Kidnappée et séquestrée par Israël du 8 au 13 juillet

Par Fatima Ghouadni

Fatima Ghouadni est française et habite à Bordeaux. Elle est originaire de la tribu des Ouled Merah (Ghriss, ex-Thiersville, wilaya de Mascara, Algérie)

J’ai souhaité répondre à l’invitation des organisations palestiniens qui nous ont proposé de les rejoindre, en Palestine occupée, du 8 au 16 juillet, et j’avais prévu de rester une semaine de plus, jusqu’au 21 juillet. Je souhaitais visiter Jérusalem, me joindre aux activités de la mission et témoigner ainsi de mon soutien à la cause palestinienne, aux justes revendications du peuple pour le droit au retour, le droit à se libérer de l’occupation sioniste, le droit à vivre en paix sur sa terre, à y circuler librement, comme n’importe quel autre peuple qui dispose de son destin.
C’est dans cet état d’esprit que je me suis inscrite avec beaucoup d’espoir à “Bienvenue en Palestine” mais l’expérience a vite tourné au cauchemar à cause de la pathologie de la toute-puissance que développe l’Etat israélien et de son mépris des êtres humains.


Vendredi 8 juillet 2011 – Arrivée vol Alitalia Rome/Tel Aviv à l’aéroport Ben Gourion à 13h40

Nous étions trois, Joël, Claudine et moi-même. Nous sommes arrivés normalement, sommes passés par le “tube” et juste avant de sortir de ce “tube” pour entrer dans le couloir en vitres qui mène au hall d’arrivée, nous voyons un groupe d’environ 8 personnes en uniforme bleu marine et chemise bleu clair. Ils se sont regardés et nous encadrent instantanément, 3 devant nous, 3 dernière nous et 1 de chaque côté. Nous avons marché quelques mètres avec cette escorte, qui s’est effacée très vite. Pour gagner du temps et nous permettre de laisser arriver tous nos compagnons, nous sommes allés nous rafraichir quelques minutes.

Puis nous sommes partis dans la zone de présentation des passeports pour l’obtention du visa d’entrée.

Comme nous savions qu’ils pratiquaient la ségrégation, nous avions décidé d’un commun accord que les gens “colorés” ou au nom à consonance arabe passerait en premier pendant que les “blancs” restaient à l’arrière pour s’assurer qu’il ne nous arrive rien de fâcheux. Nadia (de Belgique), qui était dans un autre groupe, m’a rejoint dans la file. J’avance jusqu’au guichet et je présente mon passeport à l’employée. Elle me demande mon nom, que je lui indique, le prénom de mon père et ensuite le prénom de mon grand-père et elle me demande de lui écrire ces prénoms. Je lui demande si elle veut aussi le nom de ma mère, et elle me répond que non, ce qu’elle veut savoir, c’est où je vais. Je lui réponds que je vais à Bethléem. A ce moment là, elle m’a fait signe de patienter et j’ai eu l’impression qu’elle cherchait mon nom sur son ordinateur. Puis immédiatement, elle m’a à nouveau fait signe de patienter et il m’a semblé, à voir le mouvement vers l’avant de son corps, qu’elle appuyait sur un bouton ou une sonnette. Aussitôt deux hommes en uniforme gris m’ont encadrée, l’un est passé du côté du guichet pour prendre mon passeport, ils se sont fait un signe et le second a disparu.

Celui qui avait mon passeport m’a demandé de le suivre et nous sommes allés dans une salle d’attente, toujours dans le hall d’entrée, où se trouvaient déjà une trentaine de personnes.

Je rentre, et un policier en tenue bleu marine et chemise bleu clair me demande de m’asseoir. Je lui demande pourquoi je suis là et il me répond dans un français parfait que c’est “pour faire des vérifications”. Je lui demande lesquelles, et il me répond, “peut-être que vous-même vous les ignorez”. Il me dit : “Cela ne va pas durer longtemps, voulez-vous de l’eau ?” Je lui dis que oui, et il me porte un verre d’eau. Je me rends compte que je ne connais personne des gens présents dans cette salle, en attente comme moi, jusqu’au moment où Nadia, qui était ma voisine au guichet des visas, arrive. Je comprends en la voyant entrer que “l’écrémage” avait commencé et que peut-être les autres personnes qui étaient là étaient des militants de la mission que je ne connaissais pas. Le policier est revenu et nous a dit : “Dès que les vérifications sont faites, on vous appellera pour vous remettre votre passeport et vous pourrez partir.” Il a commencé à appeler des gens que je voyais sortir, sans savoir où ils allaient.

Quand mon tour est venu, il m’a appelé par mon nom, Fatima Ghouadni, et je l’ai suivi par un escalier étroit jusqu’au premier étage, dans une salle où se trouvaient déjà une soixante de personnes. 

Je ne connaissais personne, le groupe étant constitué des militants belges arrivés par le vol précédent, vers 12h30. Le policier a disparu et j’ai été “accueillie” par un groupe d’une dizaine d’hommes en uniforme gris sombre et certains en civil, à qui le policier avait transmis mon passeport en le déposant dans une corbeille. 

Je suis restée dans cette salle au moins 3 heures, au cours desquelles d’autres militants nous ont rejoints, au fur et à mesure qu’arrivaient les avions transportant les militants, où nous avons été filmés et photographiés en permanence. A un moment donné, fatigués par ces prises de vue continues, les policiers ont posé les caméras sur un réfrigérateur, orientées vers nous, et filmant automatiquement de façon continue.


Les officiers ne cessaient de nous demander de changer de place, nous indiquant à côté de qui nous devions aller nous asseoir. Tous les quarts d’heure, il fallait changer pour aller s’asseoir à côté d’une autre personne. “Vous, là, vous vous mettez là, ensemble”. “Vous, là, vous ne restez pas ensemble”.

Pendant ces 3 heures, ils nous ont indiqué plusieurs fois : “Ceux qui ont soif auront à boire dans cinq minutes et vous aurez aussi vos passeports.” Nous n’avons eu ni l’un ni l’autre.

