L’exception nantaise
Apparemment, après mai 68, Nantes est la seule ville en France à avoir poursuivi la réalisation militante d’affiches en sérigraphie. Et ça a duré jusqu’à la retraite des cadres, en 1981. Des centaines d’affiches (trois cents ? plus ?) ont été tirées avec les moyens du bord, accompagnant les mouvements sociaux, les grèves, les mobilisations paysannes, les projections de films militants, les luttes des femmes, le mouvement anti nucléaire…

Paris-Nantes, des beaux-arts à archi
Entre la production des beaux-Arts de Parisde 68 et l’atelier populaire nantais, le relais a été passé par trois jeunes profs d’archi nouvellement diplômés, recrutés à l’école d’architecture nantaise. Dès la rentrée 1969, l’atelier d’affiches est au coeur des préoccupation pédagogiques. Les affiches produites défendent le libre accès aux bords de l’Erdre, le comité de grève des Batignolles, font le lien avec Bernard Lambert, du moubement des paysans travailleurs

Imprimerie mobile
 » On essayait au maximum que la conception de l’affiche soit prise en charge par les gens qui nous sollicitaient, et on poussait pour que le tirage se fasse chez eux « , explique une des chevilleso uvrière du collectif. Des affiches ont ainsi été tirées chez des paysans, parfois dans des usines, aux chantiers Dubigeon, devant Creusot Loire, dans la maison de jeunes de la Géraudière, aux Dervallières. Sinon à l’école d’architecture ou dans un local rue de Bougainville.

La petitesse du bourgeois
« A Nantes, fallait représenter le bourgeois en petit, et l’ouvrier en grand. Ou deux mains qui écrabouillaient le patron. Pareil pour la Palestine : Nixon en tout petit, le Palestinien en gros. Je trouvais ça ridicule « , commente avec le recul un des participants. On retrouve là comme une résurgence d’une iconographie soviétique où la lutte de classes se traduit par des clichés graphiques, des raccourcis simplistes qui montrent toujours l’opprimé vainqueur.

Le bon et le méchant
Au départ, l’At. Pop. version nantaise se montre moins soucieux d’esthétique que de message politique ou social. L’imagerie créée se révèle souvent bavarde, mettant en scène, enjeux et emblèmes, tenants et aboutissants de la lutte en cours.  » On démarrait souvent d’un texte, alors qu’à Paris, c’est l’idée graphique qui primait « . L’envie de faire de  » belles images  » n’arrivera qu’à la fin des années 70

Légal ou un peu moins
La loi oblige les affiches collées dans l’espace public à mentionner le nom de l’imprimeur. Va pour  » At. Pop « . Sauf quand il y avait des risques, quand l’affiche accompagnait une action qui pouvait sortir du cadre légal. Dans ces cas-là, c’était  » Imp. Spé. « . Imprimerie spéciale. Qui n’avait ni adresse ni pignon sur la moindre rue.

Attention à l’insolation
Deux techniques. La plus rudimentaire : un dessin à la main sur la toile enduite de gomme (le « drawing gum » ), la surface opaque étant débouchée, en retirant cette couche avec un bouchon, là où l’encre devait traverser la toile. Plus élaborée, l’insolation sur une table lumineuse de la toile enduite de vernis photosensible, grâce à un « typon » transparent alliant dessin à la gouache opaque, texte en lettres transfert, et dans les années 80, photo tramée.

Le diluant qui rend nigaud
Aujourd’hui, la sérigraphie utilise des encres diluables à l’eau ce qui est beaucoup plus reposant pour les neurones, mais à l’époque, le trichloréthylène, et pire, le diluant cellulosique versé sur des couches culottes pour nettoyer les cadres, ont défoncé quelques fines équipes de militants penchés sur les cadres et les raclettes, assez vite dans un état second sous les effluves de cette chimie volatile.

Leçon de mural
Les formats les plus usuels sont de 60 x 80 cm, mais pour certains journaux muraux, des cadres plus grands ont été assemblés, jusqu’à 120 x 180, avec une table lumineuse bricolée au format. Il y aura quatre numéros du journal mural, avec un essai de réinventer l’imprimerie, en fabriquant une  » casse  » de caractères faite de lettres-transfert collées sur des petits rectangles de plexiglas. Une fausse bonne idée qui sera vite abandonnée.

Ici, rien qu’ici
Une affiche accompagnant une mobilisation, c’était tout naturel. Les tirages étaient de quelques centaines, cent, deux cents, rarement plus. La politique municipale de « Nantes ville propre » et la restriction d’affichage aux panneaux autorisés ( » Affichez ici, rien qu’ici « ) sonne le glas de l’affichage militant. Une affiche sera d’ailleurs tirée pour dénoncer cette réduction de l’espace militant. Au début limité à une assitance technique  » au service des luttes « , l’Atelier populaire a pris l’initiatives d’édier des affiches sans qu’on lui demande rien. D’abord les journaux muraux.
Puis des détournements anti-nucléaires d’affiches officielles, enfin des affiches dénonçant la restriction municipale d’espace de collage.

