Le contrôle social est impossible sans violence. Pour socialiser les individus – les transformer en ressources utiles pour la société- la société produit des systèmes de violence rationalisée. Tandis que certains de ces systèmes, comme l’armée, la police et le système pénal peuvent toujours être vus séparément en raison de la rudesse flagrante de leur violence, pour la plupart, ils sont devenus si inter-connectés et si pénétrants qu’ils agissent comme une totalité – la totalité qu’est la société dans laquelle nous vivons.

Cette violence systémique existe surtout sous la forme d’une menace constante – un subtil, voir ennuyeux, terrorisme quotidien qui incite la crainte de marcher hors des clous. Les avertissements et les ordres des « supérieurs » qui nous menacent de la punition ou de la pauvreté, les voyous armés en uniforme supposément là pour « protéger et servir » (huh ! ?!), le barrage de dépêches sur la guerre, la torture, les tueurs en série et les gangs de rue, tous nous immergent dans une atmosphère de violence sociale subtile, sous-jacente et rationalisée qui nous amène à craindre et à réprimer nos propres passions violentes.
A la lumière de la violence sociale systématique qui nous entoure, il n’est pas surprenant que l’on trompe les gens dans la vision de la violence comme une entité unique, monolithique plutôt que comme des actes et des situations spécifiques. Le système de violence produit par la société devient alors un monolithe qui agit pour s’auto-perpétuer.

En réaction à ce système monolithique de violence, la « pathologie du pacifisme » se développe. Incapable de voir au-delà des catégories sociales, le pacifiste crée une fausse dichotomie, limitant la question de la violence au choix moral/intellectuel entre une acceptation de la violence comme un système monolithique ou son rejet total. Mais ce choix existe seulement au royaume des abstractions sans valeur, parce que dans le monde dans lequel nous vivons, le pacifisme et la violence systématique dépendent l’un de l’autre. Le pacifisme est une idéologie qui exige la paix sociale totale comme son but suprême. Mais la paix sociale totale exigerait la suppression complète des passions individuelles qui créent les incidences individuelles de violence – et cela exigerait le contrôle social total. Le contrôle social total est seulement possible à l’aide de menaces constantes telles que la police, la prison, la thérapie, la censure sociale, la pénurie ou la guerre. L’idéal pacifiste exige donc un système monolithique de violence.Il reflète la contradiction sociale inhérente à la nécessité qu’a l’autorité de maintenir la paix pour maintenir le système sans à-coups, ne pouvant uniquement faire ainsi en maintenant un système rationalisé de violence.

Le système rationalisé de violence non seulement se perpétue, mais évoque aussi des réponses, souvent sous forme de violents coups de poing aveugles d’individus enragés que le système manipule alors pour auto-justifier sa propre existence et de temps en temps sous forme de violence consciemment rebelle et indocile. La violence passionnée qui est supprimée se transforme en mort lente, à la base de la violence du stress et de l’anxiété. Il est évident que dans les millions de petites piqûres d’humiliation quotidiennes – comme les regards de dégoût et l’hostilité envers les étrangers, c’est la plus subtile et la plus totale forme de violence rationalisée qui opére ; chacun se conforme dans la crainte du dégoût des autres.
C’est la forme subtile de violence pratiquée par les pacifistes.

« Je ne rêve pas d’une révolution douce. Ma passion accourt à la violence de la sécession, à la férocité d’une vie qui ne renonce à rien. »

Ceux de nous qui se battent pour la liberté de créer nos propres vies pour nous-mêmes doivent rejeter des deux côtés les choix que nous offre la société entre le pacifisme et la violence systématique, parce que ce choix est une tentative de socialiser notre rébellion. Au lieu de cela nous pouvons créer nos propres options, en développant un chaos espiègle et passionné qui peut s’exprimer de temps en temps avec une violence féroce et intense, de temps à autres avec la plus fine tendresse , ou par n’importe laquelle des façons dont nos passions et nos caprices nous animent au moment particulier. Tant le rejet de la violence que sa systématisation sont des attaques de nos passions et de notre individualité.

La violence a des aspects d’interaction sauvage, et l’observation de la violence parmi des animaux dément plusieurs généralisations vite imposées. La violence parmi les animaux n’est pas compatible avec la formule du darwinisme social ; il n’y a aucune guerre perpétuelle de tous contre tous. Plutôt dans des moments spécifiques et dans des circonstances particulières, les actes individuels de violence s’enflamment et s’effacent ensuite quand les moments passent. Il n’y a aucune violence systématique dans le sauvage, mais, au lieu de cela, les expressions momentanées de passions spécifiques. Cela expose une des erreurs majeures de l’idéologie pacifiste : la violence en soi, ne perpétue pas la violence. Le système social de violence rationalisée, dont le pacifisme est une partie intégrante, se perpétue, elle, comme un système.