Je suis donc restée dans cette salle jusque vers 18h, quand ce fut mon tour d’être appelée et qu’un homme ayant mon passeport à la main m’a demandé de le suivre. Ce que j’ai fait, et je me suis retrouvée à l’extérieur de l’aéroport, et je devais monter dans une voiture de police qui était là (fourgon bicolore blanc et noir avec l’inscription POLICE sur le côté, deux séries de 3 sièges et larges fenêtres) dans laquelle j’ai reconnu mes camarades (Odile et une autre que je connaissais de vue). Ils m’ont fait monter puis aussitôt m’ont demandé de descendre, me disant que je ne partirai pas dans ce véhicule, qui est donc parti avec une place libre puisqu’il y avait trois places. Ils m’ont obligée à rester debout au soleil pendant au moins un quart-d’heure, et m’ont indiqué un véhicule (couleur grise, sans fenêtre sauf quelques interstices dans les portes, sièges en fer scellés) qui était déjà là à mon arrivée et où ils m’ont emmenée.

Je suis montée dans ce fourgon et assez rapidement, quelques minutes peut-être, est arrivée Fatiha qui, choquée par la vision du véhicule dans lequel on lui demandait de monter, a eu un mouvement de recul ; deux ou trois hommes en uniforme se sont mis à la pousser ; elle a été bloquée par le marche-pied et les hommes l’ont bousculée pour l’obliger à monter rapidement. Elle s’est débattue et ils l’ont brutalement maîtrisée et saisie aux cuisses, aux jambes et aux bras. Celui qui filmait et qui se trouvait en face d’elle lui a dit en riant, en arabe, et en simulant un acte sexuel, “Je vais t’emmener dans la chambre.” (“a khodek illa el rorfa”). Ils l’ont engouffrée dans le véhicule couchée, sa tête a cogné la paroi de fer, et le bruit a alerté des militants qui était déjà dans le fourgon, derrière la paroi, et dont je ne supposais pas la présence puisque je ne pouvais pas les voir. C’est ainsi que je découvre que peut-être trois femmes sont là, nous parlons à travers la paroi et je réalise qu’elles sont toutes les trois d’origine arabe, et je comprends que la ségrégation a commencé : les militants d’origine arabe sont dans des véhicules blindés et beaucoup moins “confortables” que ceux dans lesquels les autres militants sont transportés.

Les portes du fourgon sont violemment fermées, je me suis même demandé si Fatiha n’avait pas un orteil ou un pied pris dans la porte. Une fois la porte fermée, les hommes ont continué à la prendre en photos, à la filmer, et à lui faire des gestes obscènes et des grimaces à travers le grillage.

C’est ainsi que Fatiha et moi (plus les camarades dont nous venions de découvrir qu’elles étaient déjà là) nous nous sommes retrouvées dans ce fourgon qui a démarré en trombe une fois la porte fermée. Après environ un quart d’heure de trajet, le fourgon s’est arrêté devant un terminal situé d’un autre côté de l’aéroport. Nous sommes montées sous escorte jusqu’à un immense hall partagé en deux parties par une cloison de verre, d’un côté le tapis roulant de récupération des bagages et des officiers, de l’autre des cabines de fouille.

Là à notre grande surprise, environ 200 policiers et militaires (selon l’évaluation de certains d’entre nous) nous attendaient. Je me suis aussi rendu compte qu’il y avait une sorte de buffet où il y avait de l’eau, des sandwichs qui leur étaient réservés puisqu’ils étaient en train de manger.

Etant donné que j’avais à prendre un médicament, en arrivant dans cette salle, j’ai dit à une femme qui nous escortait que j’avais besoin d’un peu d’eau. Elle a commencé par me regarder avec dédain, puis lorsque je lui montrai le cachet que j’avais sur la langue, elle m’a tendu brutalement une bouteille d’eau entamée posée sur un meuble, que j’ai refusée, lui faisant remarquer que la bouteille était déjà ouverte et commencée. Elle l’a reposée en me disant, “tu n’auras rien d’autre.”

Prenant nos passeports un à un, les officiers nous ont appelés et nous ont demandés de nous asseoir. Une fois que nous avons été tous assis, ils ont séparé les “Arabes” des “Européens”, ces derniers sur des sièges plus confortables que les chaises raides et en plastique réservées aux “Arabes”. J’ai été moi-même du côté “européen” lorsqu’un officier s’est mis à gesticuler au milieu de la salle et à hurler plusieurs fois : “Fatme Khaled” ! Il s’est avancé vers moi et m’a dit, en français : “C’est à toi que je parle, je sais que tu comprends l’Arabe !”. Je n’ai pas répondu, et il a insisté : “C’est toi, Fatme ?” Je lui dis : “Non, moi c’est Fatima.” Il m’a dit, “Toi, tu vas t’asseoir là” en me montrant l’endroit où étaient assis les “Arabes”.

A ce moment-là, j’ai sorti de mon sac à dos une boîte d’amandes que j’avais emportée en prévision d’une longue journée sans repas normal et parce qu’un problème de santé m’empêche de manger du pain. J’ai donc ouvert ma boite d’amandes et j’en ai offert à mes camarades autour de moi. Le même policier qui m’avait appelée “Fatma Khaled” a surgi et m’a demandé,
– Qu’est-ce que c’est ? Qu’est-ce que c’est ?
– Des amandes.
Deux ou trois autres policiers se précipitent.
– Des amandes de France ?
– Oui.
Je lui présente la boîte pour lui montrer le contenu, et il en prend une poignée, en riant il en propose à ses collègues, qui se servent eux aussi, et ils me rendent ma boite, où il ne reste qu’un fond d’amandes, en me disant :
– Oui c’est bien des amandes, tu peux la garder.

Ensuite, il est allé jusqu’au milieu de la salle, il a fait demi-tour, est revenu jusqu’à moi, s’est penché et, pointant son index sur moi presque à me toucher, et en riant, il m’a dit : “Je suis sûr que toi tu parles Arabe, Madame !”. Je n’ai pas répondu et il a ajouté d’un ton très fier : “Moi, je le parle !” Il a éclaté de rire et il est parti.

Au fur et à mesure que les bagages arrivaient sur le tapis roulant, des officiers appelaient les gens présents pour qu’ils reconnaissent leurs valises, qu’ils fouillaient devant eux en leur disant que “oui, après”, on allait les leur rendre. Aucune bagage n’a été restitué le temps que nous avons passé dans cette salle.

Ils nous ont ensuite appelés un à un en brandissant notre passeport pour aller dans un coin de la salle délimité par un ruban, du côté de l’endroit où se tenaient les officiers. Une fois qu’une 50ne de militants ont été réunis, ils nous ont appelés un par un. Quand ce fut mon tour, l’officier m’a présenté mon passeport, m’a demandé si je me reconnaissais sur la photo, j’ai répondu par l’affirmative et il m’a dirigée vers les cabines de fouille, où deux jeunes femmes nous attendaient, l’une nous faisait poser nos bagages à main, appareil de photo etc. par terre, et l’autre nous conduisait à la cabine de fouille.

