Nous publions ci-dessous de larges extraits d’un article écrit par notre section au Venezuela suite au décès d’Hugo Chavez. La version intégrale est disponible sur notre site en langue espagnole.

Il n’y a pas que les hiérarques de l’Etat vénézuélien qui pleurent la mort de Chavez, mais aussi de nombreux gouvernants d’Amérique latine et du monde. Certains d’entre eux sont même venus “faire leurs adieux” au leader de la “révolution bolivarienne”. Beaucoup sont venus à cause de leurs engagements politiques et commerciaux (c’est le cas des pays membres de l’ALBA1 et des pays bénéficiaires d’accords pétroliers avec le Venezuela), mais tous ont entonné à l’unisson un concert de lamentations sur la disparition de ce chef d’État. Au nom de “la lutte contre la pauvreté” et “la justice sociale”, Chavez a réussi à imposer un projet de gouvernement qui, pendant 14 ans, a permis à une large partie de la bourgeoisie d’attaquer les conditions de vie et la conscience du prolétariat (…).

Le prolétariat doit s’appuyer sur son expérience historique pour rejeter et démasquer ce déluge de sentimentalisme et d’hypocrisie de la bourgeoisie et de la petite-bourgeoise. Chavez est un mythe créé par le capitalisme, alimenté et renforcé par la bourgeoisie nationale comme mondiale, à l’aide de la mystification du “socialisme du XXIe siècle”. La bourgeoisie mondiale, surtout ses tendances de gauche, a besoin de maintenir vivant ce mythe. Et le prolétariat, de son côté, a besoin de développer ses propres armes pour combattre l’idéologie du chavisme et ainsi montrer aux couches sociales les plus appauvries le véritable chemin vers le socialisme.

L’émergence du chavisme : un projet bourgeois, nationaliste de gauche

L’émergence de Chavez dans l’arène politique date de sa tentative de coup d’État à la tête d’un groupe de militaires contre le social-démocrate Carlos Andrés Pérez en 1992. Depuis, sa popularité n’a jamais cessé de grandir de manière vertigineuse jusqu’à son arrivée à la présidence de la république au début de l’année 1999. Durant cette période, il a réussi à engranger les fruits du mécontentement et de la méfiance de larges secteurs de la population vis-à-vis des partis social-démocrate (gauche) et social-chrétien (droite) qui faisaient l’alternance au pouvoir depuis la chute de la dictature militaire en 1958, surtout auprès des masses les plus paupérisées du Venezuela touchées par la crise économique des années 1980 et qui furent les protagonistes des révoltes de 1989. Ces deux partis étaient entrés dans un processus de décomposition caractérisé par une corruption généralisée et l’abandon des tâches de gouvernement, ce qui n’était que l’expression de la décomposition qui embrassait l’ensemble de la société, surtout au sein des classes dominantes, au point que celles-ci ont été incapables de donner un minimum de cohésion à leurs forces pour garantir la paix sociale.

Chavez, grâce à son charisme et à son ascendant auprès des masses les plus paupérisées, qui ont vu en lui l’avènement enfin possible d’un État protecteur, reçut le soutien de plusieurs secteurs du capital national, notamment des forces armées, ainsi que des partis de gauche et des gauchistes des années 1960 et 1970, lesquels ont ressuscité leur vieux programme politique basé sur les luttes de “libération nationale” remis au goût du jour : toujours contre “l’impérialisme yankee” et pour le surgissement d’une authentique bourgeoisie nationaliste et bolivarienne, favorable à la création de la “grande patrie sud-américaine” et appuyant ses objectifs sur les revenus très juteux des exportations pétrolières (…). Donc, dès le départ, le projet chaviste fut conçu comme un projet bourgeois de gauche, capitaliste d’État et nationaliste, basé sur une union entre les civils et les militaires, et prenant comme référence les régimes les plus despotiques d’Asie, d’Afrique et du Moyen-Orient, beaucoup d’entre eux étant d’anciens alliés du bloc impérialiste russe disparu.

Tout au long de ses 14 ans de gouvernement, Chavez a permis à son projet de gouvernement de prendre corps. Celui-ci sera plus tard nommé “socialisme du XXIe siècle” et se nourrira de l’exclusion et de la confrontation avec les secteurs du capital national au pouvoir jusqu’en 1998 et des secteurs du capital privé opposés à Chavez, ainsi que d’une géopolitique régionale et mondiale agressive renforcée par un anti-américanisme radical.

