Questions stratégiques pour faire retirer le loi travail (… et son monde ?)
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Catégorie : Local
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Questions stratégiques pour faire retirer la loi travail (… et son monde ?)
Bilan de trois mois de mobilisation
Les premières mobilisations sérieuses sont parties des universités, avec des noyaux d’étudiant-e-s très déterminés, qui ont su entraîner une (petite partie) de leurs camarades. Cette mobilisation étudiante a touché le monde lycéen, avec un relatif succès, même si très vite seuls des noyaux ont réussi à tenir sur la durée dans les différents lycées.
Bien que cela ne soit jamais bon pour un gouvernement et pour les partisans de « l’ordre », il était clair pour tout le monde que la seule mobilisation de la jeunesse scolarisée ne permettrait pas de faire remballer son projet à Hollande-Valls-Medef, auquel on pourrait rajouter la CFDT puisque rapidement celle-ci s’est estimée satisfaite « d’avoir obtenu ce qu’elle voulait » dans cette loi. ( !)
Dès le 9 mars, des groupes « autonomes » (qu’on peut appeler ainsi par convention : autonomes car n’ayant de compte à rendre qu’à eux-mêmes, mais on pourrait dire aussi « déterminés », ou autre chose ; mais pas « casseurs », qui fait parti du lexique des représentants de « l’ordre », c’est-à-dire, aujourd’hui, de l’ordre bourgeois), des groupes autonomes, disais-je, ont repeint les murs et les banques de slogans marrants et justes (à peu près), et ont commencé à agir pour maintenir les « forces de l’ordre » à distance, lorsque celles-ci s’approchaient d’un peu trop près.
Troisième composante et non des moindres, les salarié-e-s se sont également mobilisés dès le 9 mars, suivant l’appel d’une intersyndicale qui était pourtant bien frileuse, ne prévoyant de n’appeler que le 31 mars. Au cours de ce mois, on a constaté dans le milieu militant CGT (dans les syndicats et les Unions Locales) une forte poussée de la base pour en découdre avec le Gouvernement. Malgré tous les obstacles habituellement mis lors de son Congrès pour limiter le nombre de partisans d’une ligne dure, le 51e congrès de la CGT à Marseille à révéler la très grande détermination du « corps » militant CGT – pour faire cours et sans rentrer dans les détails.
Et il faut dire, à la surprise de pas mal d’entre-nous (je suis militant CGT) que Philippe Martinez s’est, au jour où j’écris cette note – le 17 juin – fait le porte-parole de cette « ligne dure ». (dont au sujet de laquelle il faudra reparler, avec les questions évidentes : ligne dure – jusqu’où ? Et jusqu’à quand ?)
A partir de là, ce « corps » militant CGT s’est remis en ordre de marche à une hauteur qu’il n’avait plus connu depuis 2010 (avec toutefois un nombre de militants très actifs relativement moins conséquent – si on compare à 1995, dernière victoire d’un mouvement gréviste d’ampleur). Par contre, la CGT a été rejointe par un corps de militants des syndicats SUD/Solidaires ayant augmenté depuis, notamment chez les jeunes, les cheminots, les postiers.
L’activité militante déployée dans le courant du mois d’avril a permis de concrétiser, fin avril et surtout courant mai, un certain nombre de points d’appui dans la perspective d’une grève générale reconductible : actions dans l’énergie électrique (Cordemais), grèves chez les employés territoriaux (restauration scolaire notamment, éboueurs, mais pas seulement), grèves chez les dockers, les portuaires, les intermittents du spectacle, les cheminots, les postiers, dans l’aéronautique et autour des aéroports, et surtout grèves reconduites avec piquets de grèves dans les Raffineries et les dépôts de carburant.
Toutefois, même si lors des journées de mobilisations (avec appels à manifester de l’intersyndicale nationale), de nombreux secteurs et de nombreuses boîtes ont connu des taux de grève pas vus depuis longtemps (2010, encore), nombreuses sont les boîtes et les administrations où la mobilisation est trop faible voire inexistante : secteurs clés comme l’automobile notamment, les hôpitaux, l’enseignement, et encore les petites boîtes et très petites boîtes (dont on connaît les difficultés de mobilisation – par exemple pour se mettre en grève).
