CROIRE OU NE PAS CROIRE, VOILA LA QUESTION

Pour notre part, la méfiance que nous portons à ces professionnels du mensonge, même si leurs récents propos semblent aller dans le sens de ce que nous avons écrit voici quelques mois ici même, nous pousse à décrypter le « pourquoi » de cette dramatisation soudaine du discours politicien. Les lecteurs de « Anarchosyndicalisme ! » , qui se souviennent de nos précédentes analyses sur la période savent que nous pensons qu’effectivement les temps ont changé [1].

Au cœur d’un système qui avait décrété au début années 90, par la voix des « intellectuels » à sa solde, « la fin de l’histoire », les révoltes se succèdent depuis 2001 dans le monde. Elles ne cessent de nous démontrer les fragilités étonnantes du système. Nonobstant, il importe de préciser que, de l’Argentine de 2001 à la Grèce 7 ans plus tard, ces révoltes n’ont abouti, au mieux, qu’à des reculs tactiques du pouvoir, jamais à une défaite de ce dernier.

Autre signe du changement, dans les entreprises comme dans les quartiers, nous constatons qu’il est de plus en plus facile de favoriser l’émergence de discussions collectives dans lesquelles se manifeste un état d’esprit bien différent. Le contexte socio-économique a fait que, ce qui était en 2007 à peine perceptible (et que nous avions alors décrit comme une perte d’adhésion au système), est bien plus présent maintenant : une perte de confiance massive dans les soi-disant bienfaits du capitalisme et de l’Etat, dont le premier apparaît clairement comme une association de malfaiteurs et le deuxième comme une clique de menteurs à leur service. Cette perte de confiance qui e se généralise à grande vitesse est une caractéristique forte de la crise actuelle.

CRISE DU CRÉDIT & CRISE DU CRÉDO

Par un phénomène d’interaction entre les faits et leur ressenti, la crise du crédit est devenue une crise du credo capitaliste et étatique. Le maintien ou la destruction de ce credo est en fait le véritable enjeu du combat qui va se livrer dans les prochains mois. Le pouvoir l’a compris, d’où sa nouvelle stratégie.

Car, le pouvoir le sait aussi bien que nous : les éléments matériels objectifs d’une situation sociale et économique, même les pires, ne suffisent pas à déclencher un mouvement radical, loin de là. Il y a longtemps sinon que les populations des « pays pauvres » se seraient émancipées du joug qu’elles subissent.

A l’exception des psychopathes et des imbéciles (exception d’autant plus notable qu’elle est tout de même fréquente), les hommes de pouvoir se rallient à ce qu’exprimait déjà Cicéron, à savoir que « L’épée doit céder devant la toge ». S’ils ont toujours recours à l’épée pour s’imposer, ils se maintiennent par le discours idéologique ; bien qu’ils aient souvent la suprême habileté de se prétendre hors de toute idéologie en prétextant que les contingences matérielles sont le socle de leurs décisions. C’est pourquoi l’élément fondamental de toute perspective révolutionnaire – au-delà de la simple révolte – est l’idéologie. Aujourd’hui plus que jamais, les anarchosyndicalistes doivent donner la priorité à ce combat idéologique.

Par son retournement brutal de discours, basculant tout aussi unanimement que brutalement de la tranquillisation au catastrophisme, le pouvoir nous montre tout simplement qu’il a élaboré une nouvelle stratégie pour sauvegarder ce qui est pour lui essentiel : son crédit moral auprès des populations. S’il cherche à propager la peur, ce n’est que pour mieux le restaurer.

GESTION DE LA CATASTROPHE

Nous entrons donc ici sur un terrain qui, pour récent qu’il soit, ne nous est pas inconnu. Par un mécanisme de retournement, l’État tente d’apparaître comme le garant de notre sécurité économique, sociale et personnelle alors qu’il en est le grand fossoyeur.