Je suis entrée dans une cabine, une jeune femme en uniforme m’a demandé de mettre mon portable dans mon sac à main et de le fermer. Elle m’a demandé où était mon appareil photo, qui était dans une poche de mon sac à dos. Elle m’a dit que mes deux sacs ne risquaient rien, qu’ils restaient là. Elle voulait s’assurer que je ne garde pas sur moi de portable et d’appareil photo. Elle m’a emmenée dans la cabine, m’a rassurée d’un geste, a passé devant et derrière mon corps un appareil électronique et a palpé à la main les agrafes de mon soutien-gorge et l’ourlet de mon pantalon. Elle n’a donc pas trouvé ma carte bancaire et mon argent que j’avais attachés à ma taille dans un étui plat.

Je suis sortie de la cabine et j’ai tenté de prendre mon sac à main qui contenait mes médicaments. Ils ont refusé, me disant : “Vous ne prenez rien, vous l’aurez après,” et ils me disent de repartir dans le secteur délimité par le ruban. A nouveau, ils nous appellent un par un pour un interrogatoire qui a lieu dans la pièce, dans une désorganisation et un cafouillage complet, éclats de rire, sauts et pas de danse, consommation de nourriture, etc.. Des tables alignées, des officiers assis derrière ayant en main nos passeports, et une chaise où on me demande de m’asseoir.

A ce moment-là, j’entends des hurlements sur ma gauche. Je regarde et je vois au moins quatre soldats en train de traîner Fathia par les cheveux et lui mettre des coups de pieds. En la traînant, ils sont passés à 50cm de moi, et un soldat m’a bousculé et m’a fait lever car j’étais dans le passage. Je me suis retournée et j’ai vu un jeune homme traîné lui aussi par terre, et criant. Des militants ont crié : “Ils le battent parce qu’il voulait porter secours à Fathia, voilà ce qui lui arrive.”

Du coup je n’ai pas été interrogée, j’ai essayé de récupérer mon sac, disant que j’avais de l’asthme et que j’avais besoin de mes médicaments, mais on m’a à nouveau répondu “Plus tard,” et on me demande d’aller m’asseoir à côté, avec un groupe de jeunes filles. Une fois assise, je me rends compte qu’une jeune femme, Yaman, était en train d’avoir un malaise après avoir vu le traitement de Fathia et Djibril. Elle s’écroule de sa chaise sur le sol, et là enfin ils consentent à nous apporter une bouteille d’eau, qu’elle refuse parce qu’elle a commencé une grève de la faim. J’ouvre la bouteille et je lui mets de l’eau sur le front, les mains et les pieds. Comme j’avais caché un anxiolytique (Xanax) dans une poche, je lui en ai donné une moitié car elle étouffait d’angoisse et elle se calme. A la faveur de cet incident, j’évite l’interrogatoire.

Sur le moment, je n’ai plus revu Fatiha ni le jeune homme.

Puis un homme en uniforme, mon passeport à la main, m’a appelée – toujours par mon prénom et en le déformant, “Fatme” – précisons qu’ils nous ont toujours appelés par nos prénoms. Je le suis, nous descendons, il fait nuit, et je me retrouve face à un fourgon-cachot. Petit, étroit, gris ou kaki, avec une petite ouverture en haut. Pour la première fois depuis le début de ma détention, j’ai très peur, je sens mes forces me quitter, j’ai peur de défaillir, j’ai des palpitations, je suis très mal. Ils me poussent brutalement, je monte dans ce fourgon et là une femme est là, elle pleure. Elle est “européenne”, elle a pu obtenir ses médicaments. Elle a comme moi de l’asthme et des allergies et elle me donne un cachet antihistaminique et je me sens un peu mieux. On attend une troisième personne, c’est Odile, elle aussi est impressionnée par cet espèce de petit van en forme de tonneau. Il démarre, et pour savoir où nous allons, je me mets à genoux sur le siège pour pouvoir voir par la petite ouverture en haut de la paroi. A la lumière des réverbères, je vois des panneaux indiquant la direction “Al-Quds / Jerusalem/Beit Shemesh”. Croyant qu’ils ont débaptisé Al-Quds en Beit Shemesh, je me mets à pleurer (j’apprendrai plus tard que Beit Shemesh est une colonie sioniste de la banlieue de Jérusalem). Le geôlier me crie de m’asseoir. On roule environ 25 mn, et on arrive dans une prison dont nous ne connaissons ni le nom, ni la localisation. C’est la consule de France à Tel Aviv qui nous a appris deux jours après, lors de sa première visite, que nous étions à la prison Givon de Ramla.

Je me retrouve dans une cellule qui semble être une lieu de transition avec mes environ 50 camarades femmes. Ils divisent le groupe en deux et je pars avec mon groupe dans une nouvelle cellule, très sale, les murs constellés de nourriture et de crachat. Le policier qui s’obstine à m’appeler “Fatma Khaled” m’appelle à nouveau et me dirige vers une jeune femme chargée de me fouiller. Elle est en uniforme, chemise bleu pâle et pantalon bleu marine. Sa peau est très foncée, de type hindou et les cheveux frisés, parlant l’anglais avec un fort accent, il m’a semblé qu’elle pouvait être une Falasha d’Ethiopie. Quand je me suis retrouvée face à elle, elle m’a dit en français : “Pas peur, pas peur, vous”. Mettant mes deux mains en avant, je lui ai fait signe de ne pas me toucher et d’attendre ; j’ai défait le lien du porte-monnaie que j’avais attaché à ma taille et elle m’a dit : “C’est bon, tu verras après.”

Ensuite, nous sommes passés devant un homme qui s’est présenté comme un médecin et qui était accompagné d’une interprète, à qui nous laissons tous nos effets en échange d’un reçu et à qui nous pouvons présenter nos ordonnances si nous en avons. Après avoir regardé le contenu de mon sac à dos, il me demande de lui remettre mon appareil de photo, un cahier et un stylo, mon carnet d’adresses, mon portable, ma MasterCard et mon argent qu’il compte au centime près après me l’avoir fait compter moi aussi, et la fameuse boite d’amandes, que je lui laisse en lui disant que je n’en veux plus. Il marque tout sur un reçu et met l’ensemble des objets dans un sac en tissu avec un double du reçu, et je garde l’original dans mon sac à main, que je récupère en même temps que mon sac à moitié vidé.

