Extrait de L’Arche n°565, mai 2005

Reproduction autorisée sur internet avec la mention d’origine

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Les lecteurs de

L’Arche

connaissent bien le journaliste Alain Ménargues, dont le bref passage à la tête de Radio France Internationale (RFI) se solda, à l’automne 2004, par une assemblée générale des personnels pour protester contre ses propos antisémites, puis par son licenciement pour les mêmes motifs (voir « Les dangereux fantasmes de l’antisionisme militant »,

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n°560, novembre-décembre 2004). Nous avons longuement rendu compte, ici même, du livre d’Alain Ménargues

Le Mur de Sharon

, dont son auteur avait répété les délires antijuifs dans plusieurs interventions publiques – à commencer par l’antenne de la station d’extrême droite Radio Courtoisie.

Nous signalions à l’époque l’enthousiasme avec lequel les thèses « antisionistes » d’Alain Ménargues avait été accueillies dans divers milieux d’extrême gauche, et le refus catégorique de ces mêmes milieux de reconnaître l’évidence, même après les protestation des syndicats de RFI.

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a reproduit, par la suite, des propos tenus par Alain Ménargues après son départ forcé de RFI. Des propos dont il ressortait que non seulement il ne faisait pas amende honorable de ses écrits antisémites mais qu’il s’en faisait gloire, et qu’emporté par son élan il développait une théorie du complot attribuant ses propres malheurs à une conspiration du fameux lobby dont on ne dit pas le nom.

On aurait pu penser que de telles dérives auraient à jamais rendu leur auteur infréquentable par tous les citoyens se réclamant de la démocratie et de l’antiracisme. Or quelle ne fut pas notre surprise de découvrir le nom d’Alain Ménargues dans les courriers de l’Association des Amis du

Monde diplomatique

. Cette association se donne pour objectif de soutenir le mensuel du même nom, et d’entretenir dans cette mouvance une activité politique. Son site internet précise :

« À partir de la lecture du journal, et d’autres sources d’information, les Amis permettent à des citoyens de se retrouver et d’échanger idées et propositions. Les Amis se donnent des thèmes de travail répondant à des préoccupations locales ou s’insérant dans un programme d’activité national. Ils alimentent la réflexion de la rédaction du Diplo par leurs critiques et leurs suggestions. »

Il est vrai que le

Monde diplomatique

avait été, en novembre 2004, un des seuls médias français à publier un compte rendu élogieux du pamphlet d’Alain Ménargues. Pour qui croirait qu’il s’agissait là d’un faux pas, d’une bévue, les Amis du

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ont veillé à mettre les points sur les i. En janvier 2005, les « amis » que le

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compte dans la ville de Lille recevaient chaleureusement Alain Ménargues, pour une conférence pompeusement intitulée « Mur, barrière, clôture, ligne de suture ». Et pour montrer qu’ils avaient retenu leur leçon, ils publiaient un compte rendu enthousiaste sur le site officiel de l’Association, qui les accueillait bien volontiers (www.amis.mondediplomatique.fr/article.php3?id_article=709).

Passons maintenant au fond du sujet. Pour quelle raison a été créé le

« mur de Sharon »

? Pour protéger les Israéliens du terrorisme ? Vous n’y pensez pas. Pour annexer des territoires, alors? Pas davantage. Les amis lillois du

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ont la bonne réponse, ils l’ont trouvée chez Alain Ménargues.

Citons-les :

{ {{«Cette séparation du pur et de l’impur est une notion absolue, consignée dans le Lévitique (3° des 5 livres de la Thora) ; 613 commandements, gérant la vie au quotidien. Ces commandements ont pour but de faire du « peuple de Dieu un peuple différent » de ceux qui l’entourent : « Vous ne ferez pas ce qui se fait dans le pays de Canaan où je vous conduis : vous ne suivrez pas leurs lois, ne vous souillez en rien de cela, car toutes ces abominations, les hommes du pays qui ont été avant vous les ont commises, et le pays en a été souillé ».

Pour les religieux, aujourd’hui, les Palestiniens descendants des « hommes du pays de Canaan » sont « de dangereux impurs » dont il faut se séparer pour rester en état de participer au culte et plus largement à la vie de la communauté.»}} }

Ce que vous venez de lire n’est pas un extrait de {La France juive} de Drumont, ni du {Stürmer} de Streicher, mais de l’organe des Amis du

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. Dans ce passage, la haine antijuive s’appuie sur une totale inculture (à propos des « recherches » de l’érudit Ménargues au sujet du pur et de l’impur dans le judaïsme, voir le dossier de

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cité plus haut.)

Inspirés par un si bel exemple, les Amis du

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de Montpellier invitèrent à leur tour Alain Ménargues. Le 2 mars à 20h30, il donnait une conférence intitulée, on l’aurait deviné, « Le mur de Sharon ». L’association France-Palestine Solidarité (AFPS) était co-invitante. Une station de radio locale, Divergence-FM, en profita pour recevoir M. Ménargues. L’interview a été transcrite et mise en ligne le 11 mars 2005 sur le site de la radio (http://divergence-fm.org/article_pdf.php ?id_article=370), de sorte que la France entière peut en bénéficier.