Enfin, même si cela reste limité en terme de participation, notamment populaire (par là j’entends les ouvrier-e-s, employé-e-s, chômeur-euse-s qui vivent dans les quartiers « populaires ») les phénomènes des Nuits debout, des On-bloque-tout, des AG de luttes interpro, sont porteuses d’une efficacité démultipliée en cas de généralisation de la grève.
Bien sûr, à ce bilan, il faut également ajouter les provocations et l’extrême violence de la répression policière, récurrente depuis la lutte à Notre Dame des Landes. (Et qui, plus au sud, a tué Rémi Fraisse). Et tout ça sous un gouvernement qui est parvenu à associer le terme socialisme à une envie de vomir, un premier ministre aux allures de caudillo, et à coups d’articles 49.3, de mensonges et de manipulations.
Un État et des médias serviles, enfin, qui en temps « normal », entretiennent une illusion de neutralité, mais qui, sous les coups de boutoirs de ce mouvement de rébellion populaire, dense et uni, montrent leur vrai visage de chiens de garde des intérêts généraux du Capital, faisant montre d’une agressivité « incroyable ».
Les points d’appui
Cependant, après plus de trois mois de mobilisation, nous sommes encore en échec pour l’instant à faire retirer cette loi El Khomri.
Pour autant, nous disposons de points d’appui. Un réel soutien populaire, d’abord, malgré toutes les tentatives des chiens de garde pour discréditer tel ou telle composante du mouvement, et qui s’est exprimée très tôt par les 1 350 000 signatures de la pétition en ligne sur change.org contre la loi.
L’opinion est majoritairement contre cette loi, solidaire du mouvement qui la combat, et défavorable au Gouvernement.
Ensuite, malgré des velléités d’en séparer les composantes (venues principalement de FO et de la FSU, mais parfois aussi de responsables CGT), le mouvement reste uni et solidaire, notamment dans les cortèges des manifestations de rues, entre jeunes scolarisés, déterminés cagoulés et travailleurs (je parle de « travailleurs » en tant que classe politique, qu’elles et ils aient du travail ou non – chômage – ou qu’elles et ils en soient sortis – retraite ou vie sur un autre mode).
Il n’y a, semble-t-il, pas de victoire sociale d’importance possible sans un début de commencement de grève générale, et il n’y a pas de grève générale se faisant craindre de la classe bourgeoise tant que les secteurs « périphériques » n’entrent pas en grève. C’est-à-dire les boîtes de moyenne importance, puis encore plus petites. (puisque c’est son anniversaire, souvenons-nous des 2 millions de grévistes de juin 1936, avec 12 000 usines occupées, et les 10 millions de grévistes de mai 1968, où même les vendeuses des petites boutiques se mettaient en grève et « sortaient »).
Nous n’en sommes certes pas là (ou pas encore, mais ce genre d’événements se déclenche et se répand de manière fulgurante), mais il y a localement quelques signes de mobilisations inédites depuis longtemps. Ne serait-ce que dans la Zone Industrielle de Saint-Herblain, il y eu notamment 90 % de grévistes chez Gascogne Sack le 26 mai, 70 % de grévistes chez Waterman le 14 juin.
Au fil des infos qui se diffusent dans la CGT, il semble que ce genre de mobilisations ne soient pas aussi localisées ou isolées qu’on ne pouvait le penser de prime abord, un peu partout en France, depuis fin mai. Dans différentes régions, des débrayages ou des grèves ont eu lieu dans le secteur privé sur les salaires, les conditions de travail, ou contre les restructurations et autres suppressions de postes. L’offensive patronale, constante mais accentuée suite à la « crise » de 2008 ne passe plus, et déborde le seul rejet de la loi El Khomri.
Enfin, la durée du mouvement est en elle-même inédite, et le fait que des secteurs, des militant-e-s restent mobilisés depuis maintenant plus de trois mois est un signe de la détermination – certes, d’une minorité – mais qui exprime un ras-le-bol beaucoup plus largement partagé parmi la classe « travailleuse ».
