Travailleurs sans-papiers expulsés de la bourse du travail : le signe d’un double échec syndical
Catégorie : Global
Thèmes : Immigration/sans-papierEs/frontieres
La première vague de grève des travailleurs sans-papiers en déclenchée, le 15 avril 2008, dans plusieurs dizaines d’entreprises d’Ile de France avait permis de construire un rapport de force collectif sur la région parisienne en coordonnant plusieurs grèves avec occupations et piquets de grève. Une deuxième vague de grève avait été lancée mais déjà les syndicats éprouvaient des difficultés à mobiliser suffisamment de militants pour assurer le soutien sur les piquets de grève.
La grève est partie des travailleurs eux-mêmes soutenus par leurs Unions Locales CGT et Solidaires avec les militants de terrain. La direction de la CGT a soutenu la grève dans les premiers mois. Une négociation a eu lieu avec le gouvernement pour obtenir des régularisations. Plus de 2 000 travailleurs sans-papiers on ainsi été régularisés. Dans le même temps, des travailleurs sans-papiers isolés dans leur entreprise ont décidé d’occuper la Bourse du Travail de Paris investie à partir du 2 mai 2008.
Ils voulaient ainsi se regrouper pour être plus forts. Cette occupation était organisée à l’initiative de la Coordination 75 des collectifs de sans-papiers. Cette coordination n’a pas voulu s’entendre avec les syndicats pour se battre collectivement. De plus les syndicats qui utilisent la Bourse du Travail étaient pénalisés par cette occupation de leurs locaux alors que les vrais responsables de la chasse aux sans-papiers sont le patronat et son gouvernement raciste.
On peut penser que la Coordination avait sa propre bureaucratie qui ne voulait pas que ses sans-papiers s’intègrent aux syndicats pour mener une lutte collective et préférait cultiver le conflit avec les syndicats pour garder ses troupes sous son contrôle. Côté syndical, la direction de la CGT qui avait soutenu les premières vagues de grève a ensuite cassé la lutte. Après l’été 2008, la préparation d’une nouvelle vague de grèves a été sabordée. Suite aux négociations avec le gouvernement, la direction de la CGT a obtenu que les demandes de régularisation passent uniquement par les Unions Départementales, ce qui a court-circuité les syndicats et Unions Locales CGT.
Ainsi tout était verrouillé et une perspective de lutte collective devenait plus difficile à construire. Or c’est la seule méthode qui permettrait notamment d’obtenir des régularisations pour les travailleurs sans-papiers isolés. Notamment dans les autres régions que Paris où il n’y a que des travailleurs sans-papiers isolés.
Faute d’une telle perspective, la situation s’est enlisée à la Bourse sans avancer. L’UD CGT de Paris qui avait le plus fait parmi les structures CGT pour soutenir les grévistes sans-papiers se trouvait pénalisé dans son fonctionnement par d’autres sans-papiers. Cette expulsion montre qu’il n’aura pas été possible de faire lutter ensemble les travailleurs sans-papiers isolés qui occupaient la bourse du Travail et les syndicats CGT de l’Union Départementale de Paris.
L’UD CGT de Paris est doublement pénalisé car en plus d’être mal vue pour avoir expulser des sans-papiers, elle ne peut pour l’instant utiliser ses locaux fermés par la Mairie de Paris. Pour éviter de telles situations où des travailleurs règlent leurs comptes entre eux, il faut que tous nos syndicats se donnent les moyens de préparer une nouvelle vague de grève des travailleurs sans-papiers soutenus par les syndicats afin d’obtenir la régularisation de tous, y compris les travailleurs isolés.
Reprenons le fil historique car la confusion la plus grande continue à régner; chaque groupe en rajoute selon ses lunettes idéologiques propres; alors que le mouvement a surtout besoin de clarté
politique, reposant sur une réalité vécue et non fantasmée :
Les CSR , par exemple, minimisent le rôle de l’UD CGT dans le déclenchement des grèves!
« La grève est partie des travailleurs eux-mêmes soutenus par leurs Unions Locales CGT et Solidaires avec les militants de terrain. »
L’UD CGT a bien préparé des grèves ciblées dans plusieurs entreprises et dans des secteurs aussi différents que le bâtiment, le nettoyage, la restauration ou la sécurité;
Cette stratégie, dite de vagues, n’est pas A PRIORI à rejeter… mais pour la suite…
C’était une première de lancer un tel mouvement et on ne peut reprocher aux buros leur prudence;
Mais, rapidement, s’est manifesté le vrai but de ces grèves; l’objectif de cette première vague n’était pas de servir de test pour une extension du mouvement vers une grève générale des sans papiers et pour la régularisation de tous mais d’assurer à la structure CGT le
leadership syndical à la table des négociations, sur la question de l’immigration et plus généralement du salariat précaire!
En clair et en langage marchand, les buros défendaient leur part de marché sur ce secteur de la main d’oeuvre salariée et se taillaient un quasi monopole par ces grèves ciblées contre leurs concurrents syndicaux directs mais aussi des Collectifs sans papiers; encore fallait-il qu’ils puissent contrôler ces grèves, les limiter et les orienter dans le sens de « leurs clients», les patrons et le gouvernement, pour une meilleure application « pacifiée et harmonoisée » de l’immigration choisie; ces grèves n’ étaient, pour la confé, qu’une opération de marketing bien dans la tradition du management d’entreprise qui ose… La CSP75 en constituant un pôle de regroupement autonome des sans papiers sur leurs intérêts communs , ne pouvait qu’entraver cette stratégie!
