Une cause méconnue du drame de la passerelle du queen mary : la sécurité-gardiennage ?
Catégorie : Local
Thèmes : Contrôle social
Alors que s’ouvre le procès en appel devant la cour de Rennes, on se souvient que le 15 novembre 2003, une passerelle conduisant au paquebot Queen Mary 2, en finition à Saint-Nazaire, s’écroulait sous le poids de 45 personnes, causant la mort de 16 d’entre elles. Certes, si la passerelle avait été plus solide, elle n’aurait pas cédé. Mais pourquoi tant de monde se trouvait stationné à 18 mètres du sol, sur une étroite et frêle passerelle, d’ailleurs rajoutée provisoirement ?
Le paquebot, le plus grand du monde, était visitable sur invitation. Vers 14h15, une groupe de douze visiteurs invités s’engage sur la passerelle. Bien qu’il pleuve abondamment, ils n’entrent pas immédiatement dans le navire (ce qui les aurait sauvés), mais ils restent sous la pluie battante, entre ciel et terre, attendant plusieurs minutes un contrôle qui s’opère à l’entrée du navire (et non sur la terre ferme, ce qui les aurait également sauvés.) Double manquement à la courtoisie élémentaire et à la prudence ? Cinq minutes plus tard, 26 salariés d’une entreprise de nettoyage se présentent à leur tour. Les visiteurs patientant toujours se rangent sur le côté pour les laisser passer. Mais ce mouvement de chassé-croisé provoque une vrille de la passerelle qui décroche et bascule tragiquement dans le vide.
Sauf erreur de ma part, ni le juge d’instruction, ni les avocats des victimes ou des prévenus n’ont souhaité voir comparaître les responsables du contrôle-sécurité lors de l’enquête et du jugement en première instance. Certes, il ne s’agit pas ici de chercher un coupable bouc-émissaire, d’ailleurs présumé innocent, mais on aurait pu chercher à mesurer cette part de responsabilité dans l’enchevêtrement des causes de cette tragédie.
Plus généralement, cette affaire doit nous conduire à nous interroger tous sur notre soumission à l’autorité, de plus en plus intégrée aux habitudes quotidiennes. Désormais, quiconque arbore un signe de puissance (galon, casquette, guichet d’accueil, badge ou brassard) se trouve spontanément investi de toute la légitimité pour nous contrôler, avec la lenteur et la minutie de la fonction, si ce n’est avec arrogance et indifférence pour autrui. Y compris dans des situations déplaisantes pour les usagers, inconfortables, semi-humiliantes, ou, c’était le cas ici, terriblement dangereuses. Obtempérer docilement aux vigiles privés nous semble désormais une posture aussi naturelle que de ralentir dans un virage ou de se baisser pour ramasser un objet. Et pourtant, ce n’est pas un geste naturel mais une attitude politique, comme aurait dit le philosophe Alain, qui recommandait d’obéir à l’autorité (c’était avant 1940) tout en la méprisant. Et surtout en la rappelant à ses responsabilités.
Franchement, si vous invitez des amis à dîner, les laisserez-vous languir longuement à votre porte sous les intempéries, dans une rue circulante propice aux risques de collisions ? Et que dirait-on du concierge d’un lieu public, école, musée, mairie, qui ferait patienter une file d’attente d’êtres humains chosifiés, placée sur un pont-levis vertigineux à 18 mètres du sol ? Ce qui est bon pour la morale privée ne pourrait-il pas s’appliquer aux détenteurs – mêmes mercenaires – de la puissance publique ? Trop de sécurité tue la sécurité ? Et pourquoi n’y pensons-nous même pas ?
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