A propos des « autoréductions » négociées…
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Catégorie : Global
Thèmes : Actions directesLogement/squat
Selon les propres termes du tract distribué aux clients du supermarché, il s’agissait d’exiger qu’une prime effective de 1000 euros soit versée « à toutes et tous les salarié.e.s de la grande distribution sans distinction » (vigiles inclus ?), en tant que « professionnel.les en première ligne pendant la crise sanitaire » (et bien le bonjour aux improductifs des dernières lignes). D’autre part, un peu moins hypocritement, il annonçait qu’il s’agissait d’une « action solidaire » visant à « réquisitionner des produits alimentaires et hygiéniques de première nécessité pour en faire bénéficier celles et ceux qui subissent le plus les conséquences de cette crise », mélangeant ainsi allègrement les notions d’assistance, d’entr’aide ou de soutien avec celle de solidarité. Mais nous sommes certainement trop naïfs de continuer à penser, comme au 20e siècle, que la solidarité c’est l’attaque, le soutien matériel du soutien matériel, l’entr’aide une forme de réciprocité, et l’humanitaire (y compris militant) une forme de charité laïque qui entretient dépendance et misère tout en cautionnant ses causes.
Plus précisément encore, les assistantes sociales de choc ont tenu à préciser dans leur compte-rendu triomphaliste (Paris-luttes, 3 février 2021) : « Après une heure et demie de blocage et de négociation, nous sommes parti.es avec l’accord de la direction et le contenu de tous les caddies remplis. Concernant les pourparlers, ils ont essentiellement porté sur la nature et la qualité des produits…. Nous redistribuerons les marchandises cédées gracieusement aux collectifs dans lesquels nous militons, pour les publics les plus touchés par la crise (exilés, précaires, mères isolées, familles en galère…) ». Et pour « des étudiants », complétera l’interviewée à l’AFP.
Puisqu’il a semblé primordial aux nobles autoréducteurs d’insister sur le fait que cette opération avait été méticuleusement et pacifiquement dealée avec une direction par ailleurs traitée d’assassine et de raciste* –eh, ils ne sont pas comme ces vulgaires voleurs qui se passent d’accord pour exproprier aux magasins ce qui leur chante, ni de ceux qui refusent par principe de dialoguer avec les autorités, a fortiori celles d’une boîte assassine et raciste–, et sans même parler du fait que les bons pauvres devraient se contenter de « premières nécessités » dûment triées par les limitants et les proprios, on s’est rappelé d’un petit texte critique paru il y a une dizaine d’années. Nous le reproduisons ci-dessous, peut-être évoquera-t-il des souvenirs à certains.
Quant aux autres, peut-être ébahis par un objectif affiché aussi paternaliste que misérabiliste visant à « redistribuer » des produits surtout pas trop de luxe à des « publics touchés par la crise » (ou quand la novlangue militante se calque sur celle du pouvoir), ce sera l’occasion de le découvrir. Loin d’un monde où selon la conclusion même du compte-rendu, la question est de « bloquer » l’économie plutôt que la détruire, où on n’incite plus à squatter les logements mais à les « réquisitionner », et où tous les galériens ne sont plus encouragés à s’emparer directement eux-mêmes de la précieuse marchandise, seuls ou en petits groupes, mais à la recevoir « autoréduite » grâce à de fructueux pourparlers d’ « urgence » menés entre boutiquiers des deux côtés de la barricade.
De mauvais pauvres,
4 février 2021
* « Carrefour, assassin ! Carrefour, raciste ! » disait notamment le tract distribué, en référence à João Alberto Silveira Freitas (et non pas « Joao Batista » comme il est écrit dans le compte-rendu de l’action, lui c’est son père), tabassé à mort en novembre dernier à Porto Alegre par des vigiles de Carrefour. Avant d’ajouter sans autres détails, pourtant passionnants : « En réponse, de nombreux magasins Carrefour ont été attaqués »… De notre côté de l’Atlantique, il vaut apparemment mieux rester dans le flou en évitant de préciser que plusieurs Carrefour y ont alors été littéralement saccagés et pillés de façon autonome, débordant les charitables négociateurs qui tentaient de faire médiation. Mais ça aurait sans doute fait tâche…
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Multiplication des « auto-réductions » ?
Il y a eu les « Robins des Bois » grecs de Thessalonique qui pillaient des supermarchés et en faisaient des banquets de quartier. Il y a eu aussi les pic-nic du NPA pour faire un peu d’agitation électorale « contre la vie chère ». Et puis, dans cet air du temps contestataire, sont réapparues les « auto-réductions ». Mais ne jouons pas sur les mots : ce terme, emprunté au mouvement autonome des années 70, signifie de puis longtemps – dans le néolangage « militant » contemporain – un transfert collectif de marchandises vers la sortie du magasin sans les payer.