La lutte des classes n’a jamais cessé, mais cela a pris la forme depuis plus de 20 ans d’une classe qui donne des coups, et de l’autre qui encaisse. Mais nous, prolétaires, nous relevons la tête aujourd’hui, d’une manière nouvelle et déterminée (qui surprend et effraie à la fois encore un certain nombre parmi nous), mais nous avons retrouvé un itinéraire, une flamme qui n’est pas prête de s’éteindre, quoi qu’il advienne de la loi El Khomri : nous avons retrouvé le chemin de la lutte des classes !
Construire sur le temps long
Un des points d’appui, aussi, ce sont les films et les documentaires dénonçant les méfaits du mode de production capitaliste, qui se multiplient, et qui ont un succès croissant.
Pouvons-nous nous passer, également, de ce patient et exigeant travail d’explication, d’étude et de débat collectif, d’argumentation, afin de décortiquer, de démêler les fils du système qui nous spolie et nous exploite ? Personne ne peut le nier, il me semble, si nous voulons élargir la surface de la résistance, de la rébellion, de la révolution qui vient.
Construire, organiser, sont des attributs de la lutte des classes.
Je renvoie ici à la lecture de l’article « Les deux jambes du militantisme » paru dans le Monde Diplomatique de juin 2016. Texte écrit par Astra Taylor, elle montre, à travers l’expérience de l’ancien activiste américain Mark Rudd dans les années 1960, que deux types de combat, la lutte organisée et l’action spontanée, s’ils se côtoient ou rivalisent parfois, peuvent aussi se rejoindre.
« De larges segments de l’activisme contemporain risquent de succomber au piège de l’individualisme. Or l’organisation est coopérative par nature : elle aspire à entraîner, à construire et à exercer un pouvoir partagé. Elle consiste, comme l’écrit le jeune sociologue et militant Jonathan Smucker, à transformer un ‘bloc social en force politique’. », écrit-elle. « Mais l’éducation n’est pas la même chose que l’organisation, laquelle n’implique pas uniquement d’éclairer l’individu qui reçoit votre message, mais aussi d’agréger des personnes autour d’un intérêt commun afin qu’elles puissent combiner leurs forces. L’organisation, tâche de longue haleine et souvent fastidieuse, implique de créer des infrastructures et des institutions, de trouver des points vulnérables dans les défenses de vos adversaires, de convaincre des individus dispersés d’agir au sein d’une même équipe. » Et elle conclut son article ainsi : « Les élites n’ont jamais eu de mal à faire passer ceux qui contestent leur pouvoir pour des perdants et des grincheux. Il leur sera toujours plus difficile de disqualifier des organisateurs qui ont réussi à mobiliser une base populaire qui agit de façon stratégique. »
Bon, si on passe sur les formulations et le regard de sociologue de l’article, il reste que cette articulation, ce désir de maintenir une mobilisation dans la durée se pose. Nous n’avons pas encore réussi à faire retirer la loi « travail ». Mais qui dans les composantes du mouvement peut se prévaloir d’une stratégie pour gagner ?
Les jeunes sont-ils en mesure de faire plier le gouvernement, de le renverser ? En occupant facs et Lycées, en défilant dans les rues ?
Les autonomes, les activistes, sont-ils en mesure de faire plier le gouvernement, de le renverser ? En refaisant la déco des banques, des murs de la ville, en s’organisant pour ne plus laisser les jeunes se faire réprimer ? En créant et défendant une ZAD ? En « cassant » ? Quoi ? Les marchandises, les outils, le capital accumulé ?
Et les salarié-e-s ? Nous savons qu’ils et elles occupent une place particulière dans le mode capitaliste de production. Dans quelle mesure sont-ils et sont-elles capables de faire plier un gouvernement, de le renverser ? Quelle idée avons-nous – et quelle vision en ont les salarié-e-s – des grèves, de la Grève – reconductible, générale, avec occupation ?
Et autour de ces questions, gravitent celles du pouvoir, de la démocratie, de la violence, de l’État…
Nous devons apprendre, discuter, débattre.
Un mouvement a sans doute plus de chance d’être victorieux (et de garder ensuite, de manière prolongée voire permanente, de grandes qualités de mobilisation) s’il se construit, et cela demande du temps. Nous devons travailler en profondeur, et élargir la surface de la contestation anti-capitaliste.
