Orel, activiste allemand membre de la legal team des manifestations anti G20 était de passage à Dijon. Nous lui avons posé quelques questions sur la répression post G20, dont les vagues s’enchaînent jusqu’à l’actualité brûlante. En effet, ce jeudi la presse allemande annonce qu’au moins 2 des personnes interpellées autour de Bure mercredi 20 juin l’ont été dans le cadre de cette enquête sur le G20.

Est-ce que tu peux nous redire quelque mots sur ce qui s’est passé à Hambourg ?

Alors en juillet dernier, il y a eu un G20 à Hambourg, avec une mobilisation assez spectaculaire de mouvements disons post-altermondialistes. Ça a été une des mobilisations anti-capitalistes les plus impressionnantes de ces dernières années. C’était autour du 7 juillet, plusieurs dizaines de milliers de personnes se sont réunies, pendant que les dirigeants du G20 se retrouvaient au plein cœur de Hambourg. Le lieu a été choisi en plein centre de cette ville « métropole » émergente, nom que se donnent toutes les grandes villes capitalistes du monde occidental, qui ont toutes l’espoir de profiter de ce genre d’évènement pour se donner une image de ville sous contrôle.
En réalité, le sommet a été largement perturbé par ces contestations, et Hambourg a complètement échoué dans sa démonstration du maintien de l’ordre, malgré une répression féroce.
Des perquisitions avaient déjà eu lieu des semaines avant la tenue du sommet, et quelques jours avant, la police a empêché les gens de construire des campements qui avaient pourtant été légalisés par des tribunaux. Dès le début du sommet, les flics ont fait preuve de beaucoup de violence alors qu’aucune manifestation n’avait encore eu lieu et le soir du 6 juillet la vapeur ne pouvait plus tenir dans la casserole… S’en sont suivis deux jours et trois nuits d’émeute. Il y a eu beaucoup de casse, les gens ont commencé à se confronter de plus en plus à la police. Aujourd’hui on sait que la ville d’Hambourg a mobilisé 31 000 policiers.

Les manifestant·es n’ont jamais pu s’approcher du sommet, et ont fait face à une violence policière qu’on avait jamais vu, avec des flics en voiture qui essaient d’écraser des gens, des manifestant·es qui ont chuté d’un mur de 4 mètres de haut et qui se sont brisés les os. Beaucoup de gens ont fini à l’hôpital durant le sommet, et à deux reprises des policiers en civil qui avaient été démasqués ont sorti leur arme et braqué la foule.
L’un des acteurs principaux de cette répression c’est Hartmut Dudde, un chef de la police parti en retraite et qui a été rappelé spécialement pour l’occasion. Il est connu pour des opérations de police jugées illégales à posteriori, notamment concernant des actions anti-nucléaires dans le Wendland où ce type a vraiment fait n’importe quoi. Il s’est détaché de toutes les décisions de justice qui avaient légalisé les manifestations. Son retour a été accompagné d’un effet d’annonce : « Voilà, on va faire diriger la police par un hardliner, un mec ultra dur qui va s’occuper d’être l’exécutif du Capital et qui se fout des soi-disant droits citoyens ». Et c’est effectivement ce qu’on a vu pendant ces journées.

L’accompagnement médiatique qui avait été initialement très critique sur l’action policière, a complètement changé de ton une fois que des émeutes ont éclaté le soir du 6 juillet. La propagande allant grandissante, les médias décriaient la violence des manifestant·es alors qu’on avait à faire à une orgie de violence policière.
Le sommet s’est terminée le 8 juillet, avec une grande manifestation d’une centaine de milliers de personnes. Malgré cette répression terrible, je pense que pour la contestation politique, la mobilisation a été un succès pour la scène radicale de gauche.

Après ce sommet, vous avez fait face directement à une répression très dure.

