http://www.counterpunch.org/johnstone02282005.html

28 Février 2005

Censure et Empire

Dieudonné et l’Usage de l’ « antisémitisme »

/ Par Diana Johnstone

Quand les crimes du pouvoirs deviennent flagrants il est temps de baillonner le peuple . A travers l’Empire ce temps semble être arrivé. La liberté d’expression est de plus en plus menacée, tant aux USA que dans la Vieille Europe, bien que ces attaques s’opèrent à partir d’angles différents .

Aux USA l’assault est clairement mené par des fanatiques de droite comme David Horowitz, qui incite les étudiants à dénoncer les professeurs qui osent essayer enseigner ce qu’ils ne devraient pas savoir. Le but est clairement d’interdire tout critique de la politique guerrière des USA.

En Europe , l’assault est plus subtil et probablement moins clair dans ses visées. Il est mené par des gens qui se considèrent de gauche et semblent parfaitement inconscients du danger de limiter la liberté de parole .

En Allemagne il a été longtemps illegal de dénier l’holocauste : l’offense nommée « Le mensonge sur Auschwitz » peut être punie de 3 ans de prison. La TV allemande ressasse sans arrêt des histoires sur Hitler et ses crimes comme s’il y avait encore des doutes à l’horizon. Ceci n’a en rien prévenu la monté des groupes neo-nazis. Il semblerait que cela les aient plutot aidés à croitre, conformément au phénomène démontré dans la sphère soviétique, que l’établissement de « la vérité officielle » – même vraie -peut être la meilleure façon d’amener les peuples à croire le contraire . Et même plus, la droite dure en Allemagne semble gagner du terrain suite à la desillusion progressive, présente surtout en Allemagne de l’Est, quand à la capacité de la politique neo-libérale d’amener la prospérité vu qu’elle n’a amené que pauvreté et chomage.

En tous cas, le centre gauche du gouvernement formé par les Sociaux- Démocrates et les Verts a entrepris de réagir aux manifestations de la Droite en élargissant la loi contre l « Volsverhetzung » -un concept qui peut être traduit comme « incitation des masses » ou « empoisonnement de l’esprit du peuple ». A l’avenir, il ne suffira pas de poursuivre les gens qui « approuvent, justifient, dénient minimisent le génocide contre les juifs et les gitans d’une façon qui « trouble l’ordre public » (notion vague ) . La nouvelle loi fait un crime de tout discours parlant de la même façon d’un quelconque « génocide » que condamne toute cour dont la juridiction a été reconnue par le gouvernement de la République Fédérale Allemande.

Aujourd’hui l’histoire judiciaire est marquée par des verdicts que l’on a du totalement inverser après les longues batailles pour rétablir la vérité. Mais la Loi allemande peut établir qu’il y a crime si l’on met en question La Cour Internationale de Justice, créée par l’Otan pour controler et manipuler le conflit des Balkans, à propos de la Yougoslavie, après que les Serbes aient été officiellement reconnus coupable de « génocides ». Quiconque fait remarquer que la définition de «génocide » par ce Tribunal a été fabriquée pour des raisons politiques et que ses procedures sont manifestement fondées sur des préjugés, risque d’être arrêté.

S’il doit y avoir des limites à la liberté de parole elle ne devrait s’appliquer qu’à ce qui a rapport avec des actions. Ainsi, qu’un leader politique exhorte ses partisans à aller commettre des pogroms, doit être considéré comme un acte criminel. Mais la tendance en est à l’ élargissement de la criminalisation du discours bien au-delà de ce type d’incitation et vise à criminaliser l’expression d’opinions, incluant des opinions sur des faits passés qui par leur nature devraient être soumis à débat, sans pouvoir être changés.

