Håkan Geijer. Article original: imposture-affinitaire.pdf. Traduction française par Leuk.

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Imposture affinitaire et empathie exploitable

 

Note de traduction

Ce texte présente des spécificités contextuelles qui ne se superposent pas parfaitement aux contextes francophones.

Les spécificités en question se retrouve notamment dans le langage utilisé parfois, des notes ont été rajoutées à celles de l’auteur.e original afin de rendre les choses un peu plus claires à des gens du contexte français, surtout au niveau de l’argot anglophone ; un exemple est le remplacement de « person of color » par racisé.e et le terme de race est remplacé par « catégorie raciale » ou « racisation », il est important de noter que ces changements ont à voir avec la lisibilité par un public qui a en tête le contexte discursif français et non pas par désir de donner une fausse impression de discours homogène sur les questions raciales, ethniques, identitaires, entre la france, l’amérique, l’allemagne, etc.

Malgré ces différences de contextes, le concept d’imposture par affinité (ou imposture affinitaire) est définitivement utile dans les contextes français où j’évolue, donc sans pour autant essayer de calquer les discours, conversations et événements américains ou allemands sur ceux de la soi-disant france, il serait très important de mon point de vue de réfléchir aux questions identitaires et politiques sous un nouvel angle, ce zine est un pas dans cette direction.

Ağaca balta vurmuşlar “sapı bedenimden” demiş. Ils frappèrent l’arbre avec une hache, et l’arbre dit « ce manche vient de mon corps ». — Proverbe turc

Introduction

Ce zine explore comment l’Identité peut servir de couverture à des perturbations intentionnelles ou accidentelles dans les cercles radicaux et le militantisme, et comment la Culture de la Sécurité que nous avons développé pour atténuer beaucoup de menaces et problèmes peut entrer en conflit avec les normes anti-racistes, anti-sexistes et généralement progressistes à l’intérieur de nos mouvements. Ce que ce zine n’est pas est une évaluation complète de toutes les manières évidentes que notre activité militante peut-être perturbée par l’emploi de la diffamation de la part d’agents étatiques ou adjacents ou à travers les abus commis par des membres de nos communautés radicales qui arborent des identités dominantes et manient le pouvoir (patriarcal blanc). Ces menaces existent, mais ce sont également les menaces qui sont les plus fréquemment exposés.

« La Gauche »

Le mouvement politique connus sous le nom de « La Gauche » tire son nom de la Révolution Française quand les personnes qui souhaitaient un système plus démocratique s’assirent à gauche de la chaise du président de l’assemblée parlementaire. Le nom est un artefact historique plutôt qu’une identité clairement définie. Présentement, La Gauche n’est pas un groupe unifié, et « le gauchisme » n’est pas une idéologie cohérente. C’est une coalition des outsiders politiques, des opprimé.es et des marginalisé.es qui vont généralement impulser en direction d’une société plus égalitaire et progressiste. Malgré le fait qu’il n’y ait pas une chose qui soit La Gauche, le terme en lui-même peut être utile pour parler de certaines des tendances qu’on retrouve à travers une variété d’idéologies définies de manière plus concrète et cohérente comme l’anarchisme, le communisme ou le socialisme démocratique. Le soutien aux outsiders, aux opprimé.es, et aux marginalisé.es est le trait qui définit La Gauche.1 Il peut se manifester tout simplement comme un État-providence qui ne prétends même pas d’abolir l’impérialisme ou les milliardaires, ou bien il pourrait émerger sous la forme de groupes décentralisés cherchant à éradiquer tout pouvoir maintenu sur tout un chacun pour créer une société sans tyrans ni coercition. Peu importe le genre de gauchisme dont on parle, on y trouve généralement un degré de reconnaissance du fait qu’il y a des personnes marginalisées, et on y voit aussi un degré de déférence à ces populations marginalisées dans le sens que ces personnes ont des voix qui ne sont pas juste précieuses en tant que telles mais qu’elles ont également besoin d’être amplifiées pour être entendues au dessus du bourdonnement du statu quo.

Plus on penche vers la radicalité, plus le désir d’aider les plus opprimé.es augmente. Ça devient moins une bonté dont on se doit de faire preuve lorsqu’on a le temps ou les moyens ou la volonté. De plus en plus, le désir brûlant d’aider les autres devient une considération éthique centrale, et c’est de là que nous tirons notre force. Prendre réellement soin les un.es des autres, l’Entraide, et une variété d’idées adjacentes nous donnent un ascendant sur la machine instable qu’est la société dominante.

Caractériser La Gauche comme ça est important dans le contexte de ce zine à cause des frontières poreuses entre des groupes et idéologies ainsi que la manière avec laquelle la théorie, la praxis et les normes peuvent passer facilement d’une catégorie d’idéologies à une autre, à l’intérieur de La Gauche. Des groupes radicaux avec des valeurs peuvent tout de même se retrouver influencés par des idées performatives libérales pseudo-radicales, et certaines pratiques qui sont normalisées à l’intérieur d’une équipe peuvent se voir attaquées sans fin par des personnes extérieures à celle-ci dont la praxis est totalement incompatible avec celle ce cette équipe mais qui avancent que cette dernière « fais mal les choses » et qui justifient leur critique hors-sujet en disant que c’est « des gauchistes comme nous ».

L’imposture par affinité classique

L’imposture, ou plutôt la tromperie pour le gain personnel, est aussi vieille que l’histoire humaine. Elle est dans nos légendes de dieux farceurs et nos fables avec des avertissements moraux sur le fait de ne pas abuser des autres dans nos communautés. Aujourd’hui, nous pourrions identifier correctement les acteurs institutionnels qui ont escroqués nos communautés et détournés des caisses dédiées à des travaux publics ou sociaux afin de se payer des penthouses. On peut pointer du doigt la tendance à l’arnaque endémique chez les conservateurs, ou au moins ceux qui font la course à l’audimat pour atteindre une masse critique d’influence ou de réputation sur laquelle iels pourraient ensuite surfer jusqu’à devenir des micro-vedettes ou accumuler une petite richesse. Cependant aucun groupe social n’est à l’abri des impostures, même La Gauche et ses composantes variées.

L’imposture par affinité est un type de tromperie qui vise les membres d’un groupe particulier où l’imposteur.ice prétends être ou est réellement un.e membre de ce groupe, qui va utiliser cette affinité afin d’exploiter la confiance des autres. En particulier, l’imposture par affinité tends à viser les gens sur la base de leur religion, leur statut en tant que personne âgée, ou leur racialisation et à les attirer dans des manigances d’investissement frauduleuses. La méfiance initiale que les gens ont pour les inconnu.es—en particulier quand on entre dans des questions d’argent—est atténuée par les caractéristiques partagées entre l’arnaqueur et la cible. Si la communauté ou les identités partagées ne sont pas en elles-mêmes suffisantes, l’imposteur.ice pourra se lier d’amitié et tromper une figure d’autorité à l’intérieur de la communauté et utiliser leur position pour établir chez d’autres personnes la confiance initiale dont iel a besoin pour les arnaquer.

Outre la confiance initiale établie, une communauté soudée pourrait ne pas vouloir chercher une aide légale ou même une aide extérieure pour gérer le problème de l’arnaque et, dans des cercles autres que les cercles radicaux, ceci peut vouloir dire peu ou pas de moyens de lutter contre cette personne. Ceci peut arriver pour protéger la réputation d’individus à l’intérieur du groupe ou bien pour protéger le groupe en-lui-même, et ce silence et cette opacité peuvent permettre à l’imposteur.ice de continuer à escroquer d’autres personnes. La phrase « mais c’est l’un.e des nôtres ! » peut être utilisée par des complices ou des victimes crédules pour dissuader les représailles ou même refuser d’admettre que des torts ont été commis.

Les Menaces et La Culture de la Sécurité

La Gauche est sous la menace constante de disruptions et perturbations de la part d’acteurs étatiques ou adjacents à l’État. Sous la soi-disant « démocratie libérale », ceci est principalement le fait d’agences étatiques de sécurité intérieure et des forces de l’ordre locales. Elles surveillent, piègent, poursuivent, imposent des amendes contre et emprisonnent les personnes qui s’opposent à leur hégémonie. Parmi leurs autres méthodes sont inclues ce qui pourrait être désigné comme du sabotage, quand des conflits interpersonnels sont attisés et encouragés, du temps est perdu ou bien des rumeurs sont répandues. Dans de nombreux cas, les forces de l’ordre sont l’étincelle, mais nous sommes le bois, et la flamme qui finit par incendier notre scène.

Des acteurs non-étatiques—comme des gangs d’extrême droite, des trolls en ligne ou des voisins conservateurs—peuvent utiliser des méthodes similaires de disruption. Le renseignement en source ouverte (OSINT), ou plutôt l’utilisation de sources de données comme les réseaux sociaux ou les archives publiques, peuvent révéler une quantité phénoménale d’information actionnable qui peut mener à des dommages financiers à travers la perte d’un emploi par le doxxing2 ou d’avoir à payer des réparations ou remplacer un logement endommagé ou autres possessions. Plus particulièrement, les trolls en ligne peuvent très facilement perturber des espaces en ligne grâce aux connexions diffuses et au fait qu’il est facile d’inventer et de jongler entre des alias et des nouveaux comptes.

La perturbation financière3 est particulièrement éprouvante aux individus et mouvements parce que, même si nous faisons de notre mieux pour exister en dehors du capitalisme, beaucoup de nos besoins basiques ne peuvent être atteints (à échelle, pour le moment) qu’en ayant recours à l’argent et au commerce. Des ressources existent comme les refuges à gestion autonome pour les sans-abris ou les soupes populaires pour les personnes en manque de nourriture comme Food Not Bombs. Certains quartiers peuvent mettre à disposition des gens des caisses de nourriture ou de vêtements gratuits, et certains centres sociaux peuvent parfois sortir un peu d’argent pour aider des gens à répondre à leurs besoins. On essaye autant qu’on peut mais on reste limités dans notre accès à l’argent et aux capitaux, et nos adversaires ont toujours la possibilité d’attaquer nos portefeuilles, pour nous ralentir ou nous stopper dans notre travail. Des accusations bidons peuvent tomber facilement face à un avocat mais le coût de l’aide légale—ou le paiement d’une caution quand c’est nécessaire—peuvent rapidement assécher des fonds. Des amendes, le coût de changer d’appart, les factures d’hôpitaux, et autres peuvent rapidement s’accumuler suffisamment vite pour que des groupes aient à faire des changements dans leur stratégie.

Les normes que nous établissons afin de contrer le type de perturbations auxquelles nous faisons face sont connues sous le nom de culture de la sécurité. Généralement elles incluent le fait de cacher sa propre identité, de partager prudemment des informations sur une base « besoin d’en connaître »,4 et possiblement avant toute chose, de s’assurer et de filtrer qui fait quoi dans le processus permettant d’établir de la confiance. Canoniquement, la culture de la sécurité vise à contrer la répression étatique qui opère à travers la surveillance et l’infiltration, mais sa portée est trop étroite puisque nos adversaires ne sont pas toujours très clairement définis. Nous devons produire des stratégies capables de contrer toutes les menaces à notre capacité à nous organiser/militer et atteindre nos objectifs, même celles venant d’acteurs improbables.

