pour ma part, il s’agit juste de donner à réfléchir à partir d’un texte de la revue Temps critiques (http://membres.lycos.fr/tempscritiques) J’ai lu ce texte sur Ni patrie ni frontière (http://www.mondialisme.org/spip.php?article1281)

A propos des luttes actuelles dans l’Éducation Nationale
17 mars 2009

INTERVENTIONS n° 6 MARS 2009

Les luttes actuelles dans l’école et autour de l’école sont le produit d’une double crise. Tout d’abord, crise de « l’instruction » des enfants par l’école. Cette école contemporaine achève de dissoudre l’institution de l’éducation dans des « dispositifs de formation » qui doivent se prolonger « tout au long de la vie ». En tendance, la formation « professionnalise » les élèves en les adaptant à leur fonction de gestionnaires de leurs ressources humaines. L’État-nation n’est donc plus éducateur. Cette crise majeure de l’institution de l’éducation se combine avec une crise sur les finalités de l’école et sur les contenus des savoirs qu’elle est supposée transmettre. « Socle commun de connaissances » et « savoirs minimums garantis » s’entrechoquent comme des cruches vides…

Cette situation critique de l’école, instrumentalisée par le pouvoir d’État et ses « partenaires sociaux », n’est pas vraiment reconnue par les mouvements de lutte au sein de l’Éducation Nationale. Les problèmes de fond ne sont posés ni par les élèves ni par les professeurs. Il n’y a aucune contestation des dimensions normatives de l’institution ni même de reconnaissance qu’elle est en crise (comme toutes les autres institutions d’ailleurs, il n’y a qu’à voir l’état actuel de la Justice !) L’État n’a donc aucun mal à faire courir le bruit que les enseignants sont des conservateurs, les élèves des agités et des mal informés, les parents des désinformés rendus inquiets par ce « problème de communication » comme dirait le ministère.

Énumérons quelques points qui nous paraissent importants pour la conscience de lutte, même si c’est difficile à faire passer sur le terrain.

1-Très souvent dans les arguments qui sont avancés pour défendre l’école publique, il y a une inversion de l’ordre logique. Alors que c’est parce que les conditions du service public se sont dégradées que l’idéologie du privé a trouvé progressivement une légitimité (gaspillage de l’argent public pour des résultats peu probants), il est proclamé par les enseignants que le service public fonctionne bien mis à part un manque de moyens et que c’est la Droite qui veut « la casse du service public ».

A l’évidence il y a là, non pas simplement une confusion dans les relations de cause à effet, mais aussi un double langage qui est typique des fonctionnaires et particulièrement des enseignants. Un double langage qui est une des causes de la défaite des grandes luttes enseignantes depuis au moins 1995. Ce double langage est celui de la défense de ce qui existe par crainte de ce que ce soit pire après. Là il n’y a plus simplement double langage mais erreur politique. En effet, cela nous condamne à refuser tous les projets de réforme parce qu’ils constitueraient une menace au lieu de s’en emparer quand justement on est dans le rapport de force établi par la lutte afin de sortir de la simple résistance et de prendre des initiatives.

Cette faiblesse dans l’offensive et l’alternative est évidente en ce qui concerne la question de l’autonomie. Dès qu’ils entendent ce mot, les enseignants voient le diable et pensent privatisation, régionalisation et autres pouvoirs locaux arbitraires. Mais se posent-ils la question de ce que peut être l’autonomie entendue non pas comme stratégie de gestion autocratique, mais comme moyen d’ouvrir des brèches dans l’organisation du statu quo ? L’histoire ne se répète jamais mais il ne faudrait pas oublier que c’est à partir de son statut de Freie Univerzität que l’Université de Berlin allait voir se développer, à partir de 1966-67, le mouvement anti-autoritaire et extra-parlementaire allemand.

