Depuis presque un mois, les Espagnols sont dans la rue, sur les places, au cœur des villes mais aussi dans leurs quartiers, leurs villages. Retour sur ces événements.

15 mai: suite à un appel du collectif “Democracia real YA!” (une démocratie réelle, maintenant!) et dans la perspective des élections locales du 22 mai, des manifestations ont lieu un peu partout. Les Espagnols dénoncent, entre autre, le bipartisme, la corruption généralisée des hommes politiques, le fort taux de chômage (21% de la population active, 45% des moins de 30 ans) et la précarité. A Madrid, les 50 000 manifestants, portés par l’énergie collective, ont du mal à se disperser et environ 200 personnes décident de camper sur la place Puerta del Sol. Au petit matin, la police tente de les déloger. Grâce aux appels au soutien lancés sur les réseaux sociaux d’Internet, ils sont plus de 2000 à camper le lundi soir. Sous le slogan “Indignaos !” (Indignez-vous ! en référence à l’ouvrage de Stéphane Hessel) une manifestation ponctuelle se transforme en lame de fond où prévalent l’auto-organisation et le débat démocratique, sans bannière, sans qu’aucun parti politique, aucun syndicat ne soit représenté.

Grâce à Internet, tout va très vite, des campements similaires s’installent un peu partout en Espagne, rassemblant de plus en plus de monde. A l’heure actuelle, 86 villes et villages sont impliqués dans ce mouvement. Des débats ont lieu, des assemblées générales, des commissions thématiques sont créées, on réfléchit, on vote les actions à venir(1), on produit collectivement une liste de revendications minimales(2). La gestion du mouvement est exemplaire. Il y a des gens de tous bords, de tout âge, de toutes classes sociales, réunis par un ras-le-bol général (précarité, chômage, inégale gestion de la crise…) et par un dégoût des institutions actuelles (système bancaire, appareil politique corrompu et non représentatif…).

19 mai: La commission électorale décide d’interdire tout rassemblement la veille des élections, sous prétexte du respect de la journée de réflexion préalable au vote. En réponse à cette interdiction et pour empêcher la police de déloger les manifestants, des milliers de personnes viennent soutenir les manifestants le vendredi 20 mai au soir. Le Ministre de l’Intérieur décide alors de s’opposer à l’interdiction de la commission et la police n’intervient pas.

La question se pose de rester ou non après les élections. Des votes ont lieu dans chaque campement (“Acampada”): “¡No nos vamos!” On reste !

Afin de décentraliser le mouvement et sensibiliser un maximum de personnes, des assemblées sont créées dans les quartiers. De plus en plus de gens se mobilisent, comme le prouvent les événements du 27 mai à Barcelone. Ce vendredi matin, la police tente de déloger les campeurs dans la violence. Des milliers de personnes affluent alors toute la journée pour soutenir le mouvement et aider à la reconstruction de l’Acampada. Ces violences policières à l’encontre d’un mouvement pacifiste largement suivi ont été décrites par Le Monde comme de “légers heurts” pour disperser “un petit groupe de manifestants”. Or, selon la commission juridique de l’Acampada, 140 personnes ont été blessées dont une gravement. 400 personnes étaient sur la place quand la police est arrivée au petit matin, environ 3000 quand elle est partie et plus de 20 000 à l’assemblée du soir.

En soutien à cette révolution espagnole, on s’indigne en Grèce, au Mexique, en France et dans de nombreux pays du monde. Mais les médias traditionnels tentent de marginaliser ces révoltes. Les revendications, les propositions, les thèmes de débats, ne sont pas relayés.

Nous essayons donc, à notre modeste échelle, de combler ce vide. Chaque semaine, un compte-rendu des événements sera diffusé : le nombre de campements, de manifestants et d’assemblées en Espagne, les mobilisations à venir, les dernières décisions votées, les actions proposées, les analyses, les impressions, les links, les photos, etc.

Ce mouvement nous transforme, nous qui y participons. Il CRÉE de la démocratie, donne aux citoyens la possibilité de s’exprimer et d’être écoutés, nous redonne l’espoir d’un changement. Nous nous réapproprions le débat politique, nous réapprenons à penser par nous-mêmes et à ne plus subir des décisions qui nous échappent mais qui transforment nos vies. Dans ce sens, ce mouvement est déjà une victoire en soi.

En espérant donner du cœur à l’ouvrage aux Indignés de toute l’Europe et du monde entier !

Salut i democracia!
Les Indignad@s du Café Repaire de « Là-bas si j’y suis »de Barcelone.

NB: Au moment ou nous rédigeons ce document, les Indignés de Madrid et de Barcelone ont décidé de lever les campements nocturnes mais de continuer l’activité journalière sur les places et dans les quartiers. Les modalités de ce changement d’organisation sont en discussions.

(1) L’Acampada de Barcelone participe aux luttes sociales en cours: fermeture des centrales nucléaires, lutte contre les plans d’austérité dans l’éducation et la santé, appui aux travailleurs menacés de licenciement dans des entreprises bénéficiaires (Telefónica, Seat, Alstom…). Elle mène des actions contre la répression policière à Barcelone mais aussi en France, au Maroc, en Syrie, empêche des expulsions de logement…
Les 14 et 15/06/11 est prévue une grande mobilisation au Parlement de Catalogne (campement et manifestation) pour empêcher le vote des coupes budgétaires: « Ni austérité, ni répression policière: bloquons le Parlement ». Le dimanche 19/06/11 aura lieu une manifestation internationale des Indignés (thèmes choisis à Barcelone: “La rue est à nous,  nous ne paierons pas leur crise”, “Arrêtons les coupes budgétaires!”, “Puig démission!”, “Vers une grève générale de toutes et de tous!”). Et fin juin, une Marche Populaire Indignée de 30 jours partira en direction de Madrid depuis différentes régions d’Espagne dans le but de partager indignation et propositions, apprendre des luttes passées et actuelles des territoires traversés, fortifier le mouvement.

(2) A Barcelone, l’assemblée populaire vote une série de revendications minimales concernant la fin des privilèges des élus, des banquiers et des grandes fortunes, des salaires dignes et une qualité de vie pour tous et toutes, le droit au logement et à des services publics de qualité, le respect des libertés et la démocratie participative, la protection de l’environnement.