En plus de l’argent, le temps (comme l’horloge tourne) et le temps (dans le sens de nos capacités mentales allouables/disponibles) sont limités. Notre activisme et nos projets politiques sont entretenus en parallèle de nos boulots de jour/de nuit, tout ce qui permet de mettre de la bouffe dans nos ventres, et cet activisme on va souvent s’y atteler durant le temps qu’il nous reste après qu’on ait finis de sécuriser notre survie. Les quelques heures qu’il nous reste pour coordonner et mettre en œuvre nos actions peuvent—avec un peu d’effort—être réduites à rien.

Ceci est une tactique que les perturbateurs connaissent. Le « Simple Sabotage Field Manual » de l’OSS5 publié pour distribution aux civil.les durant la seconde guerre mondiale liste de nombreuses manières pour iels de perturber des organisations avec une section entière dédiée au fait de faire perdre son temps et de créer du ressentiment entre des collègues. COINTELPRO6 fût un programme du FBI aux USA qui visait à perturber le mouvement black power, les communistes, le mouvement anti-guerre et autres acteurs jugés subversifs. Dans le cadre de ce programme, des tactiques communément appelées « psy ops »7 furent utilisées à profusion, notamment sous forme de diffamation, de diffusion de rumeurs, et de création de fausses organisations de gauche afin de saborder le mouvement. La politique de la Zersetzung (décomposition/disruption) par la Stasi de la RDA8 incluait des projets visant à provoquer chez les cibles une perte de confiance en soi et de l’aliénation par rapport à leurs pairs. Dans les Snowden leaks de 2013 on a trouvé des documents décrivant les méthodes de la JTRIG9 pour saborder des communautés en ligne. La disruption sociale est un aspect persistant de la répression étatique et des efforts de contre-insurrection.

Avant de présenter l’argument de ce zine, je veux tout d’abord rendre ses composantes fondamentales claires.

1. Au cœur de La Gauche se trouve le projet de réduction des oppressions et du fleurissement de l’égalitarisme avec un focus sur le fait de soutenir/fortifier les marginalisé.es

2. L’imposture affinitaire est l’utilisation d’identités, partagées ou envers qui on à tendance à déférer, par des imposteur.ices afin d’établir une confiance qui permet ensuite l’exploitation.

3. La disruption étatique et non-étatique ne s’appuie pas uniquement sur la surveillance et la répression violente mais aussi sur des méthodes subtiles ou sournoises.

Des acteurs malintentionnés sont constamment en train d’observer nos schémas et comportements pour trouver des ouvertures à exploiter pour obtenir quelques gains. La culture de la sécurité peut cacher beaucoup de ces schémas et réduire les manières dont ils pourraient être exploités. Cependant, beaucoup de nos comportements sont centraux à nos philosophies politiques et éthiques, et nous ne pouvons pas les cacher. Nous les annonçons de manière évidente à chaque fois que nous le pouvons afin d’établir qui nous sommes, comme propagande permettant d’attirer des personnes qui pensent comme nous, et pour répandre l’idée qu’un autre monde est possible.

Ainsi, notre empathie et nos efforts pour pallier aux préjudices, explicites dans la société générale et résiduelles en nous-mêmes, ne sont pas seulement nos plus grands atouts mais sont aussi au cœur de beaucoup de mouvements de gauche. Cependant, sans précautions nécessaires cette empathie et ces mesures égalitaires peuvent se faire vecteur de disruption.

Contre-préjudices Exploitables

Nous vivons dans une société raciste, sexiste, queer-phobe et plus généralement discriminante et oppressive. Parce que nous avons grandi et continuons d’être socialisés dans ce monde remplis de préjugés, nous avons nous-mêmes internalisés beaucoup de ces *-phobies et *-ismes. Ils sont dans nos subconscients et nos habitudes, ou peut-être se cachent-ils juste dans nos angles morts parce que nous n’avons pas la connaissance ou le contexte nécessaire pour voir comment notre comportement fait du mal aux autres. En plus de ça, beaucoup de membres de La Gauche n’ont pas envie d’abandonner leurs privilèges ou avantages, ou bien iels les utilisent activement pour gagner un certains statut ou du pouvoir sur les autres. Outre le fait que ce ne soit pas un comportement éthique, ce dernier va aussi activement entraver les efforts militants en faisant partir des personnes qui auraient pu contribuer et en créant des fractures à l’intérieur de la communauté.

Pour contrer ces tendances, des groupes vont intentionnellement prendre des mesures pour réduire la fréquence d’émergence de ces comportements oppressifs et le mal qu’ils peuvent causer lorsqu’ils émergent. Appelons ces mesures et pratiques des contre-préjudices. Parce que la société—même ses parties radicales—est misogyne et protège les hommes abusifs par défaut, le mantra « croyez les femmes »10 a gagné en visibilité et en usage en tant que parade aux habituelles défenses des abuseurs et rejets des victimes. Pendant leurs meetings, certains groupes utilisent une « liste progressive » pour donner priorité aux voix marginalisées afin qu’elles soient entendues lorsqu’elles sont en infériorité numérique par rapport à des groupes dominants qui ont l’habitude de parler au-dessus des autres. Pour éviter aux groupes qui font du mal aux autres de se disculper, on écoute les personnes marginalisées sur ce qui est ou n’est pas raciste ou validiste. Il y a beaucoup de stratégies comme ça.

Dans beaucoup de cercles, ce genre de mesures ne vont apparemment pas assez loin étant donné que ces derniers sont inondés de socialistes mascus et d’anars machos,11 des réductionnistes de classe et une variété d’individus chauvins12 qui placent leur gain personnel—soit en tant qu’individu soit pour leur groupe démographique—par-dessus tout, mais lorsque ces contre-préjudices sont judicieusement appliqués, les personnes marginalisées sont plus facilement inclues, et les mouvements sociaux s’épanouissent.

La mise en place de ces normes pour notre conduite en publique et en privé crée un mécanisme de bas-en-haut où tous.tes sont responsables du suivis mutuel des actions des un.es des autres, et cette décentralisation permet à n’importe qui d’émettre des plaintes et de rallier un groupe de pairs pour l’aider à aborder ses problèmes. Dans un monde idéal non-existant, chaque cas de préjudice serait jugé de manière isolée, mais lorsqu’on a du temps et des connaissances limitées, le fait de croire par défaut les personnes marginalisées réduit les dommages dans la majorité des cas et est un point de départ pragmatique pour un travail plus approfondis d’investigation. Pour nous empêcher de retomber dans la misogynie, la suprématie blanche, etc. du statu quo, nous couplons cette position de base à un certains tabou par rapport au fait de questionner la parole des personnes marginalisées lorsqu’iels s’expriment sur un tort qu’on leur a fait.

Le penchant habituel est de ne pas questionner la personne à qui il a été fait du tort, surtout lorsqu’elle est marginalisée et encore plus lorsqu’elle est marginalisée de plusieurs façons. Douter d’une femme lorsqu’elle dénonce un homme qui l’a abusé est répréhensible. On nous dit d’interroger nos biais ou notre racisme internalisé lorsque l’on se met du côté d’une personne qui est accusée par un.e membre racisé.e du groupe d’avoir fait des remarques racistes. Cependant ce rempart de contre-préjudices que nous avons construit pour repousser beaucoup des pires comportements de notre société peut tout aussi bien être retournés contre nous.

Le détournement des contre-préjudices arrive de beaucoup de manières mais avec plus ou moins les mêmes méthodes :

1. Un cercle social établis des normes de contre-préjudice.

2. Un acteur malveillant a ou prétends avoir une identité qui est marginalisée ou envers laquelle on fait preuve de déférence.

3. Cet acteur malveillant émet des demandes, cause du tort à quelqu’un, ou émet des accusations d’une manière qui lui bénéficie d’une façon ou d’une autre.

4. Lorsque quelqu’un s’oppose à l’acteur malveillant, ce quelqu’un est alors dénoncé.e comme chauvin.e soit par l’acteur, soit par d’autres membres crédules du groupe.

Les acteurs malicieux n’ont pas besoin d’être seuls pour agir, et d’ailleurs ne le sont souvent pas. Iels n’ont même pas besoin d’établir de la confiance et d’attirer les gens dans leurs manigances. Iels peuvent simplement prendre appui sur les normes pré-existantes à l’intérieur du groupe qui leur procure des complices involontaires et une couverture idéologique.

Dans ces discussions, le terme d’« acteur malveillant » ne désigne pas seulement ou strictement des saboteurs ou des indics, bien que dans certains cas ce soit le cas. Il signifie quelqu’un qui agit en opposition aux objectifs du groupe ou pour son gain personnel. Dans un groupe anarchiste ou anti-autoritaire, ça peut vouloir dire quelqu’un qui est généralement un.e anarchiste mais qui cultive du capital social pour arriver à ses fins ou pour faire taire les gens avec qui iel se querelle. Dans un collectif antiraciste, ça peut vouloir dire quelqu’un qui est anti-raciste ou travaille dans cette direction, mais qui utilise les cadres de discours anti-racistes établis afin de s’élever à une certaine position qui lui permette d’avoir une présence médiatique ou un gain financier. Les acteurs malveillants placent le gain personnel au-dessus du cadre éthique altruiste normalisé à l’intérieur du groupe.

Comme dit auparavant, il y a beaucoup de groupes qui cherchent à recréer toutes les hiérarchies existantes dans notre société, et dans de tels cercles l’exploitation des contre-préjudices est moins efficace et semble moins fréquemment utilisée. D’un autre côté, les cercles sociaux qui pratiquent les contre-préjudices peuvent tomber dans le piège de faire de « l’inversion hiérarchique » c’est à dire qu’au lieu de se débarrasser d’une hiérarchie en tant que telle, iels renversent la pyramide et placent les marginalisé.es au dessus des groupes historiquement dominants. Ceci peut commencer avec le fait d’invoquer une simple statistique qui a tendance à être vrai maintenant dans la société en général mais qui est alors essentialisée comme une vérité universelle. Peut-être que les hommes sont statistiquement les premiers auteurs de violence sexuelle, et que les victimes sont principalement des femmes ou des personnes au genre marginalisé, mais ça ne veut pas dire que tous les hommes sont des abuseurs ou que toutes les femmes sont toujours les victimes dans chaque instance d’abus ou qu’un homme ne peut pas être victime d’abus des mains d’une femme. L’inversion peut commencer avec quelque chose comme « toutes les personnes blanches ont un (certains degré de) racisme internalisé » ce qui est vrai de manière presque universelle puisque toutes les personnes vivant dans une société raciste ont un racisme internalisé, mais ceci est ensuite transformé en l’affirmation que les actions d’une personne blanche sont toujours motivées par le racisme, surtout si cette personne est en désaccord avec une personne racisé.e.

La hiérarchie des identités dans la société dominante est utilisée pour déterminer qui mérite d’avoir de la dignité. Voilà comment ça se passe dans les parts dominantes de la société : plus on s’élève dans la hiérarchie, plus on mérite d’empathie et plus on a de droits. Lorsque quelqu’un est dans les strates inférieures, il est normal de lea mépriser et de ne pas lui attribuer la moindre humanité. Le même phénomène se déroule dans les sous-cultures à cause de l’inversion hiérarchique. Dans les cercles sociaux où cette inversion se produit, des individus qui partagent même une seule identité avec un groupe qui est dominant dans la société peuvent voir leur humanité retirée, les laissant ouvert.es à toute attaque parce que—comme c’est parfois dit de manière explicite—pas de quartiers pour les oppresseurs.

