Intronisé ministre de l’immigration, de l’intégration, de l’identité nationale et du développement solidaire le 15 janvier 2009, Eric Besson s’est aussitôt rendu à Calais le 27 janvier suivant pour annoncer qu’il souhaitait mettre un terme au passage des migrants sur le littoral français, qu’il désirait « rendre la zone étanche » et qu’il était hors de question de construire un quelconque centre d’accueil pour les migrants. Il a également promis qu’il reviendrait courant avril pour annoncer des mesures phares contre l’immigration clandestine dans le calaisis.

Il est donc revenu ce jeudi 23 avril pour dévoiler son plan d’éradication des migrants. Deux jours avant sa venue le campement informel des afghans, qui se trouve dans la zone industrielle des dunes et actuellement peuplée de près de 400 personnes, a fait l’objet d’une rafle de grande envergure : 300 policiers et gendarmes sont venus pour arrêter en masse les résidents de ce village temporaire. Le résultat de cette action-spectacle a été l’interpellation et la mise en garde-à-vue de 150 migrants, sans compter la cinquantaine de personnes interpellées sur les campements en bordure de l’autoroute la veille. La raison invoquée était la lutte contre les passeurs, ce qui est incontestablement un coup d’annonce, tant chacun sait sur place combien peu visibles sont les passeurs sur les campements de migrants. En règle générale, ils ne vivent pas auprès des migrants et ne sont en général pas afghans mais d’une autre origine. Le lendemain, tous ont d’ailleurs été relaxés, sauf huit. Libérés à Boulogne-sur-Mer, les migrants ont dû revenir à Calais à pieds…

Avertis depuis quelques mois des discussions en cours entre l’Angleterre et la France à propos d’une solution définitive à leur présence dans le Calaisis, les migrants rencontrés chaque semaine depuis janvier nous ont fait part régulièrement de leurs inquiétudes et nous ont demandés ce qu’il était en train de se passer. Si l’éventualité d’un centre de déportation sous administration anglaise avait été évoquée courant février, il semblerait que le projet n’ait été qu’une tentative anglaise de gérer sa frontière du côté français, en appliquant les règles en vigueur de l’autre côté de la Manche. Un ami afghan, J., que nous connaissons depuis le 25 janvier s’était inquiété de l’existence d’un tel projet dés mars. Nous l’avions rassuré, lui et ses camarades, en affirmant qu’un tel projet, s’il devait se réaliser, mettrait un temps considérable avant d’aboutir. Mais en réalité, nous avons été et sommes toujours dans l’expectative quant aux « solutions » envisagées par les autorités.

Un autre ami afghan, Z., se tenait régulièrement informé de l’évolution de la situation politique les concernant. Il avait été au courant, début mars, du procès en cours contre Jean-Claude Lenoir de l’association Salam, qui devait alors comparaître à nouveau le 18 mars suivant. A son initiative et avec ceux qu’il appelait les « sages » du village, il prévoyait d’organiser une manifestation dans le centre de Calais en solidarité avec le militant associatif. Parvenu en Angleterre la semaine précédent le procès, et empêché dans l’organisation par d’autres personnes influentes du village, la manifestation n’a pas eu lieu. Cependant, ce procès avait suscité parmi les afghans des inquiétudes quant aux actions des autorités à l’égard des migrants et de leurs soutiens, inquiétude qui a engendré un certain nombre de discussions entre les migrants afghans et nous lors de nos visites suivantes (12 mars, 26 mars, 9 avril, 16 avril et 23 avril). Ces visites fréquentes ont elles aussi été niées par nos détracteurs, négation reprise dans la voix du nord du 24 avril.

