Au Japon personne ne contestera que Ryôichi Sasakawa ait pu être le parrain des parrains du crime organisé. A Tokyo comme dans les préfectures du nord, du sud, de l’est comme de l’ouest, le nom est associé à l’irresistible ascension d’un “self made man”, aventurier fasciste au sein de la société civile et politique, sans scrupule, patriote populiste violent, meurtrier en série au nom de l’intérêt privé hors-les-lois, au nom de “l’empire”, ou encore au nom de la lutte anti-communiste et de la collaboration avec l’ennemi américain.

Sasakawa comme bon nombre de criminels de guerre japonais évoluera dans le temps stratégique de l’économie liberticide et homicide des conflits militaires déclenchés en Asie par le Japon (formé par le maître occidental, E.O. Reischauer) au nom de la grande prospérité asiatique, une quête du profit démesurée résolument élitiste.

L’ascension de Sasakawa (1899/1995) est indissociable également de l’histoire du crime organisé au Japon, de l’histoire des pouvoirs régionaux et maritimes mais aussi, à un autre plan, de l’évolution des sciences appliquées à la guerre, des technologies militaires et bien entendu des techniques de commerce liées à l’industrie militaire, armement terrestre, maritime, aérien japonais, américain ou européen.

L’ascension de Sasakawa est également indissociable du passage accéléré de la société civile-bourgeoise japonaise au politique moderne comme accès de tous en tant qu’individus au pouvoir législatif. Ici, notons l’importance que prendront et joueront les partis politiques au Japon comme médian entre l’individu singulier des classes sociales défavorisées et le pouvoir législatif. Sasakawa évolue dans un temps de la condition ouvrière, dans le temps de la culture ouvrière ou les conflits entre ouvriers, syndicats ouvriers et patrons japonais sont d’une grande violence. Un temps où les inégalités sociales sont grandes et injustifiées, inacceptables alors que d’immenses richesses sont accumulées. Les ouvriers et leurs familles vivant dans des conditions misérables sont révoltés, souvent, et persécutés par les nouveaux pouvoirs politiques et les différentes polices municipales ou secrètes. Ces dernières évolueront en lisière du crime organisé comme toutes les polices modernes recrutant indics et agents dans le “milieu” contre promesses de collaboration ou opérations clandestines. “Dénoncer le rouge” ou le “coco”, “casser du rouge”, le persécuter jusqu’au meurtre deviendront des activités patriotiques gratifiantes au nom de l’unité nationale, de l’Etat impérial, affaire privée de quelques uns. Le pauvre politisé, à nouveau objet et non plus personne, bête nuisible, est au regard des luttes sociales : ennemi de la nation… C’était vrai en Chine dans les années 1920 c’est aussi vrai au Japon à la même époque et plus encore dans le Japon de l’occupation américaine après 1946 jusqu’en 1952.

Les conditions de la vie ouvrière au Japon ont toujours été (et sont toujours) excécrables et ont conduit les malheureux criminalisés à s’organiser solidairement et politiquement contre la violence patronale ou policière. La littérature prolétarienne japonaise foisonne de génie créatif, de témoignages sociaux réalistes bouleversants.
Certains défenseurs de la “légende Sasakawa” – il est souvent hissé au rang des 14 déités de classe A du temple militariste et patriotique shinto Yasukuni – diront à propos de Sasakawa que le choix du crime organisé en tant que moyen de survie est parfois justifié dans les conditions sociopolitiques extrêmes de la guerre. Ces défenseurs intéressés regarderont l’organisation yakusa comme une organisation bienfaitrice fournissant au final du travail local aux “petites gens sans qualification”, en ville ou en zone rurale. Chacun regardant le “prince Sasakawa” comme une déité bénéfique omnipotente distribuant, par exemple, via la Nippon Foundation (Sasakawa) des automobiles gratuites à des centres de protection des personnes agées ou infirmes ou encore des emplois de vendeurs, de femmes de ménage, de coursiers, de gardiens à des sans ressources dans les hotels de luxe, les golf clubs, les restaurants, les agences de tourisme, les parcs floraux, d’attraction ou automobiles, les salles de jeu ou de sports de combat, les salles de paris, les associations sportives nautiques, les associations traditionnalistes estivales, la petite presse commerciale, etc…