Il y en a assez de subir et de se mettre sur le reculoir. Cela amène tous les mouvements récents à n’être que des mouvements de résistance à la merci du moindre recul de l’État. Cela fausse alors complètement les perspectives. Le retrait d’un projet est pris comme une grande victoire alors que ce n’est que le retour à une situation antérieure qui ne nous a jamais satisfait ! Les syndicats ne sont d’ailleurs pas les principaux responsables de cette situation. On a pu voir, ces dernières années, des actions se voulant les plus autonomes possibles, mettre toute la radicalité de leur action dans l’objectif du retour au statu quo.

On en revient à la question des rapports entre alternative et révolution. Le tout ou rien produit, dans les faits, une allégeance à l’État. Pour ne prendre qu’un exemple, il est vrai caricatural, tous les syndicats enseignants, sont pour le maintien d’une centralisation absolue du système éducatif. Or, cette centralisation est justement le paravent derrière lequel s’organise la restructuration du service public puisqu’elle constitue une structure qui n’a cessé de grossir et qui représente un facteur évident de paralysie. A cette centralisation, il ne s’agit pas d’opposer décentralisation et régionalisation sans privatisation, mais il est sûr que se pose la question de savoir si bloquer le système (c’est de toute façon de l’ordre du défensif et de la résistance) est plus efficace que de le débloquer en passant à l’offensive, y compris sur un terrain que l’État essaie d’impulser et de maîtriser. Ce n’est pas un hasard si les médias essaient d’associer libéral et libertaire à propos des « réformes ». Ce faisant, ils nomment les forces qui s’attaquent à la forme qu’à pris l’État au cours du XXe siècle, mais l’enjeu politique de cette critique de l’État (en faire une critique libertaire et non pas libérale) est brouillé par le fait que dans les luttes concrètes la plupart des libertaires s’empressent de rejoindre le clan globalement pro-étatique des organisations traditionnelles de la Gauche.

Pour le moment, ce qu’on entend, c’est qu’il faut être pour le maintien des concours nationaux au nom de l’égalité. Fort bien, mais alors il faut lire les résultats des concours pour vérifier si ce principe démocratique est respecté. Or, en le faisant, il apparaît que la plupart des reçus, surtout à l’agrégation, viennent de quatre académies seulement et que la plupart des enfants de cadres supérieurs et professions libérales de province se font payer une chambre ou un studio à Paris par leurs parents pour préparer ce concours pendant que les étudiants des petites universités (style Bourg, St-Étienne, Perpignan, Mulhouse, Pau) sont réduits à la situation des étudiants grecs. Alors bien sûr, comme pour le maintien du bac national, on va nous dire qu’autrement ce serait pire… Les étudiants ne doivent pourtant pas se bercer d’illusion ou pratiquer la politique de l’autruche. Soit l’existence de leurs universités doit montrer clairement qu’elles participent de cette tendance vers l’égalité (du style un étudiant de Perpignan doit avoir au moins autant de chance qu’un étudiant de Toulouse d’être fonctionnaire dans le Roussillon ou salarié qualifié à Paris) soit ce sont des universités-poubelles et dans ce cas là il faut que ça se sache et agir en conséquence, c’est-à-dire tendre à en faire des lieux pour autre chose, des lieux de déconstruction ou même de subversion.

Non seulement il n’y a aucune critique publique de l’Institution, mais, de fait, les enseignants en lutte se présentent encore comme les garants de l’existence de l’Institution face au marché. Ils se retrouvent donc dans la position de demander toujours plus d’État, ce qui concrètement veut dire : revenir à l’époque des années 60-70. C’est pourtant très difficile de se battre pour cela, puisque l’ancienne régulation de l’État-providence n’opère plus, ce qui, par exemple au niveau de l’école, nous conduit à dire que « l’État n’est plus éducateur ». Le recrutement social des enseignants a aussi changé, il est devenu moins populaire et moins « missionnaire ». Les nouveaux enseignants sont donc beaucoup plus enclins à se fondre dans un moule où l’institutionnel se fait moins impersonnel, moins abstrait et où les codes se rapprochent de ceux du secteur privé (le chef d’établissement-patron, les évaluations plus nombreuses et hiérarchisées des fonctionnaires). Cela pourrait à la limite les rendre plus combatifs, mais ce n’est que rarement le cas puisqu’ils ont tendance à intérioriser l’ensemble des codes du secteur privé jusqu’à se demander si on a le droit de faire grève. Cette différence de perception conduit souvent à des clivages générationnels peu propices au renforcement de la lutte.