Oui, la répression n’a fait que grandir par la suite. L’interdiction d’un site alternatif, Indymedia Linksunten, a donné lieu à une perquisition en août. Puis, de plus en plus de perquisitions se sont enchaînées pendant l’automne, accompagnées d’une communication très intense de la police, parlant toujours des extrémistes terroristes de gauche qui auraient mené Hambourg à la guerre civile. [1]

En décembre, la police a finit par lancer une traque publique, en publiant plus d’une centaine de photos de manifestant·es inculpé·es pour divers crimes ou délits pendant le sommet. Comme il n’y avait pas eu beaucoup de contrôle ni d’arrestations pendant le sommet, les flics disposaient de très peu de noms, mais ils avaient beaucoup de matériel photo et vidéo. Beaucoup de journalistes ont également donné leurs images. Globalement, la presse s’est vraiment fait le bras droit de la police en donnant des données et en publiant ces photos.
Cette traque est une grande première. Dans les années 70, la police allemande traquait des groupes armés, et on parlait de 20 ou 30 personnes recherchées publiquement pour des actions politiques armées, avec des attentats politiques à la bombe. Et là on parle de gens qui auraient peut-être, à un moment, jeté un caillou ou une bouteille.

Les perquisitions se sont poursuivies, on arrive à une soixantaine actuellement. La police dit qu’il y aurait presque 3500 procédures en cours. Les flics stockent et traitent beaucoup de matériel et de données, ils tentent d’effrayer la contestation et de maîtriser le discours en collaborant intensément avec une presse et des journalistes très peu critiques.
Avec la fermeture d’Indymedia Linksunten, une des plateformes centrales de la contestation radicale de gauche et anarchiste avait disparu par voie administrative. Nous avons perdu l’un de nos moyens d’échanger, de nous organiser, d’analyser ce qui s’était passé, mais aussi de contrer la propagande mise en place.

Tout ce traitement médiatique est comparable à ce qu’on voit en France : des manifestations avec des violences policières monstrueuses, et des discours qui disent que de méchants black block auraient malmené l’ordre. Nous avons à faire à une violence capitaliste terrible, contrecarrée par quelques émeutes ponctuelles, et l’ordre néo-libéral se défend en dénonçant les extrêmes qui menaceraient la démocratie… Ce sont clairement les dirigeants du G20 et leur appareil juridique et administratif qui sont à l’origine de la fin de la démocratie.

Peux-tu revenir sur la série de perquisitions qui ont traversé l’Europe le 29 mai ?

Au début du mois de mai, le « SoKo Black Block » – c’est la commission spéciale de la police de Hambourg qui traite les données liées au G20 – a lancé une deuxième traque publique en publiant une autre centaine de photos, et en annonçant qu’elle allait maintenant passer à l’échelle internationale.
Le 29 mai dernier, les procureurs d’Hambourg ont ordonné des perquisitions internationales en France, Espagne, Italie et Suisse. Je crois que ce sont 8 ou 9 lieux qui se sont faits perquisitionner par la Guardia civile, les carabienieri, les flics français et suisses.

Cette offensive a été accompagnée de la sortie d’un documentaire sur la première chaîne allemande, qui s’intitule « la violence noire » et qui enquête sur l’activité du méchant black block qui aurait brûlé la moitié de la ville d’Hambourg. Dans ce documentaire, on voit la police du « SoKo black block » qui retrace les activités de manifestant·es ou d’activistes au matin du 7 juillet, dans le quartier d’Altona où ont brûlé une série de voitures et où des magasins ont été attaqués. Les flics présentent la coordination du travail international et surtout leur innovations techniques comme la biométrie. Ils parlent d’une recherche qui se servirait d’ordinateurs capables de reconnaître des visages, en y plaçant des points laser à différents endroits. Toute cette propagande a surtout pour but de créer un effet psychologique parce que ça fait super peur. Ils affirment : « On vous aura tous ».

À ma connaissance, c’est la première fois qu’il y a des perquisitions aussi importantes, à une échelle internationale. Le procureur allemand a réussi à rendre légitime le fait de rechercher dans 5 pays européens des personnes accusées d’avoir simplement participé à des émeutes.
La répression a franchi un nouveau stade, par sa durée, par ses innovations technologiques et pour sa dureté. Juridiquement, on a aussi clairement vu qu’on n’ avait pas à faire à une justice impartiale. Beaucoup de jugements vont bien au-delà de ce qu’on avait connu. Des personnes ont été condamnées à 2 ou 3 ans de prison ferme pour de simple jets de canette de bière, qui ne représentaient aucun danger réel pour les personnes.
Je pense qu’ils n’ont pas assez de preuve pour incriminer des gens pour des délits plus importants. Mais ils disent rechercher des personnes qui auraient mis le feu à des barricades, et risquent 5 ou 10 ans de prison ferme, et on a peur que de nouveaux jugements arrivent dans les mois qui viennent.