Voyant ma MasterCard, le médecin me dit :
– Ah, vous avez une MasterCard, ça veut dire que vous avez de l’argent ! Vous habitez en France ? J’aimerais bien venir en France. Parlez-vous hindi ? Oh, j’aimerais beaucoup aller habiter en France !
– Inch’allah, et vous laisserez cette terre à ses propriétaires légitimes, je lui réponds en me levant.
Il me répond “Inch’allah” en hébreu, je ne suis pas sûre qu’il ait compris ce que je lui ai dit.

On nous donne un tube de dentifrice, une brosse à dents, une petite savonnette et nous partons ensuite pour une cellule de 6 personnes (la porte de la cellule se compose de deux parties, chacune comportant une ouverture, grillagée et fixe en haut, pleine et avec un battant en bas), en entrant dans celle-ci, je demande à Claudine si elle a l’heure. Elle me répond : 21h25.

La cellule fait selon moi 9m² et nous sommes 5 : Julie (Belgique), Anissa (Belgique), Rim (Belgique), Claudine (Toulouse) et moi-même. La première impression de la cellule est violente. Nous sommes écrasées par la lumière de deux longs néons d’1m chacun pour une si petite pièce. En face de nous deux portes, une pour la douche, l’autre pour les toilettes et dans le prolongement de ces deux portes, une armoire murale en fer avec 3 casiers en bas, 3 casiers en haut. Au-dessus de l’armoire, au bord du plafond une sorte d’ouverture grillagée d’1m de long sur 30cm de hauteur. Je vois tout de suite que les toilettes ne garantissent aucune intimité. Sur le mur gauche, un évier en métal et au-dessus, très en hauteur, un ventilateur qui fait un bruit d’enfer. Sur le mur droit, 4 lits superposés, et en angle, 2 lits superposés (sur le mur de la porte d’entrée). Des lits très étroits, en fer, scellés au sol. Un matelas fin, étroit, recouvert d’un drap housse kaki avec des marques en hébreu et une couverture de l’armée grise pliée en quatre, le tout posé sur un planche.

Nous nous installons, on nous glisse brutalement sur l’évier 5 assiettes contenant de la nourriture et une grosse miche de pain. Ce soir-là, je n’ai pas mangé, je n’avais besoin que de dormir.

A 3h du matin, je suis réveillée par une femme qui est précipitée dans notre chambre et qui, effrayée, essaie de me parler car son lit est au-dessus du mien. C’est Angela ou Angelica (Allemande). Elle me dit qu’elle a été torturée, qu’elle a été malmenée et qu’ils se sont conduits “comme des animaux”. Mais j’ai pris un cachet pour dormir et je suis dans l’incapacité de discuter avec elle.

Samedi 9 juillet – en prison (nous ne savons toujours pas où nous sommes)

Nous sommes réveillées par des coups dans les portes, les néons sont restés allumés toute la nuit, nous ne savons pas si le jour est levé ou non. Nos gardiennes crient qu’il faut se lever et qu’elles vont nous apporter le petit déjeuner.

Nous nous assoyons sur nos matelas, nous discutons, nous faisons notre toilette, imaginant que si on nous réveille si tôt et avec tant d’urgence, quelque chose d’important va arriver. Nous libérer ? Nous laisser passer ? Nous expulser tout de suite ? La visite de l’ambassadeur ?

En fait, environ 2h plus tard, une gardienne nous apporte un broc d’eau chaude, des gobelets en plastique, des sachets de thé et du café moulu dans un verre de plastique. Nous nous préparons donc un verre de café imbuvable ou de thé.

Vers midi, ils nous font passer par l’ouverture de la partie supérieur de la porte 6 assiettes de nourriture.

Dans l’après-midi, on m’appelle et on m’informe que c’est mon tour de téléphoner à mes proches si je le souhaite. Je suis la gardienne jusque dans le bureau du médecin à qui nous avons remis nos effets personnels lors de notre arrivée, il me donne mon téléphone portable sachant que je ne pourrai pas appeler puisqu’il n’y a pas de réseau. Je lui demande si je peux utiliser, avec ma MasterCard, les taxiphones visibles dans la cour ; sa collègue me dit qu’il n’y en a aucun qui marche.

Dans l’après-midi, cellule par cellule, nous sommes autorisées à marcher dans le couloir pendant 10mn, observées par les gardiennes qui nous laissent parler à nos camarades dans les autres cellules et nous pouvons fumer.

Le soir, idem pour le repas, dont je ne me souviens toujours pas car je n’ai pas pu manger pendant 48h.

Nous demandons que les néons soient éteints, la gardienne nous répond, “Oui, après !”, elle ferme la porte et ne les éteint pas.

La journée est vite passée, nous nous entendons bien entre co-détenues, nous nous occupons les unes des autres, nous partageons mes vêtements, savons etc. car mes compagnes n’ont que les produits que nous ont remis les gardiens à notre arrivée, et elles n’ont pas récupéré leurs bagages de soute et donc leurs affaires avant d’entrer en prison.

Dimanche 10 juillet – en prison (nous ne savons toujours pas où nous sommes)

Nous sommes réveillées vers 7h ou 7h30 et comprenant que nous sommes là pour quelques jours, nous entreprenons la décoration de notre cellule. Chacune sort de son sac ce qu’elle a pu garder, feutres, crayons à maquillage, rouge à lèvres, dentifrice. Et nous écrivons d’abord sur la partie basse de la porte : “Free Gaza”, et sur le linteau “Viva Palestina”. Puis sur tous les murs : “Palestine invincible”, “Israël terroriste et assassin”, “Jérusalem capitale arabe éternelle”, “Palestine mon amour” et un dessin accompagnant un slogan et qui rappelle des gouttes de sang. Nos camarades font de même dans toutes les cellules.

En fin de matinée, des gardiennes ouvrent les portes des cellules, nous appellent individuellement. A mon tour je la suis, ainsi que 5 ou 6 camarades d’autres cellules, nous partons dans une sorte de cour où il y a des soldats et des policiers, et des préfabriqués au fond de cette cour. Dans l’un de ces préfabriqués, nous rencontrons en groupe la consule de France.

Elle avait vu un groupe avant nous qui visiblement l’avait fatiguée puisqu’elle nous accueille en nous disant d’emblée :
– Je vous avertis, je n’ai pas de temps et je suis fatiguée. Je suis sur pied depuis vendredi 6h du matin à l’aéroport.