On trouves plus de cercles sociaux qui pratiquent le contre-préjudice par dessus la jambe, que de cercles sociaux qui réussissent à en pratiquer sous des formes significatives, et parmi les personnes qui font des efforts dans leurs pratiques, il semblerait—au moins, d’après mon expérience—qu’encore moins de ceux-là tombent dans le piège de l’inversion hiérarchique. Ceci dit, même sans la présence d’une inversion totale, j’ai vu des cas où des radicaux et allié.es généralement bien intentionné.es retournent leurs contre-préjudices contre des cibles qui ne le méritaient pas dans le cadre d’un contre-préjudice déjà normalisé ou au service d’acteurs malveillants.

Les individus et les idées qu’iels détiennent ont un prestige qui varie dans la société. Au centre, les expériences des hommes blancs, valides, neurotypiques, monogames, allosexuel, hétérosexuel, cis-genrés sont les plus prestigieuses et au fur et à mesure que l’on s’écarte de ce centre en terme d’identités détenues ou de soutien à ce centre, le prestige associé à une personne ou à des idées va en diminuant. La Gauche n’opère pas sur les mêmes métriques que le statu quo, et à l’intérieur de La Gauche il n’y a pas de métrique unique pour ce qui est prestigieux. Il y a, cependant, des tendances qui peuvent être partagées régionalement et mondialement. Après la crise des frontières13 qui empêcha le passage sûr et facile des migrants et réfugiés venus d’Afrique du Nord et d’Asie de l’Est en Europe, le soutien aux réfugiés et les initiatives pour les aider sont devenues et sont restées empreintes d’un haut prestige.14 A l’intérieur du cœur impérial, le soutien et la déférence aux personnes noires sont considérés comme haut prestige, surtout aux USA.15 Les contre-préjudices en vogue à l’intérieur de La Gauche corrèlent avec les avis sur ce qui est haut prestige ou non et ceci peut acquérir une intensité grandissante dans certains cercles plus restreints. Une opinion haut prestige « à l’intérieur » de La Gauche peut avoir des contre-préjudices qui ne sont que minimes ce qui rends cette position peu significative, mais un milieu spécifique unique pourrait baser une grande part de ses propres normes et contre-préjudices autour de cette opinion. Ceci peut amener à des conflits inter-milieux et à de grandes résistances à certaines idées dans certains coins, quelque chose dont on se rends compte si on explore ou change de positionnalité à l’intérieur de La Gauche.

Les acteurs malveillants cherchant à exploiter les contre-préjudices s’appuient sur notre empathie. Lorsque nous voyons une personne ou un groupe en train de souffrir, et pas juste par malchance mais qui est en train d’être écrasée par des siècles d’oppression structurelles, se mettre en opposition à cette personne marginalisée veut dire se placer du côté de toutes les choses que nous haïssons et opposons. Ça nous crée une détresse et un mal-être de penser que l’on a pu choisir le mauvais camp, le camp de la suprématie blanche et du capital, contre une de ses victimes.

Un second facteur est celui de la protection de nos réputations. A l’intérieur de La Gauche, il y a moins de manières d’établir du pouvoir, et la réputation des individus et des groupes est une des principales sources de capital social. Toute une vie de travail dévoué et attentif peut-être rendue obsolète par un mauvais mot ou acte, et des événements inventés ou des accusations de mauvaise foi peuvent être utilisées pour faire tomber quelqu’un. Ce n’est pas suffisant de s’opposer au chauvinisme à l’intérieur de nous, nous devons aussi le contrer chez les autres autour de nous, et le fait d’accueillir ou de tolérer les chauvins autour de nous n’est pas acceptable. Ce fait peut être exploité car derrière les manigances d’un acteur malveillant il y a la menace implicite—et parfois explicite—que le fait de défendre une de ses cibles fais de vous une cible aussi. Iels affirment alors que la cible est un chauvin et que si vous la défendez vous en êtes un aussi, et les personnes qui viennent à votre défense aussi !

Dans les discussions courantes, le terme « Politique d’Identité » fait vaguement référence à sa formulation originale ; des groupes marginalisés s’organisant autour d’une identité partagée. Le terme est souvent mis en opposition avec l’idée marxiste réductionniste de classe selon laquelle le focus des luttes émancipatrices devrait être la lutte entre le prolétariat et la bourgeoisie et que toute autre question n’est qu’une distraction de la Vrai et Réelle Révolution.

Les politiques d’identité dans leur sens intersectionnel sont certainement nécessaires aux luttes émancipatrices, donc pour différencier ce sens-là de l’usage libéral-activiste qui est fait de l’identité dans certains groupes, qui émerge généralement sous la forme d’une déférence aux personnes marginalisées, le tout en alignement avec une inversion hiérarchique, le terme « politique de déférence » sera utilisé pour désigner l’usage libéral.

Les politiques de déférence sont uniquement susceptibles à l’imposture par affinité car elles placent l’identité au-dessus d’une analyse concrète de n’importe quelle situation donnée. Quelqu’un a raison à cause de son identité marginalisée, et pas à cause d’une expérience vécue qui a été analysée à travers une grille idéologique cohérente. La position ou les actions d’un.e politicien.ne de la déférence sont tenues comme incontestables pas juste par des personnes qui ont moins (ou des axes moins prononcés) de marginalisation, mais aussi par des personnes qui partagent leur marginalisation. Même lorsqu’un.e personne qui est critique de lea politicien.ne de déférence partage les mêmes identités qui sont importantes et pertinentes dans le débat en cours, la personne est taxée de défenseur de la blanchité ou d’autres formes de domination.

Cette définition des politiques de la déférence par les gens qui la pratique n’est pas non plus cohérente de manière interne. Il y a des femmes qui se battent contre l’avortement et l’autonomie corporelle, des commissaires de police noirs qui permettent et participent à de la violence contre d’autres personnes noires, des personnes gay qui soutiennent le fascisme fondamentaliste chrétien, et des personnes trans qui conchient ceux.lles qui transitionnent (ou ceux.lles qui ne le font pas d’une manière qui est jugée acceptable). Étant donné que de la déférence n’est pas étendue à ces personnes et qu’iels ne sont pas jugé.es comme ayant des idées ou idéologies intéressantes, il semble évident que l’éthique et l’idéologie d’une personne sont prises en compte lorsque l’on observe son identité. Là où tout ceci s’effondre c’est lorsque quelqu’un affirme faire partie de La Gauche. Une fois que c’est fait, l’identité peut prendre le pas sur l’idéologie, et une marge de manœuvre est offerte aux individus aux identités marginalisées qui véhiculent des idées néfastes ou agissent mal. A l’intérieur de La Gauche, on peut voir ça dans le fossé entre la Gauche autoritaire/étatiste et la Gauche libertaire. La Gauche étatiste affirme avoir le soutien presque total des personnes racisé.es qui vivent dans la périphérie à cause de leur alignement historique avec différentes branches du marxisme-léninisme. Les anarchistes pointeront du doigt qu’il y a des personnes racisé.es dans ces régions qui rejettent les États arborant de tels drapeaux rouges, pourtant ce genre de constat sera qualifié de raciste ou d’occidentalo-centré16 par des tankies occidentaux (souvent blanc.hes). Les politiques de la déférence fonctionnent au mieux comme un gourdin rhétorique qui est utilisé pour cimenter la position d’une personne comme correcte à l’intérieur de La Gauche.

Un acteur malveillant souhaitant exploiter les politiques de la déférence trouvera ou entretiendra un milieu où ses identités sont reconnues comme ayant un haut prestige. Vu que même des positions extrêmes peuvent avoir un prestige modéré à l’intérieur de La Gauche, et que contrer les acteurs qui tiennent ces positions n’est pas seulement une action de faible prestige mais également de haut risque, ces acteurs restent souvent incontestés. Ces positions sont encore plus amplifiées par la tendance qui consiste à penser qu’il faut adopter la position « de gauche » la plus extrême possible afin de contrer l’intensité du fascisme et du conservatisme de la société dominante. On trouve un résumé exemplaire de cette tendance dans la citation souvent répétée (et bien merdique) de d’Proudhon « je rêve une société où je serai guillotiné comme conservateur.» Cependant, le fais qu’une position soit extrême ne nous dit rien de si elle est vraiment utile à un projet de libération. Le lesbianisme politique fut un échec abject. Le discours anti-appropriation culturelle peut se transformer en discours pro-ségrégation culturelle. Il y a quelques courants séparatistes17 à l’intérieur de La Gauche qui ont différentes lignes identitaires et certains incluent même une opposition au métissage ethnique. Même si elles sont risibles et seulement tenues dans leur entièreté par quelques couillons, ces positions peuvent tout de même atteindre un plus grand prestige lorsqu’elles «partent d’une bonne intention » ou cherchent à aider les bonnes personnes.

L’habilité à exploiter les contre-préjudices se résume à quelles idées sont tenues en haut prestige à l’intérieur de La Gauche ou d’un certains milieu, quelle est la quantité de politique de déférence libérale présente dans ces groupes, et à quel point ces derniers font de l’inversion hiérarchique. Bien qu’il est vrai que beaucoup de ces normes doivent exister (sous certaines formes, avec des nuances) ou qu’au moins elles ont pour origine un soucis d’empathie et d’altruisme, même quand il est malhabile, ces normes peuvent procurer une couverture à des gens égocentriques ou des saboteurs. Cette longue caractérisation de l’imposture par affinité et des politiques de la déférence est nécessaire afin de pouvoir discuter de ce phénomène complexe, et surtout si nous voulons pouvoir le contrer sans perdre l’empathie et les contre-préjudices nécessaires, ceux-là même qui forment la base de nos mouvements.

<b>L’imposture par affinité en action</b>

Ces formes d’imposture par affinités, dérivées des politiques de la déférence, sont présentes dans nos communautés, et cette section présente des exemples concrets pour aider à voir qu’il ne s’agit pas d’un argument purement théorique.

<b>Harcèlement, Abus, et Pouvoir</b>

Les anarchistes diagnostiquent dans les méthodes d’organisation et de structuration de masse du statu quo et de la Gauche étatiste des dispositions à l’abus. Des hiérarchies rigides, une ligne de parti, et une préoccupation excessive pour la reproduction et protection d’une organisation en-elle-même créent des incitations qui attirent les personnes qui ont soif de pouvoir et récompensent le fait de ne pas adresser des abus de pouvoir. Dans la société dominante, il y a une marge de manœuvre restreinte d’accès au pouvoir pour les personnes marginalisées, bien qu’un petit nombre y arrive tout de même. Celles qui recherchent le pouvoir et le contrôle mais qui sont généralement maintenues hors des structures dominantes de pouvoir soit à cause de leurs identités soit par concours de circonstances peuvent trouver leur place à l’intérieur de La Gauche où iels peuvent être les plus gros poissons dans une petite mare, un tyran dans un petit fief.