La pression est très grande sur leur tentative de traque internationale, parce que je crois que la plupart des gens n’ont pas été d’accord avec la manière dont s’est tenu le sommet. À Hambourg l’ambiance était vraiment contre la police, les citoyen·es de la ville n’étaient pas content·es que le sommet ait lieu là-bas, dans le centre et à côté des quartiers alternatifs. La police d’Hambourg a tellement échoué à maintenir l’ordre qu’il lui faut maintenant réussir sa traque pour démontrer que son travail peut quand même être efficace, même si c’est après-coup. C’est pour ça que nous avons peur pour les personnes qui sont recherchées, parce que le procureur de Hambourg va devoir prouver qu’ils ont enfin trouvé les méchants terroristes dont ils parlent depuis des mois.

En France on a très peu parlé de ces perquisitions, parce que les flics n’ont pas trouvé les personnes qu’ils recherchaient, même s’ils ont quand même procédé à des perquisitions. On a su il y a quelques jours qu’une personne concernée est partie en cavale, et qu’elle n’est pas trouvable à ce jour. C’est vraiment un échec pour la police française, on parle d’une affaire internationale et les flics n’ont pas été capable d’arrêter un manifestant, c’est la honte pour eux. Ils débarquent avec l’armée et ils échouent, Collomb et les politiciens n’ont pas du tout intérêt à communiquer là-dessus.
Mais il faut quand même s’attendre à ce que ces traques continuent. On souhaite aux ami·es de s’en sortir, et on oublie pas que l’échec de l’État allemand et de la police durant ce G20 reste puissant.

Est-ce que tu peux nous expliquer brièvement l’organisation de cette traque européenne ?

La « SoKo black block », dans ses conférences de presse, a divisé les différents « éléments » du sommet dans des complexes. Cette vague de perquisitions internationales concerne le complexe « Elbchaussee » – qui désigne l’action du 7 juillet au matin, dans la rue de Elbchaussee dans le quartier d’Altona. [2] Différents délits sont évoqués comme la mise à feu de bâtiment ou des jets de cocktails molotov sur Ikea – cette marque suédoise qui exploite le travail forçé des prisonnier·es pour produire ses meubles. Aucune personne n’a été mise en danger, mais comme les délits évoqués sont beaucoup plus gros que pour d’autres moments du sommet, les procureurs d’Hambourg font pression politiquement pour impliquer d’autres nations dans leur traque.

La seconde série de photos a été communiquée aux journalistes espagnols et italiens, et en Espagne les photos des personnes recherchées ont été publiées dans les journaux.
Dans le documentaire dont j’ai déjà parlé, on voit que la SoKo black block et le procureur d’Hambourg coordonnent les polices du canton de Zurich en Suisse pour perquisitionner un espace autogéré à Bremgarten, communiquent directement avec les carabinieri et avec les flics espagnols et français. À Bremgarten, 150 flics armés jusqu’aux dents ont débarqué pour arrêter une personne qui aurait peut-être été présente à une des manifestations ciblées par les recherches. Il y a un mandat d’arrêt européen contre la personne recherchée en France.
Bien sur, tout ça implique des États très convaincus. Des moyens énormes sont mis à disposition par les États suisse, espagnol et français, et je crois que c’est sûrement par solidarité avec ce minable État allemand qui a totalement échoué dans sa gestion du sommet.

Est-ce que cette traque internationale fait écho à un discours sur les « sauvages venus d’ailleurs » ?

Bien sur, le traitement des émeutes est en général très xénophobe, même dans de toutes petites villes, les méchants casseurs sont toujours venus d’ailleurs. Ce sont de vieilles stratégies de communication qui cherche à faire peur en s’appuyant sur la xénophobie ambiante. Quand la menace vient d’ailleurs, on peut débloquer beaucoup plus de moyens répressifs. À Hambourg, en amont, pendant et après le sommet, on nous parlait de milliers d’autonomes qui allaient venir de toute l’Europe, et surtout du sud.

