Pour qualifier le système de l’urgence, les résidentes de Laumière disent toujours qu’avant d’arriver ici elles étaient « au 115 ». Comme si elles désignaient là, non pas un numéro de téléphone, mais celui d’une rue. Être au 115, c’est être pris dans l’alternance des nuits en CHU et des jours à errer dans la ville. C’est pourquoi toutes les résidentes décrivent leur arrivée à Laumière comme la sortie d’un enfermement.

C’était juste après la longue occupation du canal Saint-Martin, lancée par les Enfants de Don Quichotte, à l’hiver 2006. L’alignement des tentes en plein milieu de la ville avait disparu. Ce qui s’était joué pendant des mois, dans la rue, se rejouait désormais à l’intérieur des institutions. Le mouvement avait exigé des professionnels de l’assistance la rédaction d’une charte posant les bases d’une évolution du règlement des structures d’hébergement et de réinsertion sociale ; un plan gouvernemental d’urgence, annoncé en grandes pompes par les médias, devait en assurer l’application. Celui-ci programmait une augmentation importante du nombre de places dans les centres d’hébergement d’urgence et la transformation progressive de ceux-ci en centres dits de « stabilisation ». L’argumentation du mouvement Don Quichotte se déployait dans ce cadre : il faut augmenter les capacités de logement et d’hébergement de manière à désengorger le dispositif, pour y faire entrer ceux qui sont encore à la rue.

Mais ce qui s’était exprimé au bord du canal Saint-Martin ne pouvait se réduire à une logique comptable. Un ami, salarié à Emmaüs, avait été chargé de l’ouverture d’un centre, devant accueillir une grande part de ceux qui avaient campé au bord du canal. Il nous avait rapporté la contradiction dans laquelle il se sentait alors enfermé : « Ceux qui ont participé à la lutte sur le canal n’ont pas encore vu venir les logements promis. Et quand le gouvernement lâche quelques relogements individuels, ils les refusent pour la plupart. Ils ne veulent pas se retrouver seuls dans une piaule. » Accepter un appartement, c’était retourner à cette solitude à laquelle on avait échappé dans la lutte. De ce point de vue, l’expérience des Enfants du Canal était plus significative encore. Certains campeurs s’étaient constitués en collectif lors de l’occupation. Refusant d’être séparés de nouveau, à travers des relogements individuels ou des hébergements provisoires, ils avaient su profiter du rapport de force momentané pour faire accepter à la DDASS l’idée d’un lieu autogéré, en marge de l’institution.

Le fichier pdf de ce livre et les fichiers de l’enquête sonore sont là :

http://www.cip-idf.org/article.php3?id_article=5771

Contrainte au repli dans un local provisoire, la coordination (http://www.cip-idf.org/article.php3?id_article=4413) maintient des permanences d’autodéfense sociale afin de poursuivre l’enquête et l’action sur les droits collectifs et la précarité et un site internet (http://www.cip-idf.org/) destiné à mutualiser analyses et expériences de luttes.

Nous comptons agir à nouveau pour un relogement qui permette de développer des activités variées, auto-organisées et non marchandes, et appelons à signer en ligne et faire connaître “Nous avons besoin de lieux pour habiter le monde” (http://soutien-cipidf.toile-libre.org/).

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