2- Ce double langage des professeurs trouve malheureusement son écho dans le double langage des lycéens. Quand on est enseignant, on est pris d’un amer sourire quand on entend que les lycéens veulent plus d’heures de cours alors que tous les jours ils disent et surtout ils montrent qu’ils en ont trop ce qui les conduit à pratiquer le zapping permanent. Cette baisse du nombre d’heures de cours, c’est d’ailleurs ce que veut organiser le plan Darcos et pourtant ils se déclarent contre. Là aussi, il est alors facile pour le pouvoir, de les décrédibiliser en disant qu’ils font grève pour glander ou alors que la grève cacherait une mystérieuse entreprise de déstabilisation d’origine anarcho-autonome !

Ils pourraient pourtant, eux aussi, profiter du rapport de force pour dire qu’il y en a marre de l’échec scolaire mais aussi d’une « réussite » qui dépend de plus en plus d’un gavage répétitif avec des évaluations de plus en plus précoces. Ils ne le font pas… et ils se retrouvent devant les prétendus casseurs et encapuchonnés, lesquels sans forcément en faire l’analyse, expriment concrètement leur « ras-le-bol » devant des processus de relégation et de disqualification qui progressent. Des jeunes qui expriment aussi et ainsi leur mépris devant des grèves et des manifestations qui leur paraissent relever d’un rituel propre à une communauté scolaire à laquelle ils ne veulent (et ne peuvent) plus participer.

Alors qu’en 1986, le refus de la sélection à l’entrée à l’université avait encore uni étudiants, lycéens et « lascars » des LEP (ceux-ci n’étant pourtant pas directement concernés par le projet), alors qu’en 1994, les luttes contre le CIP avaient montré une certaine unité de la communauté des scolarisés, cela n’est plus le cas aujourd’hui comme on a pu s’en rendre compte pendant les luttes contre le CPE. Il ne s’agit pas ici de faire l’apologie des petites bandes de racketteurs au sein des manifestations qui adoptent parfois un comportement fascistoïde. Il ne s’agit pas non plus d’y voir une nouvelle ligne de classe. En fait, la révolte des banlieues de 2005 illustre bien un refus de participer au jeu d’une contestation maintenant ritualisée dans ses formes, mais pauvre en alternative.

Nous avons donc bien à faire à un double langage généralisé qui est une des causes de notre défaite face aux médias comme dans « l’opinion publique ». Ceux-ci sont en effet passés maîtres dans l’art d’exposer les contradictions des mouvements. Les médias ne cachent pas la lutte puisque c’est de l’événement et ça fait de l’info et de l’audimat. Mais quand ils font parler un manifestant, immanquablement, ce sera un gréviste qui demandera « plus de moyens », pour en faire quoi on ne le saura jamais ou qui répétera avec dévotion la formule consacrée : « le gouvernement organise la casse du service public ».

Dans les luttes actuelles on voit des enseignants prendre le risque de désobéir à leur hiérarchie et donc celui d’être sanctionnés pour manquement à la déontologie du fonctionnaire (servir, servir, toujours servir… l’État). C’est une bonne chose et déjà certains enseignants de Lettres, en juin 2008, avaient refusé de faire passer des oraux dans les conditions inacceptables imposées. Mais ce qui est original et porteur dans des formes de lutte qui échappent aussi bien à la logique du service de l’État qu’à la logique syndicale, doit aussi l’être au niveau des contenus. Or pour le moment il y a un décalage important entre ces formes de lutte, les risques encourus et un contenu qui se contente souvent du catalogue habituel (n’ayons pas peur des mots : le catalogue syndical) des revendications qu’on ajoute sur le même modèle que se calcule le PIB : toute revendication nouvelle ajoutée est un plus dans le catalogue de la même façon que l’usine qui pollue est un plus de richesse puisqu’elle produit la nécessité d’une activité anti-pollution.