Les camarades dont j’ai énuméré plus haut les secteurs/métiers font tout le temps le lien entre leur haut degré de syndicalisation et leur forte mobilisation. Les raffineurs sont massivement syndiqués, les dockers sont systématiquement tous à la CGT, les cheminots, les postiers, connaissent de forts taux de syndicalisation (toujours évidemment dans les syndicats plus combatifs, là : CGT et SUD).
5 % de travailleurs syndiqué-e-s en France, est-ce suffisant ? Oui, si les non-syndiqué-e-s sont tout aussi combatifs. Mais est-ce le cas ?
La classe salariée est la force sociale fondamentalement révolutionnaire, par la place qu’elle occupe dans la société capitaliste. Elle s’exerce et se forme dans la bataille contre ses exploiteurs, bataille parfois quotidienne. La construction sur le temps long, réalisé par des équipes syndicales combatives, sur le terrain de la lutte contre le patronat ou l’État, constitue à mon avis une étape incontournable dans la progression de la lutte des classes. Mais discutons-en. Entre tous ceux qui se sont mobilisés depuis trois mois, et dans l’extrême-gauche.
Ne pas relâcher la pression, en permanence
Maintenant que nous sommes là, que nous (re)-venons de débouler dans la lutte anti-capitaliste, contre la classe bourgeoise, maintenant que nous avons restauré cela : comment allons nous faire pour ne pas relâcher la pression, en permanence ?
Nous devons saisir toutes les opportunités, nous immiscer dans toutes les brèches de ce monde en décrépitude, bien sûr. Mais chacun risque de retourner dans son domaine d’intervention, dans une construction – ou pas – mais bien souvent, avec pour objectif de faire grossir « sa » boutique.
Rien de bien critiquable d’ailleurs. En soi, il est évident et normal que chacun-e continue et contribue à la réussite de la voie, des perspectives dans lesquelles il ou elle s’est engagé.
Mais comment rester unis et solidaires comme nous l’avons été ? Comment continuer à nous coordonner ? Pour continuer ce que nous avons commencé : porter des coups au pouvoir qui vacille (mais jusqu’ici ne rompt pas), pour les frapper ensemble, tout en marchant séparément ?
C’est l’enjeu des discussions que nous devons avoir. Qui n’est pas de confronter des écrits, programme contre programme, mais de voir ce que nous pouvons faire ensemble.
Nous avons peut-être quelques pistes : les travailleurs et les pauvres issus de l’immigration, avec lesquels nous devons nous liés ; proposer au prolétariat, aux pauvres, une reconquête de l’idée qu’un autre chemin/monde est possible, mais directement avec eux et pour eux ; lutter contre les nouvelles pratiques du capitalisme (les multinationales, le Medef qui dictent leur loi) ; dénoncer ceux qui, passés de l’autre côté, sont maintenant les plus violents et les plus agressifs zélateurs et godillots du capitalisme revenu à son énergie primitive, comme seul chemin possible pour l’humanité, j’ai nommé : le Parti Socialo (et sans doute la CFDT).
Avec des questions à poser auprès des classes pauvres de travailleurs, mais aussi de la classe moyenne « contente d’elle-même » :
-
Si la lutte des classes est morte, pourquoi interdire le droit de manifester ?
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Peut-on encore lutter pour changer de société ?
Juste un dernier point, car j’ai été bien long, sur l’attitude vis-à-vis des forces de police.
Certains camarades considèrent (à juste titre) que les forces de police sont des fonctionnaires, salarié-e-s comme nous, et qu’ils seront objectivement nos alliés, dans la perspective du renversement d’un pouvoir aux abois et devenu totalement illégitime par la violence avec laquelle il voudra nous faire accepter la loi du Capital et l’exploitation sans freins. Certes, mais sans doute pas tous. Et puis nous n’en sommes pas encore là, et, en attendant, nous devons plutôt, c’est vital, nous faire respecter des « forces de l’ordre », fermement et efficacement. (Ce qui n’implique évidemment pas d’aller jusqu’à « vouloir tuer des policiers », comme il a été dit par Valls en parlant des « casseurs », dans son délire médiatico-politico-hystérique, le 15 juin 2016).