Son grand “secret”, célébré par une partie importante de la bourgeoisie mondiale, consiste en ce qu’il a su renouveler les illusions et les espoirs de la grande masse de pauvres laissés pour compte au Venezuela, en les sortant de “l’invisibilité”, en leur faisant croire qu’un jour ils pourraient sortir de leur situation de misère, alors que ce que le chavisme a fait en réalité, c’est appauvrir l’ensemble de la population, les travailleurs surtout, en appliquant la formule maitresse de la gauche du capital : le “nivellement par le bas”. Et c’est ainsi que le chavisme a réussi à contenir le malaise social de cette masse de pauvres que le capitalisme décadent a accumulé tout le long du XXe siècle, une masse qui n’a cessé d’augmenter parce qu’il est impossible pour le capital de l’intégrer au travail productif. Mais il a également atteint un autre objectif qui fait l’envie des autres bourgeoisies : il peut compter sur une masse électorale qui a permis aux nouvelles élites civiles et militaires de la classe dominante de se maintenir au pouvoir par les voies démocratiques. Ce n’est pas un hasard si les forces chavistes, pendant ces 14 années au pouvoir, ont emporté 13 des 15 élections nationales qu’elles ont organisées.

Chavez : un indéniable produit de la décomposition de la société capitaliste

Le surgissement du chavisme ne doit pas être envisagé uniquement comme le résultat de l’échec des gouvernements qui l’ont précédé, encore moins comme le résultat du seul charisme de Chavez, tel que la bourgeoisie voit les choses, c’est-à-dire les grands personnages comme seul moteur de l’histoire. Le chavisme est l’expression de la décomposition du système capitaliste dans son ensemble. L’effondrement du bloc russe à la fin des années 1980 fut le signal le plus visible de l’entrée du capitalisme dans la nouvelle phase de sa décadence, celle de sa décomposition2. Cet événement, qui bouleversa le système des blocs impérialistes existant jusqu’alors, a eu deux conséquences principales : l’affaiblissement progressif de l’impérialiste américain au niveau mondial et une attaque en règle contre la conscience de classe du prolétariat, avec un battage incessant identifiant l’effondrement du bloc stalinien avec la “mort du communisme”. Les secteurs du capital, pour pouvoir survivre dans leur tâche d’embrigadement de la classe ouvrière, devaient fabriquer de “nouvelles” idéologies ; et c’est ainsi que, au cours des années 1990, surgit la “troisième voie” avec des mouvements de gauche et gauchistes dans les pays de la périphérie mais, aussi d’Europe. C’est dans ce bouillon de culture, produit de la décomposition du système capitaliste, que Chavez émerge et consolide son projet, en compagnie d’autres leaders et d’autres mouvements sociaux de gauche dans plusieurs pays d’Amérique latine : Lula avec le soutien du PT, du MST et des Forums Sociaux au Brésil ; Evo Morales en Bolivie avec le mouvement indigéniste ; ou le zapatisme au Mexique et son soutien au mouvement indigène et paysan, etc. (…).

Le régime chaviste n’a pas pu stopper l’avancée imparable de la décomposition sociale au Venezuela ; c’est plutôt le contraire : il en a été un facteur d’accélération tant sur le plan intérieur que régional. En chassant les hauts bureaucrates des entreprises et des institutions de l’Etat, le chavisme les a remplacé par de nouveaux bureaucrates civils et militaires qui sont parvenus à amasser de grandes fortunes et des propriétés à l’intérieur et à l’extérieur du pays au moyen d’une corruption dépassant largement celle des gouvernements précédents. Le chavisme a ainsi su acheter la fidélité à son projet “révolutionnaire” en distribuant sans compter les revenus du pétrole (…)

L’hégémonie des fractions chavistes de la bourgeoisie au pouvoir est basée sur un renforcement de l’Etat sur tous les plans et un affrontement permanent avec des secteurs du capital national opposés au régime, surtout contre quelques représentants du capital privé, soumis à des expropriations et des contrôles ; c’est la manière avec laquelle ce régime justifie devant ses supporters qu’il lutte contre “la bourgeoisie”, alors que beaucoup de chavistes sont devenus de dignes représentants du capital privé. C’est ainsi que l’affrontement politique entre les fractions du capital national a été le trait dominant du régime chaviste ; une lutte où chaque fraction du capital tire de son côté et essaye d’imposer ses intérêts particuliers, y entraînant l’ensemble de la société et en ayant des répercussions sur tous les plans de la vie sociale.

