Réforme de la sncf : débats télévisés ou guets-apens pour syndicalistes ?
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Catégorie : Global
Thèmes : Contrôle socialLuttes étudiantes/lycéennesLuttes salarialesMédiasMouvementRépression
Nous débutons cette revue des débats télévisés sur la réforme de la SNCF avec l’émission de débat emblématique de CNews, « L’heure des pros ». Le 20 février, Pascal Praud rassemble autour de la table Fabien Dumas, secrétaire fédéral Sud-Rail, Gérard Leclerc, éditorialiste politique CNews, Charlotte d’Ornellas, journaliste à Valeurs actuelles, Jean-Claude Dassier, présenté comme éditorialiste politique (!), nous y reviendrons, Jean-Louis Burgat, journaliste, et Clément Viktorovitch, docteur en science politique, spécialiste en rhétorique [1]. L’isolement de Fabien Dumas – qui ne pourra compter que sur le soutien ponctuel de Clément Viktorovitch – et l’hostilité avec laquelle il est accueilli se feront ressentir dès la présentation de l’émission par Pascal Praud :
C’est la grande réforme de la SNCF. Vous êtes contre a priorile changement (sic). Est-ce que le 22 mars vous serez en grève par exemple ? […] Le spectre d’une grande grève de 1995 commence à planer. Est-ce qu’il est possible d’arriver dans un mouvement dur : pas de train pendant un mois ? […] C’est un enjeu pour les syndicats hein ? Il faut montrer que vous existez toujours.
Ou comment discréditer d’emblée, avant même que le sujet soit en « débat », le syndicaliste invité. Un ton que viendra confirmer la seconde entrée en matière de Pascal Praud :
Bon on parle de la SNCF ! [ …] Réforme de la SNCF qu’on annonce « révolutionnaire »… Alors moi j’ai retenu, vous allez me dire si je me trompe, trois choses qui ne me paraissent pas très révolutionnaires. La première, c’est le changement du statut de cheminot c’est ça qui est en cause [Fabien Dumas : La fin du statut.] La fin, bon… Vous avez, comment dire, l’emploi garanti à vie donc ça peut être remis en cause pourquoi pas. La deuxième chose, ça serait la fermeture des petites lignes non rentables. Et je citais l’exemple tout à l’heure de certaines lignes où il y a 30 voyageurs par semaine, donc là encore chacun pense ce qu’il en veut, mais 30 voyageurs par semaine, c’est vrai que ça pose question sur la ligne. Peut-être qu’il faut mettre un car ou autre chose qu’une ligne. Et la troisième chose, c’est l’ouverture à la concurrence. Nous sommes d’accord : c’est les trois choses sur lesquelles la réforme se met en place ? Ecoutez franchement ça ne me paraît pas très révolutionnaire votre affaire !
« Chacun en pense ce qu’il veut », mais Pascal Praud prend tout de même grand soin de minimiser les différents points de désaccord – et ce au gré d’un exposé que nous qualifierons d’indigent – tout en disqualifiant par avance les positions du syndicaliste. Du grand art d’éditocrate ! Durant le « débat », les questions du présentateur, l’hostilité voire l’agressivité des autres chroniqueurs en plateau, et de Jean-Claude Dassier en particulier, ne feront que dégrader les conditions d’expression et perturber les prises de parole de Fabien Dumas [2]. Florilège vidéo :
La morgue voire le mépris de classe (en particulier de Jean-Claude Dassier) rendent impossible toute expression, tant on a l’impression que « dézinguer un syndicaliste » est devenu un véritable jeu médiatique. Si Fabien Dumas peut en théorie s’exprimer, il le fait au péril d’interjections intempestives, d’interruptions constantes et de prises à partie agressives, qui perturbent constamment son expression dans ce qui n’a plus lieu de s’appeler « débat » : le syndicaliste s’exprime 7’53 sur 23’53 d’émission et il est interrompu/coupé 66 fois, soit en moyenne une fois toutes les 7 secondes.
D’autres bénéficient en revanche de conditions d’expression optimales sur le plateau au moment de dérouler leurs éditos (tous favorables aux propositions Spinetta et manifestement hostiles aux positions syndicales). C’est notamment le cas de Charlotte d’Ornellas (voir la vidéo ci-dessus) ou de Gérard Leclerc, qui réussit à expliquer combien le statut de cheminot est un privilège durant une minute sans être interrompu une seule fois.