Par contre une deuxième vague n’était prévue qu’en cas de mauvaise volonté du gouvernement, une vague de confirmation menaçante, une vague d’appoint en quelque sorte… qui ne devait surtout pas sortir de la région parisienne. Le courrier de Blanche-Chauveau en direction des structures de province est très clair à ce propos: hors de question de lancer des grèves en Province tant que tous les grévistes de la première vague n’ont pas été régularisés. Il faut se rappeler que Chauveau, dans une interview au début des grèves, déclarait que tout le monde ne serait pas régularisé mais qu’il se
satisferait de 90%! voilà qui en dit long sur la volonté d’extension (sans parler de ce « IO% de pertes, comme à l’armée!)
Déjà les limites fixées à ces grèves étaient inscrites dans les revendications et je m’en suis expliqué par ailleurs (cas par cas, critères harmonisés…).
Quant à une troisième vague…
D’où l’incompréhension des camarades de la CSP75 majoritairement syndiqués CGT qui avaient été des alliés fidèles, jusqu’à se couper du 9ème Collectif pour ne pas rompre avec la CGT en 2007 (occupation de la BdT Stalingrad et expulsion par ce même SO CGT); ils se sont sentis trahis par leur allié; si on peut
reprocher quelque chose à nos camarades de la CSP75 est justement leur naïveté devant la CGT et la rupture d’avec le 9ème que le mouvement a, est en train et n’a pas fini de payer.
Derrière l’occupation de la BdT Varlin, aucune stratégie délibérée de la CSP75, nul calcul politicien mais bien un mouvement de colère spontané de tous les sans papiers qui se sont sentis trahis par leur
syndicat!
La CSP75 a su élaborer une stratégie d’occupation « amie » de la BdT en se fondant sur cette réalité avec un pragmatisme assez remarquable; elle a fait au mieux mais n’a jamais pu se sortir du carcan imposé par la CGT; toutes ces tentatives et celles de leurs soutiens vers les lieux d’occupation ou pour étendre la grève se sont cassées les dents sur le front uni de la CGT et des orgas françaises
de soutien; une seule exception à Man BTP où la grève est partie de la BdT occupée mais pour retomber rapidement sous la coupe des orgas françaises; une autre exception est celle de nos camarades de Viry-Chatillon qui ont contrôlé leur lutte en dehors de tout colonialisme; les structures françaises ont bien été obligées de suivre; malheureusement ils sont restés trop isolés et la seule fois où ils son intervenus au meeting du 29 novembre, je l’ai ressenti comme une tentative d’orgas politiques françaises de les instrumentaliser dans la lutte interne à la CGT pour le pouvoir
dans l’appareil…
Maintenant, nous (opposition syndicale dans la CGT) sommes mal venus (moi, y compris) de donner des bons ou mauvais points et de
stigmatiser seulement les buros ou de pointer les erreurs de nos camarades de la CSP75; ils ont répondu avec une rare intelligence tactique à des situations imposées et ont su, malgré tout maintenir une cohérence interne et leur autonomie contre tout l’attirail des orgas françaises alignées de fait sur l’orientation de la confé CGT.
À aucun moment nous n’avons été capables de dégager une stratégie claire qui rompent radicalement avec la stratégie réformiste et de regrouper sur cette orientation, une force réelle de soutien à nos camarades; j’étais régulièrement à la BdT pendant les premiers mois de l’occupation et je peux vous dire que les soutiens ne se bousculaient pas et rares étaient les « piliers français » de l’occupation; nous avons donc notre part de responsabilité dans la situation mais le plus inquiétant est ce mouvement de soutien des orgas (syndicats, partis politiques et associations) qui continuent leur travail de sape (cf. le CR de la réunion du 01-07-09 à l’EDMP) de l’autonomie et de l’union entre nos camarades de la CSP75 en leur faisant du chantage à la solidarité.
Pour inverser cette tendance catastrophique pour le mouvement ouvrier français dans son ensemble et les syndicats en particulier, les déclarations de soutien à la CSP75 ne suffisent pas, même si elles rompent le silence de 14 mois d’occupation; encore faut-il qu’elles se concrétisent!
– En allant voir nos camarades du Bd du Temple, devant la BdT, seuls ou en délégations d’entreprise ou de syndicats.
– En aidant et en respectant leur autonomie d’organisation, premier pas vers une union réelle entre prolétaires français et immigrés.
– En allant soutenir les délégués de la CSP75 dans ces réunions unitaires (qui unissent surtout les orgas françaises dans une vision colonialiste du mouvement sans papiers).
– En dégageant des perspectives revendicatives claires et unifiantes pour l’avenir du mouvement sans papiers.
– En travaillant, sur la base de ces perspectives, une force de solidarité agissante pour nos camarades sans papiers.
– En travaillant aux côtés de nos camarades de la CSP75 à l’unification du mouvementsur ces orientations revendicatives.
Il ne s’agit pas de recettes de cuisine qui marchent à tous les coups; il s’agit d’inverser les tendances et il me semble que travailler dans cette direction est, dans l’immédiat, un minimum indispensable pour sortir de la spirale des défaites programmées; -pj49-