D’après ce dont je me souviens, elle nous explique qu’elle n’est pas là pour nous aider, et je comprends que dans son langage diplomatique, elle nous dit que c’est notre faute si nous en sommes là, que depuis vendredi je “bataille” pour vous et c’est très difficile. Elle nous dit que les vols sont pleins, que ça tombe mal c’est l’été, qu’il n’y a pas de place pour nous renvoyer, etc…

Je lui demande où nous sommes, c’est à ce moment là que j’apprends que nous sommes à la prison Givon/Ramle, dans les environs de Tel Aviv.

Cette femme a l’air mal à l’aise avec les hommes en uniformes qui nous entourent et qui écoutent tout ce qui se dit. De plus, elle a un interprète qui fait le va-et-vient pour traduire en hébreu tout ce qu’elle nous dit aux hommes qui sont dehors et pour leur rapporter nos demandes et leurs réponses. Nous sommes tous sous haute surveillance, elle compris.

Comprenant que la situation est bloquée et que nous ne serons pas libres avant deux ou trois jours, je lui demande : “Pouvez-vous au moins obtenir que les néons de nos cellules soient éteints la nuit ?”, ce qu’elle a accepté et qui a été fait.

Après son passage, j’ai remarqué une légère amélioration de notre traitement : récréation matin et après-midi dans la cour en groupe, une glacière d’eau fraîche dans l’après-midi, un cocotte électrique dans laquelle on pouvait faire chauffer de l’eau pour un thé ou un café.

Lundi 11 juillet – prison Givon-Ramle

Nous sommes réveillés par 3 policiers plus la gardienne qui photographie les murs, nous sommes aveuglées par les flashs. Ils repartent.

Plus tard, ils nous apportent le petit déjeuner ainsi que des éponges et du savon pour nettoyer nos graffitis mais nous n’y arrivons pas et nous laissons tomber le nettoyage. La même chose dans toutes les cellules.

Dans la matinée, je suis appelée et on m’emmène voir un représentant consulaire français. Il me dit qu’il est assistant social consulaire. Il me demande ma situation, je lui dis que je suis la seule de Bordeaux et il me propose d’essayer de me faire rapatrier directement sur Bordeaux. J’accepte et je repars dans ma cellule.

On m’appelle à nouveau. Je rencontre cette fois l’assistante sociale de la prison, qui ne parle pas français. Elle est accompagnée d’une interprète qui parle français, espagnol et arabe.

Elle me demande des nouvelles de ma santé et de mon moral, je lui dis que je ne dors pas bien. Elle me répond que si je suis encore là mardi, mercredi elle fera venir un psychiatre qui me donnera un somnifère. Les échanges entre moi et l’interprète furent détendus, elle me dit que ses parents sont marocains et espagnols et qu’elle-même est née en Espagne. Sur ce, l’assistance sociale israélienne rit et d’un geste qui indique qu’elle n’a rien à voir avec tout ça, : “Moi je suis d’Europe de l’Est.”

En début d’après-midi, je suis à nouveau appelée ; je me dirige vers les préfabriqués pour rencontrer la consule, son interprète, l’assistant social.

J’attendais mon tour dans la cour quand un homme, qui était dans un des bureaux de ce préfabriqué et qui s’avèrera être Anan Odeh (1), de l’association palestinienne Addameer, sort et me dit qu’il est avocat palestinien et il me demande si je veux lui parler et faire un témoignage. Je lui réponds que oui et je rentre dans son bureau, qui est en fait celui de la consule, mais séparé par une demi-cloison. Nous avions commencé l’entretien depuis quelques minutes que l’interprète de la consule nous interrompt, me demande mon billet d’avion pour en faire une copie, et me dit d’aller voir la consule. Interrompu grossièrement en plein entretien, Anan me dit en souriant, “Ça ne fait rien, je vous attends !”.

La consule m’informe qu'”elle bataille pour savoir si nous sommes fichés, si nous sommes interdits de séjour, s’il y a de la place dans les avions, que c’est très difficile parce que c’est l’été, les touristes, etc… etc… et que je serai expulsée vers Rome, de là où je viens, et qu’elle n’a pas à tenir compte de mon lieu de résidence.

Je reviens voir Anan, coincé dans un coin du bureau, au milieu d’un brouhaha incroyable, les policiers qui passent et repassent, qui parlent fort, qui s’interpellent, qui font claquer portes et fenêtres, nous perturbant, faisant comme si ni Anan ni moi, ni la consule d’ailleurs, n’étions là. Mon entretien avec Anan a eu lieu en arabe, il est la seule personne avec qui j’ai accepté de parler cette langue. Anan ayant fait ses études en Tunisie, et sur sa proposition, nous avons décidé de discuter en arabe dialectal, de peur que la consule et son interprète installés à moins d’un mètre et qui écoutaient tout parlent l’arabe classique. Anan m’a demandé de décrire mon arrestation, ce que j’avais vu, il a pris beaucoup de notes, l’entretien a duré une vingtaine de minutes, il m’a dit que notre action était très importante, que la presse en parlait beaucoup, qu’il y avait beaucoup de soutien à Bethléem et dans toute la Cisjordanie . Il a eu les larmes aux yeux lorsqu’à sa question, “Qu’est-ce que tu as éprouvé quand tu es montée dans le camion-cachot ?”, je lui ai répondu m’être dit que j’avais l’honneur d’être à la place de combien de Palestiniens, qui ont été bien plus maltraités que moi.

Anan m’a dit qu’il fallait continuer le combat, de là où nous étions, témoigner de ce que nous avions vu et vécu, il m’a laissé ses coordonnées et à la fin de l’entretien, m’a présenté Samir, un de ses collègues.

Dans l’après-midi, la comédie du téléphone recommence, comme le samedi après-midi, on me dit que je vais pouvoir téléphoner, mais il n’y a pas de réseau, etc… etc…

Mardi 12 juillet

Réveil, petit déjeuner (pain et un demi-poivron). Puis la gardienne arrive et nous dit de la suivre tout de suite avec nos affaires.

Nous la suivons et des autobus nous emmènent dans une salle où ils ont installé un immense drapeau d’Israël. Ils nous font asseoir, en rang et nous filment, nous photographient et nous sommes à nouveau fouillés, après nous avoir enlevé nos effets personnels.