Sur le plan économique, la crise générale du système a mis à nu le caractère insoutenable des prétentions du chavisme à élever le Venezuela au rang de puissance économique régionale, ce qui se concrétise, entre autres choses, par l’abandon de l’infrastructure industrielle du pays (qui affecte même “la poule aux œufs d’or”, l’industrie pétrolière), les infrastructures routières et le service de l’électrification (pourtant l’un des meilleurs d’Amérique latine il n’y a pas plus de deux décennies) qui sont fortement délabrés. Au niveau des télécommunications, le Venezuela souffre d’un retard considérable par rapport aux autres pays de la région.

Mais c’est au niveau social que se produit le pire des drames : la détérioration des services de santé et de l’éducation (que le chavisme vend comme l’une des plus grandes réussites de “la révolution”) est plus forte qu’il y a une décennie ; et la sécurité publique a été pratiquement abandonnée (mais ce n’est, en revanche, pas le cas quand il s’agit de réprimer les manifestations des travailleurs et de la population) : en 14 années de gouvernement “socialiste”, plus de 150 000 personnes ont été assassinées, ce qui a placé le Venezuela (et surtout sa capitale, Caracas) au rang des pays où la criminalité est la plus élevée au monde, dépassant les chiffres du Mexique et de la Colombie3.

Lors du décès du grand leader de la “révolution bolivarienne”, le pays berceau du “socialisme du XXIe siècle” se retrouve enfoncé dans une crise économique grave. En 2012, les indicateurs économiques ont battu tous les records et mettent en évidence que l’économie est aussi malade que l’était son ancien président : déficit fiscal élevé (autour de 18% du PIB, le plus élevé de la région), à cause d’une dépense publique pharamineuse (51% du PIB) ; les importations ont été les plus élevées depuis 16 ans, autour de 56 milliards de dollars, et elles équivalent à 59% des exportations ; il y a eu 22% d’inflation, la plus élevée de la région (…). Et pour aggraver la situation, la Chine, qui a fait d’importants crédits à l’État vénézuélien ces dernières années, refuse d’en octroyer d’autres à une économie qui ressemble à un puits sans fond. Par ailleurs, les doutes sur la santé de l’économie vénézuélienne rendent plus difficile et coûteux le placement des bons d’Etats sur le marché, pour lesquels il faut payer une prime de 13,6%.

Le projet chaviste du “socialisme du XXIe siècle” est un énième échec de la bourgeoisie, une version du capitalisme d’État au XXIe siècle qui enfonce les travailleurs et la société dans la pauvreté alors que la classe bourgeoise, et surtout la nouvelle élite chaviste, s’enrichit. Voilà un exemple qui montre que la droite, la gauche et les gauchistes n’ont aucune solution contre la misère et la barbarie auxquelles le capitalisme nous soumet.

Le mythe de la réduction de la pauvreté

Depuis la mort de Chavez, tant les chefs d’État que les hauts représentants d’institutions comme l’ONU, l’OEA ou la Banque Mondiale (BM) ont insisté sur sa politique en faveur des plus pauvres qui, d’après ces pontes, aurait permis de réduire la misère au Venezuela. Les représentants des partis de gauche, des groupes gauchistes ou des mouvements sociaux se sont également fait l’écho des statistiques manipulées par le pouvoir, prenant le relais d’une propagande orchestrée par le chavisme pour montrer au monde que celui-ci aurait réduit la pauvreté en “redistribuant les richesses”, en mettant les ressources de l’État au profit des plans d’alimentation, de santé, d’éducation, etc., pour les secteurs qui en ont le plus besoin.

D’après les chiffres de l’INE, l’organisme chargé des statistiques au Venezuela, ces chiffres montreraient les “réussites de la révolution” de Chavez : les foyers pauvres seraient passés de 49% de la population à 27,4% entre 1998 et 2011 (quelque 4 millions), rejoignant les 37 millions de personnes qui, d’après la BM, auraient cessé d’être pauvres dans la dernière décennie en Amérique latine. La bourgeoisie mondiale a visiblement besoin de mettre en avant des pays qui, sous le régime capitaliste, seraient en voie de “d’éradiquer la pauvreté” et proches de tenir les échéances des “Objectifs du millénaire” que l’ONU avait mis en avant.

