Plus forts que l’hiver
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Catégorie : Global
Thèmes : Contrôle socialLuttes étudiantes/lycéennesLuttes salarialesNuit deboutResistances
ON BRISE LA GLACE
Qui aurait cru durant cet interminable hiver congelé sous le fatalisme et la soumission que le printemps viendrait, que des centaines de milliers de gens descendraient dans les rues, feraient des tas de manifs sauvages, se rassembleraient, occupant places, lycées, fac et lieux de production pour résister à la pression toujours plus arrogante de l’exploitation ?
Mieux que ça : qui aurait imaginé que de fausses oppositions que nous imposaient les politiciens et les médias allaient spontanément fondre comme les divisions artificielles entre « manifestants responsables » et « méchants casseurs » ? Face à la violence de cette société, et notamment celle de la police et des banques, on aura vu à maintes reprises des manifestants dits « pacifiques » comprendre, voire approuver, la réponse physique d’autres manifestants qualifiés, eux, de « casseurs » et ceux-ci avoir l’intelligence collective de rester à un niveau d’action en phase avec l’ambiance générale. Le préfet de police de Paris, Michel Cadot, parle même de « 1000 à 1200 personnes qui ne se séparent pas des fauteurs de troubles » dans des manifs parisiennes.
Plus fort encore : quand des milliers de gens, brisant l’atomisation qui étouffe l’humanité, ont commencé à se parler et à s’écouter collectivement, un refus récurrent s’est fait jour : la volonté de ne plus subir la domination d’individus se posant en experts pour s’imposer en représentants de la masse, en détenteurs du savoir et du pouvoir. Et le farouche désir de ne pas se faire confisquer une fois de plus l’expression par ces spécialistes et autres petits chefs a joué au début sur la décision d’avoir un temps de parole égalitaire pour tous.
Dans le flot divers des expressions de toute nature entendues sur différentes places occupées, on aura entre autres remarqué quelques critiques bien vues contre la logique revendicative. Mais surtout on constate, quand les « gens lambda » évoquent la fracture avec les politiciens, que le rejet dépasse la défiance envers des individus : ce sont les fonctions en tant que telles qui sont remises en cause. Pas seulement celle de l’homme politique, mais aussi celle du dirigeant syndical ou associatif. L’idée même d’avoir des représentants devient problématique pour de plus en plus de personnes, qui n’ont besoin d’aucun « penseur » pour comprendre que ceux qui prétendent parler et décider à notre place nous dépouillent de notre capacité à nous exprimer, à échanger pour agir collectivement, nous organiser, nous défendre. Il devient tout aussi clair pour beaucoup que ces médiateurs finissent inexorablement, tous autant qu’ils sont, par ne se préoccuper que de leur propre pouvoir et leurs propres intérêts. Il apparaît de plus en plus évident que nous ne pouvons compter que sur nous-mêmes pour lutter contre toute forme de domination. Aucun politicien, aucun expert, qu’il se dise de gauche, d’extrême gauche ou même d’ultragauche, ne le fera à notre place. Bien au contraire, leur finalité est, et restera toujours, de nous rendre dépendants de nous garder sous leur coupe, de nous faire gober qu’ils seraient indispensables, que nous serions trop stupides pour comprendre sans leur éclairage ce que nous vivons au quotidien.
La fonte des classes ?
Quiconque aurait prétendu début 2016 qu’il était encore possible dans ce pays de voir un tel niveau de conflictualité et de remise en cause de certains fondements du système capitaliste serait passé pour un doux rêveur… ou un fou furieux. Et pourtant c’est aujourd’hui une réalité qui fait chaud au cœur. La résignation qui semblait devoir congeler à tout jamais notre quotidien est en pleine débâcle.
L’arrogance, le cynisme et la violence des puissants sont allés trop loin. La bourgeoisie, qui étale sans vergogne son luxe et ses revenus mirobolants, en veut toujours plus. Pendant qu’ils s’en mettent plein les poches, pour les précaires, même les plans de débrouille qui permettaient de survivre sont un à un écrasés par l’Etat, et pour les salariés, la pression comme les cadences augmentent sans cesse sous la menace de finir eux-mêmes précarisés. La misère devient chaque jour plus insupportable, le ras-le-bol explosif.
Quand la rupture avec ceux qui prétendent nous représenter et décider à notre place commence à déchirer le consensus de la délégation de pouvoirs, quand des milliers de manifestants « pacifiques » crient en chœur « on est tous des casseurs », ce n’est pas seulement une révolte bouillonnante qui fait son apparition, c’est aussi une volonté de ne plus se laisser diviser, un sentiment d’unité entre exploités. Les prémices de la renaissance d’une conscience de classe ? En tout cas, l’amorce d’une intelligence collective où il devient clair que pour saper les fondements du capitalisme, il faudra se concentrer sur les véritables clivages et ne pas se laisser séparer par des divergences dérisoires.