Ce phénomène est ressentis le plus fortement en ligne où on trouve des masses de harceleur.euses tourmentant d’autres gauchistes. Les algorithmes des réseaux sociaux récompensent l’indignation, et nos cerveaux reçoivent des doses d’hormones de cerveau content lorsque l’on dit à un opposant d’aller se faire foutre ou quand on saute sur l’occasion de défendre un.e allié.e en difficulté. Les affirmations grandiloquentes et les « hot takes » sont récompensés d’une manière qui réduit les problèmes et questions complexes à des joutes verbales et des slogans stylés. Les gens novices aux scènes de Gauche se font les dents en essayant des nouvelles positions politiques. La connaissance profonde de sujets complexes dont on a besoin pour pouvoir se faire expert.e en mouvements historiques, pratiques modernes ou arguments théoriques nuancés crée nécessairement une barrière d’entrée autour de la conversation. Vomir rapidement une posture incendiaire saupoudrée d’un tout petit peu de pensée gauchiste peut aider quelqu’un à engranger un peu de notoriété, et utiliser des mauvaises interprétations de théories radicales existantes peut être utilisé pour attaquer les opposants. Tous les individus qui adoptent des positions de couillon ou lancent un débat ne cherchent pas explicitement le pouvoir, mais leurs arguments peuvent être orientés ou réquisitionnés par les gens qui cherchent le pouvoir. De la même manière, les comptes les plus grands et visibles18 n’ont pas nécessairement besoin d’un soutien étatique. Des comptes plus petits, et passablement plus crédibles, peuvent recycler des rumeurs ou être l’étincelle qui active un essaim d’autres comptes avec quelques posts soigneusement placés.19

L’indignation et les informations erronées se répandent plus rapidement que des longs traités remplis de mises en gardes ou de contre-arguments rédigés de manière précise. Utiliser du langage radical afin de dépeindre des ennemis politiques ou personnels comme « problématiques » peut rapidement générer un essaim qui s’acharnera sur la cible. Souvent ça arrive à travers l’utilisation de formulations vagues comme juste dire que quelqu’un est raciste ou sexiste, ou même lacher « wow c’est pas un peu problématique ça ? ». Personne ne veut défendre un.e raciste ni même questionner ce qu’est le racisme. En général on a aussi quelques captures d’écran présentées sans leur contexte d’origine ou alors n’importe quelle insulte qui émane de la cible comme réponse aux accusations est traitée comme étant la preuve que cette dernière est une harceleuse et qu’elle mérite ainsi toutes les rétributions imaginables.

Les bandes connectées20 qui harcèlent les gauchistes (depuis une posture qui se veut de gauche) ont souvent pour origine des comptes qui ont ou affirment être d’une identité marginalisée ou bien sont initiées par des comptes qui se présentent comme agissant au nom des personnes marginalisées. Les disputes dégénèrent rapidement de discussions sur des positions réelles à de l’insulte, du fed/badjacketting,21 ou simplement à traiter quelqu’un de « blanc » ou d’« occidental » peu importe leurs identités réelles. Ça fonctionnes sur le plan rhétorique parce que ça part du principe, tenus par l’harceleur.euse et ses sous-fifres, que toutes les objections à l’argument qu’exprime une personne marginalisée doivent forcément être causées par la suprématie blanche, le patriarcat ou quelque autre forme de domination.

Ceci n’est pas unique aux espaces en ligne et arrive de manière fréquente dans nos scènes locales et nos cercles sociaux. Les rumeurs peuvent circuler avec encore plus de déformations parce qu’il n’y a pas de tweets ou de posts dont on peut faire une capture d’écran ou reposter, et nos mémoires sont faillibles. Un aspect du badjacketting en ligne est souvent l’utilisation de victimes anonymes et complètement invérifiables (ie., fabriquées) dont l’identité ne peut être révélée pour cause de défendre les victimes.22 Ces accusations tiennent la route parce qu’il y a une très grande quantité de chauvinisme et de privilège à l’intérieur de nos communautés et scènes. C’est pas dur de croire qu’un homme a harcelé sexuellement plein de femmes ou qu’un groupe à majorité blanche a traité un.e membre noir.e de manière raciste.

Quand des fausses accusations arrivent, et que quelqu’un se défends ou essaye de les démentir, iel est accusé de renchérir ou de « gaslighter » comme si la moindre auto-défense était en elle-même une preuve de sa nature problématique. De plus en plus, des termes piochés dans des séances de thérapie ou de pop psychologie sont utilisés, et il y a une incitation à être incendiaire immédiatement afin de rapidement avoir la communauté du côté de l’acteur malveillant qui émet les fausses accusations. Bien sûr, quand des accusations (fausses ou non) arrivent dans une scène qui n’a pas de mesures de contre-préjudices en place, elles sont ignorées et l’accusé.e continue son petit train comme si rien ne s’était passé. De l’autre côté quand elles sont émises dans une scène qui tends du côté des politiques de la déférence ou qui utilise des hiérarchies inversées, elles sont pratiquement impossibles à contrer. « Bien sûr que l’Homme nie le fait qu’il est sexiste. », « Bien sûr que la personne Cis nie le fait qu’iel est transphobe. » Les rumeurs peuvent continuer pendant des années et ne jamais partir et parfois la victime doit se retirer de la vie militante publique et adopter un rôle de coulisse ou bien travailler uniquement avec des petits groupes de personnes qui savent que les accusations sont des fabrications.

La personne qui harcèle dans ces cas-là peut amasser un certain capital social peu importe la réponse de la victime. Si cette dernière se retire, c’est vu comme une victoire pour les marginalisé.es face à un autre cas de suprématie blanche. Si elle combat les accusations, le tout se condense alors en disputes sans fin qui peuvent attirer des personnes bien intentionnées du côté de l’harceleur.euse. Si elle ignore le tout et va travailler avec un autre groupe ou bloque les personnes qui la harcèlent sur les réseaux sociaux, l’harceleur.euse peut ressortir éternellement cette action en la traitant comme preuve d’une « fuite de ses responsabilités ». Répéter ceci suffisamment souvent peut attirer une masse critique d’individus derrière la personne responsable du harcèlement à tel point qu’iel est intouchable et peut continuer ses attaques indéfiniment.

Ce qui commence par un.e personne malveillante attaquant une cible peut vite dégénérer et entraîner des scènes entières dans son orbite. Des ruptures émergent sur la base de ces accusations23 et des organisations refusent de travailler les unes avec les autres sur la base de rumeurs. Souvent les spectateurs refusent de commenter pour éviter de se retrouver impliqués, mais leur silence peut alors être dénoncé et des organisations demanderont à d’autres organisations de faire des déclarations formelles. Éviter et ignorer ces campagnes est souvent impossible.

Les trolls du type 4chan savent que cette tactique fonctionne, et ce que l’on peut tirer de documents gouvernementaux nous dit que l’État aussi et qu’il les pratiquent. Des comptes tout neufs émergent et passent leur temps à accuser des activistes avec des identités dominantes d’être raciste ou sexiste, et des personnes y participent. Des individus et organisations avec 0 connexion au militantisme de terrain font de la controverse afin de se rendre intéressants et pertinents. Hors-ligne, ceci arrive aussi avec des petites organisations récemment fondées qui n’ont pas d’activités réelles et essayent d’acquérir de la notoriété en s’attaquant à d’autres organisations.

Pareillement, cette tactique utilisée par des harceleur.euses qui cherchent le pouvoir est aussi utilisée par des personnes abusives afin d’empêcher leurs victimes d’appliquer des processus de responsabilisation ou de justice transformatrice. Les personnes abusives qui sont, en moyenne, plus marginalisés sur un ou plusieurs axes identitaires peuvent être très difficiles à dégager d’une scène. Parfois iels n’ont même pas besoin d’utiliser intentionnellement leur identité contre leur victime pour que la communauté locale le fasse pour iels. Une personne abusive qui crie, insulte ou humilie quelqu’un en public peut se voir défendu.es de toute critique par une réponse à la victime qui lui intime que ce n’est pas bien de policer le langage. Un comportement toxique peut être excusé en disant que c’est une réponse au trauma, à des problèmes mentaux ou qu’il vient du fait d’être neurodivergent.e. Dans les cas les plus grotesques, l’abus est défendus comme une réponse justifiée de la part d’un individu marginalisé envers un membre d’un groupe dominant à cause du caractère légitime de la violence rétributive des opprimés contre les gens qui sont perçus comme des oppresseurs.

Ce type de harcèlement est difficile à opposer parce que personne ne veut être perçu comme la personne qui dit à quelqu’un de marginalisé que le harcèlement qu’iel a reçus à cause de sa marginalisation n’est pas réel. Les personnes extérieures à la situation ne peuvent pas distinguer clairement ce qui est réellement arrivée parce que ces rixes ressemblent à de réelles instances d’abus et de déni. Le résultat final est la disruption. Tout ça fais perdre du temps, assassine des réputations, cause des fractures et nous démoralise tout en dépeignant la scène comme bien plus problématique qu’elle ne l’est vraiment. Toutes les personnes qui font ça ne sont pas des flics, mais c’est indiscernable d’un comportement de flic.

<b>Escroquer des dons</b>

L’Entraide est vieille comme l’humanité, et une des formes qu’elle prends à l’ère moderne c’est les campagnes de dons en ligne sur des sites de levée de fonds comme GoFundMe ou sur les réseaux sociaux ou à travers des applications comme CashApp ou Venmo. Bien que celles-ci apparaissent occasionnellement en Europe, elles semblent être principalement utilisées aux USA24 et leur contexte d’une « sécurité sociale » étatique à peine existante. GoFundMe déclara en 2019 puis à nouveau en 2021 qu’un tiers des donations qui passaient par leurs services allaient à des campagnes pour couvrir des frais médicaux. Lorsque le réseau personnel d’une personne ne peut pas aider à couvrir ses dépenses ou à assouvir ses besoins, l’Internet procure une allonge bien plus étendue et la possibilité d’obtenir le soutien nécessaire.

De manière anecdotique et en extrapolant d’autres aspects de la société,25 il semblerait que les personnes déjà privilégiées ont un avantage sur les plus marginalisé.es en termes des fonds qu’iels peuvent recevoir de ce genre de campagnes. L’exemple le plus obscène de cela étant les célébrités qui peuvent facilement extraire des sommes à 6 chiffres de leurs fans pour couvrir des dépenses qu’iels peuvent déjà se permettre. Plus généralement, les campagnes pour aider les personnes blanches, conventionnellement attirant.es (selon les standards de beauté blancs/occidentaux), et jeunes tendent à atteindre leurs buts de levée de fonds plus rapidement et plus souvent. Mais je ne me focalise pas sur iels ici, c’est un autre problème.

Les campagnes de dons sont en concurrence les unes avec les autres dans une économie de l’attention où il y a des limites à la portée d’un post, aux fonds disponibles, et à l’investissement émotionnel d’un donneur qui doit choisir entre différentes campagnes. Certains individus dans le besoin comprennent que des fonds limités sont alloués entre toutes les personnes dans le besoin et en conséquence peuvent parfois ne demander que le strict minimum pour couvrir des dépenses essentielles à leur survie. D’autres ne font pas forcément preuve d’autant de scrupules. Iels sont incité.es à présenter leur situation comme extrêmement grave et à mettre en avant autant d’identités marginalisé.es que possible. Parmi les individus qui penchent à gauche, ces identités sont comprises comme preuves de désavantages sociaux, car statistiquement elles tendent à corréler avec ces derniers.

De plus, à cause de la concurrence, presque toutes les personnes qui commencent ces campagnes sont incitées à leur donner une portée globale. Des gens qui peuvent n’avoir besoin que de quelques centaines d’euros pour leur loyer et qui pourraient les collecter auprès de camarades dans leur scène locale se retrouvent en concurrence avec des campagnes du monde entier. Et ainsi, iels sont forcés de présenter leur campagne à l’extérieur de leur cercle social immédiat. Le résultat étant qu’un utilisateur quelconque qui fais défiler les posts et messages voit beaucoup, beaucoup de campagnes où il est difficile d’établir une chaîne de relations (ie., de la confiance).

