La palestine après balfour 1917-2017 100 ans de colonialisme / 100 ans de résistance
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Catégorie : Global
Thèmes : AntifascismeRacismeRépressionResistances
Cette déclaration de soutien au mouvement sioniste alors ultra minoritaire parmi les communautés juives voit le Royaume Uni promettre une terre qui ne lui appartient pas à un personnage Lord Rothschild qui ne représente que lui-même. En confortant ainsi le mouvement sioniste, la Couronne britannique vise un objectif en particulier : le contrôle du Proche-orient et du canal de Suez. Un an plus tôt, Londres et Paris avaient en effet négocié le dépeçage de la région via les accords Sykes-Picot qui définissaient les lignes de partage pour chaque puissance coloniale. Cette déclaration constitue l’un des volets de la main mise occidentale sur la région.
En préconisant l’établissement d’ « un foyer national juif » en Palestine au mépris du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes, cette promesse non seulement bafoue grossièrement le droit du peuple palestinien à l’autodétermination et sonne aussi comme la fin du rêve d’un monde arabe uni et indépendant. Le peuple palestinien tout au long de son histoire contemporaine et déjà sous le mandat britannique a toujours considéré le 2 novembre comme un jour de deuil national.
Aujourd’hui, un siècle plus tard, le Royaume-Uni, les États-Unis, Israël et sans doute aussi la France s’apprêtent cyniquement à célébrer le centenaire d’une déclaration qui représente pour l’Occident la marque de son œuvre coloniale dans la région arabe et pour le peuple palestinien la première étape de sa dépossession. C’est dans ce cadre que nous tenons à porter depuis Paris une voix forte. Une voix qui dénonce ces lugubres festivités et qui remet la lumière sur un siècle de colonisation et de destruction de l’Orient arabe dont les conséquences ne finissent pas de se faire sentir. Une voix qui tiendra à re-faire récit, à redéfinir les termes du débat en rétablissant pleinement la dimension coloniale du conflit. Enfin, cette voix se voudra bien sûr et surtout celle qui relaie la résistance du peuple palestinien depuis un siècle et qui se montre solidaire par le renforcement de la campagne de Boycott, Désinvestissement, Sanctions contre l’Etat d’Israël.
Ainsi, nous appelons toutes les personnes éprises de justice à se joindre à nous le dimanche 5 novembre 2017 à 14h00 à Saint-Denis pour dénoncer le centenaire d’une Déclaration coloniale injuste à l’origine d’un siècle sanglant qui a arraché la Palestine du monde arabe dans le cadre du découpage du Proche-Orient.
Premiers signataires : ATTAC, ATMF, BDS, Ensemble !, FTCR, FUIQP, MJCF Bobigny/ Drancy, MJCF 94, NPA, PIR, UJFP.
Avec les interventions de :
Joseph Massad, historien palestinien et auteur de La persistance de la question palestinienne.
Ilan Pappe, Professeur à l’université d’Exeter et auteur de Le nettoyage ethnique de la Palestine.
Rabeb Abdulhadi, chercheuse palestinienne , professeure à l’université de San Francisco (SFSU) et directrice du programme AMED (Etudes des ethnicités et diasporas arabes et musulmanes).
Alain Gresh, journaliste politique et auteur de De quoi la Palestine est-elle le nom ?
Ainsi qu’Elsa Lefort pour le collectif de soutien à Salah Hamouri.
http://www.ujfp.org/spip.php?article5867
la bretagne 500ans de colonialisme…
Dix-neuf ans après la Nakba (1947-1949), Israël a procédé à une seconde vague d’expulsion des Palestiniens hors de leur terre natale pendant et après la guerre de 1967. Sans espoir de retour, ils ont été déplacés de force de la zone du Latroun, de Jérusalem-Est et de la vallée du Jourdain vers la Jordanie.
Les personnes au fait du conflit palestino-israélien connaissent le terme de « Nakba », qui signifie littéralement « catastrophe » et se réfère à la guerre advenue entre 1947 et 1949, qui se termina par le déracinement de plus de 80 % de la population palestinienne qui habitait depuis des siècles le territoire sur lequel fut érigé Israël. Alors que la Nakba représente un événement catastrophique dans la conscience collective du peuple palestinien, il a été suivi, 19 ans plus tard, par une autre guerre épouvantable, qui a provoqué le déplacement d’entre un quart et un tiers des Palestiniens hors du territoire conquis par Israël, ainsi que le début d’une nouvelle ère. Depuis, la population qui est restée vit sous une domination israélienne complexe. Cet événement-là est nommé la « Naksa », terme qui évoque l’aggravation importante et rapide d’une catastrophe antérieure. Cette Naksa est advenue durant et au lendemain de la guerre entre Israël et trois des pays arabes environnants, qui dura six jours et se clôtura par une facile victoire d’Israël et l’occupation des territoires qui étaient sous la souveraineté ou administrés par ces États voisins.
