La Ministre des Solidarités Roselyne Bachelot s’est déclarée en faveur de la pénalisation de nos clients et a annoncé qu’une loi serait votée en ce sens en 2012. Son postulat est qu’il ne peut exister de prostitution « libre, choisie et consentie », qu’elle serait une violence contre les femmes, les hommes travailleurs du sexe étant une fois de plus ignorés, et qu’elle entretiendrait la traite des êtres humains.

Les notions de liberté et de choix sont certainement intéressantes à débattre dans le contexte du capitalisme et du patriarcat mais nous ne pouvons les séparer de la question du travail en général quel qu’il soit et non seulement lorsqu’il s’agit du travail sexuel en particulier. Oui, il existe une contrainte économique qui pousse chacun d’entre nous à travailler mais la posture de Bachelot et d’autres, c’est de nier par essence notre capacité à prendre des décisions en tant qu’adultes. Si je n’ai pas forcément choisi le travail sexuel dans un cadre de liberté totale, j’ai au moins pris la décision de le pratiquer plus qu’un autre travail.

Pour nous l’enjeu de la pénalisation des clients est surtout là. Cette mesure nous enfermerait encore plus dans le statut d’inadaptés sociaux qu’il faudrait réinsérer socialement. En plus de notre précarisation, de l’accroissement de la clandestinité et donc des violences et de l’exploitation, le stigmate nous entourant sera entretenu par un Etat qui nous percevra par définition comme « non libres » et prendra les décisions à notre place, comme par exemple le placement de nos enfants en assistance publique comme cela se fait en Suède.

Nous l’observons déjà dans la façon dont cette question est présentée politiquement puisque la voix des principaux concernés, à savoir nous les travailleurs du sexe, est ignorée par l’ensemble de la classe politique. Evidement, il n’y a nul besoin d’écouter des personnes qui par définition ne pourraient être libres. Nous voulons dénoncer cet état de fait et le comparer avec toutes les stratégies de mise sous silence des minorités et des femmes en particulier. L’argument selon lequel nous ne pourrions être libres et donc incapables d’exprimer notre propre volonté est le même qui a permis l’exclusion des femmes du suffrage universel pendant un siècle.

Madame Bachelot n’aime peut être pas ce que nous faisons de notre corps et considère que cela va à l’encontre de la dignité humaine, mais il s’agit bien de notre corps et non du sien. Pénaliser nos clients, ce serait intervenir dans la sexualité entre adultes consentants. Certes nous n’avons peut être pas toujours de désir en tant que tel pour nos clients mais nous savons encore faire la différence entre un viol et un rapport consenti. Nous préférerions donc que l’Etat garantisse l’enregistrement de nos plaintes pour viol par la police et leur aboutissement en Justice plutôt que de pourchasser ceux qui respectent le contrat qu’on leur fixe.

Nous ne savons pas combien de travailleurs du sexe nous sommes en France, mais les mêmes estimations non-fondées scientifiquement continuent de circuler. La majorité des travailleurs du sexe en France sont certainement français, mais en se basant seulement sur les arrestations des femmes travailleuses de rue et dont les migrantes sont les victimes prioritaires afin de les expulser, on se retrouve avec un chiffre de plus de 80% qui est de suite assimilé à celui de la traite des êtres humains, comme si toute prostituée étrangère était une victime de la traite et jamais une migrante économique, au contraire des hommes migrants.

Il suffit d’en conclure que la pénalisation des clients réduirait le problème de la traite par l’absence de la demande. Pourtant, la traite et l’exploitation existent dans d’autres secteurs économiques mais la prohibition ne serait une solution envisageable que pour l’industrie du sexe. En fait, il ne s’agit pas de lutte contre la traite mais bien de lutte contre le travail sexuel dans son ensemble. En pénalisant nos clients, l’Etat au lieu de lutter contre la traite, découragerait ainsi les seuls qui pour l’instant peuvent alerter la police sans risque d’arrestation et qui sont les mieux placés pour découvrir une situation d’abus et d’exploitation.

La pénalisation de nos clients, nous n’en voulons pas. Nous ne sommes pas des inadaptés sociaux. Nous sommes des travailleurs.

Par Thierry Schaffauser, membre du STRASS, le Syndicat du TRAvail Sexuel http://www.strass-syndicat.org