Dans la masse de comptes avec de réels besoins, il y a des faux comptes prétendants être des individus marginalisés (ou qui exagèrent leurs propres besoins) et qui visent les gauchistes à travers une forme d’imposture par affinité. Iels s’appuient sur notre désir d’aider les plus marginalisé.es et tiraillent notre empathie ou notre sentiment de culpabilité. Des caractéristiques partagées par ces comptes et campagnes sont :

— Affirmer avoir au moins une, généralement plusieurs, identités marginalisées.

— Peu de followers, et beaucoup de ces derniers semblent être des comptes similaires.

— Un feed qui consiste presque entièrement de posts à propos de leurs propres appels à dons ou similaires.

— Des posts qui sont surtout ou même exclusivement des demandes d’argent ou bien des retweets/boosts de demandes d’argent de la part d’autres comptes.

— Des demandes très spécifiques avec une échéance très courte (par exemple : « j’ai besoin de 47 euros pour mon taxi pour rentrer à la maison pour que je ne sois pas vulnérable et seul.e à 1h du matin »)

— Beaucoup de hashtags associés à La Gauche, même s’ils sont aussi souvent libéraux et modérés.

N’importe quel filtre qu’une personne émets pour distinguer entre les personnes de confiance et les personnes qui ne le sont pas—dans n’importe quel contexte—va inévitablement mal catégoriser certaines personnes. Un filtre strict aura beaucoup de faux positifs, un filtre très permissif aura beaucoup de faux négatifs. Les caractéristiques listées au-dessus ne sont pas suffisantes seules, et même en se concertant avec d’autres personnes avant de faire un don ou de booster un message, il y aura des erreurs, ce que je veux dire c’est qu’il n’y a pas de règle unique stricte et que je n’essayes pas d’en proposer une ici.

Ces campagnes ne sont généralement pas remises en question à cause des normes sur lesquelles La Gauche se base pour défaire les normes du monde capitaliste et raciste dans lequel nous vivons. Comme les programmes d’État Providence établissent des critères d’éligibilité26 aux aides afin de générer des entraves et de foutre la honte aux pauvres, les gauchistes qui essayent de déterminer si quelque chose est une arnaque sont accusés de recréer le même genre de pression dans ce marché du don. La moindre suggestion qu’un.e organisateur.ice de campagne puisses ne pas être réel.le ou qu’iel pourrait ne pas faire partie des communautés/identités qu’iel revendique est rejetée en bloc. De plus, personne ne veut être pris à accuser faussement—même sans le vouloir—une personne marginalisée de mentir à propos de sa propre identité puis se voir rappeler cette action constamment pour le restant de ses jours en ligne. Il y a une forte pression à ne rien dire et à simplement ignorer ces campagnes même lorsqu’elles sont identifiées.

Parce qu’il est facile de dénoncer des activistes dominants en ligne dans certains cercles de La Gauche, une tactique qui est souvent utilisée par l’escroc en même temps que les demandes de dons est l’accusation de sexisme ou de racisme. Iel peut envoyer un message privé avec son lien de campagne inclus une ou plusieurs fois, ou répondre à des posts sans rapport sur le feed de quelqu’un. Si ces liens de campagnes ne sont pas boostés ou qu’il n’y a pas de réponse aux messages, l’imposteur.ice peut prendre des captures d’écran des posts ou messages privés et déclarer que la raison pour laquelle la personne n’y a pas répondus est parce qu’iel est raciste. Faire cela permet à ces comptes louches de blanchir leur campagne à travers des comptes plus fiables, ce qui est tout simplement de la fraude par affinité.

Tout ça ne veut pas dire que tout ou même une majorité des campagnes sont des impostures, mais une portion d’entre elles le sont. Si vous pensez que toutes celles que vous avez vu passer sont honnêtes alors vous êtes sans doute le profil-cible visé par les impostures. Comme tout processus de modélisation de menace, on peut reconnaître un risque et agir en l’acceptant, ainsi si vous choisissez de ne pas filtrer les campagnes auxquelles vous répondez parce que vous ne voulez pas exclure quelqu’un qui pourrait avoir besoin d’aide, vous faites preuve d’une attitude tout à fait raisonnable, mais ça ne revient pas à affirmer que ces impostures ne se produisent pas à l’heure actuelle.

De plus, lorsqu’il n’y a pas assez de quelque chose pour que tous le monde reçoive sa part, il est peut-être prudent pour nous de bien discerner comment nous départageons nos ressources limitées. Ce genre d’échange monétaire est à somme-nulle. On a forcément un budget qu’on alloue entre différents programmes et individus dans le besoin, tout le fric qui est récupéré par un.e imposteur.euse est de l’argent qui ne va pas à aller quelqu’un qui en a désespéramment besoin.

<b>Infiltration</b>

En tant que membre d’un endogroupe,27 on développe un certains sens de qui est membre et qui ne l’est pas. Celui-ci n’est pas totalement précis, mais ces intuitions peuvent être des bons points de départ à comment vérifier si quelqu’un est légitime. C’est quelque chose qui s’appuie sur le fait d’observer la personne dans sa totalité. Des nouveaux.lles arrivant.es peuvent activer ce sens parce que l’endogroupe est un contexte social qui ne leur est pas familier et les normes et maniérismes de celui-ci paraîtront inhabituels à une personne extérieure. Les endogroupes développent un sens esthétique qui peut être copié mais pas parfaitement, sauf si quelqu’un comprends vraiment ses nuances. Les manières de parler et la connaissance d’un sujet particulier peuvent signaler que quelqu’un ne fais pas partie de l’endogroupe parce que quelque chose qu’iel a dit est superficiellement similaire mais un manque de nuance trahit directement le fait que la personne qui parles n’a pas le même background que les personnes de l’endogroupe.

L’identité est un des marqueurs d’un endogroupe, et ceci est également vrai pour La Gauche. Il y a des endogroupes queers, des endogroupes trans et plus particulièrement des endogroupes transmasc. Des endogroupes peuvent se former autour de la catégorie raciale, du statut de migrant, de la religion ou de formes variées de marginalisation. Certaines appartenances peuvent être faussées, surtout le background de classe. D’autres comme la catégorie raciale sont beaucoup plus dures à simuler. La Gauche exagère la corrélation entre les identités marginalisées et les positions politiques radicales et a tendance à traiter les personnes aux identités marginalisées comme intrinsèquement radicales.

Nous avons également tendance à avoir un ensemble d’adversaires-archétypes. On les imagine comme l’incarnation de la suprématie blanche ou de la classe régnante corporatiste. Peut-être qu’iels sont des gens d’écoles privées ou bien iels ont un certains accent, des dents « parfaites » et des mains qui n’ont jamais connues le travail manuel. Grosso modo on imagine un flic d’âge moyen ou un jeune friqué qui se déguise en punk. Ce qui n’est pas totalement faux vu que la majorité des flics infiltrés au royaume-unis étaient des hommes blancs et dans les chiffres, le groupe minorisé le plus large chez les infiltrés étaient les femmes blanches. Les groupes qui s’organisaient sur des bases identitaires comme la race tendaient à être plus futés et à ne pas partir du principe que des taupes ressembleraient à des flics « typiques ». Cela dit, il y a aujourd’hui assez de diversité à l’intérieur des structures des forces de l’ordre et des agences de renseignement pour qu’elles envoient des agents dont les identités apparentes seront jugées fiables, et le filtre qui se résume à « se méfier des hommes blancs » est totalement insuffisant, surtout quand on sait que 99 % des activistes hommes blancs que l’on rencontre ne sont pas des flics.

Une affaire aux USA au début de 2022 illustre bien ce point.28 La description d’une « policière aux cheveux roses appelée April Rogers » (alias « Chelsie Kurti ») m’a frappée comme exactement le type d’identité-comme-camouflage qui est difficile à relever et gérer :

Elle prétendait depuis quelques temps être une travailleuse du sexe afin de justifier pourquoi elle ne pouvait pas dire grand-chose sur ce qu’elle faisait, qu’elle avait des raisons d’avoir peur de la police et ne voulait pas qu’on lui pose trop de questions. Elle utilisait cette tactique pour donner l’impression qu’elle était une personne dont la privauté demandait une protection particulière, que l’on devait la voir, par défaut, comme quelqu’un qui avait trop de raisons de dire qu’elle avait peur de la police pour qu’on doute de sa crédibilité.

Je n’ai pas de contacts avec les camarades qui ont gérés ça et je ne suis pas en train de dire qu’iels n’ont pas bien compris ou gérer la situation ou qu’iels sont en tort pour leurs actions. Je mentionne cette affaire ici uniquement parce que c’est un cas exemplaire de comment des flics peuvent utiliser l’identité dans le cadre d’une infiltration.

Une tactique récurrente des infiltrés est de s’attirer les faveurs de leurs cibles. Ça peut se manifester comme le fait de toujours aider ou tout simplement d’offrir de l’argent et des objets. Notamment, l’infiltration de Mark Kennedy dans les groupes activistes écolos avait été facilitée par le fait qu’il avait un van et qu’il filait librement de l’argent à des activistes dans le besoin.

Certaines scènes locales dans le cœur impérial sont blanches à un degré disproportionné (et les hommes sont surreprésentés) dans des régions qui ont déjà une majorité blanche. En général—mais surtout dans ces scènes—il y a une certaine légitimité acquise par un collectif ou une bande lorsque celle-ci peut montrer avoir des membres qui ne sont pas juste des hommes (ou femmes) blanc.hes. C’est haut prestige d’être militant.e antifasciste non-blanc, non-homme-cis, et c’est haut prestige que de pouvoir se vanter de faire partie d’une équipe diverse.29 C’est un signal que celle-ci est suffisamment anti-raciste ou anti-sexiste, et ça peut lui permettre d’être plus « d’actualité » en ayant un membre qui détiens une quelconque identité ou a un background différent et qui peut s’exprimer sur certains sujets par expérience plutôt que par connaissance d’abstractions académiques. Ceci est très visible quand ces groupes vont à la pêche à la diversité quand iels organisent des événements et ont besoin de porte-paroles qui ne sont pas que des blanc.hes.30

Les groupes qui sont composés majoritairement d’individus qui détiennent des identités dominantes qui recrutent activement des personnes marginalisé.es—soit par désir honnête de diversité dans leurs rangs ou bien par cynisme et désir de légitimité- tendent à relaxer leurs standards d’admission pour les individus marginalisé.es par rapport aux individus aux identités dominantes. Cette relaxe se présente généralement comme des critères réduits de similarité idéologique et du niveau d’expérience requis. Cette relaxe est en conflit avec une part importante de la culture de la sécurité : être sensible aux personnes qui ne sont pas rompues à la culture militante. La police a documentée ses problèmes avec ce genre d’obstacles dans un papier de 2004 sur l’infiltration des mouvements anarchistes31  :

Peu d’agences sont capables d’investir dans des opérations qui requièrent des années de travail préalable afin de pouvoir rentrer dans une « cellule », surtout au vu des budgets en diminution et d’une demande en hausse d’attention pour d’autres sujets. L’infiltration est rendue plus difficile par la nature communautaire du style de vie (sous constante observation et examen) et la connaissance étendue tenue par beaucoup d’anarchistes, qui demande une très grande quantité de temps et d’étude afin de l’intégrer.