L’interviewer, Gilles Gouget, après s’être déclaré

« honoré »

de la présence de son hôte (

« C’est moi qui suis honoré de votre invitation »

, répond modestement Alain Ménargues), rappelle que celui-ci a été licencié (il cherche ses mots :

« éviction »

,

« expulsion »

,

« limogeage »

, mais ne trouve pas le terme exact) à cause de son livre.

« Qu’est-ce qui a motivé l’écriture de ce livre ? »

, demande-t-il. Alain Ménargues :

« Il était à mes yeux assez inconcevable de croire que seule la sécurité était à l’origine de la construction de ce mur »

. Il a donc, dit-il, effectué des recherches. Le résultat

« a choqué des personnes qui n’avaient peut-être pas la culture nécessaire pour lire le livre »

.

L’interviewer, Gilles Gouget, demande :

« Vous faites mention de l’aspect religieux qui explique le mur, en citant le Lévitique et la séparation du pur et de l’impur. Est-ce qu’aujourd’hui la liberté d’expression et d’information est menacée, coincée dans un politiquement correct qui ménage absolument les intérêts de certain, les lobbies, les religions, avec une espèce de peur panique qui s’empare des politiques, et l’intégrisme qui détourne les religions ? »

Ainsi lancé, Alain Ménargues se plaint amèrement des accusations d’antisémitisme qui ont été portées contre lui. Et il annonce sa carte maîtresse,

« la Fondation des 100 »

dont il est l’initiateur :

« On essaye d’avoir, et on va bientôt les avoir, 100 journalistes »

. Que feront-ils ? Enquêter sur les circonstances où des personnes ont été accusées d’antisémitisme.

{ {{« Et je me suis intéressé, depuis que ça m’est arrivé, de savoir qui attaquait, et pourquoi. Alors, qui attaquait ? C’est toujours les mêmes. Pourquoi ? Pour des raisons évidentes de défense de la politique israélienne. Et moi je me dis « pourquoi ces gens, qui sont toujours les mêmes, réagissent aussi fort à des propos qui sont contre le gouvernement et la politique israélienne ? »

En terme de définition, on appelle ça des agents d’influence, et ces agents d’influence, je sais d’abord qui ils sont, comment ils vivent, qui les paye. Donc ce qu’on va faire, c’est monter une association qui va mettre à la lumière du jour les tenants et les aboutissants de ce qui est dit. C’est à dire, on attaque Ménargues ? Très bien. Mr X, je vais pas citer de nom ici, Mr X dit que Ménargues est un antisémite, un antisioniste – parce qu’on en rajoute, etc -, et même un négationiste [sic]. Très bien ! Mais qui est ce Mr X ? Qu’est-ce qu’il fait dans la vie ? Pourquoi c’est lui qui monte au créneau ? »}} }

Là, on n’est plus chez Drumont, on est passé à {Gringoire} et {Je suis partout}. Nul doute que les Amis du

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, qui ont invité M. Ménargues à Montpellier, suivent la règle de leur association et qu’ainsi instruits des tenants et des aboutissants de la vie politique française ils {« alimentent la réflexion de la rédaction du {Diplo} par leurs critiques et leurs suggestions »}. De beaux jours en perspective, sous le signe de la démocratie et de l’antiracisme, bien sûr. On attend avec impatience la prochaine conférence d’Alain Ménargues.

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NOTE POUR L’ÉDITION INTERNET DE «L’ARCHE»

Après la parution de cet article dans l’édition de

L’Arche

de mai 2005, les pages du site internet des «Amis du

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» relatives à ces deux rencontres avec Alain Ménargues ont été effacées (on ne peut plus y accéder directement, mais on en trouve toujours la trace dans la mémoire «cache» des moteurs de recherche). Quelqu’un, au

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ou parmi ses «amis», aurait-il pris conscience de l’inconvenance, pour ne pas dire plus, qu’il y avait à faire ainsi l’éloge d’un auteur antisémite? C’est possible, mais c’est loin d’être certain. Car au moment où l’on procédait à ce toilettage du site internet, la section rennaise des «Amis du

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» annonçait – sur le même site internet – une réunion le 29 juin 2005 avec Alain Ménargues, au sujet de son livre {Le Mur de Sharon}. Ce sera sans doute l’occasion, pour la grande famille des amis du

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, de compléter sa formation politique en matière de conspiration juive, à la lumière des fantasmes antisémites de M. Ménargues sur {«le pur et l’impur»} dans le judaïsme et sur {«les agents d’influence»} au service de l’internationale que l’on sait. Peut-être M. Ménargues poussera-t-il l’amabilité jusqu’à donner à ses auditeurs la liste des textes négationnistes et néo-nazis dans lesquels il a largement puisé pour rédiger son livre?