En France, la restriction de la liberté de parole commence aussi avec la criminalisation du « mensonge sur Auschwitz ». Et comme en Allemagne cela ne semble pas devoir s’arreter là. L’incitation à la haine raciale ou à la discrimination a été condamnée en France depuis 1972. En Juillet 1990, l’Assemblée Nationale a adopté un amendement qui étend la loi de 1972 au personnes qui contestent l’existence de crimes contre l’humanité, ainsi que le définit la Loi de Nuremberg et qui «ont été commis soit par des membres d’une organisation déclarée criminelle, (….) soit par une personne considérée comme coupable par la juridiction française ou internationale ». Le but de cette loi vise clairement la punition des déclarations qui nient la réalité du génocide Nazi contre les Juifs. Cependant, la référence peu précise à « une juridiction internationale » a involontairement ouvert la porte à la poursuite de personnes contestant les verdicts de tribunaux d’un tout autre ordre, comme l’est le Tribunal de la Hague, lié à l’Otan.

En 1990, l’Amendement, connu comme la « Loi Gayssot » a été introduit par un membre communiste de l’Assemblée. Il semble que la Gauche française, spécialement le Parti Communiste, dans son désir compréhensible de préserver l’héritage de la Résistance Française dans la Deuxième Guerre Mondiale, n’a pas vu le danger de punir des discours comme on le fait des actes .

Dans les années récentes le contexte a considérablement changé. Devant la protestation mondiale contre la façon dont sont traités les Palestiniens, des efforts croissants se sont opérés pour étendre la définition de l’ « antisémitisme » , afin de prévenir la critique d’Israel. En insistant sur le fait qu’il n’y a pas de différence entre les Juifs et l’ « Etat Juif »( proposition vigoureusement contestée par de nombreux, sinon la majorité des Juifs Français) et que donc la critique d’Israel s’identifie avec l’ « antisémitisme », les ultra Sionistes semblent provoquer l’antisémitisme qu’ils dénoncent. Que ce soit délibéré ou pas est matière à débat. La France abrite la plus large population juive d’Europe, une des plus instruites et assimilées et Sharon essaie ouvertement de l’attirer en Israel en proclamant que les Juifs ne sont en sécurité nulle part ailleurs, surtout pas en France vu son supposé « antisémitisme ».

Dès lors que la critique d’Israel est identifié à l’antisémitisme elle devient implicitement tabou puisque l’antisémitisme s’identifie à la négation de l’holocauste. Un des pratiquants de cette intimidation morale reste Roger Cukierman, un dur de la droite Sioniste qui préside le CRIF( Conseil Représentatif des Institutions Juives de France) . En Avril 2002, Cukierman a clamé que les score surprenant de Le Pen au premier tour des elections était « une bonne leçon pour les Arabes » . Cukierman ne représente surement pas les innombrables citoyens d’origine juive qui sont membres de ces organisations. Cependant le dinner annuel du CRIF est devenu un « must » pour les leaders politiques de France, qui chaque année écoutent docilement les imprécations de Cukierman les accusant de ne pas faire assez pour arrêter l’ « antisémitisme ». (Une seule exception est venue des Verts, il y a deux ans, quand Cukierman a assimilé « les Verts et les Rouges » aux « fascistes bruns » en raison de leur soutien aux Palestiniens). Cette année 16 ministres baissaient la tête tandis que Cukierman attaquait la politique étrangère du President Chirac. Ce qui veut dire son opposition à la guerre en Irak et sa politique équilibrée au Moyen-Orient.

Ce qui nous illustre à quel point, et de façon croissante, « le combat contre l’antisémisme » est injecté dans les discussions géopolitiques comme prétexte pour stigmatiser l’opposition croissante à la politique d’Israel et des USA.

Cette stigmatisation a atteint un pic avec la campagne visant a faire taire, légalement ou illégalement, le comédien Dieudonné. La campagne a commencé en Decembre 2003, juste après un court sketch où Dieudonné, vêtu comme le sont les colons des territoires occupés palestiniens, a appelé les jeunes à rejoindre « l’axe americano-sioniste du bien ». Ce qui fut ponctué d’un « Isra-heil ». S’ensuivit un rugissement. Les organisations juives ont réussi à forcer les théatres à travers la France à annuler les spectacles de Dieudonné, parfois en les menaçant de désordres violents. Néanmoins, la justice a rejeté toutes les accusations portées contre lui. Quand il réussissait à trouver un théatre pour son spectacle c’est une standing ovation qui l’accueillait.