On m’emmène pour la fouille dans une cabine où une femme de type européen d’environ 25 ans me demande de mettre face au mur, les mains et les jambes écartés, les mains appuyées contre le mur. Je me sens épuisée, j’appuie mon front contre le mur, je me mets à prier et elle l’entend. Je sens que mon attitude la déstabilise, elle me fouille d’une main moins ferme, un peu tremblante, et elle a même un geste de réconfort sur mon dos, et ne me touche plus avec la main mais elle passe l’appareil de détection de métaux. Elle me demande de me retourner, je suis face à elle, bras et jambes écartés, et je continue de prier. J’ai une médaille autour du cou, elle s’approche et la fixe. Je prie pour résister à la tentation de lui donner “un coup de boule”.

Nous remontons dans les autobus et nous remarquons que les soldats mettent dans ces autobus une grande quantité de sandwiches, dont nous supposons qu’ils seront pour nous. Nous décidons que s’ils nous les proposent, nous les refuserons dignement. Les autobus s’arrêtent sur la piste d’atterrissage mais nous n’avons pas le droit de descendre. Les policiers qui nous accompagnaient descendent des autobus, retrouvent deux ou trois collègues sur le tarmac et commencent à manger les sandwiches, à s’en offrir en riant, gesticulant, jetant la nourriture par terre sous nos yeux, buvant des petites bouteilles d’eau.

Au bout d’un long moment, on nous fait descendre de cet autobus un par un en nous appelant par nos noms (le mien toujours déformé) et nous ramassons nos affaires qui sont posées par terre. Une fois que j’ai pris mon sac à main, mon sac à dos et une poche où j’avais mis des tennis que je n’avais pu faire rentrer dans mon sac dans la précipitation du départ, un soldat me montre une poche qui est elle aussi par terre et il me dit de la prendre. Je lui fais remarquer qu’elle n’est pas à moi, on voit parfaitement que ce sont de grosses chaussures de marche d’homme noires. Il me crie dessus et m’oblige à les prendre. Dès que j’arrive dans l’avion, je demande à mes camarades si ces chaussures sont à eux, mais personne ne les reconnaît et le policier dans l’avion m’oblige à les mettre avec mes affaires dans le coffre à bagages.

Bien que les Israéliens présents avec nous pendant ce trajet nous aient dit que notre consule serait au pied de la passerelle pour nous parler et nous remettre nos passeports, nous ne l’avons pas vue. Par contre, le commandant de bord du vol Alitalia est venu nous voir, très amicalement, dans le bus où nous attendions. Il nous a dit que c’est lui qui allait nous conduire à bonne destination, jusqu’à Rome, que nous n’avions plus rien à craindre, et qu’il allait avoir nos passeports et qu’il nous les donnerait à l’arrivée à Rome. Et c’est ce qui s’est passé. Quand je suis montée dans l’avion, mon portable a pu aussitôt fonctionner, et j’ai pu donner quelques appels, entre 13h50 et 14h heure française.

Dans l’avion, nous avons été constamment suivis et encadrés par au moins 8 civils israéliens (Mossad ?), 2 derrière nous, et 6 entre nous et les autres passagers.

Dès que l’avion a été dans le ciel, chacun de notre groupe (photo ci-dessous) a explosé de joie, lancé des malédictions et des sarcasmes contre Israël.

Pendant le vol, nous avons eu un repas complet. Les hôtesses ont été très serviables avec nous, nous ont systématiquement demandés si nous voulions d’autres portions de nourriture car elles savaient ce qui nous était arrivé et que nous avions faim et soif.

Nous arrivons à Rome vers 15h30. Les civils qui nous accompagnaient nous demandent de rester à nos places, de ne pas nous lever. Quand tous les passagers furent sortis, les israéliens nous ont demandé de commencer à sortir. En haut de la passerelle, nous attendaient le commandant de bord et les hôtesses. La main sur le cœur, s’inclinant devant nous et avec un grand sourire, il nous a exprimé en italien son respect, sa déférence. Pour la première fois depuis cinq jours, je me suis sentie un être humain. Il nous a informé qu’il avait nos passeports, que l’hôtesse nous remettrait.

Rappelons qu’à part moi qui avais un petit sac à dos, aucun de mes compagnons n’avait vu sa valise depuis le vendredi précédent lorsqu’ils l’avaient aperçue sur le tapis roulant à Tel Aviv et que les douaniers israéliens les avaient fouillées (mais gardées).

La consule de France à Tel Aviv nous avait promis qu’elle serait au départ à Ben Gourion et que nous serions pris en charge à notre arrivée à Rome, et que nous partirions sur un vol vers Paris à 18h30, 2 ou 3h après notre arrivée à Rome.

De même qu’elle n’était pas à Ben Gourion au départ, personne ne nous attendait à Rome (et il n’y avait rien de prévu pour un départ sur Paris, selon ce que nous a dit un responsable d’Alitalia que nous sommes allés voir) sauf les hôtesses italiennes qui nous ont fait un passage privilégié rapide pour nous remettre nos passeports puis ont ouvert deux guichets réservés à notre groupe pour que les formalités se déroulent le plus rapidement possible.

Nous partons au guichet Alitalia pour nous enregistrer sur le vol Rome/Paris de 18h30 dont nous avait parlé la consule de France. L’employée nous informe qu’il n’a aucune réservation pour nous… et devant notre étonnement, elle fait venir un responsable qui confirme qu’aucune demande n’a été faite pour nous par les autorités françaises. Notre réservation concerne le vol Rome/Toulouse du lendemain mercredi 13 !

Ce responsable Alitalia nous dit que ce qui nous fera le plus de bien, c’est une bonne nuit et il nous propose d’appeler une famille qu’il connaît et qui tient une maison d’hôte à 1/4 d’heure de Rome. Certains de notre groupe acceptent (les autres font le choix d’aller passer la nuit à Rome) parce que la proposition est vraiment intéressante, 40€ par personne hébergement, petit déjeuner et trajets aller/retour compris. Nos hôtes viennent nous chercher, lui et son épouse, en deux voitures, et nous arrivons chez eux vers 19h. Vers 20h nous partons manger une pizza dans le quartier.