Ce jeudi 23 avril, répondant à l’appel de Sos Soutien ô Sans Papiers pour un rassemblement devant la mairie de Calais à 15h, nous avons été une dizaine à venir de Lille pour manifester contre la venue du sinistre. Arrivés vers 11h30, nous avons décidé de retrouver nos amis afghans dans la jungle, mais avons dû constater la présence massive de journalistes dans leur village. Une foule de personnes était réunie sur le terrain qui se trouve à l’entrée de ce dernier. Nous approchant, beaucoup d’afghans sont venus pour discuter de ce qu’il était en train de se produire, posant un grand nombre de questions sur les suites données à leur interpellation du mardi, les annonces concernant la destruction imminente de leur village, les projets envisagés par les autorités, etc. L’un d’eux, J., s’interrogeait sur la pertinence de la destruction de leur village, répétant à juste titre la question suivante : « What should they do with us after destroying the camp ? Would they deport us ? » (Que feront-ils de nous après avoir détruit le camp ? Est-ce qu’ils nous déporteront ?). Nous leur avons répondu que les législations française et européenne ne permettaient pas de les expulser vers leur pays d’origine, mais qu’elles permettaient de les renvoyer seulement vers les pays de leur première demande d’asile ou là où ils avaient donné leurs empreintes digitales (souvent la Grèce et l’Italie). Nous avons aussi évoqué le nouveau centre de Timisoara en Roumanie, conçu pour organiser la répartition des demandes d’asile entre les différents pays membres de Schengen. Nous n’avions pas d’autres réponses à leurs questions, car nous sommes nous même intéressés de savoir ce que les autorités ont bien pu imaginer pour « rendre la zone étanche ».

Nous avons également retrouvé nos amis, qui nous ont rapidement évoqué leur souhait de soutenir notre rassemblement de 15h. Nous les avons informé de la forte présence policière et des risques encourus. Ils nous ont répondu qu’ils n’avaient rien à perdre et qu’ils étaient de toute façon arrêtés quotidiennement. Ils ont souhaité que nous les accompagnions vers le centre à partir de 14h30, pour arriver à notre rassemblement à 15h. Dans l’heure qui a suivi, les afghans se sont concertés et ont discuté l’organisation de leur mobilisation, nous demandant seulement notre avis sur les risques encourus et la façon de manifester. Nous avons insisté sur la nécessité d’être absolument pacifistes et de faire un groupe soudé, tout en affichant sur une banderole leur revendication. Une banderole a été confectionnée, sur laquelle ILS ont décidé collectivement d’évoquer leurs droits humains. Nous n’étions pas avec eux à ce moment, étant invités à manger avec un afghan parlant très bien italien et ses amis. L’un de nous a été appelé pour rédiger la banderole sans fautes d’orthographe : « We want our human rights ! » (Nous voulons nos droits humains !).

Vers 14h30, le rassemblement a commencé à l’entrée du village. Dans la mesure où la police commençait à se préparer sur la rue des Garennes, nous avons insisté pour que la manifestation ne tarde pas trop à partir, craignant la venue des policiers au sein du village, ce qui aurait pu générer une situation incontrôlable et risquée pour le campement en lui-même. Nous avons évoqué aussi l’absence des associatifs et journalistes, alors réunis pour le discours du ministre au centre : en l’absence de tout média et soutien français pour témoigner et faire tampon, l’intervention policière aurait pu être catastrophique. Vers 15h00, la manifestation a quitté le village pour rejoindre le centre par la route de Gravelines, afin d’éviter la rue des Garennes investie par les policiers. Le mégaphone que nous avions apporté était alors dans les mains de M., qui exhortait ses camarades à ne pas réagir aux provocations éventuelles et lançait des slogans en pashtoun. Nous avions apporté nos drapeaux noirs, qui ont été pris par les migrants dans un premier temps, avant que nous ne leur disions que cela pouvait être interprété comme une récupération. Ils nous ont répondu que cela n’avait aucune importance, car pour nous les avions informé de la signification de ce drapeau : « contre toutes les formes d’autoritarisme et de domination, universaliste et symbole de toutes les luttes contre l’oppression ».

Au bout de la route de Gravelines, le cortège a été rapidement bloqué par une ligne de CRS entourant deux véhicules munis de grilles anti-émeutes. La manifestation a donc stoppé sa marche. Nous avons alors discuté avec les migrants des risques encourus et solutions éventuelles : tenter de contourner, rester sur place et attendre la presse, pousser les lignes de police, faire un sit-in, etc. Dans un premier temps, les afghans ont choisi de rester pacifistes. Dans un second temps, une partie importante d’entre eux a souhaité forcer le passage. Nous sommes alors intervenus pour qu’ils n’adoptent pas une attitude offensive, mais suivent les techniques non violentes qui consistent à pousser lentement sur les boucliers sans donner de coups. Il n’y a pas eu de charge, mais les CRS ont poussé brutalement les migrants en assenant des coups de matraques sur leurs têtes, bras et dos. L’altercation a duré quelques secondes seulement, après quoi il a été décidé de rester définitivement non violent. Nous avons d’abord servi d’intermédiaire entre les afghans et la police, puis l’intervention d’un traducteur a permis de négocier le droit de manifester pacifiquement vers le centre-ville, droit qui nous a finalement été refusé. Nous avons décidé d’attendre les soutiens français et les journalistes, qui n’ont pas tardé à arriver sur place.

