L’impérialisme européen et le libre-échange
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L’impérialisme européen et le libre-échange.
L’Union européenne est sur le point de mettre en place une série d’ accords de libre-échange et mène une politique commerciale offensive qui n’a rien à envier à la politique américaine. L’accord de Cotonou, passé en juin 2000 entre l’Union et les anciennes colonies du groupe Afrique, Caraibes et Pacifique (ACP) prévoit en effet l’instauration de zones de libre-échange (ZLE) qui doivent résulter de ce qui est hypocritement baptisé Accords de Partenariats Economique (APE). La négociation de ces APE est en cours et doit s’achever avant 2008. Les ZLE seront progressivement mis en place entre 2008 et 2020. Le projet est d’une importance considérable : ces accords auront sans doute de lourdes conséquences sur la vie de nombreuses populations, parmi les plus pauvres de la planète. Or cette politique européenne reste largement méconnue. Force est de constater que les médias ne traitent pas, ou très peu, le sujet. De cette couverture minimale découle l’absence de débats sur ces accords, y compris au sein des groupes militants.
De grandes ambitions.
L’Union européenne ne négocie pas la mise en place de zones de libre-échange avec deux ou trois pays. Son action est autrement ambitieuse puisque 79 pays ACP sont concernés. Aux projets de ZLE contenus dans l’accord de Cotonou s’ajoutent le futur accord de libre-échange avec le Mercosur (regroupant le Brésil, l’Argentine, l’Uruguay et le Paraguay), le projet de zone euro-méditerranée, les négociations avec la Syrie etc.
En ce qui concerne les 79 pays ACP, l’objectif de l’Union est bien sûr de promouvoir les exportations de ses firmes en leur ouvrant un accès aux marchés ACP à des conditions préférentielles tout en assurant de juteux bénéfices aux multinationales de commercialisation(1) qui dominent les filières agricoles de ces pays.
La mise en place des ZLE implique la suppression des droits de douane pour l’essentiel des échanges commerciaux. Les Etats ACP devront donc ouvrir presque totalement leurs marchés aux produits de l’UE..
Diviser pour mieux régner.
Le chercheur auprès d’Auxfam Belgique, raoul Marc Jennar, souligne que l’Union européenne veut diviser l’ensemble ACP en six zones et pose la question : «Que restera-t-il du groupe ACP une fois ce travail de division effectué ?(2)».
L’Union européenne souhaite en effet être partie prenante de zones de libre-échange l’associant aux pays ACP, eux-mêmes regroupés dans différentes unions douanières. L’accord de Cotonou «a précisément pour objectif d’établir des unions douanières, dotées d’un tarif extérieur commun, entre pays ACP(3) ». L’Union européenne favorise donc des regroupements régionaux et négocie la mise en place des ZLE avec chacune de ces entités régionales.
Le processus est en cours. Les ONG du « groupe de travail Cotonou» le résume ainsi : «L’ouverture intempestive des économies ACP compromet les initiatives d’intégration régionale ACP.[…] L’UE tente de réduire la coopération régionale et les processus d’intégration à un processus de libéralisation commerciale, dicte le contenu et le rythme de cette libéralisation, dicte le découpage des configurations régionales et veut être partie à chacune de ces intégrations régionales.(4) »
Au mois d’octobre 2003, se sont ouvertes les négociations avec la Communauté des Etats d’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) – regroupant le Bénin, le Burkina Faso, le Cap Vert, le Ghana, la Guinée, la Guinée-Bissau, le Libéria, le Mali, le Niger, le Nigéria, le Sénégal, la Sierra Leone et le Togo – et avec la Communauté Economique et Monétaire d’Afrique Centrale (CEMAC) – regroupant le Cameroun, le Congo, le Gabon, la Guinée Equatoriale, le Tchad, la République centrafricaine – élargie à Sao Tome et Principe.
En février 2004 débutaient les négociations avec le groupe des seize pays de l’Afrique australe et orientale (Burundi, Erythrée, Ethiopie, Comores, Kenya, Madagascar, Rwanda, Soudan, Seychelles, Zambie, Malawi, Zimbabwe) qui doivent aboutir à la création d’une ZLE en 2008.