Un détail qui a eu lieu avant que nous partions chez cette famille. Nous portions toujours cette fameuse poche que m’avait obligé de prendre, à Ben Gourion, le soldat israélien, bien que je lui ai affirmé qu’elle n’était pas à nous. Nous sortons pour la première fois les chaussures de la poche, et nous découvrons que ce sont des Rangers neuves, pointure 41, portant des inscriptions en hébreu ! Ce qui nous a confirmé qu’elles n’appartenaient à aucun d’entre nous et nous avons décidé de les poser en évidence devant l’aéroport, pour que quelqu’un d’intéressé les prennent… Il n’en reste pas moins que nous ne comprenons toujours pas pourquoi le soldat à Tel Aviv nous a obligés à emporter cette poche, dont il voyait parfaitement le contenu…

Le lendemain matin, jeudi 14 juillet, petit déjeuner de rois chez ces gens si sympathiques. Ils étaient très touchés par notre aventure et se sont efforcés de prendre soin de nous, moralement et physiquement, pendant toute la matinée. Autour de midi, ils nous ramènent à Rome-Fiumicino. Nous buvons un café en attendant notre vol Rome/Toulouse, où nous arrivons vers 15h. Un comité d’accueil nous y attend, avec la presse et la radio locales.

Je prends un train Toulouse/Bordeaux où j’arrive à 19h, après un périple direct Rome/Prison Ramlé et retour, sur 5 nuits et 4 jours…

CONCLUSION

Nous avons vécu sous un régime d’incarcération ponctué d’humiliation et de mauvais traitements (en particulier lorsque nous étions à l’aéroport) et de chantage, lorsque nous étions en prison (par exemple : Tu veux de l’eau chaude ? tu fais le ménage dans le couloir. Vous voulez sortir fumer une cigarette ? tenez-vous bien, ne parlez pas. Si tu te tiens bien, tu pourras aller téléphoner, etc. Ce qui n’arrivait jamais, quel que soit notre comportement).

J’ai été aussi très choquée par le fait que les Israéliens auxquels nous avons eu affaire, que ce soit à l’aéroport ou à la prison, n’aient pu se parler entre eux ou nous parler qu’après avoir demandé l’origine ethnique de l’interlocuteur. C’était la question avant même de dire “bonjour” : “Quel est ton pays d’origine ? Ton père ? Ton grand-père ? De même ils se présentaient tout le temps à nous non pas par leur nom, mais par leur origine : “Mon père est de tel pays, ma mère de tel pays, mon grand-père…” !

Je me suis toujours sentie Française dans l’âme tout en étant fière de mes origines algériennes, et j’ai davantage ressentie la ségrégation là-bas qu’ici tant j’ai été obligée d’occulter mon origine familiale pour ne pas satisfaire leur demande : “Je suis Française,” une réponse que visiblement ils ne supportaient pas, insistant pour connaître l’origine de mon père et de mon grand-père. A cause de cette violence raciste, je me suis sentie pendant 4 jours comme entre parenthèse de ma propre personne.

http://www.ism-france.org/temoignages/Kidnappee-et-sequ…15890

Témoignage de Claudine Vegas, de Toulouse

Arrestation et détention dans la prison de Givon à Ramlé en Israël

Je suis arrivée le vendredi 8 juillet 2011 en début d’après-midi, en compagnie de mon époux et d’un groupe de onze amis et connaissances venus de Toulouse et du Sud-Ouest, à l’aéroport Ben Gourion de Tel Aviv. Nous avions voyagé par un vol d’Alitalia venant de Rome.

Nous venions dans le cadre d’une mission pacifique « Bienvenue en Palestine », à l’invitation d’associations palestiniennes de Cisjordanie, pour partager pendant une semaine, du 8 au 16 juillet, leur vie quotidienne, visiter les territoires occupés, participer à leurs travaux et à leurs activités culturelles . Nous venions en visiteurs amicaux et pacifiques tout en sachant que le passage par le contrôle israélien à Tel Aviv serait difficile comme il l’est pour tous les visiteurs qui veulent se rendre en Palestine. Mais nous venions la conscience tranquille en espérant que les policiers israéliens nous laisseraient passer sans trop de problèmes et arriver à Bethléem où nous étions attendus le soir même par nos amis.

Malheureusement, nous avons vite déchanté : à peine arrivés dans l’aéroport, nous avons senti une tension énorme : des policiers partout qui avaient l’air sur les dents, qui marchaient dans tous les sens, épiant tous les arrivants, qui avaient l’air surexcités et semblaient attendre une armée de terroristes dangereux !

Arrivés dans le grand hall de contrôle des passeports, nous voyons aussitôt dans un coin un groupe de membres de notre mission entourés de flics , nous comprenons qu’ils sont arrêtés.
Mon mari et moi allons vers le guichet de contrôle, une policière demande à Joël le prénom de son père et de son grand-père ( ?) puis où nous allons, je réponds : « à Bethléem » car nous avions décidé de ne pas mentir sur notre destination.

Elle regarde sur son écran et aussitôt deux policiers s’approchent de nous, prennent nos passeports et nous ordonnent de les suivre, nous rejoignons le groupe des détenus.
Nous n’avons eu aucune explication de leur part, aucun interrogatoire : rien que des ordres de les suivre, de s’asseoir, de se lever, de changer de chaise etc… une situation ubuesque. Pendant environ 5 heures, nous avons été déplacés d’une salle à l’autre, d’un étage à l’autre, d’un siège à l’autre, traités comme des animaux, filmés et photographiés par des flics au visage fermé et soupçonneux qui s’agitaient d’une façon hystérique dans tous les sens, en hurlant en hébreu et en anglais des ordres et des contre-ordres. Une impression de désordre total et nous, au milieu, attendant avec inquiétude de savoir ce qu’ils allaient faire de nous. Ils ne nous ont jamais parlé d’expulsion ni de prison, aucune possibilité de communication normale avec eux.
sur notre destination.

Elle regarde sur son écran et aussitôt deux policiers s’approchent de nous, prennent nos passeports et nous ordonnent de les suivre, nous rejoignons le groupe des détenus.
Nous n’avons eu aucune explication de leur part, aucun interrogatoire : rien que des ordres de les suivre, de s’asseoir, de se lever, de changer de chaise etc… une situation ubuesque. Pendant environ 5 heures, nous avons été déplacés d’une salle à l’autre, d’un étage à l’autre, d’un siège à l’autre, traités comme des animaux, filmés et photographiés par des flics au visage fermé et soupçonneux qui s’agitaient d’une façon hystérique dans tous les sens, en hurlant en hébreu et en anglais des ordres et des contre-ordres. Une impression de désordre total et nous, au milieu, attendant avec inquiétude de savoir ce qu’ils allaient faire de nous. Ils ne nous ont jamais parlé d’expulsion ni de prison, aucune possibilité de communication normale avec eux.

