Les mouvements de lutte sociale nécessitent une cohérence de fond afin que ce que l’on veut ne rentre pas en contradiction avec ce que l’on fait. Dans cette optique, la question des modalités du vote dans les assemblées générales est essentielle. Et la proposition de voter avec les cartes étudiantes et à bulletins secret pose problème.

Voter à bulletin secret estompe en grande partie le sentiment de force collective qui émane d’un vote à main levée. Nous sommes une force collective et nous n’avons aucun intérêt à nous imposer ce procédé individualisant. De plus bien souvent, le dépouillement est tellement long qu’une fois qu’il est terminé, beaucoup de personnes ne sont plus là. L’effet d’estompage de notre force collective est donc immédiat.

Un argument avancé par les partisans du vote à bulletin secret est qu’il permet aux personnes influençables et peureuses de voter librement. Nous ne pouvons qu’encourager les personnes présentes ici à assumer leurs opinions et leur rappeler que même si les débats ont parfois été houleux, jamais personne n’a été agressé ou molesté en raison de ses opinions lors des divers mouvements étudiants qu’ont connu l’Université Jean Monnet ces dernières années. Et nous noterons au passage que cette pratique du vote à bulletin secret n’est pas en cours dans les A.G. des personnels, enseignants et enseignants-chercheurs de l’Université.

Le fait de devoir voter en présentant une carte étudiante nous semble également soulever plusieurs paradoxes. Tout d’abord, nous trouverions regrettable dans la période actuelle de flicage permanent, de répression excessive et de suspicion perpétuelle, que nous nous imposions à nous même un outil de contrôle supplémentaire. Le mouvement social dans lequel nous nous inscrivons aujourd’hui peut aussi être l’occasion d’expérimenter d’autres modes de fonctionnement que ceux que nous connaissons déjà et qui ne doivent pas être si bons que ça puisque nous sommes là aujourd’hui. Au même titre que le vote à bulletin secret, le vote avec la carte étudiante n’est que la simple reproduction de schémas déjà connus. Ce genre de moment doit aussi nous permettre d’en interroger l’efficacité et la pertinence.

Aussi nous sommes à l’Université, à nous de donner un vrai sens à ce terme « Université ». Lors d’un mouvement de lutte à l’Université, refuser l’accès ou l’expression de ceux qui souhaiteraient se joindre à la lutte sous prétexte qu’ils n’ont pas de carte étudiante, cela rentre en contradiction totale avec l’endroit même où nous sommes. Pensons à ceux qui ont arrêté l’Université ou qui ne peuvent s’y inscrire en raison des frais que cela engendre, pensons aux auditeurs libres, ceux qui viennent juste en cours mais ne passent pas les examens car ils n’ont pas de carte étudiante pas plus d’ailleurs que les enseignants ou le personnel de l’Université. Lorsque nous voterons des actions communes faudra-t-il leur demander leur bulletin de paie pour vérifier qu’ils sont de l’UJM?

Toutes ces personnes ont largement de quoi se préoccuper du sort de l’Université, bien qu’ils n’aient pas de carte étudiante. Ils n’ont pas de carte étudiante, contrairement à ceux qui, bien que n’ayant rien suivis des débats et des précédentes A.G., viendront voter simplement parce qu’ils sont contre le blocage.

L’incohérence va même parfois plus loin.

Lors d’une précédente A.G., on a pu voir des étudiants ayant voté contre la grève participer à la désignation des personnes choisies pour représenter l’UJM à la Coordination Nationale… .

Ce genre de non-sens mérite d’être souligné et doit nous inciter à questionner sérieusement le fait que des non-grévistes puissent participer aux choix des modes d’action des grévistes.

Enfin un blocage ou une occupation sont des modes d’actions parmi d’autres. Il n’y a pas de raison de changer la modalité du vote aujourd’hui alors que depuis le début du mouvement, notre force collective n’a besoin ni d’urne, ni de carte étudiante… .