(J’en profite pour souhaiter un joyeux anniversaire à Yann Le Merrer, révoquer de la Poste pour avoir organisé un vaste mouvement de grève dans le 92… Bon anniversaire à toi camarades ! Avec 10 ou 20 000 mecs ou nanas de ta trempe, la révolution, on en serait plus très loin !)
Questions stratégiques, oui, mais il faudrait éviter la logique syndicale qui n’a jamais mené qu’à la défaite !
Par exemple : « les salarié-e-s se sont également mobilisés dès le 9 mars, suivant l’appel d’une intersyndicale » : elle n’a eu lieu que dans quelques secteurs particulièrement syndiqués, et toujours de façon minoritaire – les employés des raffineries sont une petite poignée des salariés de la firme Total, par exemple ; les gros bataillons ouvriers en France, autrement dit la fonction publique, n’ont absolument pas été touchés par le mouvement. La grève n’a jamais concerné qu’une toute petite minorité de salariés, alors quand on parle de mobilisation des salariés, il faudrait dire de quoi il s’agit exactement. Et être clair sur une question stratégique : un mouvement peut-il l’emporter avec aussi peu de troupes avec lui ?
Quant à « 1995, dernière victoire d’un mouvement gréviste d’ampleur », il va falloir que l’auteur s’explique un peu plus : qu’est-ce qu’on a gagné en 1995 exactement ? La réforme Juppé de la Sécu est passée comme une lettre à la Poste, et le mouvement de 95 a tellement été une victoire que personne ne se souvient de ce qu’il s’est passé, et qu’il a fallu attendre huit ans (8 ans !) pour qu’un autre mouvement d’ampleur se mette en marche : l’anti-CPE, qui lui a obtenu le retrait du projet de loi ! 1995, c’est l’archétype de la manœuvre d’État menée par les syndicats qui s’est soldée par une défaite très dure des salariés. J’aimerais d’ailleurs signaler qu’en 1995, le nombre de grévistes était faible partout, sauf à la SNCF…
Quant à l’idée qu’on pourrait « bloquer » l’économie, c’est une vision purement économiciste de ce qu’est la grève, laquelle n’a pas ce but-là, mais de RASSEMBLER les salariés dans l’unité, la discussion la plus large, la prise en main du mouvement par les salariés eux-mêmes, pour en faire un poids POLITIQUE contre l’État. Couper l’approvisionnement en essence n’a jamais fait reculer l’État ! Par contre, oui, ça emm…de sérieusement les ouvriers qui doivent utiliser leur bagnole pour aller au boulot ! Et où sont les AG ouvertes, les discussions en fin de manifs, les délégations d’un secteur à l’autre ?…
Enfin, d’où sort l’idée qu’un mouvement social long pourrait l’emporter ? Historiquement, ça n’a JAMAIS ÉTÉ LE CAS ! Face à l’appareil médiatique et au poids du quotidien et de son idéologie, il est évident qu’un mouvement social ne peut l’emporter qu’en se développant rapidement, en prenant justement les syndicats et la bourgeoisie de vitesse. TANT QU’UN MOUVEMENT SE DÉVELOPPE IL EST FORT, et ça se fait rapidement ou ça échoue très vite. Par conséquent, aujourd’hui, le rôle des syndicats est d’accentuer la défaite d’un mouvement qui a perdu depuis longtemps !
Nous avons donc ici tout ce qu’il faut pour éviter la principale « question stratégique » du mouvement actuel : quel est le rôle des syndicats officiels dans les luttes ?
En ce qui me concerne, et indépendamment de ce qu’en dit la « base » comme l’auteur de ce texte, les syndicats sont les principaux saboteurs des mouvements sociaux, ils sont une émanation directe de l’État, financés, crédibilisés, médiatisés et utilisés par lui pour combattre de l’intérieur les mouvements sociaux. Ça fait un siècle que ça dure, c’est un vieil acquis du mouvement ouvrier et ce n’est pas le mouvement actuel qui me fera changer d’avis !
Je ne pense pas que le syndicalisme soit par essence le problème des mouvements sociaux. Par contre, on peut dire que la tendance dominante dans le syndicalisme hexagonal actuel l’est, elle, un obstacle au développement d’une lutte victorieuse.