Spécialistes de ce « jeu » médiatique, les chroniqueurs ont l’habitude des plateaux et de leurs codes, et sont invités en leur qualité de… chroniqueur multicartes. Ainsi de Charlotte d’Ornellas, s’exprimant régulièrement sur tout et n’importe quoi dans cette émission comme dans l’hebdomadaire Valeurs actuelles ; ou encore de Jean-Claude Dassier, revenant des hautes sphères médiatiques et des débâcles judiciaires, qui pérore en qualité d’« éditorialiste politique » n’ayant pourtant aucune qualification particulière pour s’exprimer sur la réforme de la SNCF [3]…
Un « jeu » médiatique disions-nous donc, qui se double pour finir d’une suspicion constante envers le syndicaliste. Ainsi, et alors que ce dernier aborde le manque d’effectifs à la SNCF, notamment parmi les conducteurs de train, Pascal Praud n’en revient pas… et doute un peu :
– « M. Dumas, je ne peux pas vérifier ce que vous avez dit : vous maintenez qu’il y a mille propositions de [postes] de conducteurs de train [non pourvus] ? »
Et de reposer au prévenu la question un peu plus tard, le doigt levé :
– « Alors c’est toujours intéressant de vous écouter (sic) parce que vous êtes sur le terrain. Vous disiez cette chose absolument incroyable : mille postes qui ne sont pas pourvus, ce qui fait quand même sens. Mille postes de conducteur hein ! Moi je ne peux pas vérifier ce que vous avez dit hein, mais je vous fais confiance… »
Dommage que cette prudence n’ait pas « fait sens » très longtemps chez Pascal Praud. Si la mise à distance des propos est en soi une qualité journalistique à défendre, il serait bon que Pascal Praud en fasse usage à l’égard des affirmations de chacun de ses interlocuteurs. Car au moment où Jean-Claude Dassier affirme catégoriquement que la responsabilité de l’État à l’égard de la dette de la SNCF est « un prétexte des syndicats », on cherche encore l’intervention de l’animateur lui rétorquant qu’il « ne peut pas vérifier ce qu’il dit »… Tout à son autosatisfaction éditocratique, Pascal Praud n’est sans doute même pas conscient de cette pugnacité à géométrie très variable, comme il n’est pas conscient du déséquilibre abyssal des « échanges » qui ont cours sur son plateau, bien au contraire :
La parole circule le matin, c’est ça qui est intéressant. D’un côté il y a toujours des théories qu’on peut avoir, de dire « plus de rentabilité », « société anonyme », et puis il y a vos témoignages, ce que vous vivez sur le terrain. Et il y a confrontation forcément de ces idées, et chacun se fait son opinion.
Tout va donc pour le mieux dans le meilleur des mondes… !
Mille et une merveilles du « modèle britannique » sur Arte
Notre revue des débats télévisés se poursuit avec l’émission du 19 février de « 28 minutes » sur Arte. Elisabeth Quin et son équipe proposent un débat sur la réforme de la SNCF : « Peut-on tout changer sans dérailler ? » et là encore, la composition du plateau n’est pas équilibrée loin s’en faut : y figurent Jean-Marc Daniel, seul « expert » du plateau, farouche partisan de la privatisation (y compris dans l’Éducation nationale) ; Bruno Gazeau, président de la FNAUT (Fédération nationales des associations d’usagers des transports) et favorable à la mise en concurrence de la SCNF ; et enfin Charlotte Girard de la France Insoumise, opposée au rapport Spinetta.
Déjà désavantagée par la composition du plateau, Charlotte Girard va être sévèrement mise en difficulté par les deux animatrices de l’émission. Après quelques échanges introductifs, la chroniqueuse Nadia Daam dresse en quelques minutes une présentation enchantée du « modèle britannique » de privatisation du rail, basée sur un article du Monde, lui-même beaucoup moins caricatural. La journaliste retient le seul constat dressé par un ancien directeur d’une société privée : le « modèle » britannique de privatisation du rail serait une « success story ». Les premiers errements de la privatisation auraient été « corrigés » et « aujourd’hui on peut le dire, c’est très clairement un succès » sur tous aspects : satisfaction des usagers, rentabilité, sécurité, etc. Bref, le paradis ferroviaire.
Problème : ce constat est loin d’être largement partagé. Un article de La Tribune daté de janvier 2017 évoque ainsi le « déraillement » de la privatisation des chemins de fer au Royaume-Uni. Il relaie une étude selon laquelle près de deux Britanniques sur trois seraient favorables à une renationalisation du rail. Comme nous l’évoquions dans notre précédent article, d’autres émissions, comme C dans l’air sur France 5, n’ont quant à elles pas manqué d’évoquer le bilan catastrophique de la privatisation du rail en Grande-Bretagne : accidents multiples – plus de 70 morts entre 1995 et 2005 – retards fréquents, suppressions d’effectifs, coût exorbitant et particulièrement pour les passagers avec l’augmentation des prix (jusqu’à 300€ par mois pour un abonnement mensuel sur une ligne régionale contre 90€ auparavant).
Mais de tout cela, il ne sera pas question dans la présentation de Nadia Daam qui conclut en prenant à partie la représentante de la France Insoumise avec une certaine malice : « Charlotte Girard du coup est-ce que c’est tant un épouvantail que ça, cet exemple britannique, quand on voit ce qui marche, et comment on peut s’en inspirer ? » Alors que son interlocutrice tente de se défendre, les deux animatrices en rajoutent : « L’ouverture à la concurrence a eu des effets bénéfiques sur la qualité du service », rappelle Nadia Daam. « Les usagers sont satisfaits en Grande-Bretagne. Alors qu’en France 42 % sont mécontents », ajoute Elisabeth Quin. À la surprise de Jean-Marc Daniel, qui n’a plus grand-chose à ajouter : ce soir les deux avocates de la privatisation du rail étaient les animatrices de l’émission !
