voire tuées, parce qu’elles s’habillent de façon « trop dénudée » ou ont une aventure extraconjugale.
Dans les nationalismes à dominante civique, le critère officiel pour faire partie de la nation est d’être un(e) citoyen(ne).
Ce type de nationalisme est répandu dans les États occidentaux démocratiques et est généralement considéré comme la forme de nationalisme la plus tolérante et la plus innocente. En principe toute personne peut devenir un(e) citoyen(ne). Mais à cause des pratiques racistes et sexistes du nationalisme civique certains groupes de gens ont très peu de chances d’être accueillis au sein de la nation. Ce type de nationalisme est tout aussi exclusif que les autres. Les lois sur l’immigration sont généralement taillées sur mesure pour les hommes ; les femmes ont presque toujours beaucoup de mal à obtenir une carte de séjour indépendante de celle de leur mari. De plus, même lorsqu’un étranger devient Néerlandais, qu’il est accepté au sein de la nation, il n’a pas toujours les mêmes droits. Récemment, par exemple, le ministre néerlandais Nawijn a proposé d’expulser de jeunes délinquants marocains qui avaient un passeport… néerlandais. L’accès à la nation est donc toujours conditionnel et peut être remis en cause lorsque le nationalisme s’accroît dans un pays donné.
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Lectures conseillées sur les rapports entre nationalisme et patriarcat :
- Gender and nationalism de Nira Yuval-Davis (1997) et
- Gender ironies of nationalism de Tamar Mayer (2000).
Des exemples autres que ceux de la Hollande auraient été intéressants …
Au hasard, le nationalisme noir aux États-Unis, et un docu sur le viol « intra-communautaire » très intéressant : http://notherapedocumentary.org/sexual-assault-documentary-no qui dénonce pas mal de problèmes que vivent les femmes dans des contextes de lutte où on leur fait bien comprendre que leurs « problèmes » passeront après le reste et qu’en plus elles n’ont pas intérêt à l’ouvrir parce qu’elles feront du tort à l’intérêt général.
Un autre exemple, au hasard (ou pas) le mouvement nationaliste kurde et ses femmes soldats (toujours jolies) qui font les top models avec des armes à la main … à une autre époque on voyait ça chez les maos … bref, pas beaucoup d’évolution du côté de l’utilisation de l’image des femmes, et bon on attend toujours de comprendre comment toutes les femmes sur ces photos rentrent parfaitement dans les canons de beauté si ça n’est pas un choix voulu, et donc du sexisme de bas étage. Bon y aurait plein d’autres choses à dire sur ces femmes soldats, mais je m’arrêterai là.
Autre petit exemple … la situation des femmes de prisonniers nationalistes basques, qui sont tenues à l’œil pour ne pas aller se consoler dans les bras de quelqu’un pendant que leurs compagnons sont en cabanes pour de très longues années.
Les femmes soldats kurde « qui font les top models avec des armes à la main » meurent aussi. Loin de nier les aspects propagandistes qui peuvent exister, il faut reconnaitre la lutte réelle et les mortes réelles de conflits armées …
Car ce même reproche, les femmes espagnoles anar le reçurent en 1936 : d’être jolies !
il n’est aps reproché aux femmes d’être jolies !
il est reproché aux gens d’utiliser des « canons de beauté » pour faire de la propagande.
si tu ne détruits pas ce qui t’opresse à la base, tu seras toujours opressée.
mouahaha ! Mais oui toutes les kurdes sont « belles » (selon les canons de beauté), ben voyons ! Ça sonne carrément nationaliste comme truc, genre, « nous on est tellement supérieurs que même nos femmes sont toutes des canons » !
Celles qui sont planquées dans les cuisines à faire à bouffer pour les soldats doivent probablement être celles qui faisaient tâche sur les photos !
Sinon y a aussi les nationalistes irlandais qui ont beaucoup utilisé l’image des femmes … exemple : http://rarehistoricalphotos.com/wp-content/uploads/2014/07/Female-IRA-fighter-1970s-small.jpg
Effectivement, ça doit être d’un pratique de jouer les guerrières habillées comme ça .. le ridicule ne tue pas heureusement !