3- La formation : une commune fausse conscience ?

Dans ces catalogues de revendications on trouve des choses étonnantes. On apprend ainsi que les enseignants regrettent déjà les IUFM ; alors qu’au moins dans le second degré, les plus nombreux s’étaient opposés à leur création y voyant une sorte de retour et d’extension des anciennes Écoles normales en lieu et place d’un enseignement universitaire plus théorique unifiant les différentes formations des maîtres.

Les enseignants disent vouloir maintenir leur mission d’éveil à l’esprit critique alors que les IUFM ont été baptisés, avec raison, du sobriquet « d’instituts de formatage des maîtres ». Et ce ne sont pas seulement quelques élitistes nostalgiques à la Finkielkraut ou étatistes à la Bringueli qui critiquent les IUFM mais ceux qui y sont ou qui en sortent aujourd’hui. La nouvelle défense des IUFM est alors justifiée par une politique du moindre mal. Mieux vaudrait l’IUFM que pas de formation du tout !

L’intégration récente des IUFM dans les universités et la mastérisation du recrutement des enseignants décrétée pour 2010 ont signé la fin de ces établissements créés par le pouvoir socialiste comme un compromis entre les anciennes Écoles normales et les universités. Ce compromis politico-syndicalo-administratif, déjà fragile et peu consistant en 1991, s’est vite délité. Moins de deux décennies plus tard, la liquidation n’était pas bien délicate à conduire.

Avec ou sans IUFM, c’est la professionnalisation de la formation des maîtres et de leurs activités qui sont à contester ; aussi bien dans les critères de recrutement au concours que dans les méthodes d’apprentissage et les contenus d’enseignements. L’inculcation du « geste professionnel » et de la « bonne pratique pédagogique » dont les nouveaux masters « enseignement » font leur credo constituent une normalisation de l’éducation lourde de conséquences. Or cette dimension politique centrale est absente des débats et des luttes contre la politique actuelle de formation, de recrutement et d’évaluation des enseignants.

Ces catalogues de revendications partielles et juxtaposées empêchent de se centrer sur l’essentiel qui devient peu perceptible pour beaucoup. Qu’est-ce qui peut unir, de la maternelle à l’université, en passant par la recherche, les protagonistes de la lutte ? C’est cela qu’il faut faire ressortir collectivement dans des AG regroupant les différents niveaux, ce qui n’est d’ailleurs pas incompatibles avec certaines revendications par secteurs, mais elles-mêmes centrées et donc limitées (refus de la suppression des Rased, refus d’établir des base-élèves, de l’évaluation en CE2, statut des enseignants-chercheurs). Dans une perspective d’élargissement de l’action collective, il y a des voies à tracer du côté d’un refus d’une formation (et de formateurs) de plus en plus étriquée, fonctionnelle, qui recouvre tous les niveaux de l’enseignement et de l’éducation.

Ceux qui défendent aujourd’hui les IUFM oublient souvent que ce sont les formateurs de ces IUFM qui ont fait passer ou qui tentent de faire passer toutes les « réformes » que les actions de rue et de grève refusent. Ils oublient aussi que nombre d’enseignants-formateurs de terrain coopérant avec les IUFM (à l’inverse de bureaucrates carriéristes attachés à l’appareil) les ont désertés après seulement quelques années de pratique vu les couleuvres qu’ils devaient avaler.

Il en va de même pour la composante « parent d’élèves » dans les collectifs. Ils ne sont pas rares ceux qui s’orientent vers une conception professionnalisante de l’activité de « parents ». S’il faut souligner l’apport positif de la « mixité » des protagonistes de la lutte, faut-il encore en faire quelque chose tout de suite sinon les mêmes parents qui participent à la lutte aujourd’hui seront éconduits demain par les enseignants qui leur fermeront leurs portes parce que chacun doit rester maître chez soi et que, par ailleurs, la majorité des parents vont adopter à nouveau une position d’usager et de consommateur du service public avec les traditionnelles attaques contre les profs et les fonctionnaires.