Depuis décembre [2008], et plus encore avec mouvement étudiant qui se traîne depuis trois mois derrière les profs et les chercheurs, ces formes d’action ont refait surface. Sous un même vocable se cachent pourtant des pratiques bien différentes : l’exhibition de sa misère de « précaire » avec journaleux embarqués et accord de la direction (Monoprix, Paris) n’est pas si éloignée des crétins assis en train de crier « non-violence » pendant que d’autres négocient pour laisser au directeur le choix des produits à fourguer discètement à l’arrière du magasin (Carrefour, Grenoble). Mais ces deux formes sont bien différentes de celle de la bande d’inconnus masqués qui sont allés briser les vitrines et se servir pendant une manif nocturne (Monoprix, Nantes) ou des centaines de sacs de bouffe, portables et accessoires informatiques sortis en force suivi d’un bref assaut du commissariat du quartier (Carrefour Market de Villejean, Rennes).
Pourquoi, lorsqu’on passe de l’acte individuel ou à petits groupes (les vols de débrouille ou de survie) à une plus grande quantité de personnes (de la cinquantaine à trois cent dans ces exemples), cela impliquerait-il de négocier avec les proprios/gérants, alors même qu’on a un rapport de force bien plus élevé ? Si certains avancent de manière absurde dans cette direction, c’est parce que la logique même de l’acte a changé : on est passé d’une réappropriation directe pour soi (et les siens) à de la propagande activiste, c’est-à-dire à un mécanisme qui met en jeu l’image de soi (ou du mouvement, etc.) et toutes les tares de la politique (la délégation, la tractation avec le pouvoir, la séparation en rôles, la représentation) qui vont avec.
On veut donner le bon exemple donc ne surtout pas passer pour des violents ou de vulgaires voleurs, on a besoin de main d’œuvre donc de limiter les risques d’arrestation, on veut montrer qu’on est des démocrates responsables donc qu’on peut toujours discuter et s’arranger avec nous, on met en pratique ses propres schémas de pensée autoritaire donc il y a les spécialistes qui maîtrisent la langue du pouvoir (tu saurais négocier avec le chef de Carrefour, toi ?) et ceux qui portent les sacs, on refuse d’inciter à l’expropriation généralisée en la pratiquant, des fois que tout le monde s’y mettrait et qu’il n’y aurait plus d’ « action collective » à organiser ni à gérer (le LKP a été exemplaire en Guadeloupe dans ce rôle de contention des pillages…).
Ces logiques néo-syndicalistes nécessitent donc à la fois des médiateurs habiles et un interlocuteur bienveillant (plusieurs gérants ont lâché flics et vigiles), ce qui revient finalement à confier la réussite ou l’échec de ces opérations à des spécialistes et à l’ennemi, plutôt que de compter sur ses propres forces. Avec cette logique activiste de militants qui négocient la charité, on est plus proche d’une opération de publicité idéologique que d’une affirmation de classe par l’action directe sans médiation (soit le pillage en force). Là est toute la différence entre le spectacle volontaire de sa misère –à tous points de vue – et une réappropriation en tant qu’individus pris dans la guerre sociale.
Quant à la mise en commun qui peut suivre l’expropriation, elle pourra alors se produire non pas lors d’une redistribution symbolique à des malheureux extérieurs à soi (les sans-papiers, les sans-abris, les ouvriers,…), mais dans un partage entre voleurs et associés qui partagent une même lutte, une même rage ou des mêmes rêves, sans se contenter des miettes que nous laisse le capital.
[Cette Semaine n°98, printemps 2009, page 30]
D’accord avec le propos, sauf que dire “un objectif affiché aussi paternaliste que misérabiliste visant à « redistribuer » des produits surtout pas trop de luxe à des « publics touchés par la crise » » en ne mentionnant pas le communiqué de retour qui dit “Selon la direction de Carrefour, le précaire doit manger des biens médiocres ou des invendus. Nous avons refusé leurs miettes pour récupérer les bonnes choses, celles auxquelles tout le monde devrait avoir accès.”, c’est un peu facile tout de même.
C’est sans doute pour cela qu’il y a bien écrit “l’objectif affiché” pour conclure la critique, et pas un truc genre le “résultat gratté”. Cet objectif misérabiliste est malheureusement affiché partout, et ce n’est sans doute pas pour rien : il est non seulement dans le tract distribué aux clients et au personnel, dans les mots de deux personnes lâchés à l’AFP, sur les réseaux sociaux proches de ce mode d’action qui ont relayé l’autoreduc, et y compris en gras dans l’entête du compte-rendu qu’ils ont produit pour PLI : “…pour partir avec le contenu de tous les caddies remplis de produits alimentaires et d’hygiène de première nécessité”.