Dieudonné M’Bala M’Bala est le fils français d’une mère Bretonne et d’un père Camerounnais. Comme il arrive souvent, son éducation dans une école Catholique en a fait, « Dieu merci » ( traduction littérale de son prénom), un libre-penseur à la critique acerbe envers toutes les religions. Dans ses spectacles il parodie régulièrement toutes les religions sans excepter l’animisme de ses ancêtres. Irrespect qui fait le fond de l’humour français qui ridiculise aussi bien le catholicisme que l’Islam en des termes très offensants.

Insistant sur son engagement en faveur de l’égalité et des valeurs universelles, Dieudonné a refusé de se censurer comme le lui demandaient ses critiques. Ils sont restés en embuscade.Dans une conférence de presse à Alger le mois dernier, il a cité l’expression « pornographie mémorielle » forgée par l’historienne israelienne Edit Zertal, en référence à certains aspects de la commémoration de l’holocauste. Apparemment aucun journaliste algérien n’a jugé bon de rapporter cette expression qui, dès lors, se réduisait à une expression privée. Elle n’en fut pas moins saisie par un site sioniste , www.proche.orient.com, qui propagea l’expression ajoutant que Dieudonné avait qualifié la Shoah de « Pornographie Mémorielle ».

Une nouvelle et très violente « affaire Dieudonné » était lancée. Le fond de commerce des comiques est souvent l’excès et le mauvais gout. Sur ces deux plans Dieudonné est relativement bénin. Sa façon est plutot d’un bon tempérament ; avec aucun de ces venins qui caractérisent certains invités des talks show américain. De retour à Paris, Dieudonné a informé la presse que ses propos ont été déformés. Qu’il n’avait jamais mentionné la Shoah comme telle, et qu’il respectait les victimes de cette grande tragédie -tragédie de toute l’humanité.

Mais il n’a pas suffit de corriger la citation inexacte ….quel que furent ses mots, les reporters hostiles voulaient savoir «mais qu’avez-vous voulu dire » ? En d’autres mots « que pensez-vous » ? La criminalisation des mots dits conduit inévitablement à la criminalisation des pensées non dites. Expliquant sa position politique, Dieudonné affirme que son combat contre le racisme l’amène à s’opposer au »communautarisme exacerbé » qui dresse certaines communautés religieuses contre d’autres. Pourquoi n’existe -t-il pas de mémorial contre la traite des esclaves ? Pourquoi existe-t-il des financements pour 150 films sur l’holocauste alors qu’il n’a pu obtenir aucun financement pour un film sur « le code noir » qui fut la base légale du commerce français des esclaves ? Ceci n’a assouvi en rien ni ses critiques ni le chorus des medias, et les attaques des jours suivants se firent encore plus virulentes. Bernard Henry Levy décrivit avec flamboyance Dieudonné en « fils de Le Pen »- indifférent au fait que dans sa ville de Dreux, Dieudonné avait été un opposant actif du Front National de Le Pen. Pour Dieudonné se sont déversés les annulations et les menaces de mort .

Même s’il gagne en justice, comme ce fut le cas dans le passé, les medias sont en passe de le détruire . La signifiance de cette campagne va bien au-delà de ses conséquences sur la carrière d’un artiste et de ses enfants à charge. Deux conséquences plus générales sont à signaler .