La réalité est bien différente car le régime de Chavez n’a fait que massifier la pauvreté, en maintenant les pauvres dans leur misère, en réduisant le niveau de vie des travailleurs sous contrat et des secteurs les plus pauvres des couches moyennes (…)

Le régime se vante d’avoir créé des emplois (autour d’un million dans le secteur public), en opposant cette affirmation au fait (vrai, par ailleurs) qu’en Europe et aux Etats-Unis, c’est le chômage qui augmente. Il est vrai que l’emploi a augmenté au Venezuela de même que dans plusieurs pays de la région, mais il s’agit d’emplois précaires, sans contrat, à durée ni déterminée ni indéterminée, violant même les lois du travail, sans le moindre salaire social de base (santé, aide à l’éducation des travailleurs eux-mêmes et de leurs enfants, etc.) (…). Grâce à cette nouvelle machine de guerre sociale, le chavisme a opéré une véritable saignée parmi les travailleurs des secteurs productifs, en écrasant les salaires autour du salaire minimum (300 $-US au taux de change officiel et 100 $, au marché noir) (…).

Le renforcement de l’État

Chavez avait su “rafraîchir” la mystification démocratique en appliquant la formule de la “démocratie participative”. Il a noyauté et mis sous contrôle de l’État les couches les plus pauvres de la population et les mouvements sociaux, à travers des organisations comme les Cercles Bolivariens et, plus récemment, les Conseils communaux, le tout agrémenté de nouveaux plans d’assistance clientélistes appelés “Missions”. C’est ainsi que le chavisme a réussi à concrétiser la formule maitresse de l’égalitarisme promue par la gauche, celle du “nivellement par le bas”, autrement dit, élargir la paupérisation à l’ensemble de la population, surtout au sein de la classe ouvrière. Le régime de Chavez a réussi à renforcer la puissance de l’État contre la société, ce qui est dans la droite ligne de la vision défendue par la gauche selon laquelle “socialisme” veut dire plus d’État.

De cette manière, l’État ne s’est pas seulement renforcé sur le plan économique en expropriant les secteurs du capital privé opposés au régime, il a aussi renforcé un totalitarisme étatique omniprésent à tous les niveaux de la société. Avec Chavez, la société s’est militarisée et le caractère policier de l’État s’est approfondi pour contrôler et réprimer la population, surtout les travailleurs.

Au niveau interne et externe, le chavisme, à l’instar de ce que font la bourgeoisie cubaine et d’autres bourgeoisies de la région, utilisent “l’impérialisme américain” pour expliquer tous les maux et, surtout pour justifier leur propre politique impérialiste.

Historiquement la bourgeoisie vénézuélienne n’a jamais caché sa volonté de devenir une grande puissance régionale, une orientation que le chavisme a exacerbée grâce au déclin de la puissance américaine dans le monde, notamment dans leur arrière-cour latino-américaine. Grâce à la formule constamment rabâchée de “la menace impérialiste”, le régime chaviste justifie l’augmentation des achats d’armement, au point que, selon le Rapport de 2012 du Stockholm International Peace Research Institute sur les ventes d’armes, le Venezuela est devenu le premier importateur d’armes conventionnelles d’Amérique du Sud et le treizième du monde, en augmentant de plus de 500 % l’achat d’armement entre 2002 et 2006, la Russie étant l’un de ses principaux fournisseurs. C’est ainsi que le gouvernement vénézuélien, qui n’arrête pas de parler de paix et d’union régionale, se joint à la course aux armements à laquelle participent les bourgeoisies de la région, en contribuant avec ardeur à la déstabilisation de celles-ci (…).

Le régime chaviste mène une géopolitique plus agressive que les gouvernements qui l’ont précédé. Avec l’objectif de construire “la grande patrie de Bolivar”, et en utilisant les ressources pétrolières comme arme de pénétration, il a réussi à devenir un facteur de déstabilisation à cause de la concurrence plus ou moins feutrée avec d’autres aspirants régionaux, surtout le Brésil et la Colombie. Ce régime a créé un ensemble avec Cuba, l’ALBA, qui regroupe les pays acheteurs de la franchise “socialisme du XXIe siècle”, ainsi que “PétroCaraïbe”4, pour pénétrer la région des Caraïbes, et d’autres accords avec les pays du Mercosur, l’Argentine notamment. Ces pays ont droit à des avantages sur leurs importations pétrolières et à des “aides” diverses de l’État vénézuélien. C’est ainsi que le chavisme achète des « loyautés » au niveau régional, en investissant une bonne partie de la rente pétrolière et en dégradant les conditions de vie du prolétariat vénézuélien.