Cette observation vient d’une ère pré-réseaux sociaux quand les anarchistes ne faisaient pas tant de militantisme en ligne et n’avaient pas autant de conversations à travers des médias facilement enregistrable, donc il y a peu de chances que ce soit aussi vrai maintenant que ça l’était à l’époque. Malgré tout, on sait qu’une des manières de nous protéger est d’avoir des standards élevés pour le genre de personnes avec qui on milite parce que ça élève la barre d’efforts minimum à procurer afin de réussir à infiltrer nos actions. Je n’ai pas de preuve que les groupes qui vont à la pêche à la diversité ont été infiltrés à cause de ça, mais baisser sa garde pour laisser passer des individus qui ont des identités préférées ou à qui on fait implicitement confiance—ceux.lles qui peuvent procurer à cette équipe ce dont « elle a besoin »—c’est exposer le groupe à la fraude par affinité.

<b>Faux Ami.es</b>

Le caractère vague de La Gauche rends difficile à déterminer autant les ennemis nominaux que les alliés. Généralement les ennemis tendent à être le royaume-unis, les états-unis, et les autres États impérialistes européens ; les milliardaires, les patrons, et les propriétaires terriens ; et les flics. Ceci est seulement vrai de manière générale, parce qu’en fonction d’à qui on demande, certains « Flics du peuple » ou « milliardaires du peuple » sont plutôt sympa en vrai. L’impérialisme est souvent réduit aux nations anglophones et à l’Europe de l’Ouest. Les alliés tendent à être les groupes marginalisés (naturellement), les états historiquement impactés par ou opposés à l’impérialisme américain, et les états ou théoriciens qui à un moment de leur vie ont brandi des bannières et des drapeaux rouges. La Gauche tend à être bloquée dans une vision simpliste du monde qui se superpose plus ou moins aux lignes tracées entre Est et Ouest durant la Guerre Froide.

Pour beaucoup de gauchistes dans l’anglophonie, leur vision du monde se retrouve réduite à « USA/UK = méchants, leurs ennemis = gentils ». Ceci ne prends pas en compte la myriade de points de vues tenus par les personnes vivants sous ces États, et fais l’erreur d’embrasser la perspective nationaliste de l’unité d’un peuple et de son État. Ça ignore le fait que depuis les révolutions russes et chinoises et la chute de leurs soi-disant communismes, les États, les cultures à l’intérieur de leurs frontières et les partis politiques ont tous dramatiquement changés. Des acteurs étatiques ou adjacents aux États capitalisent sur tout ça et utilisent soit l’esthétique du communisme soviétique soit l’opposition irréfléchie à l’Ouest pour protéger leurs intérêts de la menace d’une analyse et action radicale à leur encontre. On voit cela lorsqu’il y a des applaudissements en faveurs de représentants des gouvernements russes ou chinois ou organes de presse. Des médias « alternatifs » ou « indépendants » comme Redfish ou TheGrayzone ne font que véhiculer de la propagande alt-impérialiste qui s’appuie sur le désir d’avoir une Gauche unifiée et forte afin de générer un soutien à l’idée Douguiniste d’un monde multipolaire.

Cet alignement, basé sur une esthétique, avec des alliés normatifs qui devraient être considérés comme des ennemis n’est pas limité aux parts de La Gauche où vivent les communistes avec un grand C. Les anarchistes sont actuellement en train de courtiser l’anarcho-primitivisme et l’anarchisme anti-civilisation, et quoique ces tendances de l’anarchisme ne sont pas nécessairement problématiques en elles-même,32 elles virent de temps à autre dans toutes sortes d’éco-extrêmisme qui est incompatible avec l’anarchisme ou même le gauchisme. Ceci se manifeste par des défenses de figures telles que Ted Kaczynski (qui bomba des gens innocents) et ITS (qui ont revendiqués des féminicides qu’ils n’ont même pas commis). Les miettes de valeur que leur critique de la « modernité » pourrait détenir sont totalement perdues dans leur mépris de la vie et de l’autonomie, et le verni d’anarchisme appliqué sur leurs textes pourrait finir par légitimer des idées dangereuses.

La fraude par affinité la plus flagrante en train d’arriver à l’intérieur de l’anarchisme, cependant, semble être à la limite de la pensée anarchiste insurrectionniste/nihiliste (et souvent anti-civilisation et égoïste) et dans les parts du mouvement Boogaloo33 aux USA34 qui sont les plus proches de l’anarchisme. Beaucoup d’entre eux ont adoptés une esthétique qui se veut anarchiste et qui est similaire à celle des insurrectos, y compris le A cerclé, l’étoile du chaos et l’esthétique glitchwave de leurs memes. Iels se font appeler anarchistes et citent des anarchistes célèbres tout en revendiquant une praxis et des buts qui sont explicitement en désaccord avec l’anarchisme. L’affinité que beaucoup d’anarchistes semblent ressentir avec eux.lles vient du côté edgy, de vouloir tirer sur le gouvernement, et le fait que les boog ne sont pas (toujours explicitement) des nazis. C’est pas clair à quel point le noyau du mouvement boog qui s’habille en anars pense vraiment être anarchiste, mais on sait que le national-anarchisme a essayé de faire de l’entrisme fasciste dans les espaces anarchistes, et on sait que les néo-nazis se déguisent en libertariens de droite afin de coopter et recruter dans ces espaces-là. Il nous faut croire qu’au moins une portion des boogs qui se présentent sous un jour anarchiste essayent de mettre en œuvre une imposture idéologique.

L’idée même de La Gauche Unie est une imposture affinitaire. Le terme est principalement déployé par les parts étatistes de La Gauche afin de gagner un peu d’obéissance de la part des gauchistes libertaires. Il affirme qu’il y a une identité partagée entre des parts incompatibles de La Gauche, et demande d’acquiescer devant les formes organisationnelles centrées autour du parti en échange d’un vague sens de camaraderie qui ôte ses griffes aux parts les plus radicales du tout. Les parts anarchistes de La Gauche sont efficaces à ce qu’elles font précisément parce qu’elles n’adhèrent pas à un code de conduite qui essaye de minimiser tout conflits entre compagnons voyageurs sur la route du socialisme. Une phrase (un peu réductrice mais bon) qui est restée coincée dans ma tête sur la question est :

L’ennemi de mon ennemi est l’ennemi de mon ennemi. Ni plus. Ni moins.

C’est pas parce que quelqu’un vous ressemble et parle comme vous, c’est pas parce qu’une organisation dit que vos buts sont les siens, qu’il faut se plier à eux et abandonner vos principes en faveur d’une grand coalition révolutionnaire imaginée. Ça veut pas dire qu’il faut tolérer les aspects de comment iels s’organisent ou leurs convictions qui contredisent les vôtres. On ne devrait pas rester confiner à un chemin idéologique étroit. Et s’exposer à de nouvelles idées, même lorsqu’on ne les adopte pas, peut nous aider à grandir éthiquement et politiquement. Ça peut être instructif même si on apprends que par contre-exemple, mais il faut se méfier de l’influence de ceux.lles avec qui on partage juste une esthétique et qui pourraient tenter de faire dérailler nos projets.

<b>Escrocs et opportunistes</b>

L’escroquerie35 c’est quand quelqu’un utilises sa réputation, vraie ou fabriquée, à l’intérieur de La Gauche afin d’avoir un profit. De la même manière que les opportunistes qui se collent à un mouvement pour accéder au pouvoir même si iels ne sont pas soutenus dans cette action par les membres du mouvement. Ceci peut arriver de plusieurs manières, y compris faire une levée de fonds pour soi-même, créer une page Patreon pour devenir un.e activiste « rémunéré.e » puis empiler les briques de billets, s’auto-adouber à une position de leadership, poursuivre la gloire et la notoriété, ou s’élever à une position d’intermédiaire entre le mouvement et l’état.

Les escrocs et opportunistes n’ont pas besoin de manier l’identité au même niveau que les autres formes de fraude affinitaire à l’intérieur de La Gauche, et au plus haut niveau iels tendent à être des blanc.hes et/ou des hommes. La principale identité dont iels se revendiquent est généralement juste « de gauche », de l’anti-capitalisme ou d’un socialisme vague.

Une critique récurrente que les anarchistes ont à propos des syndicats est qu’ils utilisent la base, les membres des échelons les plus bas, pour élever les représentants syndicaux au même niveau que les patrons au lieu de détruire les hiérarchies qui ont menées à l’émergence du patronat pour commencer. Pareillement, les escrocs et opportunistes suggèrent souvent que leur statut et réputation sont nécessaires pour La Gauche. Iels donnent une voix aux personnes qui n’en ont pas (même si ces personnes sont très bien capables de parler), iels négocient en notre nom (sans nous demander notre avis), et iels orientent les discours et récits de manière disproportionné à travers les réseaux sociaux et les médias (comme si on ne pouvait pas gérer ces conversations nous-mêmes).

Un exemple est le prestige caché qui vient du fait de dire que l’on est un « chercheur antifasciste »—sinon ces gens ne seraient pas capables de s’élever à des hauteurs imméritées. De la même manière, à l’intérieur des milieux radicaux et académiques, il y a un certains prestige à détenir une identité marginalisée. Sinon on ne verrait pas autant d’affaires de blackface comme le cas de CV Vitolo-Haddad. Des influenceurs populaires, des « militants », des podcasteurs, et autres vont souvent affirmer être anarchistes ou anti-autoritaires, et tout ceci suffit à balayer les critiques sur le fait qu’iels agissent contre leurs principes établis. Pendant que des gens sont affamés ou doivent rationner leurs médocs, pendant qu’iels sont sans abris ou souffrent de dysmorphie, ces escrocs réclament des dons à travers leurs associations à but non-lucratif. Iels brassent du fric grâce aux souscriptions Patreon et aux campagnes temporaires. Iels s’achètent des maisons luxueuses avec l’argent de pauvres queers et antifascistes bien intentionné.es.

Au-delà de leurs actions qui, en surface sont contre-productive pour développer des communautés radicales de principe, l’existence de figures de leadership est en elle-même une menace à nos mouvements. Toute l’histoire de La Gauche est remplie d’appareils étatiques de sécurité visant les élites de mouvements comme moyen de disruption. L’élite a un intérêt direct à protéger sa position, ce qui veut souvent dire projeter petit à petit une posture politique de plus en plus modérée au fur et à mesure que le temps passe, mais aussi se plier aux demandes de négociation de l’État. Si iel échoue à négocier, iel est mis.e de côté et la prochaine personne est désignée comme nouveau.lle négociateur.ice en chef et peut ainsi tirer des bénéfices de cette position.

Les efforts contre-insurrectionnels des appareils étatiques de sécurité prennent en compte le jeu que les escrocs et opportunistes jouent et comment le capital social et l’argent sont les éléments moteurs de ces derniers. Des influenceurs sont utilisés pour faire passer des idées centristes dans des mouvements radicaux. Parfois iels sont même payé.es directement pour ça ! Des célébrités et influenceurs d’internet avec des identités marginalisées sont ciblés par des efforts de récupération où iels sont encouragés à parler en faveur du statu quo. Que ce soit pour briser des grèves ou pour appeler à des réponses « modérées » aux crises sociales.

Contrer ces efforts contre-insurrectionnels est un challenge à cause de la masse de libéraux bien intentionnés mais confus qui agissent comme fantassins du conservatisme et attaquent quiconque s’oppose à ces escrocs. L’identité de l’escroc, même lorsqu’iel agit directement à l’encontre du mouvement qu’iel affirme représenter, est suffisante pour lea protéger de toutes les critiques, et les personnes qui critiquent l’escroc sont désignées comme racistes ou sexistes.