En premier, la campagne contre Dieudonné s’avère être une tentative de réduire au silence une des principales voix de l’universalisme laique qui a des partisans dans toutes les communautés de France notamment – mais non exclusivement- parmis les enfants d’immigrants d’Afrique et des pays arabes. Beaucoup, contrairement à lui, sont croyants. Mais si les jeunes filles voilées peuvent rire de ses satires contre les extrémistes Musulmans, pourquoi la même satire des colons sionistes orthodoxes est-elle interdite ? Pourquoi le CRIF a-t-il plus d’influence qu’une quelconque organisation représentative de la communauté musulmane, bien plus nombreuse ? L’universalime laique de Dieudonné n’est-il pas une saine réponse à la menace d’un conflit intercommunautaire religieux ? En second lieu, et peut-être le plus important, la campagne contre le comique français est une petite part d’une large tendance a utiliser l’accusation d’ « antisémitisme » chaque fois qu’il s’agit de critiquer la politique des USA au Moyen -Orient et avec elle la conquête de l’ Irak. C’est parfois flagrant, parfois plus discret. L’expression « pornographie mémorielle » manque sans doute de précision et de subtilité. Mais n’en n’exprime pas moins une certaine lassitude, non moins ici que chez de nombreux étudiants Juifs des grandes écoles, devant la constante commémoration d’une terrible tragédie passée, au détriment d’autres (le bombardement d’Hiroshima , par exemple). La suspicion s’accroit que cette répétition n’apporte en rien l’assurance que « cela n’arrivera plus ». Bien plutot, elle est exploité pour faire taire toute opposition à la politique de guerre des USA et de son principal partenaire au Moyen-Orient. C’est une telle opposition, après tout, qui donne sens à la parodie de Dieudonné concernant « l’axe du mal », lui qui est bien plus concerné par le présent et le proche futur que par un quelconque deni du passé.

Sur le plan idéologique, la constante référence à l’holocauste avec la suggestion qu’une nouvelle persécution des juifs d’Europe pourrait commencer demain, crée un clivage subtil mais non moins profond entre les Etats Unis et l’Europe. Concernant l’Allemagne c’est évident mais aussi bien, avec infiniment moins de justifications, a propos de la France, que l’insistance des critiques américaines et la référence à l’Holocauste visent à instaurer dans un sentiment de culpabilité, et à disqualifier ces puissances Européènnes de jouer tout role géopolitique à l’avenir.

Au contraire , pour les USA, l’Holocauste est devenu la clef majeure d’une ideologie qui justifie ses interventions militaires pour « sauver les victimes » partout dans le monde. Ceci basé sur la notion mythique ( qui ignore, entre autres, le role décisif de l’Armée Rouge dans la défaite du 3° Reich) que ce sont les USA qui sont finalement venus au secours des victimes de l’holocauste. L’implication de ce mythe qu’ accompagne l’énorme exagération du « retour de l’antisémitisme » en France, vise à poser que les Européèns laissés seuls, vont recommencer à persécuter à nouveau les juifs. Seuls les USA peuvent les arrêter.

Ainsi, le mythe des interventions militaires bienveillantes des USA est renforcé par l’exploitation de l’Holocauste tout autant que celle-ci vise à rendre l’Europe impuissante. Ceci est une des raisons pour lesquelles les politiciens et les medias européèns-dont pas tous ne sont juifs- qui veulent voir leur pays suivre Washington, trouvent utile de nous rebattre les oreilles avec l’Holocauste.

Il ne s’agit pas ici de respecter les victimes mais de les exploiter. Par un perpétuel chantage implicite les politiciens Pro-Otan et les medias paralysent l’Europe et la disqualifient comme opposant à la guerre menée afin de remodeler le Moyen-Orient.

Il semble qu’il s’est manifesté bien plus d’indignation dans les medias français à propos d’un reportage adultéré concernant des remarques de Dieudonné qu’à propos de la totale destruction de la ville de Fallujah. Dans un monde pareil reste-til encore une place pour un humoriste ?

(Diana Johnstone est l’auteur de « La Croisade des Fous : Yougoslavie, Otan et illusions occidentales », publié par Monthly Review Press.)