« Macron doit-il casser le service public ? »
Autre plateau, même ambiance. Celui de « 24h Pujadas » sur LCI, animé le lundi 19 février par Marie-Aline Méliyi. On peut dire que la présentation de l’émission annonce la couleur :
Les intervenants de l’émission sont, d’un côté, Dominique Bussereau, ancien ministre des Transports de Nicolas Sarkozy, Jean-Baptiste Djebbari, député LREM spécialiste des transports et Sophie Fay, du service économie de L’Obs, tous trois favorables à quelques nuances (ténues) près, à la libéralisation du rail ; de l’autre, Benjamin Amar de la CGT. Celui-ci va passer le temps de l’émission à se défendre (avec un certain panache) contre les trois autres invités, mais également face aux questions peu amènes de l’animatrice ainsi qu’aux charges des deux « témoins » invités dans l’émission. Excusez du peu…
L’émission commence – grand classique – avec une présentation à charge du statut « avantageux » des cheminots, qui « date de plus d’un siècle […] et qu’on a tenté de réformer une bonne dizaine de fois sans succès » : emploi à vie, retraite à 52 ans, nombre imposant de jours de congés… Autant de « privilèges » qui mériteraient cependant d’être nuancés (comme le note cet article sur le site de France info). Et qui mériteraient surtout de ne pas être exagérés… Car lorsque la journaliste annonce, avec un sourire entendu, que les cheminots ont « plus de vacances que les autres Français » elle évoque, dans un calcul qui donne le tournis, le chiffre surprenant de 164 jours de congés. Un chiffre gonflé à l’envi, mais qui circule depuis longtemps sur les plateaux, si l’on en croit cette démonstration de Libération datée de 2016.
Bref, le message est passé dès l’introduction : les cheminots sont des nantis [4]. Le débat démarre alors sur les chapeaux de roue avec une question à peine orientée de l’animatrice : « Sur le constat, est-ce que vous êtes tous d’accord pour dire que l’entreprise est au bord du gouffre, raison de plus pour tout transformer, ou au contraire est-ce qu’il ne faut rien changer ». La réforme (libérale) ou le néant, le refrain bien connu sera développé au fil de l’émission. Florilège des échanges de l’animatrice avec Benjamin Amar :
– « Laissons parler la dette, est-ce que c’est une entreprise qu’il faut réformer ? »
– « On pourrait vous rétorquer que le monde a changé, que les privilèges ne se justifient plus. »
– « Mais est-ce qu’on peut continuer comme avant ? »
– « Mais est-ce que vous pensez avoir le soutien de l’opinion publique ? »
– « On sait qu’à chaque fois que les prédécesseurs d’Emmanuel Macron ont tenté de s’attaquer à une réforme de la SNCF, ils ont dû affronter des blocages, est-ce que la SNCF est une entreprise irréformable ? »
– (à un sondeur) « Est-ce que ça veut dire que les Français sont mûrs pour la réforme envisagée par le gouvernement ? »
Le déséquilibre du plateau étant encore vraisemblablement insuffisant, les « témoins » qui interviennent ponctuellement dans l’émission vont ajouter de nouvelles attaques contre Benjamin Amar. Le premier est un « représentant des usagers de la ligne Paris-Chartres » qui se lance dans une surprenante charge contre les petites lignes « peu rentables », défendues par Benjamin Amar, qui priveraient les lignes plus importantes des investissements nécessaires. Mais ce n’est rien à côté du second « témoin » qui verse carrément dans la caricature. Présenté comme entrepreneur, essayiste, et auteur d’un post de blog au titre évocateur : « Les cheminots CGT principaux ennemis de la sécurité sociale », le témoin s’en prend à la SNCF, à ses salariés, et même aux chibanis… On croit rêver.
Enfin pour les téléspectateurs qui n’auraient pas saisi le propos de l’émission, les bandeaux donnent également le ton…
Le retour des « prises d’otage »
Le 26 février, soit une semaine plus tard, David Pujadas remet le couvert avec un plateau à l’image du premier… si ce n’est pire ! L’invité ? Louis Gallois, ayant « dirigé la SNCF pendant 10 ans », selon les mots de David Pujadas, ce qui inspire au présentateur le commentaire suivant : « sa parole est respectée ».
En plateau, Bruno Poncet, secrétaire fédéral Sud-Rail, défendra seul un point de vue contre la réforme. Les trois autres invités (voir le détail en annexe) seront en effet unanimes : unanimes pour « réformer » coûte que coûte, unanimement pour les ordonnances, qui ne relèvent selon eux pas d’un passage en force et qui seront mises en place « si les gens ne prennent pas leurs responsabilités »(Emmanuelle Ducros), unanimes enfin contre les « privilèges » et les « avantages » des cheminots vénaux !
Même type de débat, mêmes effets : le pluralisme est piétiné. Il l’est même doublement quand, en plus de l’unanimisme de trois invités sur quatre, David Pujadas choisit deux questions de téléspectateurs allant strictement dans le sens des trois invités défendant la réforme…
On croit rêver… Et pourtant ce n’est pas terminé. François de Closets se livre à une longue tirade qui résume à elle seule l’ambiance sur le plateau :
Lorsqu’une corporation a un avantage, c’est pas parce qu’elle est utile, c’est pas parce qu’elle est malheureuse, c’est parce qu’elle fait peur ! En France on ne rémunère que le pouvoir de nuisance. Et si les cheminots ont aujourd’hui ce statut, ce n’est pas parce qu’ils sont compétentes ou dévoués, ce qu’ils sont, c’est parce qu’ils ont la possibilité grâce au monopole ferroviaire de bloquer le pays, et qu’ils font peur. C’est tout ! Tout le reste, c’est du pipeau ! Et aujourd’hui quand on est en train de parler du problème du statut, en arrière-plan, il y a la grève, la grève ! Et vraiment, si la France doit faire un mois de grève pour cette histoire de statut, c’est scandaleux pour qui aime la France. […] Quand je pense qu’on nous parle d’un mois de grève pour la France ! […] Voyez ce que sont ces rigidités ! […] Dans la mesure où ça bloque et ça interdit à la France d’entrer dans l’avenir, c’est terrible !