Le 1er juillet, la ministre congolaise du commerce, Adelaide Moundéle Ngollo a annoncé le lancement de la zone de libre-échange de la Communauté Economique des Etats d’Afrique Centrale (CEEAC). Cette zone qui concerne 120 millions d’habitants regroupe le Burundi, le Congo, la République Démocratique du Congo, le Cameroun, l’Angola, le Gabon, la Guinée Equatoriale, la République centrafricaine, le Tchad, Sao Tome et Principe et le Rwanda. Elle prépare l’entrée en vigueur de la zone de libre-échange avec l’Union européenne. Celle-ci impulse donc à son profit un remodelage accéléré des accords commerciaux en Afrique.
Des effets dévastateurs ?
Quelles vont être, pour les pays ACP, les conséquences économiques de ces accords de libre-échange avec l’Union européenne ?
Les Etats ACP devront nécessairement faire face à d’importantes pertes de recettes résultant de la suppression des droits de douane, avec ce que cela implique pour le financement d’éventuels projets socialement utiles dans la santé, l’éducation…
Les «accords de partenariat économique» prévoient de remplacer les préférences commerciales unilatérales en vigueur jusqu’alors par des préférences réciproques. De cette manière, l’Union européenne offre à ses firmes un accès privilégié aux marchés de 79 pays du tiers monde. Mais les producteurs peu compétitifs de ces pays vont-ils pouvoir affronter la déferlante de produits européens souvent subventionnés(l’Europe a accordé environ 40 milliards d’euros de subventions à ces producteurs en 2003(5) ) ?
Dans son communiqué du 4 octobre 2002, l’association Action Solidarité Tiers Monde affirme que la Commission européenne, qui rappelons le applique un mandat fixé par les Etats, «semble sous-estimer totalement les implications de ses propositions. La plupart des pays ACP et en particulier les PMA ne sont pas en état d’affronter la concurrence des produits européens sur leurs propres marchés ou d’écouler leurs produits sur les marché européens.»
Il est urgent de prendre la mesure des conséquences éventuelles de ces APE. La confédération des ONG européennes CONCORD dresse un tableau alarmant : «L’établissement de Zones de libre-échange exposera les Etats ACP à la concurrence de l’UE d’une manière tout simplement dévastatrice.[…]L’étude d’impact sur le développement commanditée par la Commission européenne souligne que pour l’Afrique de l’ouest, les APE pourraient précipiter l’effondrement du secteur des produits manufacturés.(6) » Ainsi, les industriels européens pourront poursuivre leurs activités lucratives sans craindre l’émergence d’une concurrence africaine…
Les confidences du député.
Il semble évident que ces accords de libre-échange sont susceptibles de bouleverser les économies déjà mal en point des pays du tiers monde. L’inégalité entre les soi-disant «partenaires» est si flagrante que même le député Jean-Yves Gateaud, dans son rapport à l’assemblée nationale sur la ratification de l’accord de Cotonou, a été obligé de concéder que «De façon générale, la marche des pays ACP vers la libéralisation réciproque représente un pari dont on ne peut connaître les conséquences économiques(7)». Si l’on en croit ce rapport, le principe de précaution ,que l’Etat français vient d’inscrire en fanfare dans la constitution, voudrait donc que l’on stoppe net les négociations sur les APE…
Jean-Yves Gateaud évoque pudiquement «le coût social de la transition» et admet que «l’on peut comprendre les inquiétudes des pays ACP car beaucoup d’inconnues subsistent quant aux potentialités mais aussi quant aux contraintes du futur système ». Il le répète en conclusion : «Quelles seront les conséquences de la libéralisation des échanges prévue ? Aucune certitude ne permet d’affirmer qu’elle entraînera un développement accru.»
Quelle implication de la société civile ?
Ces quelques remarques n’ont bien sûr pas empêcher nos «représentants du peuple» de ratifier l’accord. Reste la société civile, les militants des ONG, des associations, des syndicats, pour tenter de limiter un tant soit peu le caractère dominateur et même potentiellement dévastateur des APE. Or, comme le souligne fièrement Jean-Yves Gateaud : «Avec l’accord de Cotonou, collectivités locales, syndicats, associations professionnelles, représentants du secteur privé, ONG locales et autres acteurs font leur entrée officielle dans le partenariat pour mobiliser la population autour des objectifs de transformation et de modernisation.»
Ainsi l’impérialisme européen anticipe la critique et tente d’intégrer les contestataires potentiels qu’il aimerait bien cantonner au rôle d’observateurs bienveillants ou de cautions morale. La méthode n’est pas nouvelle. Mais elle n’est pas toujours efficace. Au regard des implications des ZLE pour les populations des pays du tiers monde, rien n’assure que tous les acteurs de la société civile «associés» accepteront de jouer convenablement le jeu.