<b>Janvier 2023</b>

J’ai commencé à écrire ce zine en juin 2022 mais l’ai laissé de côté parce que j’avais finis par attraper le covid. Ce qui m’a poussé à m’y remettre et le publier c’est le fait de voir les parties les plus libérales du fédiverse36 perdre la boule lorsque les gens pointaient du doigt que le hashtag #fediblock, même s’il était bien intentionné (et inventé par des personnes marginalisées !), était souvent utilisé pour harceler des personnes marginalisées en répandant des accusations vagues et des demi-vérités. Tout ceci s’est produit juste après que la violeuse et indic Laurelei Bailey ait été démasquée comme modératrice d’une instance Mastodon37 le tout après qu’elle ait utilisée sa position en tant que femme trans pour défendre le droit à abuser et attaquer d’autres femmes trans.

Pour mettre un autre cas dans la pile, entre le moment où j’ai soumis ce zine et qu’il a été relu, deux figures populaires dans les sphères anarchistes (anglophones) en ligne ont été outés comme abuseurs sexuels et imposteurs affinitaires : « Dennis The Peasant » (des USA) suivis d’Anarqxista Goldman (du royaume unis). Ce serait négligent de ma part de ne pas en parler.

Dennis a rapidement gagné en popularité en ligne en postant des opinions et memes anarchistes faciles, en jouant la provoc, et en suggérant un investissement personnel dans les insurrections Georges Floyd et dans la scène anarchiste de Portland beaucoup plus important que dans la réalité. Il cousait des patchs sur sa veste, écoutait du Pat the Bunny et chantait les louanges de Tiqqun et Foucault. Il a été outé et a ensuite admis avoir violé une personne et commis d’autres formes d’abus sexuels. Une fois doxxé, on a appris que c’était juste un gars friqué de l’argent de papa et maman qui étudiait en école privée et avait peur de mettre les pieds dans les infoshops.

Anarqxista a eue une ascension similaire en ligne grâce à sa production prolifique (en quantité seulement) de bouquins, son attitude d’anarcha-féministe combative, et aussi il ne faut pas l’oublier parce qu’elle était une femme qui se présentait sous un jour hyper-sexuel, était conventionnellement attirante et une travailleuse du sexe (TDS). Elle postait aussi des memes et opinions anarchistes qui demandaient peu d’efforts. Quand ses positions pro-pédophilie n’étaient pas suffisantes pour la faire virer des espaces de gauche, elle est morte, héroïne parfaite, en défendant une victime d’une situation d’abus domestique. Sauf qu’elle n’a jamais existé parce qu’Anarqxista était la création d’Andrew Peter Lloyd, un gars cinquantenaire qui utilisait son personnage (et au moins un autre personnage préexistant) afin de soutirer des services sexuels auprès de TDS et des photos nues de personnes, en lignes.

Ces deux individus ont explicitement utilisés l’anarchisme comme couverture pour gagner accès aux corps de femmes. Les deux utilisaient des valeurs et identités à haut-prestige afin de s’élever. Les deux s’appuyaient sur le fait que les gens avaient confiance dans leurs positions politiques et identitaires avouées pour tirer profit d’eux.lles. Mais, plus important, les deux présentaient des signes avant-coureurs venant de leurs postures politiques incomplètes, merdiques ou incohérentes qui ont alertées des membres plus expérimenté.es de la communauté, et ces signes furent ignorés ou rejetés par d’autres. Beaucoup des personnes qui furent abusé.es le furent après que Dennis ou Anarqxista aient dit des choses problématiques. En ligne et hors-ligne, ces choses n’arrivent pas de nulle part. Il y a des signes.

Dennis et Anarqxista recyclaient tous deux des memes et postures génériques afin de gagner en légitimité. De là on peut supposer que la barrière du savoir qui ralentirait l’infiltration, que nous avons mentionné auparavant (le fait que les flics pensent que nous autres anars on lit trop pour être infiltré.es), n’est plus d’actualité en ce qui concerne l’ascension dans les espaces en ligne. Mais ce n’est pas « juste un problème de trucs en ligne» non plus étant donné que Dennis et Anarqxista ont réussis à utiliser leur légitimité en ligne pour s’introduire dans des espaces physiques. Si trop de lecture est une barrière d’accès pour les flics, mémoriser quelques répliques au lieu d’avoir une analyse politique réelle sera un raccourci qui leur servira peut-être.

Bien qu’il n’y ait pas un gouffre fort entre les espaces en ligne et hors ligne, il y a quelque chose à dire sur comment les personnes nouvelles à la lutte politique radicale interagissent avec les espaces en ligne. Tous le monde ne peut pas faire du travail de terrain à cause de trucs comme l’isolation géographique, ou les problèmes de santé physique et mentale. Des formes organisationnelles et des travaux intellectuels anarchistes légitimes peuvent venir d’espaces en ligne mais ceux-ci présentent des barrières d’entrée assez basses. Pourtant ces espaces sont traités par leurs utilisateur.ices comme interchangeables avec des infoshops ou des squats. Dans les espaces physiques, les affirmations sont plus faciles à vérifier. Si quelqu’un affirme avoir été dans cet espace depuis très longtemps ou même avoir été à un événement spécifique, ça peut être facilement vérifié. Dans le monde physique, les gens acquiers une réputation qui les suit et c’est pas facile de s’en débarrasser en créant un nouveau compte. Ces espaces peuvent aussi tenir les nouveaux.lles à des standards pour leurs comportements et convictions mais avec les espaces en ligne, les gens peuvent juste se balader à droite à gauche et trouver des communautés qui n’ont aucun attachement à de la théorie ou de la praxis anarchiste réelle et aucun.e ainé.es pour aider à guider les nouveaux.lles. Des comportements et opinions tellement inacceptables qu’ils susciteraient un poing dans la gueule dans les espaces hors-ligne ne vont souvent pas générer la moindre conséquence dans les espaces en ligne. Même en regardant seulement les sous-cultures anarchistes en et hors ligne, cette esquive involontaire des comportements de merde fait pencher la fenêtre d’Overton et donne l’impression que des sujets inacceptables sont OK. Des choses qui feraient que Lloyd se ferait dégager d’une réunion et défoncer la gueule sont des choses qu’Anarqxista peut se permettre de dire en ligne sans aucune conséquence.

Plus que la traçabilité des affirmations ou le besoin d’avoir des conséquences à certaines actions, il y a le fait que la communication asynchrone à faible bande-passante des proses, émojis et aussi parfois quelques GIFs rends plus difficile de vraiment déterminer le caractère de quelqu’un, même si ceci est contrebalancé par les gens qui expriment tout haut leurs opinions merdiques. En personne, quelqu’un n’aura pas plusieurs minutes ou même des heures pour construire une réponse si iel a l’impression qu’on sait qu’iel ment. La nature rapide d’une conversation signifie que dans les 10 minutes d’une discussion continue en ligne vs hors ligne, beaucoup plus d’information serait transmis par les mots seuls. Et ça c’est sans parler des autres indications vocales comme l’intonation, l’accent ou des signaux visuels comme la gesticulation, la posture ou la tenue d’une personne. Le fait de parler à quelqu’un en personne donne beaucoup plus de chances de remarquer des traits occultés. Peut-être que quelque chose ne va pas, et souvent ce n’est rien, peut-être que la personne est neurodivergente ou juste pas familière avec les coutumes de l’espace. Mais peut-être qu’une étrangeté mérite qu’on s’y penche un peu plus, et parfois ça suffit à tout dérouler.

La faible barrière d’entrée et le contact minimal que nous échangeons à travers des posts et des webchats comparés aux espaces physiques partagés rends plus facile de se faire passer pour un.e anarchiste et d’être accepté.e. Les espaces en ligne sont exceptionnellement susceptibles à la fraude par affinité surtout chez les personnes récemment radicalisées dont le premier contact avec La Gauche s’est fait à travers les espaces en ligne.

<b>Contre l’imposture par affinité</b>

La fraude affinitaire est un problème de culture de la sécurité à cause de la manière avec laquelle elle est utilisée pour faire du mal aux individus et mouvements. Ce n’est pas le problème le plus important, mais ne pas y faire face nous laisse vulnérables à certaines attaques. Nous pouvons changer nos normes et notre culture de la sécurité pour prendre en compte ce genre d’impostures tout en retenant la solidarité et l’altruisme qui sont fondamentaux à La Gauche.

Ce zine a pris pour focus particulier comment l’imposture par affinité se produit dans les espaces en ligne parce qu’elle y est surreprésentée comparée aux espaces hors-ligne mais aussi parce que l’imposture par affinité est utilisée comme outil rhétorique. Les espaces en ligne sont purement discursifs, donc les gens utilisent ce qu’iels peuvent pour gagner n’importe quel débat ou convaincre d’autres personnes de rejoindre leur camp. C’est là que la fraude affinitaire est la plus perceptible.

Il n’y a pas de solution acceptable à la fraude par affinité qui implique de cesser d’être solidaire avec les groupes marginalisés ou de les placer sous plus de surveillance comparé à leurs équivalents dominants. Il n’est pas faisable de couper l’accès à des fonds qui sauvent la vie des gens juste parce qu’une part de ces fonds pourrait aller à des escrocs ou imposteur.ices. Tant qu’il y a des acteurs malveillants avec des identités marginalisé.es, il y en aura aussi beaucoup d’autres avec des identités dominantes. On peut dénoncer les mauvais comportements lorsqu’on les remarque, mais des groupes dominants dictant à des groupes marginalisés comment ranger tout ce bordel ne nous amènera nulle part. La solution est de réparer nos scènes pour que ce comportement ne se perpétue pas.

La nature exacte de toute solution dépends de la nature de la scène où l’imposture prends place. Ce qui suit c’est juste quelques suggestions sur comment ces problèmes peuvent être résolus, mais ce ne sont pas des édits sur quoi changer.

Les harceleur.euses et personnes abusives peuvent facilement accuser les personnes avec des identités dominantes d’être des racistes ou des sexistes à cause de la fréquence à laquelle c’est vrai. La solution n’est pas de douter de toutes accusations de mauvais comportement, mais d’éradiquer les mauvais comportements dans un premier temps pour que chaque accusation soit prise sérieusement et réellement étudiée et résolue. Une part du mode opératoire des imposteur.euses est d’utiliser des preuves vagues ou même fausses de comportement problématique. Étant donné que dans les cas de réel abus, il faut un respect pour les désirs et l’anonymat des victimes, on ne peut pas demander des preuves pare-balles de l’abus, mais, au plus haut degré possible, on devrait demander aux dénonciations et accusations d’avoir suffisamment de preuves pour démontrer qu’un comportement s’est réellement déroulé. Particulièrement dans les espaces en ligne où les preuves devraient être suffisantes. Même si les captures d’écran peuvent être fabriquées, n’avoir aucune preuve à l’appui est un red flag facile à repérer. On n’a pas une capacité infinie pour la justice transformatrice, et tout comme on dit aux violeurs qu’iels doivent dégager indéfiniment, les gens qui harcèlent et perturbent, qui ressentent le besoin de foutre la merde en permanence, doivent être jetés hors de nos scènes.

Si nos collectifs, bandes, et réseaux sociaux sur-représentent les gens avec des identités dominantes, il faut qu’on réfléchisse à pourquoi c’est le cas. Les effets du changement qu’on opère ne seront pas immédiats, et dans certains cas ce changement doit s’appliquer à des scènes entières (sinon comment est ce que des personnes marginalisées peuvent même savoir que votre groupe est sûr pour iel ?). Partir à la pêche à la diversité laisse une étrange ouverture à l’infiltration et c’est en créant des réels liens de solidarité que nous la fermerons.