Et de poursuivre sa tirade en fustigeant les syndicats qui menaceraient de « prendre en otage les Français » :
Vous savez très bien que si vous, pardon les syndicats, menacent de nous prendre en otage dans des conditions scandaleuses, c’est uniquement pour défendre leur statut, et pas pour défendre le service public ! […] C’est scandaleux de même envisager de prendre dans ces conditions les Français en otage !
On le sait, la « prise d’otage » est une accusation récurrente dans les grands médias pour dénoncer les mobilisations sociales. Cette fois-ci, son caractère outrancier tombe particulièrement mal, puisque Bruno Poncet a lui-même été victime d’une prise d’otage, comme il s’en explique :
N’employez jamais le mot de preneur d’otages [Ah ! bah si, je le prends et je me sens pris en otage !] Non, non ! Moi j’ai été pris en otage pendant une heure et demie, je peux vous garantir, ça n’a rien à voir avec être bondé dans une voiture de voyageurs quand il y a une grève. Il y a des mots à employer surtout à votre âge et je pense que vous devriez faire attention aux mots que vous employez. Beaucoup de gens l’emploient, c’est pas si facile à entendre ! […] Moi j’étais au Bataclan donc moi aujourd’hui les discussions de preneurs d’otages et de terroristes, je sais ce que c’est. Autour de cette table où on parle du statut des cheminots, je trouve que c’est un peu déplacé [5].
***
En résumé, sur CNews, Arte ou LCI, on assiste aux biais classiques, exacerbés ici, des débats télévisés en période de mobilisations sociales, avec des mécanismes qui sont sensiblement les mêmes à chaque fois. Les représentants syndicaux ou leurs soutiens [6], simples cautions journalistiques servant à marquer le souci du terrain (dans le meilleur des cas), ou alibis pluralistes destiné à jouer le rôle de punching-ball (dans le pire des cas), évoluent dans des dispositifs particulièrement hostiles.
Au programme : présentations des faits tronquées (qu’il s’agisse du modèle britannique ou du statut des cheminots), des plateaux déséquilibrés au niveau des invités (avec souvent le rôle « d’expert » réservé à des économistes à gages) et surtout un ton général d’hostilité à l’égard des trouble-fête de la « réforme » qui ont droit à l’irrévérence des journalistes, tandis que les membres de la majorité et leurs soutiens sont traités avec une grande complaisance.
Les contraintes générales des formats « débat » empêchent une vraie circulation des propos et le développement d’une pensée critique, tant les animateurs ne jouent pas leur rôle de répartiteur de parole – quand ils n’endossent pas tout simplement celui d’éditocrate – et tant la présence en plateau de quatre, voire cinq invités parfois, réduit considérablement le temps des interventions, du reste sans cesse interrompues.
Bref, ces plateaux télévisés se présentent comme des « débats », mais fonctionnent en réalité comme de véritables guet-apens. Ce constat s’ajoute à celui de notre précédent article sur la couverture favorable de la réforme de la SCNF par la presse et les JTs. Et ce n’est pas terminé ! Interviews en forme d’interrogatoires, experts à gages, nous poursuivrons notre série sur la réforme de la SNCF dans de prochains articles…
Pauline Perrenot et Frédéric Lemaire (avec Kilian Sturmpour la vidéo)
Post-scriptum : Jamais deux sans trois ! Au moment où nous finissions d’écrire ces lignes, David Pujadas consacrait une troisième émission à la réforme de la SNCF (le 27 février). Et ça monte en puissance :
http://www.acrimed.org/Reforme-de-la-SNCF-2-debats-televises-ou-guets
N’oublions pas, quand même, que les syndicats font partie du cirque médiatique et de l’ordre établi : créés et soutenus à bout de bras par l’Etat, ils vont participer à l’enfermement corporatiste des cheminots qui vont se retrouver tous seuls à défendre « leur » statut, alors que ce sont bien leurs conditions de travail et d’existence qui sont attaqués, comme partout ailleurs !
Après les cheminots, il y en aura d’autres : l’Etat capitaliste français a bien l’intention de se débarrasser d’une partie de ses fonctionnaires, ainsi que de leur statut, tout comme la bourgeoisie française rêve de supprimer les restrictions au licenciement. Les cheminots ne sont donc aucunement une catégorie particulière de salariés, alors que c’est bien ce que les syndicats vont sous-entendre en défendant le « statut des cheminots », les isolant ainsi totalement du reste de la classe ouvrière. Le travail de sabotage de la lutte a commencé AUSSI chez les syndicats…
au lieu de lutter contre l’état, luttons contre les syndicats
le cci n’a pas varié dans ses priorités
Un : je ne suis pas le CCI, donc je ne vois aucunement ce que cette remarque vient faire ici.
Deux : les syndicats SONT l’Etat, financés par lui, soutenus médiatiquement et politiquement par lui ; la seule chose remarquable dans le commentaire précédent est donc son ignorance.
Trois : la lutte syndicale depuis un siècle a surtout montré son impuissance et sa capacité à nous faire avaler les couleuvres étatiques. Cela fait un siècle que les marxistes authentiques ont mis sur la table que les syndicats ne pouvaient plus défendre les salariés ; ce qui va se passer maintenant ne sera une surprise que pour ceux qui ne connaissent pas l’histoire du mouvement ouvrier !
ni cci ni syndicat (anarchiste)
Un : la rengaine « je ne suis pas le cci mais je suis le porte-parole de la propagande cci sur indymedia », ça commence à être du comique de répétition….