Bref, tant mieux si en réalité les galériens redistribués ont obtenu un peu mieux que des “produits de première nécessité” comme ces quelques “bonnes choses” placées discrètement au milieu de leur caddies comme de leur texte (soit si on comprend bien, des prod. de base qui ne sont juste pas des invendus ou de la marque Carrouf !).
Sur le fond, ce qui est critiqué n’est de toute façon pas là (le décalage peut-être politicien entre publicité militante et réalité), c’est surtout la perspective mise en avant et aussi la méthode pratiquée. Avec en passant la dose de confusion et/ou d’ambiguité qu’ils distillent, par exemple sur le sens des mots solidarité ou auto-organisation.
Au vu du tam tam médiatique qu’ils ont choisi d’en faire, on ne peut s’empêcher de voir cette autoreduc comme une sorte de proposition politique paternaliste très précise “pour temps de crise”, balancée dans l’espace public afin qu’elle soit reproduite par d’autres “militants”.
En même temps, si un certain nombre de mauvais pauvres se mettent à se mêler de leurs autoréduc, sûr qu’ils risquent vite d’être débordés, ou que ça partira en trois secondes en cacahouète avec vigiles et gérants – qui l’auront bien mérité… Ou encore que si des pillages auto-organisés de galériens commencent à se multiplier ailleurs, ces caritatifs de choc ne pourront plus compter de leur côté sur la relative bienveillance des flics et des Carroufs, qui seule leur permet de jouer aux gentils redistributeurs…
Le tract disait “les professionnel.les en première ligne pendant la crise sanitaire, ayant scanné nos courses approvisionné les rayons et assuré les livraisons,” il ne parle pas des vigiles! arrêtez vos procès d’intentions là.
en même temps pourquoi différencier les caissières des vigiles alors que pendant le confinement les unes et les autres étaient en “première ligne” ?
Au passage, je sais pas si ces gens font souvent leurs courses dans les supermarchés, mais en réalité les caissières aussi jouent très souvent les flics, elles ont pas besoin des vigiles … j’ai déjà vu certaines engueuler les vigiles qui dégagent pas les clodos devant l’entrée du supermarché, puis dans certains endroits elles sont hyper zélées dès qu’il s’agit de faire ouvrir les sacs et de bien fouiner dedans, et d’appeler les vigiles si on se plie par à leurs injonctions.
Qui n’a pas déjà remarqué que dans certains endroits elles demandent d’ouvrir les sac à la gueule du client ? Tu fais clodo, t’es trop basané, t’as l’air arraché, et hop on t’humilie devant tout le monde.
Qu’on me sorte pas “y a des caissières sympas” ! Et des flics sympas y en a pas ? Le problème c’est leur fonction, et la fonction des caissières c’est aussi d’empêcher que la marchandise du patron se fasse voler, et surtout de faire payer des produits indispensables pour vivre.
C’est un boulot de merde que certains font pour vivre, comme pour ceux qui vont faire le ménage dans un comico ou dans une centrale nucléaire ou un palais de justice. Bien sûr que quand t’as des gosses t’as pas forcément le choix de bosser ou pas et que je leur jetterai pas la pierre, mais je vais pas non plus les défendre. Pourquoi je devrais être solidaire avec les caissières alors qu’elles ne le sont pas avec moi quand je fais mes courses ?
Plus que des mauvais pauvres, vous êtes surtout de bons radicaux débiles à critiquer idéologiquement tout mode d’action qui ne rentre pas dans le champ politique de la pureté que vous avez décidé d’ériger
Fermez donc un peu votre gueule, regardez la réalité du monde en face trente secondes et sortez de votre entre-soi radical qui ne vous mènera nulle part sauf à quitter toute forme d’agir politique dans moins de 5 ans
Bisous
Bah, à part crève de faim ou se faire choper tout seuls et finir en gardé à vu, vous propose quoi en fait ?
Pendant que les critiques critiquent les précaires crèvent !
oui mais tu voit bien que c’est qu’un coup d’eclat qu’ils ne font qu’une fois en appellant la presse.
ils vont pas le refaire chaque semaine pour te filer a bouffer
alors oui tu peux toujours te faire pecho ou crever.
les critiques semble plus etre de celleux qui se font pecho
la suite logique de leur action est souvent d’organiser la collecte et la redistribution des invendus, bref de te refourguer les poubelles mais avec leur regles a eu et là t’a même plus le droit de prendre du frais si t’a pas une glaciere…
la non violence protege l’etat !