Nous vivons bien de l’essoufflement du capitalisme. Capitalisme qui se veut pourtant vitaliste et philanthropique, généreux et sain, bienveillant, paternaliste et prévoyant, à condition que la dérégulation libérale manne du siècle soit préservée. Un temps économique de la dette publique municipale et nationale, de l’usure, du travail forcé impayé, de la prostitution infantile, du racket, de la drogue, de la contrebande d’alcool, de cigarettes, de l’armement clandestin, du jeu, du kidnapping, du vol et du meurtre, temps des sociétés criminelles “écrans” parfaitement intégrées à la production légale et aux besoins de la consomation de masse, favorable à toutes les activités concurrentielles défiscalisées ou non… Les nouveaux capitalistes/notables de province font venir leur sel de Mongolie, leurs crevettes de Thaïlande et tirent leur engrais naturel du crotin de poney des steppes chinoises pour que leurs courges ou concombres soient plus tendres.Tout est possible en asie globalisée.
Sasakawa, criminel de guerre bourgeois ou bourgeois mafieux fasciste, est le symbole même de l’intérêt privé, du passage du capitalisme industriel au capitalisme financier actionnarial global, prédateur boursier, spéculateur foncier en quête de légitimité politique et militaire sur le terrain mondial du libre-échange, de la dérégulation et du droit. Reprenant le propos de Marx sur la philosophie hégélienne du droit (1) nous pouvons dire de Sasakawa qu’il a eu le génie pervers de faire du crime, à l’instar de l’intérêt privé, un moyen privilégié de donner à une forme déterminée de propriété privée une fixité et même une pérennité qu’elle n’aurait jamais eue sans lui…

Sasakawa, comme les propriétaires fonciers et leurs députés nobles propulsés à la diète allemande d’hier, pensera toujours être de par ses biens (ou de par sa fortune) protégé “contre son propre arbitraire” et par conséquent “particulièrement constitué pour occuper une position politique”.
Le crime organisé japonais en tant qu’une forme de l’intérêt privé exerce une puissante influence sur les institutions locales, régionales, nationales, au point de dénaturer le droit, trompant sur le terrain même des responsabilités politiques ou de la représentation, du commerce, les règles des échanges légaux, la nature juridique du commerce ou même de l’acte douanier.
Sasakawa et ses héritiers se poseront (et se posent toujours) comme les portes-paroles universels et authentiques de la nature juridique des choses, réduisant même les activités, et en particulier certaines oppositions civiles et citoyennes de gauche, à un support potentiel du terrorisme international.

Les héritiers de Ryôchi Sasakawa prendront bien le message philanthropique associatif du “maitre” au pieds de la lettre puisqu’ils financeront aussi bien la recherche sur la lutte contre le terrorisme international que celle sur le nationalisme frein à la globalisation, la complexité des relations sino-américaines, sino-japonaises ou nippo-coréennes, celle sur l’agriculture vietnamienne et le déminage des campagnes, le nucléaire militaire et les énergies civiles nouvelles, en présence des leaders politiques, économiques et militaires néoconservateurs ou néolibéraux occidentaux, soutenant directement ou indirectement des organisations privées transnationales comme l’Asian Forum Japan, le Council on Foreign Relations, le CSIS (Center for Strategic and International Studies), New America Foundation ou encore comme Carnegie Endowment for International Peace.

Ils soutiendront une pluie de travaux/conférences de spécialistes internationaux ou de professeurs/chercheurs connus du monde conférencier comme Fujiwara Kiichi, Kojo Yoshiko, Takahara Akio de l’université de Tokyo, Kurt Campbell, Michael Green du CSIS, Kent Calder (Edwin O. Reischauer Center for East Asian Studies, SAIS), Taniguchi Tomohiko, Funabashi Yoichi, Yang Bojiang de Brookings Institution ou John Ikenberry de Princeton, Charles Kupchan de Georgetown University/Council on Foreign Relations ou encore comme Eric Heginbotham de RAND Corporation…

Le crime organisé japonais et ses structures d’influence sont invisibles sous les propos analytiques institutionnels traitant de fraçon “pragmatique” et “utilitaire” les freins théoriques au bien-être global (associé aujourd’hui au rayonnement et au renouveau vitalistes du Japon) mettant en avant think tanks néoconservateurs transnationaux, centres de recherche bipartisans et universités privées prestigieuses au dessus de tout soupçon, prisonniers cependant du régime capitaliste de l’accumulation et de la spéculation; des entités historiques selon nous déviantes et délinquantes persuadées d’être protégées par leurs acquis institutionnalisés de leur propore arbitraire, conséquence du rapport constant à l’intérêt privé.
Se targuant de vitalité nouvelle ces “organismes de recherche pour le progrès global” retranchent pourtant de l’arbre vert de la vie éthique la réflexion fondamementale sur les pauvres transnationalisés en situation de détresse et les inégalités en terme de capabilités de base à se nourrir, à se vêtir, à trouver un toit, un travail, à se soigner.
Les Etats et les activités “législatrices” des Nations-Unies, de l’OMS, de la Banque Mondiale, du FMI, de l’OMC, jumeaux omnipotents et omniprésents, laissent substituer cette exclusion en laissant la pauvreté transmuée en crime tandis que le crime organisé est en mesure de se faire passer pour l’idée de droit…Il en a désormais les moyens.
Les organisations internationales et les institutions publiques en voulant se prémunir historiquement contre l’intérêt privé auront finalement garanti sa longévité et offert à la propriété (et à la propriété criminelle) toute sa vitalité inégalitaire, assujétissant ainsi son infinité au maintien inconditionné d’une réalité finie.

