La palestine, jérusalem et les juifs
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Comme si à force de la répéter cette absurdité pouvait correspondre à quelque once de vérité.
L’absurdité se situe d’abord dans les termes. Une ville ne peut être capitale d’un peuple, mais d’un pays. La notion de capitale est moderne, liée à la définition de l’État-nation qui a émergé au cours du 19ème siècle. Enfin il est discutable que l’ensemble des êtres humains se revendiquant de l’identité juive constitue un peuple. Les Juifs lituaniens, marocains ou éthiopiens se considèrent juifs. Peut-on penser sérieusement qu’ils appartiennent au même peuple ?
Qu’en est-il exactement de la recherche archéologique et historique sur cette question ?
Les archéologues s’accordent sur ce point [1] : le récit biblique n’est aucunement corroboré par l’archéologie avant 600 av JC. Ainsi les Patriarches, la sortie d’Egypte, la conquête de Canaan par les Hébreux, le royaume unifié de David et Salomon, tout ceci tient de la légende.
Tout ce que l’on sait, c’est qu’au Nord le royaume d’Israël a bien été détruit pas les Assyriens en 720 av JC et Jérusalem prise par les Babyloniens en 586 avant notre ère. Mais Jérusalem n’était vraisemblablement qu’une bourgade avec une souveraineté s’étendant sur un territoire d’un rayon de quelques dizaines de kilomètres.
Bien que Jérusalem soit truffée d’excavations, les archéologues israéliens n’ont trouvé aucune trace du 1ier Temple et des palais de David et de Salomon.
Qu’en est-il de la présence juive à Jérusalem ?
Jérusalem et la Palestine ont été habitées par de nombreuses peuplades comme l’atteste aussi le récit biblique. Tour à tour des grands empires ont dominé cette région : les Égyptiens, les Assyriens, les Babyloniens, les Perses, les Romains et les Byzantins. Différentes religions cohabitaient, la Palestine a subi les influences culturelles grecques et romaines. A la destruction du 2ème Temple (70 ap JC) il n’y a pas de trace historique d’exode massif des Juifs. Seules les élites sont parties.
Ainsi les descendants des Judéens de l’Antiquité sont essentiellement les Palestiniens actuels. Mais même si les ancêtres des Juifs avaient vécu en Palestine il y a 2 000 ans, revendiquer une terre pour cette raison est un non-sens et ne peut que provoquer la guerre.
La religion juive s’est répandue à l’époque surtout par conversion, à l’image de la nouvelle religion chrétienne [2]. Les tentatives d’indépendance « nationale » juive ont échoué, la dernière étant celle de Bar Kokhba en 135 ap JC.
Puis au 7ème siècle ap JC, la Palestine a été largement islamisée, les Juifs palestiniens vivant en bonne intelligence avec leurs voisins musulmans et chrétiens pendant plus d’un millénaire, sauf à l’époque des Croisades où juifs et musulmans subiront quelques massacres, notamment lors de la prise de Jérusalem en 1099.
Et la démographie ?
Avant la colonisation sioniste à la fin du 19ème siècle, les Juifs représentaient moins de 5 % de la population de la Palestine, essentiellement des religieux. Et ils n’ont jamais été qu’une minorité de la population même à Jérusalem. Ainsi en 1872, d’après un recensement que les démographes qualifient de fiable, voici la répartition des foyers à Jérusalem et dans ses environs [3] :
Musulmans Juifs Chrétiens Total
Jérusalem 1 025 738 630 2 393
Campagne 6 128 – 1 202 7 320
Aujourd’hui, la ville de Jérusalem avec la partie annexée par Israël depuis 67 comporte environ 60% de Juifs israéliens contre 40% de Palestiniens qui n’ont qu’un droit de « résidence » dans leur propre ville. Beaucoup voient leurs maisons détruites ou en sont expulsés.
Et la promesse divine de la Terre, « l’an prochain à Jérusalem » ?
Bien sûr (Genèse 15,18) « En ce jour-là, l’Éternel fit alliance avec Abram, et dit : Je donne ce pays à ta postérité, depuis le fleuve d’Égypte jusqu’au grand fleuve, au fleuve Euphrate ». Dans la Bible, cette promesse a été renouvelée à son fils Isaac, puis à son petit-fils Jacob.