Utiliser l’apparence ou les vêtements pour discréditer ou à l’inverse pour créditer…
toujours cela touche les femmes
cela touche plus souvent les femmes
Et si on va sur ça, à l’inverse y a aussi une espèce de formatage qui fait que des tas de filles très intelligentes et intéressantes pensent qu’il n’y a que leur physique qui puisse les valoriser en société … c’est dommage, parce qu’une personne « hypersexualisée », qui fait croire qu’elle n’a que son physique, ça me donne moins envie de lui parler, et je trouve ça quelque part dommage de s’enfermer dans de tels stéréotypes dévalorisants, d’autant que ça instaure des rapports entre individus différents je trouve. Parfois c’est quand même soûlant en tant que meuf de voir que les gens ne te parlent pas à toi parce que t’as pas fait l’effort d’être sexy, mais vont river leurs yeux sur le décolleté plongeant de la voisine ..
Ni Barbies, ni soldates, on n’est pas des vagins sur pattes, on existe aussi si on est « moches », ou juste qu’on n’est pas des narcissiques fashion-victims !
« […] Le « truc » des Femen, c’est en effet de mener leurs actions le buste nu afin de retenir l’attention des médias. Anna Hutsol, qui a fondé le groupe à Kiev en 2008, considère avoir inventé là « une façon unique de s’exprimer, basée sur la créativité, le courage, l’humour, l’efficacité, sans hésiter à choquer ». Et d’ajouter : « Les gens ne s’intéresseraient pas à notre message si nous n’étions pas habillées [!] de cette façon. » Femen a depuis essaimé d’Ukraine dans d’autres pays – au Brésil, en Italie, en Belgique… et en France au mois de septembre dernier. […]
La cinquantaine de membres que revendique Femen France présentent une grande homogénéité socioculturelle (elles viennent des facs, de la presse et des milieux culturels – avec quelques « ils », nous dit-on, mais bien cachés). Cette branche française s’est installée fin janvier au Lavoir moderne, à la Goutte d’Or ; et elle a signalé son implantation dans un quartier où vivent beaucoup de musulmans ou assimilés par une délicieuse affiche de pin-up bleu-blanc-rouge et une déambulation d’autres seins nus pour faire connaissance avec le voisinage.
En l’absence jusqu’à récemment de textes présentant le mouvement et ses objectifs – Calmann-Lévy vient de publier Femen, des entretiens réalisés par Galia Ackerman avec les Ukrainiennes qui ont lancé la section française –, on en a été réduit-e à déchiffrer les messages présentés sur le buste de ses troupes. Ou à s’en remettre à la parole d’Inna Chevchenko qui, sitôt en France, a répondu aux questions de Libération, le 17 septembre 2012… en posant nue (ce qui a incité le journaliste à nous préciser des détails d’ordinaire jugés peu utiles pour apprécier des propos, genre : « Elle croise les jambes »). Elle considère en effet que son image sert à vendre le « pop féminisme » – un « nouveau féminisme » résolu à « montrer que les féministes ne sont pas que des vieilles femmes cachées derrière leurs bouquins », mais des « soldats » (re-sic !) qu’elle entraîne pour des opérations chocs et provocs dirigées vers les médias. « On sait de quoi les médias ont besoin, déclarait-elle en décembre à Rue89. Du sexe, des scandales, des agressions : il faut leur donner. Etre dans les journaux, c’est exister. » Grâce à Femen, « le féminisme redevient populaire auprès des jeunes » – car Femen se préoccupe de sexe et d’âge, mais nullement de classe sociale.
Sa prétention et son arrogance n’ont pas valu à la leadeure des Femen que des félicitations, on s’en doute : ses remarques sur le féminisme « traditionnel » faisaient trop écho à d’autres visant à présenter les féministes comme des intellos éloignées du sexe (voire hystériques et mal baisées). Et si I. Chevchenko modère depuis parfois son discours, la méfiance à l’égard de son collectif s’est accrue dans les milieux féministes, on a pu le constater avec la parution récente de textes au questionnement souvent très pertinent. […]
Un recours à des corps féminins conformes aux critères dominants de jeunesse, minceur, beauté et fermeté de la peau – une forme de racolage pour le bien de la cause. « Femmes, vous voulez vous faire entendre ? Une seule solution : déshabillez-vous ! » en déduit M. Chollet. Dans les apparitions des Femen, on se trouve face à des corps « de rêve » qui pourraient tout aussi bien servir de support à une pub pour des savonnettes ou une crème épilatoire, et dont les propriétaires paraissent suivre les préceptes du marketing publicitaire le plus grossier pour faire vendre (les « techniques » mises en œuvre étant de se positionner toujours à l’identique, un bras levé, l’autre sur la hanche, le regard sévère, et de crier et se débattre dès qu’il y a de la répression). Si ces amazones des Temps modernes ont de quoi alimenter bien des fantasmes masculins et féminins, elles ne suggèrent donc guère un changement dans les rôles sociaux, par leur correspondance avec les canons de la beauté (8). Et leur politique de photogénie délibérée est justifiée dans le livre Femen, où l’une des fondatrices ukrainiennes déclare : « Nos filles doivent être sportives pour endurer des épreuves difficiles, et belles pour utiliser leur corps à bon escient. Pour résumer, Femen incarne l’image d’une femme nouvelle : belle, active et totalement libre. » Quoi qu’il en soit, vouloir faire passer un discours « subversif » en usant des codes dominants de la beauté ne peut être qu’une tromperie, volontaire ou non.