Nous avions déjà touché quelques mots de ce procédé à propos de la catastrophe technologique qui a dévasté Toulouse en septembre 2001(explosion de l’usine AZF – Total) ainsi que de celle survenue en 2005 en Louisiane : « … la débilité des discours de la gauche et de l’extrême gauche », écrivions-nous, consiste « à réclamer plus de moyens pour l’État afin qu’il assume la protection des habitants. Non seulement ces moyens sont corrélés à la croissance du capitalisme, et donc justifient son développement (et avec ce développement, augmente le risque technologieque industriel) mais de plus ils sont confiés à des bureaucraties qui invariablement les utilisent pour accroître leur pouvoir de répression dont les victimes de catastrophes sont souvent les premières à souffrir. Dès lors, le Risque planant lourdement au-dessus de nos têtes ; nos maîtres apprentis sorciers, incapables de prévoir où et quand le ciel tombera, en sont réduits à une prévention à l’aveuglette. Cette absence de politique d’anticipation s’accompagne par contre d’une stratégie de communication musclée et d’un retour massif des forces de répression sur le terrain dès que le premier danger est passé. La proclamation urbi et orbi de la présence multiforme des risques cherche à enfoncer les populations dans l’angoisse et la résignation, tout comme la sur-présence policière cherche à briser les velléités de rébellion. Notre avenir ne nous appartiendrait pas plus que notre présent, notre futur se conjuguerait inéluctablement avec une apocalypse à épisodes, voilà ce dont nos excellents maîtres voudraient nous convaincre. Il est encore temps de lever les hypothèses que ces apprentis sorciers font peser sur notre avenir, de choisir une autre voie, d’oser un autre futur. » [2]

René Riesel et Jaime Semprun dans un récent ouvrage [3] ont fort à propos approfondi ce thème et démontrent comment à partir du désastre écologique, le pouvoir, qui a fomenté ce désastre, est finalement parvenu, grâce aux réformistes, à renforcer ses mécanismes de domination et à créer de nouvelles sources de profits. Citons-les :

« Un accord à peu près universel s’est donc instauré en quelques années, parmi les défenseurs de « notre civilisation » sur la nécessité d’une gouvernance renforcée face à la crise écologique totale, et il faut en conclure qu’est en train de se refermer la parenthèse « néolibérale » pendant laquelle le capitalisme avait restauré la rentabilité de ses investissements industriels en diminuant drastiquement non seulement ses coûts salariaux mais aussi ses faux frais étatiques. On a parfois voulu dater précisément ce retournement de tendance et le faire remonter à l’année 2005, (…) Mais en réalité la collaboration ouverte entre associations écologiques, ONG, entreprises et administrations remonte dans certains secteurs aux années quatre vingt dix. »

LA « MORALE » AU SECOURS DES CRIMINELS

La prétention de « sauver la planète » est la clef de voûte du discours du récent virage écologique, il en résulte l’extension des pouvoirs réglementaires de l’Etat et la naissance du « capitalisme vert », c’est-à-dire que se sont les coupables des crimes contre la nature qui sont maintenant appelés à soi-disant la défendre en continuant de réprimer les populations et de les exploiter… Le résultat réel est que, chaque année, le bilan écologique mondial est plus mortifère que le précédent. Dans la crise économique actuelle, le discours central consiste à « moraliser » le capitalisme, c’est-à-dire à remettre en selle un état protecteur et un capitalisme « propre ». Le premier « nettoyage » consiste à blanchir les responsables des crimes et délits commis contre les hommes et la nature.

Demander à gagner 300 euros de plus par mois, promouvoir la figure mythique de l’entrepreneur schumpetérien ou bien nationaliser les banques,… tous ces propos tenus par les réformistes et les gauchistes, se déploient dans le cadre d’un Etat qui se redonne ainsi, à bon compte, une image patriarcale nécessaire à la conservation de ses prérogatives. Et qui, surtout et tout d’abord, garantit la pérennité du système capitaliste. C’est ni plus ni moins que favoriser le retour en force du « credo » en ce couple infernal et criminel, responsables de la situation actuelle, le capitalisme et l’Etat . C’est le but de la stratégie du pouvoir qui dés à présent se met en œuvre dans les hautes sphères avec la complicité des réformistes.