Deux : on connaît les positions anti-syndicalistes systématiques du cci (ou de son porte-parole), donc le fait de choisir justement la réforme de la sncf pour intervenir n’est pas anodin.
Trois : toutes les occasions sont bonnes pour faire de l’anti-syndicalisme primaire, quitte à occulter complètement le rôle de l’Etat et de la classe dominante pour désigner l’ennemi prioritaire.
Effectivement, remettons les choses à leur place. Définitivement.
Un : effectivement, le fait de commencer toute réponse à ce que j’écris par l’affirmation que je suis le CCI fait comique de répétition, et n’a qu’un but manifeste : mettre en garde contre ce qui est écrit. Quand on n’a RIEN à raconter, on s’attaque à celui qui parle et pas à ce qu’il dit. C’est effectivement un procédé lassant, mais on sait d’où il sort : les Staliniens ont toujours procédé ainsi avec leurs opposants.
Deux : c’est tout le mouvement ouvrier communiste qui s’oppose au syndicalisme, et depuis longtemps ; le CCI n’est pas le seul à s’opposer aux syndicats, on peut lire à peu près la même chose ici :
https://bataillesocialiste.files.wordpress.com/2009/09/syndicats-munis-peret.pdf
ou là :
https://www.matierevolution.fr/spip.php?article1115
Tertio : toute lutte depuis un siècle s’oppose d’une manière ou d’une autre aux syndicats, parce que ces derniers sont maintenant intégrés à l’Etat, ce que l’auteur du commentaire précédent a un peu de mal à avaler mais qu’il ne peut nier, et parce que le syndicalisme en tant que système de lutte non politique n’est plus opérant aujourd’hui. Ce sont toutes les organisations de masse – partis de masse comme syndicats – qui ont été récupérés par l’Etat, et qui empêchent tout développement des luttes. Organisés sur une base corporatiste et locale, les syndicats s’opposent par essence à l’unification des luttes, et qu’on s’appelle la CNT ou la CGT, on n’échappe pas à cette règle, il suffit de lire la littérature syndicale et de voir de quelle façon tout syndicaliste s’oppose à l’extension et à l’auto-organisation des luttes sur une base large pour le savoir ! Du reste, on peut le savoir rien qu’en examinant la série de défaites cinglantes qu’ont subie les luttes menées par les syndicats depuis un siècle ! Ajoutons que les syndicats officiels sont tous aussi réformistes que nationalistes, et ça complètera le tableau !
Encore une fois, que Quatre nous explique en quoi le syndicalisme sert les luttes, et on jugera sur pièces. Quant à l’accusation d’« occulter le rôle de l’Etat et de la classe dominante », je ne vois pas de quoi il parle : les syndicats FONT PARTIE DE L’ETAT ET DE L’APPAREIL DE DÉFENSE DE LA CLASSE DOMINANTE CONTRE LA LUTTE DE CLASSE. Faut-il l’écrire plus gros pour que le commentateur précédent comprenne de quoi on parle ? Plutôt que de s’appesantir sur ce que je suis, il ferait mieux de lire ce que j’écris !
Il a juste raison sur une chose : l’Etat et ses syndicats espèrent bien donner une leçon bien sentie à la classe ouvrière en France en lui enfonçant le mot « défaite » dans la tête avec cette attaque contre les cheminots. Et vu le rayonnement de la classe ouvrière française dans le monde, ça sera une « leçon » valable internationalement.
– le cci et le vieux « sympathisant » disent EXACTEMENT la même chose
– c’est quoi un « sympathisant » ? un militant qui paye pas ses cotisations ?
– au moment d’une offensive sans précédent de l’Etat contre les syndicats (et quoi qu’on pense des syndicats par ailleurs), le cci et ses « sympathisants » apportent leur pierre à cette entreprise, et choisissent précisément ce moment pour régler leurs comptes avec le syndicalisme, qui est plus important à leurs yeux que n’importe quelle lutte.
Effectivement on comprend deux choses – moi, en tout cas, je les ai parfaitement comprises :
– un, la pratique policière de l’identification a priori est revendiquée par 10:38. C’est je le répète une pratique de stalinien qui n’a d’autre but que de ne pas discuter de ce qui est dit, pour se concentrer sur celui qui parle. Le but est évidemment de détruire le débat d’idées ; personnellement, peu m’importe que 10:38 sorte de la CNT-Vignoles, d’AL ou de l’OCL, ce qui m’intéresse, c’est ce qu’il écrit ;
– deux : 10h38 cherche sans le dire ouvertement à nous faire avaler que les syndicats sont opposés à l’Etat, lequel mènerait une « offensive sans précédent contre les syndicats ». De quelle « offensive » il nous parle, j’aimerais le savoir ; quant à l’idée que les syndicats combattraient l’Etat, il va falloir le démontrer parce que toute la pratique syndicale depuis un siècle explique LE CONTRAIRE. La coordination des syndicats et de leur patron étatique – rappelons vite fait que sans les subsides étatiques, il n’y aurait plus de syndicats en France depuis longtemps – a toujours été claire pour empêcher les mouvements sociaux de déborder. Et ça fait un siècle que les Communistes le savent ! Mais 10:38 préfère répéter ses affirmations sans fondement plutôt que de se confronter à Munis ou Pannekoek !