Une banalisation du socialisme et une attaque contre l’identité de classe

Après une décennie de campagne orchestrée par la bourgeoisie mondiale autour de la “mort du communisme” à la suite de l’effondrement du bloc stalinien en 1989, avec pour objectif d’affaiblir la conscience et la lutte du prolétariat pour une nouvelle société, le chavisme est venu renforcer ladite campagne, en banalisant et en dénaturant le socialisme, en lui arrachant sa réelle essence prolétarienne. Les secteurs bourgeois et petits-bourgeois opposants apportent aussi leur contribution à cette campagne, en qualifiant le régime de “communiste” ou de “castro-communiste”. Ceci est l’un des apports le plus importants de la bourgeoisie chaviste, son obole à l’ensemble de la bourgeoisie, puisque cet amalgame est une attaque en règle contre la conscience de classe du prolétariat, non seulement au Venezuela, mais aussi au niveau régional et mondial.5

Prétendre qu’une “révolution” est en marche, que le socialisme serait en train de s’installer dans un pays grâce à une poignée de militaires et de gauchistes aventuriers qui ont pris le contrôle et renforcé l’État capitaliste, où le sujet révolutionnaire serait le “peuple”, où la pauvreté serait prétendument dépassée avec des plans d’assistance, et où l’on serait contre le capitalisme et l’impérialisme parce qu’on lance des diatribes contre les Etats-Unis, c’est prétendre répéter au XXIe siècle la tragédie de ce qui a été au siècle passé la soi-disant “révolution cubaine” contre le développement de la conscience de classe du prolétariat cubain, de celui de l’Amérique latine et du monde entier (…).

La prétendue “révolution bolivarienne” n’a rien à voir avec le socialisme. Il s’agit d’un mouvement chauvin et nationaliste, alors que, comme on le sait, le Manifeste Communiste, premier programme politique du prolétariat, met en avant depuis 1848 le mot d’ordre : “Les prolétaires n’ont pas de patrie ni d’intérêts nationaux à défendre”. La “révolution” chaviste est un mouvement aux références hors du temps, parce qu’il prétend nous faire remonter à l’indigénisme précolombien et à la tradition bolivarienne, une idéologie en lien avec la bourgeoisie révolutionnaire de son temps (début du XIXe siècle) en lutte contre la domination espagnole au profit de l’oligarchie créole, une pensée aujourd’hui totalement réactionnaire. Le chavisme est un projet bourgeois qui ne part pas du tout d’un mouvement de luttes du prolétariat, mais des secteurs de la petite bourgeoisie gauchiste civile et militaire, aigrie parce qu’exclue du pouvoir à la suite du renversement de la dictature en 19586. Il s’appuie sur les masses paupérisées et sur les secteurs les plus faibles du prolétariat, que la bourgeoisie vénézuélienne a habitués pendant des décennies à l’assistance et au clientélisme politique, parce que ces secteurs sont plus vulnérables et plus enclins à se laisser berner par la moindre miette que l’État distribue. C’est dans ce but que ce régime organise les Cercles Bolivariens ou Conseils Communaux et mobilise pour précariser les conditions de vie de la classe ouvrière active (qu’il qualifie d’aristocratie ouvrière) allant même jusqu’à l’affronter avec ses bandes armées. Dans ce sens, le projet chaviste s’inscrit dans l’ensemble des “mouvements sociaux” promus par la gauche et le gauchisme dont l’objectif consiste en ce que les masses paupérisées s’habituent à vivre dans la misère et la précarité et que leurs luttes ne rejoignent pas celles du prolétariat, de la classe sociale qui produit de manière associée, qui utilise la grève comme mécanisme de confrontation contre le capital et qui peut prendre conscience de la force sociale qu’elle représente et lutter pour dépasser la misère à laquelle le capitalisme la soumet (…).