Mais notre surprise a été totale, lorsque certains membres d’associations nous ont accusés en tant que « petits blancs » d’avoir manipulé les migrants en leur faisant prendre des risques inconsidérés. Parlant de manipulation aux médias présents, ils nous ont désignés comme organisateurs de la manifestation, avant de nous demander de prendre nos responsabilités quant à la poursuite des événements, comme si les migrants n’avaient aucun pouvoir de décision. Cette infantilisation des migrants propre à CERTAINS humanitaires n’a pas manqué de nous scandaliser, ainsi que leur facilité à jouer la division face aux migrants, plutôt que de leur assurer notre soutien collectif dans la situation critique dans laquelle ils se trouvent. Leur libre arbitre et leur capacité en tant qu’adultes conscients à s’auto-organiser a donc été brutalement remise en cause par certaines personnes qui ne supportent pas que des activistes hors de Calais participent à la réalisation d’une protestation dans des modes d’action différents des leurs. L’association Sos Soutien ô Sans Papiers a elle aussi été critiquée par ces humanitaires, sous prétexte qu’elle n’était pas « présente quotidiennement sur le terrain », mais « se permettait d’organiser des manifestations contre la répression policière ». Déstabilisent ainsi les afghans dans leur prise de décision, prenant la parole au mégaphone pour les amener devant leurs contradictions et casser leur élan de révolte, ces personnes ont également répété ce que nous leur avions déjà dis, c’est-à-dire qu’ils devaient décider par eux-mêmes, comme si nous ne leur avions pas dit auparavant. Finalement, il a été question de les convoyer jusqu’à la distribution du soir ou de rentrer au village. Il est significatif que les afghans ont choisi à ce moment de rester assis et d’attendre qu’on leur réponde sur le sort qui leur était réservé, au lieu de repartir comme il était suggéré par certaines personnes. Au final pourtant, après une longue attente et sans qu’aucune déclaration ne leur soit faite, les afghans ont décidé de rentrer au village.

Ce que nous déplorons, ce sont les accusations déplorables lancées aux personnes venues soutenir les migrants d’autres villes de France et le mépris avec lequel les décisions des migrants ont été considérées par certaines personnes, absentes lors des premiers pourparlers d’organisation au sein du village et entre les migrants eux-mêmes. Nous sommes extrêmement triste de constater que certains s’arrogent le droit de parler au nom des migrants et de museler les autres sous prétexte qu’ils sont extérieurs au calaisis et de voir combien notre soutien est dédaigné, voire calomnié (calomnies reprises dans la voix du nord du 24 avril). Enfin, au vu de la situation extrêmement critique des migrants du littoral, nous ne comprenons pas que ces personnes impliquées dans l’aide quotidienne aux migrants jugent plus pertinent que les afghans attendent la police et ses bulldozers dans leur campement de fortune plutôt que d’exprimer leur colère et leur désespoir au seul moment où la presse est massivement présente sur Calais.

En nous quittant ce jeudi soir, nos amis afghans et les connaissances que nous avions liées en cette journée nous ont témoigné leur désolation quant au traitement qui nous a été infligé et nous ont remercié d’être venu et de passer des journées entières avec eux dans la jungle, ce que paradoxalement certaines personnes nous accusant de manipulation refusent de faire, pointant du doigt la « dangerosité » et « l’inutilité » d’une telle démarche…

Nous remercions celles des personnes présentes qui ont su reconnaître notre implication désintéressée auprès des migrants et leur faisons part de notre sympathie pleine et entière, espérant pouvoir compter à nouveau sur eux pour les actions futures et le campement no border qui aura lieu du 23 au 29 juin prochain à Calais.

Nous nous associons au Sos Soutien ô Sans Papiers pour appeler toutes les personnes soucieuses de l’avenir des migrants et réfugiés et révoltées par le traitement policier qui leur est infligé, à venir se rassembler le 2 mai prochain à 15h devant le Centre de Rétention de Coquelles (boulevard du Kent) !

LIBERTE DE CIRCULATION ET D’INSTALLATION !

OUVERTURE DES FRONTIERES !

DESTRUCTION DES PRISONS POUR ETRANGERS !

REGULARISATION DE TOUS LES SANS PAPIERS !

Un groupement d’individus impliqués et actifs dans le soutien aux migrants et aux personnes en lutte