Pourquoi les salariés – syndiqués ou non – ne se mettent en grève que sporadiquement, chaotiquement, un secteur après l’autre, je dirais même péniblement, quand ils le font (à quelques exceptions près, quelques « niches syndicales ») ? En mon sens, la réponse se trouve dans le fait que les grandes centrales syndicales fonctionnent de façon corporatiste d’une part, et ont développé toute une classe de permanents syndicaux qui concentrent un certain pouvoir d’autre part.
On pourrait en effet se dire que l’existence de permanents syndicaux dans les UD et confédérations devrait palier au cloisonnement corporatiste des syndicats de base. Cela ne fonctionne manifestement pas. Rien d’étonnant à cela. La hiérarchie, dans toute organisation humaine, se montre toujours incapable d’efficacité et de pertinence dans ses décisions car elle ne colle pas au plus près aux réalités des individus.
Ainsi, il n’y a – à la CGT – même pas de syndicats d’industrie. Au niveau local, les gens sont organisés à l’échelon de leur boite. En d’autres termes, des salariés d’une entreprise d’aéronautique (exemple pris au hasard), ne se retrouvent pas, au quotidien, à militer avec les salariés de leur localité bossant dans le même domaine. Mine de rien, une telle organisation empêche d’estimer au jour le jour ses forces, et d’en avoir une réelle au moment de passer à l’action. Cette réflexion s’applique également au travail intercorporatif : même si des UL et UD sont sensées remplir ce rôle, quand on n’est déjà habitué à ne militer qu’avec ses collègues de boite, on n’est pas forcément prompt à s’intéresser à ce qui se passe dans un secteur d’activité totalement différent. Par ailleurs, la place que peuvent prendre les « directions syndicale » (terme qui me hérisse le poil tant il outrage l’Histoire du syndicalisme) est en elle-même un problème énorme. Notamment par la place que les permanents syndicaux peuvent prendre dans les organes interco, les rendant inopérants ; mais aussi évidemment dans le rôle de paralysant des énergies de « la base » qu’ils jouent.
« Stratégiquement », ce qui est important (entre autres choses), c’est de construire l’autonomie ouvrière et l’intercorporatisme. En d’autres termes la démocratie directe au sein de syndicats d’industrie et d’union locales animées par les syndiqués eux-mêmes, où ils côtoient leurs camarades de tous les secteurs, discutent, réfléchissent ensemble de façon globale, bâtissent des solidarités concrètes, réfléchissent également à tous les domaines de la vie sociale (consommation, culture, sexualité, habitation…). Voilà qui pourrait décupler la force d’une organisation syndicale de masse comme la CGT.
Pour finir, dans le cadre d’un mouvement comme celui qui est (encore !) en cours, quand les « directions syndicale » s’organisent en intersyndicales sur lesquelles les syndiqués ont encore moins de pouvoir, il est de notre devoir de créer des organes démocratiques (« basistes »), intercorporatifs et a-syndicaux. En d’autres termes des assemblées générales interprofessionnelles de lutte où se côtoient syndiqués et non-syndiqués, salariés, fonctionnaires, chômeurs, précaires, retraités, migrants, étudiants et lycéens. Parce que des questions aussi globales que celles soulevées par la loi travail imposent une organisation aussi large. Évidemment, ces AG n’excluent pas le travail des syndicats, même dans leur expression la plus corpo (ce qui est une force pour organiser concrètement, dans les boites, la grève et la réappropriation de l’outil productif). Mais leur action doit se faire en pensant en permanence à l’action générale impulsée dans le cadre interpro, ne pas la gêner ou entrer en contradiction avec elle.
En 2006, le retrait du CPE, une victoire ?
Pour rappel, le CPE était une disposition de la Loi pour l’Égalité des Chances (LEC) qui contenait entre autres dispositions (qui n’ont pas été abandonnées et sont donc entrées en vigueur) :
– L’apprentissage en alternance à partir de 14 ans
– Les Zones Franches Urbaines (de nouveaux cadeaux au patronat)
– La possibilité de sucrer les allocs familiales aux parents d’enfant absentéistes
– Le travail de nuit à partir de 15 ans.