4 – L’absence de toute critique du devenu de l’université et du rôle prépondérant de la recherche dans les nouvelles formes de domination

Du côté enseignant nous avons une réaction de « corps » qui n’a que peu abordé la question des finalités de la recherche. C’est assez logique puisque le mouvement s’est présenté comme celui du respect des statuts et de l’institution qui inclut reconnaissance de la hiérarchisation et règles communément acceptées. A partir de là tout le discours scientiste et pro-technologie peut s’engouffrer dans la mesure où il déclare bien clairement qu’il veut se maintenir sous la tutelle de l’État. Ce n’est donc pas l’État et la dépendance réelle de l’université vis-à-vis de sa politique et de ses projets qui seront critiqués mais une « contre-réforme » néo-libérale qui s’attaquerait au service public pour marchandiser la recherche. Or, la notion de contre-réforme est complètement inappropriée pour caractériser les mesures Pécresse et la loi LRU puisqu’il s’agit d’une opération de rationalisation et d’optimisation de la gestion de l’enseignement supérieur et de la recherche. Une contre-réforme présupposerait une action de réforme, or la réforme n’est plus possible puisqu’il n’y a plus de statu quo, de stabilité. L’État est aujourd’hui mouvement et réseau ; il n’a d’autre but que de dissoudre tout ce qui gêne sa fuite en avant, même si les contradictions à l’œuvre donnent plutôt l’impression d’une course en rond : le tourniquet de la société capitalisée.

Le service public, en France du moins, n’est donc pas plus condamné en soi dans le secteur tertiaire que le capital fixe ne l’est dans le secteur secondaire. Simplement, en tant qu’ils constituent des immobilisations de capital, des stocks de fonctionnaires et de locaux, les services publics ralentissent les flux d’une société capitalisée qui tend à s’organiser principalement sous la forme réseau. Il y a finalement peu d’idéologie là-dedans, au moins au départ. L’idéologie vient après comme surajoutée par des lobbies électoraux qu’on ose même plus appeler des partis politiques. Sans des médias qui relaient leurs discours sans arrêt on en entendrait même pas parler.

5 – Sur la lutte en cours, quelques réflexions nées de l’action

Tout d’abord il faut voir que la lutte est complètement partie de la base au niveau des écoles primaires dans un lien enseignants-parents qui est une constante des luttes dans ce secteur depuis les grèves de 2000. Les syndicats y ont eu un rôle très secondaire car les moyens d’action mis en oeuvre ne leur permettent pas d’être comme des poissons dans l’eau. En effet, les collectifs de lutte développent de nouvelles formes d’action (refus d’effectuer l’aide personnalisée, refus de l’évaluation-fichage de la part des professeurs des écoles) qui se démarquent des contraintes légalistes de l’action syndicale. En refusant de s’en tenir à des actions strictement légales, ils mettaient en porte à faux des organisations qui ne pensent qu’en termes de devoirs et de droits des fonctionnaires et non pas en terme de devoir d’insoumission. Or, même s’il n’y a pas vraiment de mémoire des luttes, il semblerait que les luttes récentes autour des élèves et parents sans-papiers, aient réactivé cette dimension. Les lettres de désobéissance sont donc à prendre comme une prolongation de ces actions de résistance active.

Ces pratiques tranchent avec le consensus citoyenniste de ces vingt dernières années et mettent en pratique une critique qui était jusqu’à là restée très idéologique dans la mesure où elle se cantonnait d’un côté à une dénonciation un peu aristocratique de la « soumission volontaire » de presque tous à l’État ou de l’autre à la traditionnelle critique gauchiste du « Police partout/Justice nulle part ».

Un autre élément a joué un grand rôle, c’est le fait de se trouver devant un gouvernement qui ne fait ni concertation préalables ni d’offre de négociation, même s’il doit reculer en fonction du rapport de force. Cela met les syndicats en porte à faux puisque leur légitimité ‒ si légitimité il leur reste ‒ n’est plus qu’une légitimité de négociation au sommet. C’est une chose que la CFDT a comprise depuis longtemps et qui lui donne un rôle disproportionné par rapport à son implantation réelle, dans la préparation des divers projets étatiques. La CGT de Thibault tend d’ailleurs progressivement à prendre le même chemin et à faire son aggiornamento devant la baisse tendancielle du taux de confiance en sa fonction de contestation de l’ordre établi.