Le développement et la prévalence de techniques analytiques guidées par des principes idéologiques sérieux est probablement la meilleure réponse à la fraude par affinité quand celle-ci opère sur le court terme. Les imposteur.euses comptent sur le fait que leur imposture ne sera pas nommée pour qu’elle soit un succès. La détecter, la nommer, et ensuite la repousser en faisant usage de réels principes de solidarité et d’anti-autoritarisme tends à avoir un certains degré de succès. Bien sur ça ne marchera pas tout le temps, mais ça peut planter quelques germes de doute dans la tête des spectateur.ices et participant.es à l’imposture. Peut-être que la prochaine fois que la personne essayera de ressortir ses conneries et de se cacher derrière son identité, iel aura un allié.e en moins.

Ce que l’on ne peut pas faire c’est de répéter ce que les pires politicien.nes de la déférence font et d’accuser toutes les personnes qu’on aime pas de ne pas réellement appartenir aux identités qu’iels revendiquent. Nos arguments et positions doivent être synthétisés à partir des expériences vécues des personnes marginalisées et d’un cadre politique et éthique. Une position est fragile parce qu’elle ne reflète pas la réalité ou n’est pas alignée avec une politique émancipatrice. Une position est solide à cause du monde qu’elle aide à construire, et pas à cause de l’identité de la personne qui la présente.

Une leçon qui peut être dure à apprendre est que l’anarchisme est son propre projet. Il a bien moins en commun avec le stalinisme ou la social-démocratie que les promoteurs de ces idéologies n’oseraient l’avouer. On a pas besoin d’unité, et on a pas besoin de se plier aux autorités qui affirment parler au nom de ces idéologies. De temps à autres on va travailler en parallèles à iels et ça peut même être mutuellement bénéfique, mais il faut qu’on le fasses selon nos propres conditions. Une intégration étroite dans leurs structures empêche les principes anarchistes de se développer, et souvent les abus et vulnérabilités à l’infiltration qui prolifèrent dans ces organisations nous affectent aussi. La Gauche Unitaire est un spectre d’un passé qui n’ a jamais existé, et il faut arrêter d’écouter les autoritaires qui nous disent qu’on est pareils.

Si le but de la culture de la sécurité est de minimiser la perturbation, que cette dernière émerge sous la forme de l’emprisonnement ou de boucles discursives sans fin, alors il faut que nous soyons très attentif.es à comment la fraude affinitaire peut foutre le bordel à l’intérieur de nos mouvements. Les approches intersectionnelles sont très importantes, mais la déférence instinctive au nom de l’intersectionnalité peut permettre à des acteurs malveillants d’exploiter notre empathie et perturber notre capacité à militer.

Comme dit auparavant, ceci n’est pas le problème le plus pressant, mais on ne peut pas prétendre que ça ne se produit pas, non plus. Quand on estime le risque, on peut finir par l’accepter si les mitigations nécessaires sont trop coûteuses. Peut-être que l’on choisis d’accepter le risque de disruption parce que l’on ne pouvait pas supporter de ne pas prendre au sérieux une accusation d’abus ou une demande de don. Peut-être que vous choisirez de mitiger les risques que présente la fraude affinitaire parce que vous avez vu les dommages qu’elle amène aux réseaux de relations. Il y a plus de chance que ce soit quelque chose entre les deux. Je ne peux pas vous dire quelle approche mènera définitivement à une situation de moindre mal. Je peux seulement caractériser le phénomène et espérer que chaque individu et groupe peut réfléchir sur comment la fraude affinitaire peut perturber leur capacité à s’organiser.

Notes de bas de page

1. Bien sûr certaines formes de populisme de droite ont convaincues les blanc.hes, les cis, les hommes (en général les trois en même temps) qu’iels étaient ceux.lles qui étaient opprimé.es par les personnes réellement marginalisées, donc ce n’est pas une caractéristique unique à La Gauche de se qualifier de soutien des opprimé.es. On peut également pointer du doigt le fait que de grandes parts de La Gauche n’aident pas vraiment les marginalisé.es bien qu’elles affirment ou pensent le faire.

2. Le doxxing désigne le fait de faire fuiter l’identité et/ou l’adresse physique d’une personne sur les réseaux sociaux ou sur le web plus généralement à des fins néfastes.

3. « financial disruption » dans le texte original, comprise comme le fait d’affecter la capacité d’une personne ou d’un groupe à avoir accès à des ressources monétaires/financières, etc.

4. Besoin d’en connaître est une expression utilisée pour désigner la restriction d’accès à l’information à l’intérieur d’une organisation en fonction du statut et de la fonction de telle ou telle personne dans telle ou telle part de l’organisation : https://fr.wikipedia.org/wiki/Besoin_d%27en_connaître)

5. « Office of Strategic Services », le bureau qui précède à la CIA dans l’histoire du renseignement américain.

6. « Counter intelligence programme », programme de contre-intelligence, ou de contre-espionnage.

7. Psyops est un terme désignant les opérations psychologiques : des opérations visant à exploiter les perceptions et états sensibles et mentaux de personnes à des fins stratégiques.

8. République Démocratique Allemande, « l’allemagne de l’Est » durant la guerre froide.

9. « Joint Threat Research Intelligence Group », une division du GCHQ (« Government Communications Headquarters », une agence de renseignement du royaume-unis).

10. Un slogan féministe anglophone connus, particulièrement associé à #MeToo.

11. « brocialists and manarchists » dans le texte original

12. « bigots/bigoted » dans le texte original.

13. « border crisis » dans le texte original.

14. Même si une grande part de tout ça c’est juste de la parlotte et qu’il y a beaucoup d’endroits où les réfugié.es sont mal soutenu.es et marginalisé.es par les radicaux qui ne veulent pas être distrait.es de leurs agendas basés sur des textes écrits par des vieux mecs blancs morts il y a de cela un siècle.

15. Même les parties les plus merdiques de La Gauche qui sont activement et fortement racistes peuvent quand même admettre que leurs opinions ont un faible prestige, et elles peuvent avoir à les cacher ou à ne pas les mettre en action de manière directe.

16. « Western-centric » dans le texte original.

17. En anglophonie, le terme « separatist » n’a pas la signification et le contexte qu’on lui connaît en france. Ici il est employé pour désigner des groupes ou personnes souhaitant mettre en œuvre une séparation sur une base ethnique ou raciale de différentes populations et communautés.

18. Cependant, beaucoup de ces grands comptes ont des liens avec des médias d’état et il y a une quantité étrange d’argent sale de conservateur droitard qui circule dans la Gauche autoritaire. Mais on a même pas besoin de partir du principe que ces influences soient directes, ça pourrait juste être des idiots utiles ou des traîtres qui soutiennent une cause impérialiste.

19. C’est pour ça que les « follow-trains » (par exemple #NoComradesUnder1k), ou le fait de booster/suivre des comptes au hasard afin qu’ils arrivent à une étape arbitraire n’est pas une bonne idée. Les followers, autant en terme de volume que de qui suit qui, signalent une certaines légitimité et nous devrions faire attention à qui nous l’attribuons. Agissons avec discernement.

20. « online mobs » dans le texte original.

21. Fedjacketing : c’est le fait de désigner quelqu’un comme un agent des forces de l’ordre ou un agent étatique sans preuve tangible.

Badjacketing : le fait de désigner quelqu’un comme une étant personne qui est problématique et refuse de changer.

Les terme font référence aux fichiers (« jacket ») utilisés pour classer les dossiers de police.

22. L’anonymat est fréquemment utilisé de manière justifiée afin de protéger les victimes d’abus de représailles de la part d’une personne abusive iel-même ou des gens qui s’alignent avec cette personne. Cependant il y a souvent un aspect vague aux victimes inventées comme le fait de ne pas pouvoir dire quand et où l’abus s’est produit, ou bien manquer de spécificités sur ce qui s’est vraiment produit. Ceci ne veut pas dire qu’une personne qui ne veut pas ou ne peut pas parler de ses traumas est en train de mentir. Déduire le caractère véridique d’une situation où l’on n’était pas présent.e est toujours quelque chose de très risqué.

23. Bien sûr ces schismes arrivent également lorsque quelqu’un est réellement coupable de harcèlement et que ses ami.es refusent de l’admettre ou de s’opposer aux dommages que la personne a commis.

24. Quand on regarde du côté du cœur impérial en tout cas, ça semble être centré autour des USA. En tant que personne qui ne peut lire que des langues romanes et germaniques et qui a un contact minimale avec la périphérie globale je ne peux pas dire si elles sont utilisées dans ces endroits/contextes. Je ne sais pas.

25. J’ai essayé de trouver des papiers de recherche sur le sujet pour confirmer mais j’ai échoué. Ça semble vraiment vraiment vrai, mais sans information vérifiée, je ne veux pas l’affirmer d’une manière trop directe.

26. « means testing » dans le texte original.

27. « ingroup » dans le texte original, désigne un groupe social auquel quelqu’un s’identifie comme membre.

28. How an Undercover Colorado Springs Police Officer Tried to Entrap Leftists with Illegal Firearms Charges, Colorado Springs Anti-Fascists. It’s Going Down.

29. Ce qui ne veut pas dire qu’il ne faut pas attacher de la valeur à ça, juste qu’au-delà du fait que c’est désirable d’un point de vue éthique, avoir une organisation diverse peut lui donner une certaine notoriété.

30. C’est pas mauvais en soi, dans le sens que c’est bien de vouloir partager leur plateforme, mais le fait qu’iels n’attirent pas ce genre de personne de manière spontanée suggère qu’ils n’ont pas déconstruit tous leurs *-ismes assez bien ou qu’iels n’ont pas assez de contre-préjudices pour que les personnes marginalisé.es se sentent bienvenu.es et sur un pieds d’égalité.

31. Anarchist Direct Actions: A Challenge for Law Enforcement, Randy Borum and Chuck Tibly, Studies in Conflict & Terrorism, DOI: 10.1080/10576100590928106.

32. Mais dans leurs meilleurs moments, iels restent pas si bien que ça, mais ne me croyez pas sur parole, allez lire le texte de William Gillis, A Quick And Dirty Critique Of Primitivist & AntiCiv Thought.

33. Le mouvement d’extrême droite quasi-milice anti-gouvernement dont le nom vient d’une blague stupide : « Civil War 2 : Electric Boogaloo »

34. Je prends pas les US comme exemple parce que je les aime pas mais vous autres ‘ricains, malgré vos contributions incroyables, vous arrivez parfois à avoir tort de manière remarquable autant en bizarrerie qu’en volume de voix. Mais je blâme aussi bien entendus les compagnies de la tech et leurs algorithmes qui inondent l’internet de vos propos.

35. « grifting » dans le texte original dont l’utilisation en argot anglo englobe plus que l’escroquerie seule et est utilisé spécifiquement pour désigner des arnaqueurs politiques comme alex jones, un analogue en france pourrait être thierry casasnovas qui surfe sur la vague covidosceptique pour vendre ses remèdes miracles.

36. Les services de publications/réseaux sociaux fédérés comme Mastodon

37. Elle avait précédemment été démasquée comme modératrice du subreddit /r/antiwork, ce qui est une histoire pour un autre jour.

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SOURCE