Pour la seconde fois cette année, la jeunesse vient de laisser éclater sa révolte contre la société. Hier collèges et lycées étaient occupés, aujourd’hui les banlieues se rebellent. En exprimant spontanément sa colère sur tout le territoire, la jeunesse des banlieues est sortie de l’ombre.

Bannis, surveillés, haïs, ces jeunes ont fait de leur existence même une question politique. Ceci ne leur est pas pardonné. Dans une guerre de classe qui ne dit plus son nom, l’ordre républicain avise désormais que le simple fait de vouloir vivre en dehors de la misère imposée doit être tenu pour un délit de droit commun. Excepté quelques penseurs dépressifs de la réaction, qui ose pourtant contester le désastre global des banlieues ? Cela doit néanmoins rester la pâture ordinaire des sociologues et experts en tout genre, sans que rien ne soit engagé pour les besoins de la colère. La révolte de ces jeunes constitue un scandale aux yeux de ceux pour qui seule la violence produite par le traitement moderne de la vieille question sociale est en définitive acceptable.

Un soulèvement privé de perspectives politiques aura peut-être tort dans la forme, il aura toujours raison dans le fond.

Crainte passée, la réaction déroule comme à l’accoutumée son catalogue d’explications ahurissantes approuvées par la police : les maffieux, les barbus, la polygamie, le rap, le racisme anti-blanc… D’autres se plaindront que l’on n’ait pas vu se réaliser ici, l’art ou la philosophie; autant chercher une jacquerie qui aurait tranché la tête d’un roi.

Dans son désir irrépressible d’égalité, de reconnaissance et de liberté, cette jeunesse, à l’image des lycéens, a fait preuve d’une vitalité que ce monde vieilli et fatigué refoule partout ailleurs. L’événement déconcerte ainsi nombre d’idéologues en faisant éclater le discours
ordinaire d’un spectacle où « barbares », « délinquants », et autres « violeurs en réunion » doivent tenir le même rôle d’épouvantails que celui du terrorisme dans le jeu politique mondial.

Les banlieues ne sont pas cette contrée sise aux confins d’un limes imaginaire où les hordes modernes guetteraient patiemment l’effondrement de l’Empire, elles sont de notre monde, elles en concentrent les contradictions essentielles. Depuis la chute du Parti Communiste et de sa gestion municipale, elles sont au cœur d’un problème politique majeur que les différents pouvoirs traitent par la manipulation, l’abandon au chaos, et la surveillance policière. Du
torpillage de la « Marche pour l’égalité » par les socialistes avec la création de SOS Racisme, de l’aide apportée par Pasqua à l’implantation d’un islamisme prié de tenir la place du stalinien absent, à l’importation de la méthode américaine de destruction des zones de pauvreté par la drogue et les gangs, tout vise à maintenir dans l’ombre, le silence et la mort, une population dont on ne sait plus que faire. L’état d’urgence, puisé avec fébrilité dans le vieil arsenal juridique colonial, vient ici servir les formes nouvelles de domination qui, depuis trente ans, travaillent à ne laisser à cette même population d’autres choix que la prison ou la misère du ghetto subie dans l’humiliation. La barbarie est du côté de ceux qui se sont résignés à tout.

Le jeu des apparences se dissipe
l’ordre règne mais ne gouverne pas.
Le 4 décembre 2005
La Guerre de la Liberte