Abdul, récit d’errance (France, 2009, interview recueillie par Sara Prestianni)

L’histoire d’Abdul est un macabre exemple des tragiques effets des politiques européens d’immigration : des politiques de fermeture des frontières, déportations souvent illégales, d’expulsion, d’asile qui provoquent une errance forcée qui se prolonge de plus en plus, pendant des mois voir des années et qui nie tout type de protection à migrants et réfugiés.

Abdul a erré en deux ans, en 13 pays différents, partout il a été enfermé, déporté, insulté et maltraité sans jamais être accueilli. Comme lui, milliers d’autres exilés.

Abdul, 32 ans, afghan Récit recueilli le 2 aout 2009 dans la jungle pashtoun de Calais

« Je suis parti d’Afghanistan en décembre 2007 parce que j’étais menacé par les talibans vu que je travaillais comme interprète pour une ONG italienne.

Je suis parti vers l’Iran.

J’ai dû marcher deux jours et deux nuits pour rejoindre la frontière avec la Turquie, en payant 1000 euro. Une fois dans la zone kurde d’Iran nous avons traversé à pies la frontière dans la nuit pour rejoindre la ville de Van, dans la région sud de la Turquie.

De Van, en échangé d’argent ils nous ont amené dans une zone désertique où des centaines de personnes attendaient un passage pour continuer la route vers Istanbul.

Après beaucoup d’heure est arrivé un bus qui n’avait que trente place, nous étions plusieurs centaines de personnes. Les autres sont restés dans le désert.

Une fois à Istanbul je suis resté quelque jour en une maison enfermé en attente d’un passage pour la Grèce. Avec autres 12 personnes, nous avons fait la traversé de la mer, à bord d’un canot gonflable. C’était un jeune déporté d’Angleterre en Afghanistan qui a organisé le voyage, il connaissait déjà la routé ! Nous sommes arrivés sur l’île de Lesvos, en Grèce.

Notre bateau a été intercepté par les gardes cotes grecques qui nous ont amenés dans le camp de détention de Mitilini. La vie dans le camp était très dure, nous dormions en des cellules à 80, tout le camp était très sale, les drape semblaient ne pas avoir été changées depuis des mois. Après 16 jours d’enfermement les policiers m’ont donné un papier en grec, sans aucun interprète, qui m’invité à quitter la Grèce en un mois. Au camp de Mitilini les policiers m’ont pris les empreints digitales (ndr : qui signifierait une condamne à demander l’asile dans ce pays, selon le Règlement Dublin).

Quand je suis arrivé à Athènes, je n’avais plus d’argent, je dormais dans les parcs. J’ai donc décidé d’aller à Patras pour essayer le passage pour l’Italie. Je courrais derrière les camions pour m’y cacher au dessous et pouvoir m’embarquer dans un bateau. Une nuit le commando (police du port) m’a trouvé dans un camion. Ils m’ont fait descendre et ils m’ont battu très violement. Ils m’ont ensuite conduit au camp de détention à coté de la ville de Komotiní, le centre de rétention de Venna, à plus d’un jour de voyage en bus d’Athènes.

Au camp de Venna, nous étions enfermés en cellules à 30 personnes. Nous pouvions sortir de notre cellule, où il n’y avait ni l’air ni la lumière, une heure chaque deux-trois jours.Il y avait que deux téléphones à l’extérieur des cellules. Les policiers nous insultaient tout le temps, ils nous appelaient « malàga » (acception fortement négative en grec). Quand j’étais arrivé dans le camp la police m’avait dit que j’aurais été enfermé pour trois mois. Mais au but de trois mois dans le camp ils ne m’ont pas libéré sans aucune justification. Les policiers grecs m’ont fait sortir qu’après 6 mois d’enfermement. Avec autres 15 personnes (un Pakistanais, trois Arabes et 12 Afghans), les policiers nous ont transféré en un campement militaire vers Alexandropulis. Là étaient détenues plusieurs autres centaines de personnes, enfermées en une seule chambre.