Les syndicats par leur nature même d’organes réformistes permanents ne sont plus des organes de lutte sociale depuis longtemps ! Tout comme les CRS peuvent sauver des gens sur les plages l’été, les syndicats peuvent ponctuellement rendre service à un salarié ou un autre, mais leur fonction réelle est d’encadrer les luttes prolétariennes, dans le corporatisme, le régionalisme, le nationalisme, de toutes les manières qui permettent de diviser les salariés. Et c’est lorsque ces derniers débordent le cadre syndical qu’ils ont une chance de l’emporter : en mai 68 en France, en août 80 en Pologne – où les syndicats étaient ouvertement les auxiliaires de l’Etat – en 2006 lors du mouvement anti-CPE – où les jeunes se sont battus pour que les syndicats n’encadrent pas leur mouvement, chaque victoire n’a pu être remportée QU’EN COMBATTANT LES SYNDICATS.
Leçon claire : si les syndicats mènent la lutte des cheminots, ce qui, dans le rapport de force général actuel entre les classes a les plus grandes chances de se produire, le mouvement ira dans le mur, et on constatera les dégâts évidemment à la fin, avec 10:38 pour tenir la couronne mortuaire sur la tombe du statut des cheminots.
« Quoi qu’on pense des syndicats par ailleurs »? Qu’est-ce qu’on peut bien avoir à se préoccuper de ces auxiliaires de police – au sens général du terme ? Les syndicats officiels sont les ennemis de la lutte, le principal outil de la bourgeoisie avec les partis « de Gauche » pour combattre la classe ouvrière. C’est d’ailleurs toute l’idéologie syndicale qui est obsolète, parce qu’encore une fois elle ne cherche qu’à diviser les ouvriers en corporations, en régions, en nations, en « boîtes ».
Il ne s’agit donc nullement d’un « règlement de compte », mais d’une mise en garde : tout mouvement qui se laisse mener par les syndicats va à une défaite certaine. Si 10:38 avait participé à une véritable lutte menée par les salariés, et pas à un simulacre syndical, il le saurait !
« la pratique policière de l’identification a priori est une pratique de stalinien qui n’a d’autre but que de ne pas discuter de ce qui est dit, pour se concentrer sur celui qui parle »
Un bon exemple nous est donné par le vieux « sympathisant » :
« peu m’importe que 10:38 sorte de la CNT-Vignoles, d’AL ou de l’OCL » [sic]
« Si 10:38 avait participé à une véritable lutte menée par les salariés » [sic]
Ces genre affirmations fantaisistes (et mensongères) pour ne pas discuter de ce qui est dit et se concentrer sur celui qui parle sont en effet typiquement staliniennes.
Pauvres cheminots qui ont contre eux l’Etat et les syndicats et qui ne peuvent compter que sur le CCI pour les défendre (sur le papier) !
On devrait créer sur Indymedia un mot-clef «Anti-syndicalisme» à côté des autres mots-clefs «Antifascisme», «Racisme» ou «Anti-répression». Et virer la rubrique «Ailleurs» : c’est que des contre-révolutionnaires ! A proposer à la modération, on sait jamais…
Donc, eh bien oui, les syndicats vont aider le gouvernement à isoler et vaincre la résistance des cheminots, je constate que le malheureux « commentateur » précédent n’a rien pour contredire cette affirmation, qui va révéler une fois de plus le sale boulot des syndicats. C’est bien parti : grève isolée, « dure » pour bien éreinter « la base », gouvernement qui annonce des mesures très dures avant de « céder » sur certains points secondaires, on nous a déjà fait le coup mille fois !
Et une fois de plus, si le soi-disant « anti-stalinien » qui ne répond rien à ce que je dis avait déjà participé à des luttes réelles, où les syndicats ne contrôlent pas tout, il le saurait ! Mais il n’y a visiblement pire sourd que celui qui ne veut rien voir…
Et ça s’intitule « anti-stalinien »? En soutenant le boulot de la CGT ? Vraiment, comme on dit, heureusement que le ridicule ne tue plus…
Le « vieux-sympathisant-qui-n’est-pas-le-CCI » ne mourra peut-être pas du ridicule, il y est insensible, mais il aura du mal à créer une rubrique « Anti-syndicalisme » sur Indymedia et convaincre que le premier ennemi des travailleurs n’est pas l’Etat ou le capital, mais les syndicats.
ça doit être dur de se battre seul contre tout le monde, mais tant que c’est sur le papier toutes les audaces sont permises….
Eh oui. Comme disait Lénine : je préfère être seul que me trouver en compagnie des renégats Kaustky et Plekhanov. C’était en 1914. Quelques années après, il a mené avec les quelques amis internationalistes qu’il avait à l’époque une révolution qui a fait le tour du monde. Et les syndicats étaient dans le camp de ceux qui tiraient sur les révolutionnaires ou sabotaient leurs luttes. En Allemagne les révolutionnaires titraient : tout le monde hors des syndicats !
Le ridicule ne tue plus, mais l’ignorance continue à le faire… surtout que j’attends toujours la réponse à la question : en quoi les syndicats sont-ils autre chose que des supplétifs de l’Etat-patron ? Il semble bien qu’à part affirmer que je serais le CCI – ce dont personne à part lui n’a rien à faire – il n’y a rien dans ses « commentaires » sur la stratégie à appliquer pour la lutte…
Comme disait Staline : je préfère être seul que me trouver en compagnie de gens qui ne seraient pas d’accord avec moi.