Cette position décalée par rapport à la lutte à la base à permis qu’apparaissent à nouveau des coordinations de collectifs en lutte qui ont pu tracer, au moins dans un premier temps, leur propre démarche et perspective d’action. Certes, les contenus n’ont pas été suffisamment questionnés comme nous le faisions remarquer précédemment mais il n’y a pas eu non plus d’illusion sur les formes démocratiques des assemblées générales et autres réunions de collectifs. L’organisation est clairement pour l’action et uniquement pour l’action aux risques de l’immédiatisme et d’un certain activisme. La situation s’est aussi clarifiée en ce que les traditionnelles oppositions syndicales au sein des grands syndicats (particulièrement la tendance « Ecole émancipée ») n’ont pu jouer leur rôle habituel de tampons gauchistes entre la base et le sommet, rôle qui devient difficile à jouer quand l’État ne négocie pas. Cela laisse alors de la marge aux coordinations mais les oppositionnels, ne pouvant plus exprimer leur petite différence avec la ligne majoritaire, se sont alors empressés de rejoindre les positions de leurs directions, les renforçant par-là même puisqu’ils représentent d’ordinaire leur aile la plus militante. Il n’y a là aucune « trahison », mais une logique syndicale fut-elle d’opposition. « On ne peut quand même pas laisser les gens partir à l’abattoir », disent-ils pour justifier leur volonté de ne pas rejoindre les actions de la coordination « École en danger ! ».

Quant aux étudiants, ils peinent à trouver un chemin dans la lutte actuelle. La mémoire des luttes récentes existe encore et elle ne pousse pas forcément à réaliser l’unité. Ainsi, une des raisons de la « froideur » relative des étudiants vis-à-vis du mouvement actuel des enseignants-chercheurs ne repose-t-elle pas sur les positions de ces derniers en grande majorité favorables ou alors indifférents à la loi LRU pendant que leurs étudiants manifestaient avec vigueur leur opposition à la réforme ? Hésitants ou prudents, ils ont tout d’abord semblé accompagner le mouvement plus qu’ils n’y participaient, mais une certaine radicalisation est en train de se produire qui fait qu’aujourd’hui (au 14 mars) on compte 45 universités en grève dont plusieurs avec blocage.

Nous venons de parler de la méfiance des étudiants par rapport aux actions des enseignants-chercheurs, mais il s’agit aussi d’autre chose. Depuis la première révolte contre la loi LRU (2006) les étudiants semblent avoir perdu ce qui avait fait leur force, à savoir la capacité à trouver un bon moyen « technique » d’engendrer un rapport de force favorable (les blocages) et à entretenir un rapport entre minorité agissante et masse des étudiants permettant de transformer le refus de départ en un mouvement de contestation prolongé. Pour le moment, nous assistons à un éclatement des différentes composantes de ce qui aurait pu produire un nouveau mouvement étudiant :

d’un côté des individus qui se concentrent sur des pratiques alternatives d’occupation mais dans une relation assez distendue avec les objectifs immédiats de la lutte ;

de l’autre, des « politiques » qui bureaucratisent les AG et orientent la dynamique vers les journées-nationales-d’action … enlisement ;

enfin des étudiants bloqueurs qui semblent mimer de façon volontariste les pratiques antérieures (vote de blocages obtenus avec de faibles majorités dans beaucoup d’universités ; festivisation de la vie collective comme « culture de la lutte »).

Les journées nationales de manifestations décidées par les syndicats sont autant de risques d’asphyxie pour un mouvement à la recherche de son second souffle. De la maternelle à l’université approfondir les actions particulières et unifier les actions collectives à portée universelle semble bien maintenant une épreuve de réalité pour le présent mouvement.

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