Le procédé est tout de même un peu grossier : dans un premier acte, on nous agite sous les yeux une série de gesticulations aux « sommets » (G 8, G 20 et autres Grenelles de l’environnement). Il s’agit simplement de faire un peu de mousse. Comme les possédants savent que cela ne suffira pas, ils lancent le deuxième acte : face à la montée de la contestation dans le monde entier, ils feront monter en ligne des « syndicats » ici, des mouvements religieux ou nationalistes ailleurs. L’objectif est simple donner aux gens quelques illusions, puis les décevoir en espérant que cela leur ôtera toute confiance en eux-mêmes. Les syndicats grecs ont joué ce rôle à la perfection. Ceux de France le joueront tout aussi bien : une première journée de démoralisation est déjà prévue par les centrale syndicales pour ce 29 janvier 2009. Complément indispensable au petit ballet syndical : les médias. Ils persisteront dans leur stratégie inébranlable : promouvoir l’insignifiant afin de faire diversion et occulter les véritables enjeux [4]. Le tout, pour le pouvoir, est de convaincre qu’il est la seule protection possible et que les gens, par eux-mêmes, ne peuvent rien. Exactement le contraire de ce que nous pensons. S’il parvient à convaincre, alors la voie lui sera ouverte pour un « changement dans la continuité », c’est-à-dire, pour poursuivre la même politique destructrice, au profit des mêmes [5]., avec une coloration politique en apparence différente.

Voilà, dans les grandes lignes, le plan de bataille du pouvoir pour les mois à venir. Voilà ce à quoi il faut s’opposer. Voilà quel défi formidable se pose aux révolutionnaires dans un combat inégal mais dont, pourtant, on ne connaît pas l’issue, tant les failles de ce plan de bataille sont nombreuses et le contexte instable.

DELENDA CAPITALISMO

Car nous pouvons l’affirmer, dans une période comme celle que nous allons vivre le rôle de chacun sera prépondérant. Nous entrons dans un temps où le pouvoir va montrer des signes de faiblesse, des signes de recul et des contradictions qui seront, pour partie, la conséquence du virage idéologique qu’il espère négocier. Au fur et à mesure que le mécontentement va grandir, un fossé va se creuser entre la force de la colère populaire et les atermoiements du pouvoir. Ce sera pour les révolutionnaires un espace d’action, infiniment riche de discussions, de diffusion d’idées et de possibilités. En France dés la rentrée de janvier, dans les écoles, dans les entreprises, dans les lycées, un peu partout, des assemblées, des rencontres, vont se succéder. Les esprits sont de plus en plus ouverts, aussi est-ce un moment où ce que l’on a à dire, ce que l’on a à proposer, importe plus que le nombre.

Le capitalisme ne se moralise pas. C’est contraire à sa nature. Le capitalisme est un système d’exploitation qui repose, comme l’Etat son bras armé, sur un mythe. Ce mythe est à détruire : il faut le met-tre en accusation, énoncer sans relâche ses crimes et forfaits, éventer sa nature profonde.

Au milieu de la foule de détails qui vont surgir des revendications (voire des contradictions inhérentes à tout mouvement populaire), nous devrons encore et toujours nous recentrer sur le contexte pour contrebattre la stratégie du pouvoir : d’une part, accuser et dénoncer les responsables politiques et économiques de la situation, s’appuyer sur les faits qui, au quotidien, nous montrent à l’évidence que le pouvoir a perdu toute mesure. En un mot, l’empêcher de donner le change en changeant simplement de masque. D’autre part, il faut replacer chaque lutte dans le contexte de combat idéologique global qui concerne toute la planète. Avec de telles perspectives, on sort de la glu du quotidien, on voit que l’on est pas isolé et on insuffle ainsi non pas la peur mais le courage nécessaire à la mise en œuvre des capacités collectives.

Des militants CNT-AIT

Notes

[1] « Quelque chose est en train de changer » était justement notre titre de couverture au printemps 2006, n°95

[2] N°92, automne 2005. Lire également « La gestion de la crise comme normalité sociale »

[3] « Catastrophisme , administration du désastre et soumission durable », Réné Riesel et Jaime Semprun, Editions de l’Encyclopédie des Nuisances , 2008

[4] Pour un approfondissement de cette notion : Cornelius Castoriadis, « La montée de l’insignifiance, Les carrefours du labyrinthe 4 », Essais, Points.

[5] Les récents propos de Warren Buffet (deuxième fortune du monde après Bill Gates) dans le magazine américain Forbes nous éclairent sur cet enjeu autour du catastrophisme et des habits neufs du capitalisme : « Tout va très bien pour les riches dans ce pays, nous n’avons jamais été aussi prospères. C’est une guerre de classe et c’est ma classe qui est en train de gagner »