L’appel d’Occupons la Défense (http://www.occuponsladefense.net/) est suprenant de contradictions. L’auteur-e n’interpelle pas les dirigeants du G20 ni les traders mais les journalistes et les blogueurs-euses. Il/Elle se plaint que la crise de l’euro, la crise de la gouvernance mondiale et la crise de société ne sont pas assez traitées dans les médias. Comme si on n’entendait pas parler de la Bourse et du pouvoir d’achat depuis 3 ans !

Pire, les journalistes se moqueraient des actions des indigné-e-s. Mais quelles actions ? Cet été j’ai désepérément tenté de faire un reportage sur le mouvement “Democratie réelle maintenant !” de Perpignan. Un groupe Facebook appelait à se rassembler tous les jeudis soirs devant le Castillet. Ca pouvait marcher puisqu’à quelques kilomètres de là, les Barcelonais étaient des milliers à occuper les rues. Je suis donc allé à Perpignan un jeudi soir, au prix de nombreux kilomètres en voiture, pour constater qu’il n’y avait que 10 personnes.

Au fond, Occupons la Défense reprend une vieille rengaine que j’entends à chaque fois que je couvre une manifestation : “Vous les journalistes, vous nous censurez !” Mais dites-moi ce que je fais dans cette manif alors ! Là, en guise de réponse, tantôt on m’accuse d’être manipulateur, tantôt on me plaint d’être manipulé. Dans les deux cas, le/la citoyen-ne que j’ai en face de moi se considère comme une victime et rejette la faute de ses malheurs sur celui qui vient justement les écouter, le journaliste.

Ce comportement de râleur-euse me ferait rigoler s’il n’était pas le signe de la perte de confiance envers les journalistes. La conséquence, c’est que les citoyen-ne-s indigné-e-s se taisent. Ils/Elles ne veulent plus parler au micro, ni devant la caméra ni même devant toute personne munie du bon vieux calepin. Ca peut paraître paradoxal, mais celles et ceux qui se plaignent le plus de ne pas avoir la parole refusent de la prendre.

Par exemple, le 15 octobre dernier, journée mondiale d’indignation, j’ai cherché à savoir s’il y avait une manifestation au Mans pour faire un reportage. J’ai contacté plusieurs personnes sur Facebook, sans succès. Finalement, le soir, sur la place de la République, je suis tombé sur une dizaine de manifestants. J’ai voulu interviewer l’un d’eux, un jeune. Il a refusé.
“Je ne suis pas porte-parole, m’a-t-il dit. Si je parle en mon nom, on va croire que je parle au nom de tous.
– Ah mince ! Alors où est votre porte-parole ?
– On n’en a pas.”
Si personne ne veut parler, ni pour soi ni pour les autres, comment je fais mon reportage ?

Enfin, revenons à l’appel d’Occupons la Défense. L’auteur-e a le toupet de poser la question : “Pourquoi les journalistes […] ne nous soutiennent pas plus ouvertement ?” C’est une vision dangereuse de penser que les journalistes devraient soutenir telle partie de la population (même 99 %) contre telle autre. Je ne crois pas à l’objectivité mais je crois à l’impartialité.

Bref, peut-être les journalistes devraient-ils faire plus d’efforts pour parler de ces milliers de citoyens qui refusent la fatalité. Mais alors, par pitié, faites aussi l’effort de prendre la parole quand on vous la donne !