Depuis, le CCI a pris la relève et on voit mal avec qui il pourrait être d’accord.
Si les syndicats ne sont pas AUTRE CHOSE que des supplétifs de l’Etat-patron, on voit mal pourquoi le vieux « sympathisant » s’acharne à diffuser sa propagande sur Indymedia où PERSONNE ne peut être d’accord avec ce genre d’affirmation d’idéologue autoritaire.
Nous autres, pauvres militants de base qui n’ont pas appris par coeur lénine, on se dit qu’on peut dénoncer l’Etat et sa politique AVANT d’éliminer les syndicats. Chacun ses priorités. Un peu de lecture pour décoincer les idéologues sectaires :
Réforme de la SNCF (4) : les matinales radio à l’unisson contre la grève
Vendredi 16 février, la matinale de France Inter accueille successivement deux invités : Jean-Cyril Spinetta, l’auteur du rapport sur la réforme de la SNCF (et ancien PDG d’Air France) ; puis Philippe Martinez, le secrétaire général de la CGT. Deux interviews qui frappent par leur différence de ton : mielleux pour la première, fielleux pour la seconde.
Jean-Cyril Spinetta a toute latitude de présenter son rapport sans être à aucun moment mis en difficulté par la pugnacité des questions d’Ali Baddou (« Les cheminots ont-ils trop de droits ? » ; « Est-ce qu’on peut réformer sans les syndicats ? »). L’ancien PDG d’Air France n’est pas interrogé, par exemple, sur les problèmes posés par la privatisation du rail britannique.
À l’inverse, Philippe Martinez a droit au traitement traditionnel réservé aux syndicalistes par temps de mouvements sociaux dans les grands médias. Face à lui, Nicolas Demorand fait la démonstration de son professionnalisme, dans une interview pleine de bienveillance. En témoignent ces quelques morceaux choisis :
– Vous allez bloquer la France ? Vous allez bloquer la France ? […] Donc vous allez bloquer la France.
– La SNCF c’est l’un des derniers bastions de la CGT, où les grèves sont visibles puisqu’il n’y a plus de trains, alors est-ce que vous allez bloquer la France ?
– Vous êtes beaucoup plus langue de bois que le patron de la CGT cheminots…
– C’est une information ou c’est juste un écran de fumée qu’on balance pour tendre le rapport de force ?
– Vous avez perdu, et je ne veux pas vous faire injure Philippe Martinez, toutes les batailles depuis qu’Emmanuel Macron est au pouvoir, le rapport de force vous est défavorable et le restera, non, pour la SNCF ?
L’extrait ci-dessous, épinglé par « Là-bas si j’y suis », rend compte du ton pour le moins désobligeant de l’animateur :
On imagine mal Nicolas Demorand, sur le ton du sarcasme ou du mépris, accuser Jean-Cyril Spinetta « d’être langue de bois » de « lancer un écran de fumée pour tendre le rapport de force » ou encore de « bloquer » la France en formulant des propositions radicales pour « réformer » la SNCF.
Quoi qu’il en soit, la différence de ton entre l’interview de Jean-Cyril Spinetta et celle de Philippe Martinez saute aux yeux : le premier est invité avec déférence à expliquer ses propositions ; le second, est sommé sans ménagement de s’expliquer sur ses velléités de mobilisation.
Cohen-Demorand, bonnet blanc, blanc bonnet
Maltraité sur France Inter, Philippe Martinez ne va pas connaître un sort bien différent sur Europe 1, où il est interviewé par Patrick Cohen, le 20 février. Ça commence très fort : « Question simple : est-ce qu’il y aura des trains au printemps ? […] Et des trains qui roulent ? »
C’est sans doute par goût du clin d’œil à son ancienne collègue, Léa Salamé, que Patrick Cohen ose une telle entame. On se rappelle en effet l’entrée en matière de celle qui, désormais aux côté de Nicolas Demorand dans la matinale d’Inter, s’adressait en ces termes à Philippe Martinez au moment des mobilisations contre la Loi Travail : « Quel est l’objectif Monsieur Martinez ? Plonger la France dans le noir ? » [2]
Et ce n’est qu’un début :
– Qu’est-ce qui vous fait horreur dans le rapport Spinetta qui, je le rappelle, préconise le maintien du statut des cheminots en place et qui ne prive a priori personne d’aucun droit, Philippe Martinez ? »
– Il faut garder le statut ad vitam aeternam Philippe Martinez ? En Allemagne les cheminots ont perdu le statut et ils sont mieux payés que les Français !
– Vous êtes donc d’accord avec le constat du rapport Spinetta qui dit que c’est un système qui ne marche pas bien et deuxième partie du constat : est-ce qu’on peut continuer comme ça avec une SNCF qui fait chaque année 24 milliards de dépenses, 10 milliards de recettes seulement, qui fabrique 3 milliards de dette par an, et qui reçoit 10 milliards de subventions publiques. Comment vous financez cela Philippe Martinez ? [P. M : Un service public doit être financé par l’État] Donc par le contribuable ?
– Donc ce que vous préconisez, c’est que le contribuable paie encore davantage pour le fonctionnement de la SNCF ?
Il semble que poser des questions chargées tantôt de lourds sous-entendus négatifs, tantôt de partis pris assumés contre l’interviewé, fasse partie du traitement de faveur des matinaliers envers les syndicalistes… À ce titre, Europe 1 et France Inter : même combat. Rien de surprenant à cela, si l’on considère les parcours des deux « maîtres de cérémonie » des matinales d’Inter et Europe 1.
