Lorsque nous avons choisi de nous investir dans le projet de la TAZ No Border à Rivesaltes, notre objectif était bien d’engager un travail de remobilisation sur les luttes des sans-papiers et autour de la question de la liberté d’installation et de circulation. Notre idée était aussi de pouvoir inscrire ce projet dans un cadre plus large qui mettrait en lien la question du contrôle social et du capitalisme et donc des fonctionnements autoritaires. Cela devait nous permettre de mettre en réseau des collectifs qui bossent quotidiennement sur différents sujets (taule, centre de rétention, contre logique sécuritaires, luttes féministes, sans-papiers…) et donc d’échanger sur nos pratiques et nos stratégies de lutte. Plus qu’un évènement ponctuel de visibilisation de ces luttes, le campement No Border devait être le point culminant d’une campagne qui s’inscrivit dans une perspective de durabilité. Nous avions fait le constat de notre tendance à l’éparpillement et ressentions le besoin de se construire un fil conducteur qui puisse donner du sens et de l’efficacité à nos choix de lutte.
Au niveau local, la composition du collectif correspondit à ces objectifs dans la mesure où il réunissait des individuEs et collectifs travaillant quotidiennement sur ces questions (anti-taule, lutte des sans-papiers, féministes…) et cela participait donc à faire converger les luttes. Pour ces raisons nous étions attachées à l’organisation en collectifs locaux d’individuEs et non pas d’organisation.
Dans un soucis de cohérence avec les idées que nous défendions, il nous semblait indispensable que la vie sur le campement s’organise selon des principes d’autogestion qui favoriseraient l’appropriation par toutes et tous des problématiques de départ. Néanmoins nous étions assez claires sur le fait que ce n’était pas notre objectif principal contrairement au VAAAG qui s’inscrivait dans un autre contexte et des objectifs différents.

Une des raisons de notre départ, réside dans le dysfonctionnement du réseau.
Si nous faisons aujourd’hui le bilan du travail mené ces six derniers mois pour le projet de TAZ, nous pouvons dire que les objectifs politiques n’ont pas du tout été atteints. Une fois lancéEs, il nous semble que nous ne sommes plus poséEs la question du sens d’un tel évènement. Que nous n’avons bossé que sur les questions logistiques et la mise en place de la TAZ. Courir près le mouvement sans jamais débattre sur le fond.
L’écriture du quatre pages sensée poser les questions politiques de fond a été symptomatique de notre incapacité à réfléchir collectivement à notre approche de la problématique de liberté de circulation et d’installation.
Dans nos communications internes au réseau de préparation comme à l’extérieur, il apparaît que nous n’avions pas grand chose à dire de plus que le fait qu’on organisait une TAZ.
Nous avons été de plus incapables tout au long de la préparation de créer du lien avec les structures bossant déjà sur les thématiques qui nous intéressaient comme s’il s’agissait de faire tout seul et de tout réinventer sur la question. Le départ du CAE nous a posé soucis entre autre, puisque cela nous coupait d’une partie des individuEs et collectifs investiEs sur le terrain de ces luttes.
Le campement était sensé s’appuyer sur les luttes locales alors qu’il en a été complètement déconnecté. Cela était prévisible dès le départ puisque le lieu du campement avait été choisi sans concertation avec les acteurs principaux de ces luttes à Perpignan (collectifs de sans-pap et autres collectifs de lutte). Dans l’organisation de la TAZ nous n’avons jamais pensé le camp et lien avec la réalité politique perpignanaise et la situation, les besoins et envies du collectifs de sans-papiers sur place. Comme si on était légitimes parce qu’on était No Border.
On a souvent eu l’impression d’avoir à faire à une forme de croyance, du magique en politique. On a envie, on y croit, donc ça va marcher. Le réseau s’est inspiré des différentes expériences de fonctionnement de campement (VAAAG, Strasbourg…) pour penser l’organisation concrète de la TAZ mais on ne s’est jamais appuyé sur les bilans de ces rencontres pour éviter les mêmes conneries.
Tout au long de la préparation de la TAZ, des éléments auraient du nous interroger sur la pertinence de poursuivre le projet, mais à chaque fois on a évité ça à tout prix. Très peu de collectifs étaient mobilisés sur le projet ; le collectif de Perpignan n’a pas cessé de nous alarmer sur les soucis logistiques liés au lieu (il n’y a aujourd’hui toujours pas de terrain et très peu de survivantEs dans le collectif perpignanais) ; le départ du CAE ; très peu de genTEs ont rejoint le projet ; les coordinations réunissaient de moins en moins d’individuEs et donc de collectifs locaux.
Dans nos modes de fonctionnement interne, les coordinations étaient sensées être les espaces décisionnels où chaque personne présente était mandaté par son groupe local pour valider les propositions discutées préalablement dans les groupes. Mais régulièrement des décisions étaient prises, validées, puis de nouveau rediscutées en coordination et revalidées souvent sur des bases différentes. Même si l’on peut comprendre l’intérêt personnel de discuter certaines questions, pour le collectif, ça donne une impression de sur place, voire de recul, qui fatigue.
Quand avant la dernière coord où doit se décider la poursuite du projet ou non, des groupes et des individuEs renvoient sur la liste qu’ils ne seront pas présents et qu’ils laissent à la coord le soin de décider, il apparaît clairement que le fonctionnement n’a pas été compris.

Tout au long de l’année, nous avons eu l’impression d’un boycott du projet par des réseaux militants. Est-ce lié à notre communication foireuse ? Au no logo ? A la place de No Pasaran dans le projet ? Au départ du CAE ? Au ras le bol de l’activisme à tout craint ? Ou à une fatigue massive liée au contexte social ? …

Nous en arrivons aujourd’hui à remettre en cause la pertinence d’un campement de dix jours sur cette question au vu de l’énergie nécessaire à mobiliser sur les aspects logistiques, énergie de fait non investie dans la réflexion et les luttes locales.
D’autre part, il nous parait très difficile de faire cohabiter campement d’actions et d’échanges de réflexion et de stratégies, et en plus volonté d’organisation collective de la vie quotidienne sur le lieu. Nous estimons que le danger de spécialisation est grand et que l’on risque de tout faire à moitié. Pour que tout soit bien fait il faudrait passer la plus grande partie de son temps (sur les dix jours) en réunion (de commission, de préparation d’action, AG de quartier…).

On ne peut pas dire que 2004 ait été une année faste en terme de luttes sociales, mais est-ce pour ça qu’il faut s’accrocher à ce projet No Border coûte que coûte, au risque que cela devienne une kermesse de consommation militante. De mettre les partcipantEs en danger par le peu d’anticipation d’à peu près tout et en particulier les personnes sans papiers. De faire pour faire un regroupement de héros et martyres qui auraient oublié pourquoi.

Cette expérience nous a au moins permis de nous interroger sur le piège de l’activisme.
Aujourd’hui notre urgence politique est d’aborder les luttes de manière globale et de sortir du papillonnage permanent (de lutte en lutte en fonction des modes). Il y a six mois nous pensions que des initiatives du type No Border, pouvaient aller dans ce sens. Aujourd’hui non.
Pour mettre le vieux monde à la casse, il nous apparaît indispensable de nous interroger sur les effets réels de notre action politique. Même si l’on est capable de dire que l’ennemi a de nouveaux visages, on en est pas pour autant capable de repenser nos modes et méthodes d’intervention.

Le 1er août 2004

Annega et Mélo, individues membres du collectif No Border Nantes