Le Japon et les Etats capitalistes au sens large ne peuvent être que criminogènes, homicides et liberticides, favorables donc à l’émergence et à l’entretien du crime organisé et à sa pénétration institutionnelle et bourgeoise mais également à son épanouissement collatéral dans les fractures sociales sans lesquelles il ne peut se manifester.
“Le juridique en soi et pour soi, écrira la philosophe Mercier-Josa, a pénétré les institutions (hier) féodales (entretenues à un certain niveau de l’organisation associative dans les régions et les zones urbaines traditionnalistes du Japon, nda), sans abolir les privilèges de la propriété… Les catégories du droit privé n’auront donc servi qu’à conférer aux privilèges un caractère de nécessité en leur donnant “un caractère civil” sans corrélativement accorder de droits aux individus “sans etat” (aujourd’hui, les sans terre, les sans toits, les sdf, les sans papiers, les exclus, politisés ou non, les chômeurs, les invalides et les personnes âgées sans pension, nda), sans reconnaître qu’il existait également un droit privé du “non-propriétaire””… La globalisation favorisera donc l’idée que le droit privé ne concerne pas le pauvre parce que non-propriétaire.

Par contre, force est de constater que le crime organisé s’il n’est idéalement combattu par les Etats (toujours affaire privée de quelques uns) est associé de fait à un privilège, un régime d’exception, une forme d’irresponsabilité ou d’impunité, concourrant au Japon et dans le monde, à un authentique droit privé du criminel alors qu’il devrait être exclu de ce droit; un droit privé que le monde des sciences, de la politique ou des religions (jésuites, catholiques, shintoistes, bouddhistes, kamistes, adeptes de l’empereur ou du tennô) ne parviendra pas à lui contester.
Au temps de la noblesse allemande de la première moitié du XIXème siècle les catégories du droit privé étaient au service des princes. Elles sont désormais au service des princes bipartisans de la globalisation et pour certains d’un gouvernement mondial, et confèrent au crime organisé sous couvert de philanthropie managériale, d’écologie planétaire ou de messages de paix un caractère de nécessité en lui donnant un “caractère civil”…

Cette observation finale ne pourra guère être réfutée si l’on se livre à l’examen des différents programmes/fonds de subvention de la Sasakawa Peace Foundation, près de 4,6 milliards de yens sur les sept dernières années, sept échelonnements de 560 millions de yens à 760 millions de yens (2000/2006). Plus d’une cinquantaine d’organisations, ONG, think tanks, universités, centres de recherche du monde entier figureront comme les témoins privilégiés de cette paradoxale expansion de la globalisation sécurisée, militarisée, normalisée voulue isonomique (égale devant la loi), du management environemental et du développement durable sous l’autorité enmblématique du boddhisatva Sasakawa et de ses disciples héritiers volant au secours de la “société civile mondiale” ne pouvant cheminer seule sur la voie obscure du libre-échange, des nationalismes, des guerres, de l’entropie et du terrorisme international.