C’est l’argument avancé par les premiers sionistes (pourtant athées !) pour tenter de convaincre les juifs religieux. Pourtant pendant des siècles, il n’y eu parmi les Juifs aucun mouvement ayant comme projet de « retour » à cette « Terre promise ». La raison en était simple : d’après le Talmud (Ketoubot 111a), il était interdit aux juifs de mettre fin à l’exil en revenant en masse par la force armée [4]. L’exil étant voulu par Dieu, Lui seul peut y mettre fin, à la fin des temps, les temps messianiques. Alors, c’en serait fini de toute souveraineté humaine, la terre entière serait sainte. Ainsi cette phrase prononcée tous les ans à Pessah, la Pâque juive, « l’an prochain à Jérusalem » ne signifie rien d’autre que l’espoir de la Rédemption messianique pour l’humanité entière.
Plus prosaïquement, avoir ses pensées tournées vers Jérusalem (comme les musulmans se tournent vers la Mecque) ne signifie pas qu’on va y aller, y établir un État et chasser les autochtones.
Alors à qui appartient Jérusalem ?
Jérusalem comme la Palestine doit appartenir à tous les habitants qui y vivent, avec des droits égaux pour chacun, quelles que soient leurs origines, leurs convictions philosophiques ou religieuses. Pour avancer vers cet objectif (messianique ?), il est nécessaire que l’État israélien soit sanctionné pour sa politique coloniale d’apartheid et de dépossession. Politique qui va à l’encontre de toutes les valeurs juives dont en particulier la recherche de la Justice et la solidarité avec les opprimés.
Le Bureau national de l’UJFP, le 17 décembre 2017
[1] https://fr.wikipedia.org/wiki/La_Bible_d%C3%A9voil%C3%A9e
[2] https://fr.wikipedia.org/wiki/Comment_le_peuple_juif_fut_invent%C3%A9
[3] https://en.wikipedia.org/wiki/Demographic_history_of_Palestine_(region)
[4] https://fr.wikipedia.org/wiki/Trois_serments
https://bxl.indymedia.org/spip.php?article16519
Nous sommes tou-te-s Ibrahim Abu Thuraya
Mutilé puis assassiné par « l’armée la plus morale du monde ». Le Gazaoui Ibrahim Abu Thuraya a subi l’horreur lorsqu’il fut touché par une frappe de l’aviation israélienne qui le priva de ses deux jambes lors de l’agression meurtrière contre Gaza de 2008-2009, puis la mort, visé à la tête par un sniper pour avoir brandi un drapeau palestinien lors d’une protestation contre la décision de Trump le long de la barrière frontalière le 15 décembre dernier. Il avait 29 ans. On peut légitimement se demander quelle menace pouvait bien représenter un jeune homme dans un fauteuil roulant qui n’avait à la main qu’un drapeau.
A travers lui, c’est certainement la ténacité des Palestinien-ne-s qui ne désespèrent pas de mener la lutte pour la justice, leur dignité et leurs droits politiques qu’a voulu abattre l’armée israélienne. Car ce n’était pas une balle perdue. Comme l’a rappelé le journaliste israélien Gideon Levy [1], ce tir ne pouvait résulter que de deux options, dont l’on ignore laquelle est la moins sordide : un tir aléatoire sur la foule de manifestant-e-s ou un choix bien conscient de tirer sur le visage d’un jeune homme en fauteuil roulant…
Pourtant, et comme à l’accoutumée, l’armée israélienne nie avoir commis « une erreur morale ». Assassiner un civil dans la bande de Gaza assiégée ne semble même pas relever de la « faute professionnelle » [2] selon ses standards. Depuis l’évacuation de 2005 et le renforcement du blocus qui s’en est suivi, elle se donne le droit de tirer où elle veut et quand elle veut. Tout le monde à Gaza, où qu’il soit, est une cible en puissance.
Pourquoi l’État d’Israël changerait-il ses sinistres habitudes, galvanisé qu’il est par le soutien états-unien de la conquête et de l’occupation de Jérusalem-Est, ainsi que par l’absence de sanction européenne ? L’impunité tue quotidiennement des Palestinien-ne-s, il faut le rappeler sans cesse. L’UJFP souhaite interpeller sur ce meurtre particulièrement ignoble qui en dit long sur la réalité de la colonisation et de l’occupation de la Palestine. Nous sommes tou-te-s Ibrahim Abu Thuraya.