Sur le site d’Attac France, à la rubrique «Commerce international», l’on trouve de nombreux articles consacrés au projet de Zone de Libre Echange des Amériques(ZLEA)(8). Mais aucun concernant l’accord de Cotonou. C’est à croire que cette association, pourtant pourvue d’un imposant «conseil scientifique», ne lutte contre le libre-échange que lorsqu’il profite aux Etats-Unis…
Le rôle moteur des rivalités interimpérialistes.
Les impérialismes rivaux sont engagés dans une lutte pour le partage du monde qui se traduit notamment par une course à la signature d’accords de libre-échange car tout accord mis en place par l’un favorise ses exportations et entraîne mécaniquement une baisse des parts de marché pour l’autre. C’est ce qu’il est advenu après l’entée en vigueur de l’ALENA : la part de marché de l’Union au Mexique est passé de 17% en 1994 à 9% en 1999(9).
Contrairement à une idée reçue très répandue en France, l’Union européenne n’est pas en retrait en matière d’agressivité commerciale. Elle est «l’ensemble commercial du monde lié par le plus grand nombre d’accords de libre-échange(plus de trente)(10)» notait un rapport de l’assemblée nationale en novembre 2003.
Les Etats-Unis ont passé leurs propres accords (avec le Canada et le Mexique, Israel, la Jordanie, le Chili et Singapour) et en négocient de nouveaux (avec les pays de la ZLEA, le Maroc, l’Australie etc). Mais il existe dans ce pays des mouvements d’opposition à ces politiques. Pourquoi de tels mouvements ne se font-ils pas entendre en France ?
Les différents impérialismes ont toujours mené de front négociations bilatérales et multilatérales. Après l’échec de la réunion de l’OMC à Cancun, en septembre 2003, ils risquent de privilégier les accords régionaux et bilatéraux au cadre multilatéral. Aussi, il serait pour le moins incohérent de continuer à se focaliser sur l’OMC en négligeant les nombreux accords bilatéraux. L’absence de contre-pouvoir au niveau bilatéral est la porte ouverte à toutes les prédations.
Nicolas Barto, juillet 2004.
1/ Par exemple, la multinationale française DAGRIS contrôle la filière Coton en Afrique de l’Ouest. Elle fixe le prix d’achat aux producteurs, prix qui ne représente que 7 à 8% du prix final. Notons que certains groupes américains développent des stratégies de pénétration du marché européen en investissant dans les pays ACP afin de bénéficier des accords liant ces pays à l’Union européenne. Ainsi le groupe Dole a fait l’acquisition de parts importantes de la Compagnie Fruitière. Mais pour les paysans, auxquels échappe la commercialisation, l’exploitation reste la même, que la firme soit américaine ou européenne.
2/Raoul Marc Jennar, «L’accord de Cotonou. Les formes nouvelles du colonialisme européen.», http://www.astm.lu
3/Rapport d’information déposé par la délégation de l’assemblée nationale pour l’Union européenne, Sur l’agriculture et les pays en développement à l’organisation mondiale du commerce, présenté par M. François Guillaume, 21 janvier 2004.
4/CONCORD, Groupe de travail Cotonou, «Pourquoi l’approche des négociations commerciales régionales adoptées par l’UE est mauvaise pour le développement.», http://acp-eu.euforic.org , avril 2004.
5/Pascal Lamy, «Les APE favoriseront les échanges.», Jeunes Afrique/L’intelligent, n°2253.
6/ « Pourquoi l’approche des négociations commerciales régionales adoptée par l’UE est mauvaise pour le développement ? », op.cit.
7/Rapport de la commission des affaires étrangères «Sur le projet de loi autorisant la ratification de l’accord de partenariat entre les membres du groupe des Etats d’Afrique, des Caraibes et du Pacifique d’une part et la communauté européenne et ses Etats membres d’autre part», enregistré le 13 février 2002.
8/ Les négociations de la ZLEA piétinent notamment en raison de l’opposition de l’Argentine et du Brésil, qui exigent l’abolition des subventions agricoles aux Etats-Unis.
9/ Lire le Rapport d’information déposé par la délégation de l’assemblée nationale pour l’Union européenne, Sur les relations avec les entités régionales, 28 juin 2001.
10/ Rapport d’information déposé par la délégation de l’assemblée nationale pour l’Union européenne, Sur les négociations à l’Organisation Mondiale du Commerce, présenté par Marc Laffineur, 13 novembre 2003.
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