Pourtant on a pu voir des « révolutionnaires » considérer avec froideur, avec un certain dédain, voire un mépris affiché, l’ensemble des gens qui participent aux assemblées de Répu comme s’il ne pouvait s’agir que de moutons citoyennistes condamnés à suivre aveuglément les manipulations destinées à les endormir et contrôler le mouvement… Comme si, parce que ces inorganisés n’affichent pas d’identité et de prétentions en « isme », il n’y avait rien de profondément subversif dans la volonté à maintes reprises réaffirmée de sortir du modèle de la représentativité…
Le potentiel révolutionnaire serait-il moins réel dans le désir d’anonymes de ne plus subir de pratiques dirigistes que dans l’attitude de militants donneurs de leçons, dont la vision inavouée consiste à guider l’humanité ? Que dans celle de curés de l’activisme, pas regardants avec le respect de l’égalité quand leurs gourous monopolisent la parole ? Que dans les revendications, forcément réformistes, prônées par des « penseurs » « radicaux » qui ne visent qu’à aménager l’exploitation ? Que dans cette habitude gauchiste d’organiser des campagnes sur d’éternels schémas avec agenda, semaine d’action, mots d’ordre… sans se demander s’il ne serait pas moins autoritaire d’arrêter de reproduire les modes de dépossession de cette société ? Que dans cette propension boutiquière à vendre idéologie et opérations clés en main, révélatrice d’une logique d’offre, où les uns organisent et les autres consomment, une logique d’avant-garde éclairée et de moutons…
Jeux de rôle et catégories
On pourra toujours enrober tous les jeux de rôle en « isme » de belles déclarations critiquant l’entre-soi, l’avant-gardisme, les dérives léninistes, on pourra même se raconter des histoires à dormir debout, ça n’y changera rien !
Pour autant il n’est évidemment pas question ici de se poser en donneurs de leçons habilités à distribuer bons et mauvais points, et encore moins de se perdre dans des attaques ad hominem qui ne servent qu’à entretenir ego et vieilles compétitions de chapelles. Il s’agit au contraire d’en finir avec ce genre de pratiques qui divisent selon des catégories artificielles et inhibent le potentiel révolutionnaire des luttes.
Alors qu’apparaissent des possibilités, il y a encore peu inespérées, d’ébranler le système capitaliste, ce n’est pas le moment de se laisser piéger par des faux clivages. Cela nous demandera bien assez de temps et d’énergie de nous concentrer sur le vrai, celui met face à face exploités et exploiteurs, celui qui nous oppose à toutes les élites, toujours en représentation, qui contribuent à nous déposséder en prétendant parler et décider en notre nom.
Nous avons déjà bien assez à faire pour démonter les rouages par lesquels les riches cherchent à tenir les classes inférieures en les incitant à assimiler un paquet idéologique homogène qui ne laisse pas de place à l’idée de révolte collective et autonome : Etat, loi, hiérarchie, élections, délégation de pouvoir, représentativité, médiation, cogestion, négociations, revendications, automodération, autocensure, docilité, résignation, individualisme, consumérisme, argent, travail, exploitation, société de classes… D’autant plus que, pour cela, ils ne manquent pas de relais. Des médias aux partis en passant par les centrales syndicales, sans oublier les avatars gôchistes… et autres experts prétendant penser pour nous, ils aimeraient tous, en nous inculquant l’idéologie du cadre institutionnel, nous faire accepter l’« impossibilité » de se libérer de leur modèle.
C’est d’ailleurs ce que tentent de faire une partie des « penseurs » de Nuit Debout qui, ne contrôlant plus la situation comme ils le voudraient préconisent ouvertement une institutionnalisation du mouvement.
Si ce texte n’a pas pour finalité d’analyser Nuit Debout, nous noterons quand même qu’on se retrouve encore avec des « experts » qui essaient de contenir dans le jeu politicien des milliers de gens pour se présenter comme leurs représentants. Des professionnels qui, conscients du niveau de l’hostilité contre les politiciens, notamment à gauche, se sont sentis obligés de saupoudrer leurs pratiques intégrées de propos « radicaux » pour surfer sur la vague de rejet qui menace les gens comme eux.
On s’amuserait presque à parier sur la façon dont ils pourraient s’y prendre : transformer un outil de convergence des luttes réfractaire aux politiciens en outil de prise de pouvoir genre Podemos à la française ou alors le torpiller pour créer un manque que des politiciens professionnels pourraient utiliser afin d’aspirer militants et électeurs… A l’arrivée, c’est la même : désamorcer toute pratique autonome de lutte collective et faire rentrer dans le rang ceux qui osent remettre en cause ce système articulé sur la délégation de pouvoirs à des « spécialistes ».
Sauf que le printemps est passé par là, et tout le monde ne suivra pas aveuglément ces tentatives de régénérer un ordre social qui même relooké plus « démocrate » resterait fondé sur l’exploitation et l’aliénation. Loin de là ! Nous sommes même nombreux.
Il faudra juste se retrouver sur le terrain des luttes. Sans laisser de leaders nous guider. Sans laisser la glace nous séparer et l’hiver revenir congeler nos révoltes.
Relisez vos classiques bande de bisounours…
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