Bien sur que des gens viennent de partout pour des contestations qui sont effectivement internationales, mais on joue sur le stéréotype du méchant inconnu venu d’ailleurs dont on ne parle pas la langue et qui mettrait la ville à feu et à sang. On utilise la peur pour ne pas parler du fond.
On ne parle pas des violences policières qui sont elles aussi internationales, puisque les flics aussi viennent de plus en plus d’ailleurs. Des flics autrichiens sont venus à Hambourg avec leurs mitraillettes. Des flics allemands se sont déployés en Suisse ou en France pour les perquisitions.
Le 20 septembre, le sommet sur la sécurité en Europe va se tenir à Salzbourg en Autriche, et on pense que ce sera le match retour pour certains flics bavarois qui seront déployés là-bas.

Moi j’ai pas trop peur des activistes internationaux qui se soutiennent d’un pays à l’autre, mais j’ai vraiment peur d’un État policier européen qui rend possible une coopération à tous les niveaux – administratif, juridique, répressif, exécutif – et où des flics se déplaceraient de Stockolm à Athènes. Et si une insurrection avait lieu dans un pays, on aurait des milliers de flics venus de tous les pays, sans aucune frontière, parfaitement légaux et déjà légitimes d’être venus d’ailleurs pour écraser une émeute. [3]
D’un coup, l’État autoritaire apparaît tout à fait internationaliste et ouvre les portes à toutes personnes pourvues d’une mitraillette, d’un casque et d’un uniforme.

Tu parlais du soutien que tu voudrais voir émerger envers les personnes réprimées, à quoi tu penses ?

Le soutien politique peut avoir beaucoup de facettes, et je me suis rendu compte en subissant la répression que même de petits gestes peuvent être très précieux. C’est important d’agir et c’est beaucoup mieux de distribuer quelques tracts, d’accrocher une banderole, de faire une soirée d’information ou une émission radio, que de ne rien faire. Biensûr qu’il faudrait que tout le monde soit dans la rue, mais il ne faut pas penser que les gens qui subissent la répression ne sont pas touchés par les petits gestes. Il faut aussi rassembler du fric, les gens en taule en ont besoin, il y a des structures qui les aident, des collectifs antirep’. Si vous avez des thunes, il faut biensûr leur en donner, mais tout genre de geste peut être bon.
Le 25 août, ça fera un an que de grosses perquisitions ont eu lieu. On peut s’y référer pour exprimer de la solidarité, même symbolique, pour les gens qui se sont engagés dans la rue.

Et la semaine prochaine il y a aussi un procès pour « éloge du crime » contre des personnes qui auraient soutenu médiatiquement les émeutes, c’est aussi une occasion à saisir pour être solidaires.
La question de la censure est de plus en plus inquiétante, partout en Europe. Beaucoup de nouvelles lois sont en train de passer, sur la censure des grands réseaux sociaux en Allemagne, comme en France sur les fake news qui va permettre de s’attaquer aussi aux avis divergents. Nos sociétés croient beaucoup au mensonge démocratique qu’on leur livre, et ne voient pas qu’il y a de la censure. L’interdiction d’Indymedia Linksunten, et les procès pour éloge du crime en sont maintenant de très bons exemples. Il va falloir lutter sur ces questions pour empêcher que bientôt nous n’entendions que la police nous parler au 20h. Et ça commence par continuer de s’exprimer, dans tous les médias dont nous disposons.

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Notes

[1] Il faut dire que l’armée avait été employée ; des commandos spéciaux avec des mitraillettes avaient stoppé des manifestant·es le soir du 7 juillet.

[2] Une partie des personnes arrêtées en décembre étaient inculpées pour l’action de Rondenbarg, un autre complexe qui concerne une action où des jeunes ont été défoncés par la police. Mais on pense qu’il n’y a rien à prouver contre eux, c’était une action loin du centre, c’était pas une émeute et c’est la violence policière qui a primé. Oser une action internationale sur ce complexe aurait été absurde, et les procureurs européens n’auraient pas soutenu des poursuites contre des gens qui se sont faits tabasser pour rien.

[3] Dans son témoignage, une personne recherchée en France explique que les flics allemands étaient accompagnés de flics français chargé d’enquêtes liées à la lutte anti-nucléaire de Bure, et qui ont profité de la perquisition pour charger leur propre dossier.