Parmi les organisations les plus connues reçevant les fonds de recherche spécifiques de la Sasakawa Peace Foundation, citons:
John Hopkins-Center for Civil Studies (USA), The Hauser Center for Nonprofit Organizations, Harvard University (USA), University of Guam, De La Salle University (Philippines), Philippine Business for Social Progress (PBSP) ( Philippines), Malaysian Institute of Economic Research (Malaysia), Cambodian Institute for Cooperation and Peace (Cambodge), Royal Academy of Cambodia (Cambodge), Myanmar Institute of Strategic and International Studies (Myanmar), Myanmar Times (Myanmar), National Economic Research Institute (Laos), Faculty of Agriculture, National University of Laos (Laos), Hanoï Agricultural University (Vietnam), Chulalongkorn University (Thailande), Institute of Defence and Strategic Studies Nanyang Technological University (IDSS/Singapore), University of Hawaï, University of Micronesia, South pacific University (Fiji), Georgian Foundation for Strategic and International Studies (GFSIS) (Georgie), Khazar University (Azerbaidjan), Central Asian Institute for Development (Kazakhstan), National CEDAW Watch Network (Mongolie), Institute of Egyptology, Waseda University (Japon), Keio University Shonan Fujisawa Campus (Japon), Tokai university (Japon), Seijakuin University (Japon), University of Ryukyu (Japon/Okinawa), Obirin Unversity (Japan), Tokyo Denki University (Japon), Sophia University (Japan, université jésuite), NPO (Japon), Eubios Ethics Institute (Japan), The Asia Forurm Japan, Kyung-hee University (Corée), Tsinghua University (China), China Association for International Friendly Contact (China), The Chancellor, Masters and Scholars of the University of Cambridge (UK), Queen Mary Intellectual Property Research Institute, University of London (UK), Research and Information System for the Non-aligned and Other Developing Countries (RIS) (India), Confederation of Indian Industries (Inde), CSIS (USA / Japon / Europe / Indonésie), Council on Foreign Relations (USA), Royal Scientific Society (Jordanie), Forum 2000 Foundation de Vaclav Havel (Czech), Charles University (Czech), St.Stephen University (Hongrie), American Association for the Advancement of Science (USA), East West Institute (USA) qui consacrera Tony Blair “State man of the decade” en présence de Bill Clinton, Jose Manuel Durao Barroso, Herman de Croo, Kofi Annan, G.W.Bush….

Notons enfin que Dentsu Institute for Human Studies, fer de lance de la recherche stratégique de la Compagnie Dentsu, leader japonais mondial de la communication, partagera 29 millions de yens de la Sasakawa Peace Foundation (Regular Projects Fostering Human Security and Private Nonprofit Activities) pour débattre en 2000 avec Concept Workshop (Japon), Manpower Demonstration Research Corporation (USA), NGO Future (Suisse) de ” l’évaluation et de la promotion de l’action des organisations non-gouvernementales”…
Dentsu Inc. (qui fournira à Yasukuni Jinja son grand prêtre shinto, Toshiaki Nambu, 45ème chef du clan aristocratique Nambu) annoncera très fièrement le 5 juin 2006 : “que Denstu et ses 49 compagnies sont désormais conformes aux normes du management environnemental ISO14001”. Des normes qui, avec celles du développement durable, seront le fer de lance de la formation universitaire des jeunes cadres environementaux de la société civile futuriste voulue par Sasakawa; des objectifs scientifiques, dynamistes, prioritaires, “verts”, stratégiques et militaires.
(C.P.)

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Notes :
(1) “Entre Hegel et Marx”, points cruciaux de la philosophie hégélienne du droit, Solange Mercier-Josa, L’harmattan, 1999. Paris.

ISO : L’organisation internationale de normalisation (ISO) est une fédération mondiale d’organismes nationaux de normalisation de quelque 140 pays, à raison d’un organisme par pays. L’ISO est une organisation non gouvernementale, créée en 1947. Elle a pour mission de favoriser le développement de la normalisation et des activités connexes dans le monde, en vue de faciliter entre les nations les échanges de biens et de services et de développer la coopération dans les domaines intellectuel, scientifique, technique et économique.
Les travaux de l’ISO aboutissent à des accords internationaux qui sont publiés sous la forme de Normes internationales.
ISO” est un mot dérivé du grec isos, signifiant “égal”, qui est utilisé comme racine du préfixe “iso-” dans une multitude d’expressions telles que “isométrique” (dont les dimensions sont égales – Dictionnaire Petit Robert) ou “isonomie” (égalité devant la loi – ibid.).
Du sens “égal” à la notion de “norme” le cheminement conceptuel menant au choix d’ “ISO” comme nom de l’organisation est facile à saisir.

The Sasakawa Peace Foundation
Les programmes/fonds sont répartis dans le monde par le Regular Projects Toward the Coexistence of Pluralistic Values, Regular Projects Fostering Human Security and Private Nonprofit Activities, Regular Projects Japan and Asia in the World, The Sasakawa Pacific Island Nations Fund, The Sasakawa Japan-China Friendship Fund, The Sasakawa Central Europe Fund, The Sasakawa Southeast Asia Cooperation Fund,The Sasakawa Pan Asia Fund.

Yasukuni Shrine… Ad Man-Turned-Priest Tackles His Hardest Sales Job by NORIMITSU ONISHI February 12, 2005
Yasukuni Jinja (site officiel)

Texte original avec documents web sur http://linked222.free.fr/cp/links/japan/crime_organise.html, solidairement, Christian Pose