Souriez vous êtes fiché/es
Catégorie : Global
Thèmes : Contrôle social
Pétain, reviens, t’as oublié tes chiens… Dans un contexte de surveillance accrue des citoyen/nes, la politique sécuritaire du gouvernement a pris un nouveau tournant avec la loi sur la protection de l’identité, votée mardi 6 Mars à l’assemblée nationale, dans la plus grande discrétion…
Que prévoit la loi ?
Le projet repose sur trois volets : collecte d’informations, centralisation et utilisation de ces informations. Elle a pour objectif de lutter contre ce fléau qu’est l’usurpation d’identité.
La loi prévoit la mise en place d’une nouvelle carte d’identité biométrique, dotée d’une première puce obligatoire recensant des informations telles que nom, prénom, âge, date et lieu de naissance, taille, couleur des yeux, domiciliation, empreintes digitales et photographie. Une autre puce, facultative, permettra l’identification du porteur de la carte dans le cadre de démarches administratives en ligne et du commerce électronique.
Ces informations seront conservées dans un fichier biométrique, connu sous le nom de « fichier des gens honnêtes » qui lui a été donné par François Pillet, rapporteur UMP de la loi. Si la carte d’identité biométrique devenait obligatoire, c’est toute la population française qui serait, à terme, recensée dans ce fichier. Un petit côté Orwellien qui fleure bon le fascisme…
Un des composants du texte qui fait débat entre le sénat et l’assemblée nationale est la notion de « lien fort » ou de « lien faible ». Le lien fort permettrait de comparer les données biométriques d’une personne à celles contenue dans ce fichier, et donc de mettre un nom sur une empreinte digitale. Le lien faible, défendu par le sénat, s’appuie sur la marge d’erreur possible et ne permettrait « que » d’utiliser le fichier pour constater des usurpations d’identité, sans pouvoir remonter jusqu’à son auteur.
Entre lobbying et désinformation
Pour se justifier d’un tel projet, les rédacteurs de la loi avancent le chiffre de 210 000 usurpations d’identité par an. Le chiffre provient d’une enquête credoc, (financée par une société commercialisant des broyeurs de documents…) dont la méthodologie laisse rêveur : Franck Léhuédé, chargé de l’étude, déclare que l’enquête a porté sur 2000 individus « dans toute la France ». 4,2% auraient déclaré avoir été victime d’une usurpation d’identité au cours des dix dernières années. « Ce qui fait 0,4% par an en moyenne. … Et si on multiplie par le nombre de Français de 15 ans et plus, on arrive à 210 000.»
L’observatoire national de la délinquance et des réponses pénales (ONDRP) estime de son côté que le nombre de “faux documents d’identité” est passé de 8361 en 2005 à 6342 en 2010, soit une baisse de 24% en 5 ans. Surprise, selon Michel Bergue, directeur de projet sur la lutte contre la fraude documentaire et à l’identité au ministère de l’intérieur, 80 % des fraudes détectées seraient le fait de ressortissants étrangers souhaitant rester sur le territoire français.
On est loin de l’image de l’escroc véreux qui voudrait justifier la mise en place d’un tel dispositif de fichage.
De plus, plusieurs études montrent que la biométrie n’est pas une science exacte. En Avril 2011, le gouvernement Hollandais s’est débarrassé des fichiers stockant les empreintes digitales de ses ressortissants, car le taux d’erreur dans l’identification allait de 20 à 25%.
Selon une autre étude, 10% des passeports (biométriques) en circulation seraient des faux. Or, ils avaient été sécurisés grâce à un fichier des empreintes digitales et photographies numérisées de leurs détenteurs, qui sera celui utilisé pour le fichier des gens honnêtes. Bien sûr, peu d’informations circulent à ce sujet …
Enfin, cette loi est clairement le résultat d’un lobbying des industriels français de la technologie biométrique. En effet, les principales entreprises du secteur sont françaises ; Morpho, Oberthur et Gemalto pour ne pas les nommer, fournissent 70% des programmes de ce type dans le monde. Mais elle ne vendent pas en France… Ficher pour relancer l’industrie de pointe française ? Toujours est-il que 14 représentants du Gixel, le syndicat des industriels de l’électronique, ont été auditionnés par le rapporteur de la proposition de loi au Sénat, contre seulement 2 représentants du ministère de la justice et 6 de l’Intérieur, 2 de la CNIL et 2 autres du Comité consultatif national d’éthique, et 1 représentant de la Ligue des droits de l’homme.
Quelles conditions d’utilisation de ce fichier sont prévues ?
A priori, le fichier servirait aux services de la Police Judiciaire enquêtant sur des infractions en lien avec des usurpations d’identité.
Selon François Pillet, le rapporteur UMP de la loi, et Serge Blisko, député PS, d’autres effractions pourraient permettre à la police d’utiliser les données de ce fichier.
Notamment pour :
Délit de révélation d’identité d’un agent des services spécialisés de renseignement
Faux en écritures publiques, même lorsque celles-ci ne portent pas sur l’identité d’une personne
Escroquerie, même lorsque l’escroc ne se dissimule pas sous une fausse identité
Fraude dans les transports en commun (glups)
L’utilisation de ce fichier dépasse donc très largement le domaine de l’usurpation d’identité. De plus, rien ne garantit que ses possibilités ne puissent être élargies par d’autres amendements, comme ce fut le cas pour le FNAEG (fichier national automatisé des empreintes génétiques), créé en 1998 pour recenser les empreintes génétiques des personnes impliquées dans des affaires à caractère sexuel, et qui contient aujourd’hui les empreintes de toute personne ayant été mis en cause par la justice, même sans condamnation. Le député Christian Vanneste avait par ailleurs émis l’idée que ce fichier pourrait être utilisé pour un meilleur contrôle des flux migratoires. En extrapolant un peu, le lien est vite fait avec les projets d’aéroports « modernes » dotés de portails biométriques de vérification des documents…
Difficile de dire ce qui est le plus choquant dans ce projet : le fichage de données de plus en plus personnelles, la centralisation et l’utilisation de ces données à des fins autres que celles prévues par la loi ? Ou peut-être le silence médiatique autour de cette affaire ? En effet, les grands médias n’ont que très peu traité du sujet. Pourtant la complexité et les enjeux de ce projet ne sont pas négligeables.
Afin de parer à ce manque d’informations, voici quelques liens qui m’ont aidée à construire cet article, que j’espère assez complet. N’hésitez pas à compléter avec vos infos, à corriger d’éventuelles erreurs ou oublis !
http://owni.fr/2012/03/05/demain-on-fiche/ (l’article le plus complet que j’ai trouvé sur le sujet)
http://www.slate.fr/lien/51085/fichier-biometrique-gens…mblee (un article qui résume assez bien le projet)
http://www.liberation.fr/societe/0101595381-plus-de-210…ar-an (un exemple de désinformation au sujet des usurpations d’identité)
http://www.20minutes.fr/politique/892789-fichier-gens-h…onnel
http://www.lesinrocks.com/actualite/actu-article/t/7945…etes/ (quelques astuces pour contourner la loi …)
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