Une guerre démographique
Alors que pendant cette guerre les combats ont été rapides et peu nombreux, les personnes déplacées dans les territoires palestiniens conquis se comptent par centaines de milliers. Leur nombre est, indubitablement, sans proportion avec l’événement militaire. Cela ne peut se comprendre qu’en se référant au contexte idéologique qui, depuis la Nakba, a sous-tendu les opérations militaires, législatives et administratives israéliennes. Comme l’a montré tout un courant d’historiens israéliens qui ont mené des recherches dans les archives de leur pays couvrant la période de la Nakba, ainsi que d’autres qui ont travaillé sur l’héritage des premiers dirigeants sionistes, l’expulsion du peuple palestinien hors de Palestine a toujours été perçu par les dirigeants israéliens comme faisant partie de la solution au problème juif. Dès lors que les sionistes entendaient créer un « État juif » sur un territoire où ils étaient une minorité, faire basculer l’équilibre démographique en leur faveur ne devenait possible que par la combinaison d’une colonisation de la terre par eux-mêmes et du déplacement des Palestiniens hors de cette même terre.
Lorsque la guerre advint en 1967, les dirigeants sionistes y virent l’occasion de procéder à des changements démographiques dans les territoires nouvellement occupés de manière générale, et dans certaines zones spécifiques en particulier. Durant la guerre et dans les jours qui suivirent, entre 250 000 et 420 000 Palestiniens, selon les sources, ont été déplacés de chez eux [1]. Cela fut exécuté par des moyens militaires, et consolidé ensuite par l’imposition de règlements empêchant les personnes expulsées de rentrer chez elles.
Le Latroun et Jérusalem-Est, zones stratégiques
Durant la guerre, les Israéliens focalisèrent les activités de déplacement dans certaines zones d’importance stratégique. L’une des plus significatives fut l’expulsion de la population de trois villages de la zone centrale du Latroun, au bord de la frontière israélienne de juin 1967 à l’ouest de la Cisjordanie, où 10 000 civils furent expulsés [2]. Sur la carte, le Latroun apparaît comme un doigt dépassant de la Cisjordanie. Israël n’était pas parvenu à le conquérir en 1948. Ses villages sont restés habités jusqu’à la guerre de 1967, lorsqu’Israël expulsa leur population et détruisit immédiatement la totalité des bâtiments. Les terres appartenant aux villageois devinrent un parc naturel, le Canada Park, et une colonie fut également créée sur une partie d’entre elles.
Israël a depuis également construit un tronçon de ligne de chemin de fer sur une autre partie du Latroun d’où des réfugiés avaient été expulsés. Les expulsions de population dans les zones situées le long de la frontière entre Israël et la Cisjordanie touchèrent encore d’autres bourgs et villages. Ceux de Bait Marsam, Bat Awa, Habla, Jiftlik et El-Burj furent tous détruits [3], ainsi qu’une importante partie de la bourgade de Qalqilya (850 de ses 2 000 bâtiments, selon le rapport de l’envoyé spécial de l’ONU à l’époque).
De même, dès l’occupation de Jérusalem-Est, Israël procéda à l’évacuation de la population du vieux quartier Al-Magharbeh dans la Vieille Ville et détruisit toutes ses maisons, laissant leurs occupants sans abri. Ce quartier résidentiel était habité par des familles palestiniennes depuis des siècles. Les officiels israéliens virent cependant dans le déroulé de la guerre l’occasion de « nettoyer » cette zone et ouvrir l’espace faisant face au mur des Lamentations, à Jérusalem-Est. Pareillement, 4 000 Palestiniens furent évacués du quartier juif de la Vieille Ville. Dans ce cas-là, leurs maisons ne furent pas détruites. Leurs occupants furent remplacés plus tard par des habitants juifs [4].
De l’autre côté du Jourdain
Une autre zone d’importance stratégique fut constituée par la vallée du Jourdain, qui sépare la Cisjordanie du royaume hachémite de Jordanie. Durant la guerre, Israël déplaça 88 % de la population de cette région ! Les premiers à être expulsés furent des Palestiniens qui s’y étaient installés après la guerre de 1948 [5]. Les habitants de trois camps de réfugiés dans cette zone furent chassés en totalité et refoulés vers la Jordanie. La moitié du reste de la population palestinienne autochtone le fut également. Plus largement, au lendemain de la guerre, Israël procéda à l’expulsion de quelque 200 000 Palestiniens en les envoyant en autobus de l’autre côté du Jourdain. Les autobus partaient de Jérusalem et d’autres lieux de Cisjordanie.