Pareille « nudité » n’a de plus rien à voir avec celle que l’on trouve dans les lieux naturistes, où se mélangent les sexes comme les types de corps et d’âges : les Femen ont le buste dénudé comme à la plage quand on veut une poitrine bronzée. Si donc se déshabiller dans la rue constitue bien un délit, leur effeuillage partiel reste en fait dans la ligne de pratiques couramment admises en Occident – en somme, elles sont juste comme une pub qui serait descendue de son panneau. Rien de subversif là-dedans. […]
« Il y a plusieurs féminismes et le genre d’idées que défendent les Femen peut être dangereux », estiment à présent les TumulTueuses (12). Notamment parce que leur féminisme est essentialiste, basé sur l’instinct et la « nature » des femmes : en Ukraine, elles parlent de reconstruire « une image nationale de la féminité, de la maternité et de la beauté, basée sur l’expérience des mouvements de femmes euro-atlantiques » ; leurs positions sont moralistes (« développer les qualités intellectuelles et morales des femmes ukrainiennes »), nationalistes (« redorer l’image de l’Ukraine, pays plein d’opportunités pour les femmes ») et racistes (comme leur action devant l’ambassade de Turquie sous prétexte que les citoyens turcs seraient les touristes sexuels les plus actifs). Les Femen prétendent « libérer » les autres femmes en leur disant ce qui est bien et ce qui est mal ; et certaines de leurs actions stigmatisent, culpabilisent et infantilisent les femmes musulmanes ou les prostituées. En fait, LA Femme n’existant pas, il n’y a pas lieu de parler à la place des femmes, et celles-ci doivent se libérer par elles-mêmes, sans qu’on leur impose de modèle, soulignent les TumulTueuses avec justesse. Et de conclure : « Il n’existe pas de “nouveau féminisme” ni de “nouvelle femme”. Les courants féministes, leurs revendications et leurs modes d’action ont évolué, comme tous les mouvements politiques, mais nous ne partons pas de rien, nous avons une histoire. Il s’agit d’une lutte de longue date, qui n’a jamais cessé et qui se poursuivra tant que cela sera nécessaire. »
Concernant le voile, Femen France a organisé en mars 2012, sous le slogan « Plutôt à poil qu’en burqa », une « opération antiburqa » devant la tour Eiffel en incitant « la France » à se déshabiller comme si cet acte était forcément libérateur. Plutôt que d’affirmer la supériorité de la nudité, mieux vaudrait défendre la liberté des femmes de s’habiller comme elles le souhaitent (13) et éviter de donner des leçons néocolonialistes. Mais, a déclaré I. Chevchenko à 20 Minutes, « on ne va pas adapter notre discours aux dix pays où s’est implanté le groupe. Notre message est universel »…
Sur la question de la prostitution, Femen est abolitionniste. Dans le même numéro de Charlie, I. Chevchenko explique : « Quand une femme aura la possibilité d’être PDG d’une multinationale le lundi et prostituée le mardi, parce qu’elle le souhaite, je l’accepterai. C’est pareil pour la burqa : quand une femme pourra sortir à poil le lundi et porter une burqa le mardi, parce qu’elle le souhaite, je l’accepterai. » Un raisonnement pour le moins curieux, et qui incite à ironiser comme C. Guillon : ainsi donc, après la « révolution des femmes » que cette Femen dit appeler de ses vœux, il y aura des cheffes d’entreprise et des prostituées ? […]
Vanina
http://oclibertaire.free.fr/spip.php?article1348