Les chats et les anti-Shah
Des débuts dans l’école d’architecture à un atelier rue de Bougainville jusqu’au rachat d’une petite entreprise de photo géante et industrielle remontée en coopérative, l’At. Pop. a perduré. En se demandant dans ses derniers temps s’il n’était pas devenu un prestataire de service à pas cher. « La fois où on s’est retrouvé à tirer une affiche contre l’euthanasie des chats, on s’est vraiment demandé ce qu’on foutait là », témoigne Pierre Chicot, cheville ouvrière de l’atelier.  » Parfois, on ne savait même pas ce qu’on tirait, comme cette affiche avec un fusil, tout en iranien… « , sourit un autre atpopiste de l’époque.

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 » la stricte réalité, ou préfigurer l’action ? »

cinq exemples de i tirages d’affiches des années 70 et 71

La pénétrante
Mars 1970 : le groupe est sollicité pour une affiche par des paysans en bisbille avec les promoteurs et le projet d’une autoroute pénétrante longeant l’Erdre pour piquer vers le centre ville en évitant soigneusement parcs et châteaux de grands propriétaires pour ratatiner les exploitations agricoles. Un slogan est concocté en commun :  » Travailleurs, ne laissons pas l’autoroute contourner la grande propriété et écraser les villages « . Tout y est  : le peuple, ses poings levés et ses fourches, le proprio repu (avec haut de forme d’uniforme) protégé par une haie de flics casqués, et le ruban d’asphalte écrabouillant les maisons du populo.

Les rives de l’Erdre
Mai 1970 : étudiants d’archi, ouvriers et paysans se retrouvent pour discuter la forme et le message de l’affiche qu’ils colleront ensemble pour revendiquer le libre accès au rives de l’Erdre. Le combat commence juste contre les quelques propriétaires de châteaux et folies nantaises qui ne veulent pas laisser passer les promeneurs sur leurs propriétés. Débat ouvert :  » Faut-il représente la stricte réalité, ou préfigurer l’action ? La deuxième conception l’emporte. L’action s’est effectivement déroulée comme le décrivait l’affiche. Après un pique-nique dans le parc du château du fasciste Savelli, un millier de personnes se fraye un chemin, abattant clôtures, barrières et arrachant panneaux d’interdiction, sous le regard affolé des bourgeois et de leurs flics « , notent à l’époque des étudiants en archi.

Les métallos en grève
Février 1971 : quatrième semaine de grève chez Creusot Loire. Les métallos prévoient un bal de solidarité. L’affiche est tirée au petit matin devant l’entrée de l’usine, lors de la prise de parole journalière. Les syndicalistes n’étaient pas très chauds, les étudiants n’étant alors pas toujours très bien vus par les ouvriers. L’accueil ne manquera pourtant pas de chaleur, mais l’encre, si.  » On tire dix affiches et merde, ça marche plus : il faisait froid et humide, l’encre figeait dans la toile. Les gars nous aident à transporter le matériel près du grand feu où se chauffe le piquet de grève. Rien n’y fait. On est obligé de rentrer finir de tirer à l’école. Nous, on est vachement déçus, mais les métallos pas du tout « , raconte à l’époque le compte rendu étudiant.

La lutte paysanne qui n’a pas lieu
Janvier 1971 : un  » cumulard « , accapareur et gros loueur de matériel agricole est dans le collimateur de paysans à Nort-sur-Erdre. Un couple de paysans sollicite une affiche qui ne sera jamais collée: parti chercher du boulot à la ville, baissant les bras, le couple a abandonné la lutte. l’affiche texte est plutôt bavarde, et manie aussi l’insinuation sur l’origine de la fortune de  » l’ennemi de classe  » :
 Pierre Ferrand, cumulard de 50 hectares, entrepreneur, célibataire avec ses 25 millions pris où?
VEUT EXPULSER
Joseph Hardy, père de famille, fermier depuis 7 ans aux Touches
Un fermier sera-t-il privé de son gagne-pain
Pas d’accord
Organisons nous et passons à l’action. Les paysans »

Travailleurs, frères, amis
Décembre 1970. Un étudiant de l’école d’archi participe à l’alphabétisation des travailleurs immigrés portugais, algérien et marocain. Une affiche est réalisée en trois langues. Chacun donne à son texte sa touche culturelle.  » Travailleurs  » en français,  » frères maghrébins  » en arabe,  » amis portugais  » en lusitanien dans le texte