Avant d’être expulsés, les Palestiniens devaient signer un document stipulant qu’ils quittaient les lieux « volontairement » [6]. Ce fut le cas pour certains, mais un soldat israélien, cité par Masalha, témoigna qu’une part significative d’entre eux fut expulsée par la force :
Bien qu’il y ait eu des personnes qui sont parties volontairement, nombreux sont ceux qui ont été purement et simplement expulsés. On les obligeait à signer. Je vais vous dire comment cela se passait. Un bus arrivait et seuls les hommes en descendaient. (…) On nous avait dit qu’il s’agissait de saboteurs (…) et qu’il valait mieux qu’ils se retrouvent hors de nos frontières. Ces gens ne voulaient pas partir, mais ils ont été traînés du bus tout en étant frappés à coups de pied et de crosses de pistolets. Au moment où ils arrivaient devant moi, ils étaient généralement déjà complètement sonnés et à ce stade ils ne se préoccupaient plus de savoir s’il fallait signer ou pas. C’était pour eux comme un élément du processus qu’ils subissaient. Dans la plupart des cas, la violence utilisée à leur égard produisait les conséquences souhaitables de notre point de vue. La distance entre la position frontalière où on se situait et le pont [sur le Jourdain] était d’une centaine de mètres. Apeurés comme ils l’étaient, ils traversaient en courant. Des gardes-frontières et des parachutistes étaient là en permanence. Lorsque quelqu’un refusait de me donner sa main [pour qu’on lui prenne ses empreintes] ils venaient et le battaient affreusement. Après, je lui prenais le pouce de force, je le plongeais dans l’encre et je prenais son empreinte. Puis l’homme était viré. Je n’ai aucun doute que des dizaines de milliers d’hommes ont ainsi été expulsés contre leur volonté [7].
Cette opération d’expulsion, selon le chercheur Nur Masalha, a suscité peu d’attention, probablement parce qu’elle n’a pas impliqué d’action militaire spectaculaire comme dans le Latroun ou à Qalqiliya. Elle a commencé cependant à être publiquement évoquée et prise en considération lorsque Haïm Herzog, l’organisateur de cette expulsion qui devint aussi le premier gouverneur militaire de la Cisjordanie [8], déclara fièrement en 1991 qu’il avait géré le transfert sans bruit de 200 000 Palestiniens en usant de cette méthode.
« Amaigrir » durablement la population palestinienne
En conclusion, on peut voir que l’action des forces armées israéliennes était guidée, selon les termes de Masalha, par le désir d’« amaigrir » la population palestinienne du territoire nouvellement occupé. Cela eut pour conséquence un grand nombre de nouveaux réfugiés et aussi de déplacés. Après que l’expulsion eut été mise en œuvre, Israël la consolida par l’adoption d’outils législatifs pérennisant leur exil. Ces réglementations incluaient en premier lieu le refus opposé à toute personne absente au moment de la guerre ou devenue réfugiée ou déplacée à l’issue de cette guerre et se trouvant au-delà des frontières de la Palestine d’être autorisée à revenir vivre dans son foyer. Cela fut rendu possible en établissant de nouveaux statuts de résidence pour la partie orientale de Jérusalem-Est, la Cisjordanie et la bande de Gaza, et en n’autorisant à y habiter que les seuls Palestiniens inclus dans le recensement qu’Israël mena dans les territoires occupés. Tous ceux qui avaient été expulsés ou qui se trouvaient à l’étranger furent intentionnellement exclus du statut de résident. En outre, le gouvernorat militaire israélien en Cisjordanie et à Gaza émit des ordonnances selon lesquelles toute entrée non autorisée préalablement dans les territoires occupés était considérée illégale et passible de punitions, parmi lesquelles figurait l’expulsion.
Ces diverses mesures ont eu pour résultat de pérenniser le déplacement des individus concernés et de leurs familles. La plupart n’ont jamais pu revenir en Palestine jusqu’à ce jour. Ils ont même été rejoints dans leur exil forcé par de nombreux autres Palestiniens, victimes de ce que l’on nomme localement la « Nakba permanente », à savoir des mesures permanentes d’expulsion. Ces mesures incluent les révocations de permis de résidence, les restrictions d’enregistrement des enfants, les démolitions de maisons et bien d’autres encore…
Aucune paix juste n’adviendra sans que soit résolue la situation critique des réfugiés des deux guerres de 1948 et de 1967 et celle des personnes expulsées hors de Palestine par le régime israélien depuis lors. Plus important : la paix ne pourra être instaurée et renforcée qu’en s’attaquant aux motivations idéologiques israéliennes qui ont engendré un tel problème.
Munir Nuseibah
Professeur-assistant à la faculté de droit de l’université Al-Qods de Jérusalem.
http://www.ujfp.org/spip.php?article5680