Après un bref passage par Europe 1, et un long séjour à la direction de Libération, Nicolas Demorand est revenu depuis septembre 2017 aux commandes de la matinale d’Inter (qu’il occupait déjà de 2006 à 2010) à la place de… Patrick Cohen, qui officie désormais dans la matinale d’Europe 1. Interchangeables au micro – comme tant d’autres vedettes du « mercato » des grands médias – les animateurs le sont aussi lorsqu’il s’agit de discréditer les représentants syndicaux.
RMC et RTL à l’unisson
Et sur les plateaux des autres matinales ? C’est le même son de cloche, ou presque. Le matin du 27 février sur RMC, Apolline de Malherbe reçoit dans un premier temps Philippe Martinez, puis Elisabeth Borne, ministre des transports. Cette fois-ci, à la différence de la matinale d’Inter, pas de complaisance à géométrie variable entre les deux interviews : l’animatrice ne ménage aucun des deux invités. Mais c’est leur temps de parole qui est inégal : la ministre a eu l’occasion de s’expliquer pendant 18 minutes, contre 8 minutes pour Philippe Martinez.
Ce dernier se verra par ailleurs interrogé selon les « canons » et les thèmes favoris de l’éditocratie. Après un début d’entretien plutôt cordial, Apolline de Malherbe en vient à la question du statut des cheminots :
– Édouard Philippe disait hier « Le monde change, la SNCF doit changer aussi ». Ce statut de cheminot a été créé il y a très longtemps, les conditions ont changé… Est-ce qu’il est encore justifié ?
Une question sur laquelle l’animatrice semble avoir sa propre opinion. Visiblement pas convaincue par les réponses de son interlocuteur, elle le relance plusieurs fois :
– D’accord, mais en quoi est-ce qu’il est justifié ?
– Je vous repose ma question, est-ce qu’il est encore justifié aujourd’hui ?
– Est-ce qu’il ne faudrait pas le faire évoluer au minimum ce statut des cheminots ?
Apolline de Malherbe ne cherche pas à savoir ce qui justifie un statut spécifique pour les cheminots, mais laisse entendre qu’il est injustifié… Quant à savoir ce qui peut bien « justifier » que les journalistes et éditorialistes qui mènent les entretiens des grandes « matinales » radiophoniques prennent systématiquement le parti du Premier ministre et de la réforme qu’il porte, face aux syndicalistes qui la contestent, c’est une question qu’Apolline de Malherbe ne se pose visiblement pas…
La fin de l’entretien est à l’avenant, avec un appel à peine voilé à la démobilisation syndicale :
– L’opinion publique n’est pas avec vous. Quand on regarde les derniers sondages, celui commandé par RMC auprès d’Harris Interactive, qui montre que 7 français sur 10 – 7 sondés sur 10 – disent qu’il faut de toute façon mettre fin au statut des cheminots [3].
Et l’animatrice de conclure par une question sans équivoque :
– Est-ce que vous n’allez pas vous mettre cette opinion, qui déjà soutient le gouvernement dans cette réforme, contre vous, en bloquant le pays ?
Fermez le ban : « l’opinion publique » (et Apolline de Malherbe) ont parlé !
Concluons ce tour d’horizon des matinales radio avec Yves Calvi. Le 28 février sur RTL, le journaliste reçoit Véronique Descaq, secrétaire adjointe de la CFDT, pour un entretien au titre évocateur : « Les Français sont-ils prêts à supporter un mois de grève ? » Visiblement, les velléités de mobilisation de la centrale syndicale posent question à Yves Calvi, bien décidé à endosser, un à un, les pires rôles de l’éditocrate :
– Procureur moraliste : « Vous vous êtes alignés sur le calendrier de la CGT cheminots, vous le faites sans état d’âme ? »
– Prophète de la démobilisation : « Toutes les grandes mobilisations depuis qu’Emmanuel Macron est président ont été globalement un échec syndical »
– Négociateur engagé : « Je vous suggère l’idée : si le gouvernement retire le principe des ordonnances, est-ce que vous accompagnez la réforme ? »
Suggérons à notre tour une petite idée à Yves Calvi : dans les pas de son confrère Bruno-Roger Petit, téléporté du magazine Challenges à l’Élysée (en tant que porte-parole) [4], Yves Calvi serait bien avisé de postuler comme conseiller en « dialogue social » auprès du gouvernement !
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Tout à leur course à l’audimat, les matinaliers s’arrachent les interviews des « grands acteurs » de la réforme du rail. Ces entretiens jouent le rôle de produit d’appel pour les grandes radios, et sont des pièces de choix servant à cadrer le débat médiatique [5]. La concurrence entre les matinales est pourtant loin d’être synonyme de pluralisme d’opinions, encore moins de diversité d’approches. Les interviews des responsables syndicaux, par temps de mobilisations sociales, en témoignent. Sur toutes les chaînes, et quel que soit l’animateur, les mêmes mécanismes sont à l’œuvre : rudesse à géométrie variable, questions orientées, déséquilibre du temps de parole, appels à la démobilisation… Des interviews qui ressemblent parfois moins à des entretiens qu’à des interrogatoires en bonne et due forme.
Frédéric Lemaire et Pauline Perrenot
http://www.acrimed.org/Reforme-de-la-SNCF-4-les-matinales-radio-a-l