Le Bureau national de l’UJFP, le 19 décembre 2017
http://www.ujfp.org/spip.php?article6073
Comment jugez-vous, en tant que juifs français, les développements sur la question palestinienne après la décision de Trump de reconnaître Jérusalem comme la capitale d’Israël ?
À l’UJFP (Union Juive Française Pour la Paix), nous n’avons jamais pensé que les États-Unis étaient « neutres » dans cette guerre. Ils ont toujours été, quel que soit le président américain, des complices actifs de l’occupation, de la colonisation, de l’apartheid et de la fragmentation de la Palestine. Faut-il rappeler Clinton menaçant ouvertement Arafat d’être tué et de porter la responsabilité de l’échec quand ce dernier a refusé de signer la capitulation qu’on voulait lui imposer ? Faut-il rappeler Bush déclarant la « guerre du bien contre le mal », le mal étant les Arabes et les musulmans et Israël étant pour Bush, le champion du bien ? Faut-il rappeler Obama signant un énorme chèque à Nétanyahou juste après le massacre de « Bordure Protectrice » à Gaza pour qu’Israël rachète des munitions et prêtant 38 milliards de dollars à ce pays pour qu’il achète sur 10 ans de nouvelles armes américaines ?
Bien sûr, avec Trump et son vice-président Mike Pence, c’est encore pire. Les « Chrétiens sionistes », ces évangélistes fanatiques qui pensent que les Juifs doivent retourner en terre sainte, chasser Armageddon (le mal, c’est-à-dire pour eux les Arabes) puis se convertir (sinon ils disparaîtront) sont au pouvoir. Trump et Nétanyahou pensent que le rapport de force militaire et politique leur permet de piétiner un peu plus le droit international et d’imposer le fait accompli.
En même temps, Trump, par sa décision sur Jérusalem, a définitivement assassiné la « solution à deux États » et il officialise le fait qu’on est maintenant totalement dans une situation d’apartheid au Proche-Orient. Il y a entre Méditerranée et Jourdain 6 millions de Juifs israéliens et 6 millions de Palestiniens. Les seconds sont occupés, humiliés, fragmentés, privés de tout droit et parfois assassinés. Pour nous, Juifs qui gardons la mémoire de l’époque où les Juifs étaient les parias de l’Europe, c’est plus qu’intolérable.
Vous avez organisé en France des manifestations contre la décision de Trump faisant de Jérusalem la capitale d’Israël. Quelles sont les conséquences de cette décision pour vous comme pour les partisans de la paix ? Comment êtes-vous perçus par des extrémistes juifs ou par ceux qui soutiennent le mouvement sioniste ?
La guerre au Proche-Orient n’est ni une guerre raciale, ni une guerre religieuse, ni une guerre communautaire. C’est une guerre coloniale. Au nom de notre identité et de notre mémoire juives, nous soutenons une paix fondée sur l’égalité des droits et la justice. Nous défendons le vivre ensemble. Nous combattons le racisme de la société israélienne, racisme virulent contre les Palestiniens mais également très fort à l’intérieur de la société juive israélienne où les Juifs orientaux sont discriminés. Nous sommes farouchement opposés à l’idéologie sioniste, qui a abouti à la Nakba, l’expulsion de la majorité des Palestiniens de leur propre pays, et qui veut parquer dans des réserves ceux qui ont échappé à l’expulsion. Pour nous le sionisme est un crime contre les Palestiniens et un suicide pour les Juifs.
Sommes-nous partisans de la « paix » ? Il n’y aura pas de paix sans justice. La paix pour nous, ce sont les trois revendications de l’appel de la société palestinienne au BDS (Boycott, Désinvestissement, Sanctions contre Israël) : liberté (fin de l’occupation et de la colonisation, libération des prisonniers, destruction du mur, fin du blocus de Gaza), égalité des droits, justice (droit au retour des réfugiés palestiniens).