On est resté dans ce camp que quelques heures. Vers minuit les militaires m’ont appelé avec autres 50 personnes et nous ont fait monter dans un camion militaire blindé. Ils nous ont amené, après 1h20 de route, à côté de la rivière Evros. La police aux frontières grecques nous a fait monter à groupe de 20 en petits bateaux en nous ont poussé du côté turc de la frontière (ndr : la pratique des déportations illégales de Grèce en Turquie est une pratique de plus en plus utilisé par le Gouvernement grec pour « vider » le pays des migrants. Des infos plus détaillées sur le sujet dans le Rapport des frontières de Migreurop qui sortira en septembre).

Nous avions commencé à marcher dans le foret, mais nous ne savons pas où aller, nous avions peur, nous avions froid. Après quelques heures de marche, nous avions vu une maison. Nous avons donc demandé de l’aide, quelque chose à manger. Le propriétaire de la maison nous a dit qu’il ne pouvait nous aider qu’après avoir appelé la police sinon il aurait des problèmes. Il a donc appelé l’armée turque qui est arrivée après quelques heures. Ils nous ont amené au camp de détention d’Edirne. Après 10 jours, les policiers nous ont menacé de nous expulser en Afghanistan, et que nous aurions dû payer notre billet d’expulsion parce que sinon ils nous auraient déportés via terre en nous laissant à la frontière avec l’Iran. Les policiers turcs savent très bien que dans la région de la frontière iranienne il y a beaucoup de kidnapping de migrants, avec des menaces en échange de l’argent de la famille. Des fois les habitants de la région ils coupent les doigts ou le nez des migrants parce que l’argent n’arrivait pas. Je me suis donc fait envoyer par ma famille les 500 dollars que je devais donner à la police turque pour payer mon vol d’expulsion en Afghanistan. J’ai été expulsé avec un vol de ligne, il y avait 20-30 afghans déportés en une vingtaine de turcs qui allaient en Afghanistan pour des affaires. Une fois en Afghanistan je suis resté à Kabul, je ne voulais pas retourner dans ma région d’origine, ça serait été trop dangereux.

Après quelque semaine, j’ai repris le voyage vers l’Europe.

J’ai retraversé la frontière entre Afghanistan et Iran, celle qui sépare l’Iran de la Turquie. D’Istanbul, j’ai traversé la frontière avec la Bulgarie. C’était la nuit, j’ai traversé à pies, j’avais beaucoup de peur parce que les gardes-frontières bulgares contrôlent le passage avec des chiens.

Je le sais, si les chiens te trouvent, il faut s’immobiliser, ne pas avoir peur, si tu coures, ils t’attaquent.

De la Bulgarie, je suis retourné en Grèce et je suis allé directement à Patras. La situation dans le camp était changée, le passage sous un camion pour l’Italie de plus en plus dure, des barbelés beaucoup plus hauts autour du port. Et moi je n’avais pas l’argent pour le voyage. J’ai donc décidé de prendre la route terrestre.

Nous étions trois, nous avons acheté une carte et nous avions traversé la frontière entre Grèce et Macédoine, ainsi que celle avec la Serbie, en marchant long les rails du train de nuit.

Une fois à Belgrade nous étions épuisés.

Nous avions donc décidé de nous poser dans un parc.

En très peu de temps est arrivé la police Ils nous ont contrôlé les papiers et nous ont amenés dans une prison à Belgrade. Il s’agissait d’une prison où étaient enfermés deux serbes en un secteur à part, une macédoine et 40 afghans. Après 40 jours de détention, j’ai pu m’enfuir. Je suis donc parti en direction de la Hongrie en traversant la frontière à pies, dans la nuit. Une fois passée la frontière, j’ai pris un train vers Budapest, de là un train vers Ciprun à la frontière avec l’Autriche. J’ai passé la frontière à pies, vers Innsbruck. Les policiers m’ont arrêté dans le train. Ils m’ont enfermé dans un camp pour 26 jours. Dans le camp j’étais très mal, je souffrais d’insomnie, j’ai donc demandé à voir un psychologue. Tenu compte de mon état mentale le psychologue a demandé aux autorités qui gèrent le camp de me libérer.

J’ai été donc libéré et j’ai pu ensuite poursuivre mon voyage en Italie et puis vers Calais.

Je suis arrivé hier à Calais, j’essaye d’aller en Angleterre en sachant que je risque d’être renvoyé à nouveau en Grèce où se trouvent mes empreintes……

source :

http://www.storiemigranti.org/