Au bout d’environ 4heures d’attente, nous sommes emmenés dans une grande salle. On nous fait asseoir sur deux rangées face à face, puis on met les gens d’origine arabe sur une rangée de chaises inconfortables et les « blancs » en face sur des fauteuils plus confortables.

Puis ils nous réunissent debout, parqués comme des animaux, entourés d’une corde dans un angle de la pièce : ils sont presque 200 policiers, assis, debout, menaçants, et nous, une trentaine parqués dans un coin sous leur regard .

Ensuite on nous fait passer un à un dans une petite salle où on nous fouille, nous dépouille de nos sacs, argent, téléphone, carte bleue, ceinture, toutes nos affaires. Nous n’avons plus rien et on ne nous a toujours rien dit sur les motifs de notre arrestation.

Ensuite, de retour dans la grande salle, je sens que l’atmosphère est devenue plus dure, plus tendue, j’apprends par quelqu’un de notre groupe que Fatiha vient d’être tabassée.

On me fait embarquer directement dans un fourgon cellulaire, escortée d’une dizaine de flics et soldats qui m’entourent et que je sens prêts à me cogner au moindre geste de protestation de ma part.

Joël me suit mais ilest envoyé dans un fourgon pour les hommes et je ne le reverrai que deux jours plus tard pendant 15 minutes, dans un bureau, en présence de 2 gardiens qui écoutent tout ce qu’on dit.

Je monte dans un fourgon pour 4 et trouve Fatiha en pleurs, tabassée avec des traces sur les bras et le dos, avec des menottes et des chaînes aux pieds. Elle me dit qu’une vingtaine de flics se sont jetés sur elle et l’ont rouée de coups de poings, de genoux, de pieds. Là je me dis qu’on va vers le pire.

Deux autre jeunes filles montent ensuite, on va attendre environ 2 heures dans ce fourgon grillagé avec le moteur qui ronfle sans arrêt. La nuit est tombée, on ne sait pas où ils nous emmènent, on se doute que c’est la prison et pas un hôtel pour touristes !
On roule 25mn, on a fait environ 30 kms, on est arrivés à la prison de Givon à Ramlé, près de Tel Aviv.

On nous fouille à nouveau minutieusement, on nous met debout une dizaine dans une cellule infecte et les flics nous filment et nous photographient dans cette cellule comme des animaux, ils apportent nos sacs pour les fouiller, on me montre une feuille jaune en hébreu où est marquée, dit vaguement un policier, la liste de mes affaires et de mon argent confisqués. Je signe finalement sans savoir ce qu’il y a vraiment écrit.

On nous emmène dans la section des femmes, séparées des autres détenues de la prison, nous sommes réparties dans des cellules par 6.

La première nuit dans notre cellule, les gardiennes nous laissent les néons allumés jusqu’au matin (nous n’avons pas accès à l’interrupteur), je ne peux pas dormir à cause de la lumière trop vive et du stress. Pour dormir, juste une couverture mais un ventilateur qui fait pas mal de bruit.
L’eau du robinet a très mauvais goût, je me demande si elle est vraiment buvable. On doit insister pour avoir de l’eau avec des glaçons.

Nous sommes arrivés le vendredi dans la nuit, nous passerons 4 jours et 4 nuits soumis à la discipline carcérale : sorties 2 fois par jour dans une petite cour , surveillance continuelle, comptages réguliers dans nos cellules matin et soir et durant la nuit à heures régulières.
J’ai très peu dormi toutes ces nuits, sous le choc et dans l’inquiétude de savoir combien de temps on allait rester, sans nouvelles de l’extérieur.

Le samedi , nous voyons, par groupes de 15 environ, la consule générale de France à Tel Aviv qui nous déclare qu’elle est très fatiguée à cause de nous, qu’Israël est souverain dans son pays et donc que nous n’avions qu’à ne pas venir, nous l’avons bien cherché…Elle déclare qu’elle n’est là que pour s’occuper de la communication avec nos familles et de l’entretien avec un avocat .
Or, personnellement, je n’ai jamais vu un avocat pendant ces 4 jours, on ne m’a jamais dit ni écrit pourquoi j’étais incarcérée.

J’ai vu, comme les autre détenus le samedi, une assistante sociale de la prison qui m’a surtout demandé si j’avais des problèmes psychiatriques et si j’avais des idées suicidaires ! Elle a semblé soulagée quand je lui ai dit que non….

J’ai pu téléphoner à mon fils le dimanche sur mon portable pendant 3 mn, pour lui apprendre que j’étais en prison, la gardienne à côté de moi écoutait mes paroles.

Nous avons subi la privation de liberté, des traitements humiliants , l’arbitraire total.
Le mardi matin, une gardienne est venue dans ma cellule, m’a ordonné de prendre mon sac et de sortir aussitôt, on m’amène dans un bureau, celui du directeur de la prison peut-être, aucune explication, on me remet mes affaires qui avaient été confisquées, je re-signe sur le papier jaune en hébreu et il le garde. Je n’ai aucune trace écrite de mon arrestation et de ma détention ! J’ai été tout simplement kidnappée et séquestrée.

On nous fait monter dans un autobus cette fois-ci, parce qu’on est visibles sans doute sur la route , et on nous emmène directement dans une salle de l’aéroport pour l’embarquement. Je sors de l’autobus escortée de 4 flics costauds, re-fouille au corps minutieuse avec un appareil détecteur, puis de nos affaires, sans doute pour nous stresser et nous humilier jusqu’au bout.

On monte dans l’avion, sans passeports. Le directeur de la compagnie Alitalia à Tel Aviv vient nous expliquer que nous partons à Rome , il a l’air souriant et à notre écoute, c’est la première fois depuis 5 jours passés en Israël que je vois une personne me parler normalement, en me traitant come un être humain et non comme un animal ou une terroriste. J’avais presque oublié que cela existait !

Arrivés à Rome le soir, nous serons, le groupe toulousain, livrés à nous-mêmes, obligés de chercher un hôtel pour la nuit car l’avion pour Toulouse ne repart que le lendemain après-midi.
Le consul de France à Rome à qui je téléphone le soir se désintéresse totalement de nous, et nous dit qu’il ne peut rien faire pour nous .

Voilà pour la note finale concernant la sollicitude et le soutien de nos autorités consulaires et gouvernementales.

Fait le 20 juillet 2011

Claudine Vegas