Sur le fond, vous avez sans doute raison, mais qu’est-ce que vous êtes insupportables à sortir des textes tous les trois matins pour distribuer les bons et les mauvais points de l’Anarchie. Une action vous parle pas ? Pas grave, fermez-la. Personne vous a demandé votre avis ; d’ailleurs, tout le monde s’en fout. Personne ne vous oblige à y participer, ça vient pas nuire une quelconque lutte qui n’existe pas de toutes les façons, alors continuez à chourrer dans les Caroufs et à kiffer sur des pillages à l’autre bout du monde, mais apprenez à vous taire.
Au passage, le commentaire qui se demande « pourquoi différencier les caissières des vigiles », je peux pas croire que c’est autre chose qu’un·e troll. J’espère vraiment que personne n’en est à ce point de décomposition politique.
Ptet c’est pas une question de “distribuer des bons ou mauvais points”, ou de “cours de récré” comme on entend parfois.
Il faudrait donc pas discuter de limites de façon de faire ? C’est quand et ou qu’on peut avoir des débats sur le sens et la portée des actions, sur les perspectives révolutionnaires (ou pas) qu’elles portent alors ?
Il faudrait juste fermer sa gueule quoi. Et comme ça après on voit des “l’autre cantine” ou autre merde humanitaire s’installer, et les luttes décroitre et se faire récupérer au profit de certains. On connait la chanson ouais.
Les moyens d’action des un.e.s et des autres sont pas déconnectés, les discuter est plutôt sain. Refuser la discussion parce qu’il ne faut pas critiquer ne l’est plutôt pas.
Moi ton avis je m’en fout aussi, pourquoi tu le dis ? De quel lutte qui n’existe pas tu parle ? Dans le genre troll t’es pas mal non plus dis.
“Au passage, le commentaire qui se demande « pourquoi différencier les caissières des vigiles », je peux pas croire que c’est autre chose qu’un·e troll. J’espère vraiment que personne n’en est à ce point de décomposition politique.”
Ben explique-toi, parce que moi je comprends pas pas en quoi c’est scandaleux de dire que les caissières fliquent les clients du supermarché, que ça fait partie de leur boulot tout simplement, et que c’est du coup hyper manichéen de dire “les méchants vigiles” et “les gentilles caissières”, alors que les deux sont là pour protéger les intérêts du patron.
Je sais pas non plus ce que tu entends pas décomposition politique, parce que je n’aime ni la composition, ni la politique, alors je me dis que ça doit être un truc qui me plaît … si c’est déconstruire la politique pour la détruire, la rendre bien putride, ben ouai, t’as trop raison ! Quelle crève la politique, qu’elle se désintègre dans sa putréfaction ! Vive la décomposition, pas que de la politique, mais de toute la société !
“alors que les deux sont là pour protéger les intérêts du patron”
Alors, que les salariés soient là pour protéger les intérêts du patron, c’est quand même un sacré retournement de marxisme, mais en vrai on peut s’attendre à tout aujourd’hui.. D’ailleurs dans un mariage, la femme défend les intérêts de son mari, et dans une exploitation animale, la vache défend l’intérêt de son éleveur
Tu défends sûrement l’intérêt de ton cul de consommateur qui comprend rien au matérialisme et à ce qu’est une relation de domination
l’analyse marxiste ! Tu veux me dire ce que pense le marxisme de l’histoire ? Et du progrès ? Y a encore des gens qui donnent du crédit au marxisme ?
Vu que le milieu est quand même rempli de fils/filles de petits ou très gros bourgeois, je me demande comment les gens osent venir faire des leçons sur les classes sociales, les patrons et les exploités !
Des gens qui grandissent dans des Hôtels particuliers avec des bonniches, ouai les seuls que j’ai rencontré comme ça c’est dans le milieu, étonnant ! Et ça va parler de lutte de classe, avec son petit master d’une grande école en poche ! Ben ouais, quand tu vis dans un appart payé par papa/maman, que t’as pu accéder à des études privées grâce à leur fric, on peut pas dire que la lutte de classe te concerne ! Quand on a un parachute c’est de suite plus facile de se la jouer radicale, parce que le jour où t’en as marre tes diplômes et ton milieu social te permettent de reprendre une vie de grand bourgeois.
Mais sinon oui, défendons les caissières qui appellent les flics quand elles chopent un pauvre en train de voler, tout ça pour protéger les biens du patron !
Franchement vous avez jamais dû voir ces scènes horribles où les caissières se mettent à harceler un pauvre qui vient de chourrer un truc, en l’humiliant devant tout le monde, comme des hyènes enragées, parce qu’elles sont trop fières de défendre la marchandise du patron. DU genre “comment tu penses que ça se passerait si tout le monde faisait comme toi ? T’as pas honte de voler !En plus tu voles des trucs dont tu pourrais te passer ! On appelle la police, c’est pas la première fois qu’on te prend sur le fait, et va falloir que tu rembourses tout”.