En France, les sionistes essaient de dire qu’ils représentent tous les Juifs. C’est un gros mensonge. Ils essaient de nous ignorer ou de nous faire taire. Ils prétendent que nous sommes des « traîtres ayant la haine de soi ». Nous leur posons de gros problèmes : certains d’entre nous ont été des enfants cachés pendant l’occupation nazie ou sont des enfants de résistants déportés (c’est mon cas). Nous rappelons que le sionisme a piétiné notre mémoire et notre identité : où trouve-t-on dans la tradition juive, laïque ou religieuse, le racisme, le militarisme et la haine de l’autre ?
Qu’en est-il de votre refus de la visite de Nétanyahou à Paris et à Bruxelles ? Et de votre opposition à la politique israélienne basée sur l’occupation, la colonisation, le meurtre et la destruction dans les territoires occupés ?
Dans un de nos derniers communiqués, nous rappelons qu’en 1948, quand Menahem Begin a voulu visiter les États-Unis, de nombreux intellectuels juifs de ce pays dont Hannah Arendt et Albert Einstein ont écrit au président Truman en lui disant : « Begin arrive, c’est un terroriste et un fasciste. Arrêtez-le ou expulsez-le ». Nétanyahou est clairement un criminel de guerre à la tête d’un gouvernement d’extrême droite qui a libéré la parole raciste. Sa place n’est pas à l’Élysée comme invité de Macron, elle est à la Cour Pénale Internationale de la Haye qui aurait dû l’inculper et l’emprisonner depuis longtemps.
Notre position, c’est le respect du droit qui ne reconnaît pas l’occupation, la colonisation, les destructions de maisons, l’emprisonnement massif de toute une population et la transformation de Gaza en cage hermétiquement fermée.
Quelles sont les principales forces avec lesquelles vous vous coordonnez en France ou dans toute l’Europe pour exposer l’occupation israélienne et sa politique de nettoyage ethnique des Palestiniens ? Qu’en est-il de la position de la République française face à la situation dans la région ?
L’UJFP est la composante juive dans le mouvement de soutien aux droits du peuple palestinien. Ce mouvement est hélas parfois divisé, mais nous sommes dans plusieurs collectifs en France en Europe. Nous sommes très attachés au BDS. Ce mouvement donne de grands espoirs en Palestine et il est le principal outil dont nous disposons.
En effet, le gouvernement français et l’Union Européenne sont complices. Macron a déclaré qu’antisionisme et antisémitisme c’était pareil. Il applique toujours la circulaire Alliot-Marie qui demande à tous les procureurs d’inculper ceux qui pratiquent le BDS.
Pourtant le gouvernement français est parfaitement informé. Tous les jours, les diplomates français qui sont en Palestine racontent les exécutions extrajudiciaires, les arrestations d’enfants, les démolitions de maisons.
Mais pour le gouvernement français, Israël est un morceau d’Europe installé au Proche-Orient, un pays surarmé qui a expérimenté ses armes sur les Palestiniens, un pays qui donne l’(exemple du contrôle ou de l’enfermement de toute une population.
En Europe, c’est pareil. Un accord de libre-échange permet aux produits israéliens d’arriver sans taxe en Europe, y compris les produits des colonies. Et le Parlement européen a voté une motion criminalisant l’antisionisme.
D’où la nécessité absolue du BDS. Les sociétés civiles doivent forcer les gouvernements complices à enfin sanctionner l’occupant. Dans l’UJFP, nous sommes pour un boycott total : politique, économique, commercial, militaire, syndical, sportif, culturel, universitaire …
Vous avez annoncé que le Conseil Représentatif des Institutions Juives de France (CRIF) ne représente pas les Juifs français.
Le CRIF est devenu une officine d’extrême droite, à l’image de l’AIPAC aux États-Unis qui défend inconditionnellement le gouvernement israélien, quoi qu’il fasse. Le CRIF ne défend pas les Juifs de France, il les pousse à émigrer en Israël. Le CRIF ne combat pas l’antisémitisme. Il brouille les cartes. Sa fonction est de dire que toute critique d’Israël est antisémite.
Le CRIF exige des politiciens un soutien inconditionnel à Nétanyahou et certains se prêtent au jeu. Les autres sont traînés dans la boue. Le CRIF a demandé que Macron imite Trump sur Jérusalem.
Mais voilà : un nombre croissant de Juifs français ne se reconnaissent plus du tout dans cette officine.
Pierre Stambul, coprésident de l’UJFP
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