Grenoble: compte-rendu de la manif intersyndicale du 4 oct.
Catégorie : Global
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De 15 000 à 30 000 manifestant-e-s (selon les journalistes non-grévistes de France 3 Rhône-Alpes) ont défilé ce matin du mardi 4 octobre 2005 dans les rues de Grenoble. Beaucoup beaucoup de monde, pour une manif qui ressemblait pas mal à une demande molle et peu convaincue d’aménagement du capitalisme: en gros, il faut conserver les emplois et le pouvoir d’achat, viser la croissance économique, augmenter les salaires, etc. Rien de bien subversif ou menaçant pour le pouvoir en place.
Sur la banderole de tête était écrit, entouré des logos des principales organisations syndicales (CGT, CFDT, CFTC, Solidaires, FO, FSU, UNSA, CFE-CGC) “Ensemble, gagnons le plein emploi et l’augmentation des salaires pour tous“.
La CGT veut “construire l’action collective pour gagner“… Quelle action collective ? Pour gagner quoi ? Un plus gros chèque en fin de mois. Beau programme…
Quant à FO, son principal slogan était presque ambigu: “Plus de salaires, moins de précaires pour la croissance, abrogez les ordonnances“. C’est vrai que tou-te-s ces précaires consomment peu, c’est mauvais pour la croissance. J’en suis presque à me demander si FO n’adhèrerait pas à la politique sarkozyste de “renvoyer ces précaires chez eux”, pour le bien de la croissance…
J’ai même vu une petite fille, probablement là avec un-e de ses parents, qui portait une affichette qui disait “L’informatique a de l’avenir, pour vendre ici il faut investir“. J’étais sur le cul. Peut-être que derrière cette manif se cachait un congrès du MEDEF. Remarquez, la CFDT était là en force… Et Destot (maire PS de Grenoble) était là aussi, parmi les salarié-e-s en lutte de Hewlett Packard, qui formaient un des cortèges de tête de manif. Il s’est fait discret le Destot, et il a bien fait, parce qu’en étant présent dans une manif, aussi inoffensive soit-elle, il se fout bien de la gueule du monde ! Son projet de ville repose avant tout sur son prestige, son “rayonnement technologique” et sur son embourgeoisement progressif.
En plus de Destot, il y avait un mini cortège PS qui s’est à peine fait conspuer, par des individus épars ici ou là. Proby aussi, maire “communiste” de Saint-Martin-d’Hères, avec sa belle écharpe bleu-blanc-rouge, s’est fait traité d'”expulseur”, aux bons souvenirs du squat de la Charade (http://charade.squat.net/).
Mais au départ, ça me paraissait important d’y être, à cette manif. Pour les marins en lutte de la SNCM, pour montrer que “nous” sommes décidé-e-s à prendre nos vies en mains, rejetant le contrôle du patronat aussi bien que celui de l’Etat. Mais l’état d’esprit global n’était pas vraiment à ça… C’est quand même dommage de se retrouver à 30 000 personnes et d’avoir si peu à dire ou à “revendiquer”. A l’arrivée, devant la préfecture de l’Isère, on a assisté à l’habituelle dispersion de manif dans le calme et la passivité la plus totale. Je ne sais pas si un mouvement de grève va se mettre en place, mais il serait étonnant qu’il naisse de telles manifestations… La où la colère ne gronde pas, ne peut se généraliser une grève.
Tout l’attirail syndical était comme d’habitude de sortie: drapeaux, tracts, autocollants, slogans, mégaphones amplifiés et musique à fond la caisse, c’est des kermesses inoffensives qui sont censées faire reculer l’Etat ? Bizarre… Pas besoin de service d’ordre, c’est tellement évident qu’aucun débordement n’aura lieu. Les manifs du 21ème siècle, c’est un peu comme du cinéma, un divertissement cathartique, un moyen de pacification sociale à travers une liberté de s’exprimer et de manifester qui doit bien faire rigoler ministres et patrons dans leurs bureaux. Ceux-ci rigolent moins quand leurs banques brûlent, ou quand leurs usines sont occupées, paralysées… C’est quand même eux qui sont supposés vouloir la croissance à tout prix, non ?
Parmi tout ce monde, un nombre incroyable de cégétistes, des tas de travailleurs/euses dont l’emploi est menacé. C’est la merde, tu l’sais. Pas facile de se trouver dans une situation paradoxale où l’on soutient des travailleurs/euses menacé-e-s de licenciement quand dans le même temps on souhaite de toute façon la fermeture des usines dans lesquelles ils/elles bossent (le site chimique de Pont-de-Claix et autres lieux d’élaboration de technologies de contrôle et/ou de destruction de l’environnement, ça donne envie à qui ?). C’est dans ces moments qu’on s’aperçoit pleinement de l’impasse politique dans laquelle se trouve fondamentalement la gauche. Viser simplement la conservation des emplois et du pouvoir d’achat, même avec une hausse des salaires, ça ne fait que conserver les rapports sociaux actuels (la hiérarchie imposée par la bourgeoisie). Déjà, se réapproprier l’outil de travail, chercher à exproprier les patrons, ce serait un premier pas vers une prise de conscience nécessaire: que vais-je faire de mon emploi ? A quoi sert mon boulot ? Combien d’emplois sont socialement inutiles, quand ils ne sont pas nuisibles ? L’autogestion généralisée dans l’entraide et l’indifférence envers l’argent (l’enrichissement économique) mène assez vite à ce genre de questionnements. Qui a intérêt à ce qu’on continue de nous tuer à la tâche à travers des boulots de merde souvent payés des miettes ? Le patronat et l’Etat.
Tout le monde sait ça.
Les pontes des gros syndicats le savent aussi.
Alors pourquoi nos luttes restent-elles politiquement aussi creuses et vaines ?
Il est grand temps de trouver d’autres moyens de nous organiser, et de lutter.
Et finalement, les fermetures de Hewlett Packard, de Poliméri, de Schneider, de la plate-forme chimique de Pont-de-Claix, du Dauphiné Libéré (oui, y’avait la CGT-Daubé figurez-vous, ainsi que la CGT-Impôts), de la clinique psychiatrique Georges Dumas, du Commissariat à l’Energie Atomique (CEA), de Becton Dickinson, etc. (toutes ces entreprises étaient représentées par des travailleurs/euses en grève) ne feront pleurer que leurs patrons déchus, tandis que nous trouverons des activités bien plus épanouissantes, porteuses de sens autre que l’éternel refrain quasi religieux “travail-salaire-croissance”.
Dans cette manif, il y avait aussi des cortèges plus “originaux” comme ceux des sans-papiers de l’Isère, des étudiant-e-s, de la CNT-Vignoles, mais aucun n’avait de slogan-choc aussi recherché que ceux des prospectus ou autocollants du PS ou de la CFDT :
– “CFDT, des choix, des actes“… Lesquels ? Vous nous dites ?
– “Le PS se bat pour vous“… Pour qui ?
Dans la région, il y aurait eu 10 000 à 20 000 personnes à Lyon, 10 000 à Saint-Etienne, 3 000 à 5 000 à Annecy, 10 000 à 15 000 à Romans, au total plus d’un million à travers l’hexagone… Alors quoi, c’est super tous ces chiffres, ça veut dire qu’on va faire la révolution ? Non ?! Ha, dommage. Un peu plus et je retombais dans les illusions de l’automne-hiver 1995.
Voilà. C’était un compte-rendu bordélique et sur le vif de cette manif grenobloise du 4 octobre. Je vous laisse avec quelques photos prises sur le chemin:
Très lucide, très bon article,… Très triste aussi. Merci pour le bilan.
samuel