Bien sûr que ça a été une victoire, puisque au départ la bourgeoisie y tenait, à son texte, et qu’elle ne l’a pas retiré de gaieté de cœur ! Qui plus est, la lutte anti-CPE a généré une solidarité, un mouvement massif qui commençait à intégrer des salariés, des sans-papiers et même les lycéens, et qui a su évincer les syndicats de la tête du mouvement. Et c’est bien pourquoi le gouvernement Villepin a reculé ! Alors, oui, par tous les bouts qu’on le prenne, c’était une victoire !
Maintenant, au sein du capitalisme et tant qu’il continue à exister et à dominer la société, il n’y a aucune victoire durable pour les exploités ; les 30 % d’augmentation du salaire minimum gagnés en Mai 68 ont été bouffés en quelques années par l’inflation ; les congés payés ont été « compensés » par une ahurissante progression de la productivité du travail ; tous les avantages sociaux, quels qu’ils soient, sont remis en cause à un moment ou à un autre par l’État et le patronat. Si ce n’était pas le cas, ça voudrait dire que les Réformistes ont raison, et ce n’est pas le cas !
Donc quand on parle d’une victoire des exploités, il faut savoir pourquoi on le dit ; Marx a très bien expliqué la chose dans le Manifeste : « Parfois, les ouvriers triomphent; mais c’est un triomphe éphémère. Le résultat véritable de leurs luttes est moins le succès immédiat que l’union grandissante des travailleurs ».
Voilà pourquoi il n’y a aucun critère de victoire dans la pseudo-lutte que la bourgeoisie nous met aujourd’hui en scène.
Le mouvement communiste – je n’ai pas dit stalinien – a répondu à la question syndicale depuis longtemps, et c’est effectivement une divergence avec beaucoup d’anarchistes : le syndicalisme a été récupéré par l’appareil d’État bourgeois depuis la Première Guerre mondiale et n’est plus une arme de la classe ouvrière, dans la mesure justement où il date d’une époque où il était possible d’affronter des bourgeois individuels – et donc le corporatisme n’était alors pas un problème – et où il était possible à la classe ouvrière d’avoir des organisations de masse qui ne soient pas dominées par l’État capitaliste totalitaire.
Ce n’est plus d’actualité : toute lutte économique est devenue politique, elle s’affronte directement à l’État qui est le véritable gestionnaire de l’économie nationale – c’est là son caractère totalitaire, qui est universel et valable partout dans le monde – et elle ne peut se développer sur la base de l’épuisement économique d’un secteur particulier de l’économie – que ce soit une entreprise isolée ou même un secteur économique complet.
La seule manière de l’emporter est donc de dépasser toutes les limites imposées justement par le syndicalisme, ce qui a été le cas historiquement à chaque fois qu’une lutte a été victorieuse dans le monde depuis un siècle ; mieux même : dès qu’une lutte est dominée par un syndicat, quel qu’il soit, ou par des pratiques de lutte syndicalistes, elle se termine par une défaite.
Il est d’ailleurs constant que dès que les salariés essaient de s’organiser et de prendre en main leurs luttes, la réaction syndicale est féroce : c’est bien de nous dire qu’il faut s’organiser sur une base autre que celle des syndicats officiels, mais ça veut dire quoi, sinon qu’il faut s’en débarrasser puisque leurs méthodes vont contre la lutte ? La véritable lutte au sein du mouvement social, c’est de se débarrasser de l’influence syndicale ! Une fois que c’est fait, toutes les questions sont nettement plus simples à aborder pour tout le mouvement car c’est là le PRINCIPAL OBSTACLE au développement de la lutte.
Rosa Luxemburg avait observé en son temps cette évolution du syndicalisme en Allemagne et était très méfiante à la fin de sa vie vis-à-vis des syndicats qui avaient été ses principaux adversaires politiques au sein de la Social-Démocratie. Les Spartakistes étaient totalement opposés aux syndicats, le KAPD et le Parti Communiste hollandais aussi (Lire la réponse de Gorter à Lénine sur « La maladie infantile du communisme »). Le trotskysme dissident de l’après-Seconde Guerre était lui aussi très opposé au syndicalisme (voir les positions de Grandizo Munis ou du groupe Socialisme ou barbarie). C’est donc un acquis du mouvement ouvrier dont nous sommes en train de parler.