La riposte du prolétariat

La mort de Chavez ne signifie pas mort du chavisme. Chavez n’a pas été ni ne sera pas le dernier dirigeant populiste d’un pays latino-américain : le XXe siècle a accouché de plusieurs chefs d’État avec des profils plus ou moins semblables qu’on considérait comme une espèce en voie d’extinction. La bourgeoisie a besoin de ses Chavez pour contrôler et essayer de leurrer les masses les plus pauvres qui, en partie, appartiennent aux secteurs les plus faibles et les plus atomisés du prolétariat, des secteurs qui, inévitablement, continueront à s’accroitre tant que le système capitaliste, qui ne fait que s’enfoncer dans sa décadence et sa décomposition, perdurera.

Cette situation dramatique met le prolétariat au défi historique de développer ses luttes et de devenir la référence pour ces masses miséreuses qui mettent aujourd’hui leurs espoirs dans l’État et dans ce genre de messies que, tel Chavez, le capitalisme crée. Le prolétariat au Venezuela lutte, malgré le harcèlement idéologique et répressif de l’État, malgré la polarisation politique excitée par les factions du capital. Des travailleurs du secteur industriel et du secteur public, utilisent l’arme de la grève et de la manifestation pour affronter l’État ; même si certains ont des sympathies vis-à-vis du chavisme, ils montrent, par contre, une méfiance vis-à-vis de l’État-patron. Les attaques permanentes de l’État “socialiste” les poussent à résister ; ils n’ont pas d’autre chemin7 (…).

Face à l’idéologie gauchiste du chavisme, face aux idéologies que la bourgeoisie génère et continuera à générer pour la sauvegarde de son système, le prolétariat au Venezuela et au niveau mondial a besoin de développer sa lutte contre le capital en allant plus loin que ses revendications immédiates, en développant sa conscience politique, en s’organisant en tant que classe autonome. La classe ouvrière ne connaît pas de frontières dans sa lutte, et doit prendre conscience que ce n’est qu’en luttant de façon autonome contre toutes les idéologies démoralisantes, dans tous les pays, mais avec des formes différentes, et en luttant sur le terrain de la défense de ses propres intérêts, pas ceux d’un Etat, quel qu’il soit, qu’elle pourra imposer la construction d’une autre société ouverte à la libération de toute l’humanité : celle du communisme (…).

Internacionalismo – Courant Communiste International

1 Alternative Bolivarienne pour les Amériques dont font partie l’Equateur, le Nicaragua, la Bolivie, Cuba et quelques autres pays (NdT).

2 Cf. La décomposition, phase ultime de la décadence capitaliste, republié en ligne ( http://fr.internationalism.org/icconline/2013/la_decomp….html) (NdT)

3 Voir l’article en espagnol : Incremento de la violencia delictiva en Venezuela: Expresión du drama de la descomposición du capitalismo, (juin 2012).

4 PétroCaraïbe est un accord entre le Venezuela est plusieurs pays des Caraïbes permettant à ces derniers d’acheter du pétrole vénézuélien à des prix préférentiels (NdT).

5 On peut constater comment cette mystification idéologique s’est transposée en France avec, d’un côté, Mélenchon et son Parti de Gauche qui sont devenus les défenseurs inconditionnels du chavisme. Et, de l’autre côté, le reste de la bourgeoisie, en particulier les journalistes qui font la fine bouche et se pincent le nez devant un régime “socialiste” “si peu démocrate” tout en “faisant justice” au chavisme pour avoir prétendument “réduit la pauvreté” [NdT].

6 Il s’agit de la dictature droitière et pro-américaine du général Pérez Jiménez. Après sa chute et jusqu’à l’arrivée au pouvoir de Chavez en 1999, il y a eu une succession de gouvernements tantôt à droite (démocratie chrétienne) tantôt à gauche (social-démocratie) mais aussi corrompus les uns que les autres. Pendant ces années, le Venezuela a connu des mouvements et des guérillas pro-castristes [NdT].

7 Voir les articles : Guayana est une poudrière : le prolétariat à la recherche de son identité de classe à travers la lutte (mars 2010), ( http://fr.internationalism.org/icconline/2010/guayana_e….html) et Les ouvriers de Guayana (Venezuela) luttent contre le chavisme. (juillet 2011), ( http://fr.internationalism.org/icconline/2011/les_ouvri….html)