Contre le système de violence, une violence non-systématisée, passionnée, espiègle est la réponse appropriée. Le jeu violent est très commun parmi les animaux et les enfants. Se poursuivant, luttant et sautant les uns sur les autres, cassant et detruisant : tous les aspects du jeu sans règles. L’insurrectionaliste joue de cette façon aussi, mais avec des cibles réelles et avec l’intention de causer des dégâts réels. Les cibles de ce jeu féroce sont principalement les institutions, la marchandise, les rôles sociaux et les icônes culturelles, mais les représentants de ces institutions peuvent aussi être des cibles – particulièrement lorsqu’ils représentent une menace immédiate à la liberté de quiconque de créer sa propre vie comme il le désire.

La rébellion n’a jamais été simplement une question d’autodéfense. En soi, l’autodéfense est probablement mieux réalisée lorsqu’elle accepte le statu quo ou sa réforme. La rébellion est l’attaque agressive, dangereuse, espiègle par des individus libres contre la société. Le refus d’un système de violence, le refus d’une forme d’organisation militarisée comme la lutte armée, permet à la violence des insurgés de nombreuses possibilités d’attaques efficaces. Cela ne peut pas être aisément compris par les autorités et placé sous leur contrôle. Sa nature insurgée peut même rester indétectable par les autorités en même temps qu’elle érode les fondations du contrôle social. De la perspective rationalisée d’autorité, cette violence espiègle apparaîtra souvent tout à fait aléatoire, mais est en réalité en harmonie avec les désirs de l’insurgé.

La violence espiègle de l’insurrection n’a aucune place pour le regret. Le regret affaiblit la force des coups et nous rend trop prudents et timides. Mais le regret entre seulement en compte quand la violence est traitée comme une question morale, et pour les insurgés qui se battent pour la liberté de vivre leurs désirs, cette morale devient juste une autre forme de contrôle social. Partout où la violence mutine s’est manifestée en toute espièglerie, le regret a semblé absurde. Dans des émeutes et des soulèvements spontanés – aussi bien que dans le vandalisme à petite échelle – une attitude festive semble être évidente. Il y a une joie intense, même de l’euphorie, dans la libération des passions violentes qui ont été refoulées si longtemps. Défoncer la sale gueule de la société comme nous l’éprouvons tous les jours est un plaisir intense et savoureux, non désavoué dans la honte, la culpabilité ou le regret.

Certains peuvent élever l’objection qu’une telle attitude pourrait faire que notre violence échappe à notre propre contrôle, mais un excès de violence insurgée n’est pas quelque chose que nous devons craindre. Alors que nous démolissons notre répression et commençons à libérer nos passions, certainement nos gestes, nos actions et notre façon entière d’être doivent nécessairement devenir de plus en plus expansifs et tout ce que nous semblerons faire paraitra jusqu’au-boutiste. Notre générosité et notre violence sembleront excessives. Des individus non réprimés et expansifs. Émeutes et insurrections ont échoués à dépasser la liberté provisoire, pas à cause de l’excès, mais parce que les gens se retiennent. Les gens n’ont pas eu confiance en leurs passions. Ils ont craint l’expansivité, l’excès de dilapidation de leurs propres rêves et désirs. Donc ils ont renoncés ou ont rendu leur combat à de nouvelles autorités, de nouvelles systématisations de la violence. Mais comment la violence insurrectionnelle peut-elle être vraiment excessive quand il n’y a aucune institution de contrôle social, aucune autorité, aucune icône culturelle qui ne devrait pas être brisée jusqu’à devenir de la poudre – et cela avec jubilation ?

Si ce que nous voulons est un monde dans lequel chacun d’entre nous peut créer sa propre vie sans contraintes, vivre les uns avec les autres comme nous le désirons plutôt que conformément aux rôles socialement predéfinis, nous devons reconnaître que, de temps en temps, la violence s’enflammera et qu’il n’y a rien mal à cela. L’ampleur des passions inclut l’expression pleine et expansive de la haine et de la colère – et ce sont des émotions violentes. Quoique cette violence puisse être utilisée tactiquement, ce ne sera pas systématique. Quoiqu’elle puisse être intelligente, elle ne sera pas rationalisée. Et en aucun cas elle ne se perpétuera à l’infini, parce que celle-ci est individuelle et provisoire, se dépensant entièrement dans son expression libre et passionnée. Ni la non-violence moraliste ni la violence systématique de lutte militarisée ne peuvent démolir l’autorité puisque toutes les deux exigent une certaine forme d’autorité. Seule la violence expansive et passionnée d’individus insurgés jouant seul ou avec d’autres n’a de chance de détruire cette société…

« En avant chacun ! Et avec des armes et des cœurs, le Discours et la plume, le Poignard et le fusil, l’ironie et le blasphème, le Vol, l’empoisonnement et le feu, Laissez nous… faire la guerre à la société. »
Dejaque

Wolfi Landstreicher dans Feral Faun, date inconnue.
Traduit et adapté par Non Fides, 2009.
Extrait de Non Fides N°IV.