L ‘échec du mouvement étudiant contre la « loi de réforme des
Universités » (LRU) n’est pas une défaite extérieure. L’expliquer
par la seule action des étudiants anti-bloqueurs soutenus par les
organisations de droite, ou par la seule « capacité de conviction » du
gouvernement dans le rapport de force qui l’oppose à sa prétendue contestation,
revient à s’interdire de le comprendre véritablement.

Les raisons de l’échec sont à chercher du coté des formes d’organisation de cette lutte elle-même et d’un choix tactique monomaniaque ainsi que dans l’idéologie à laquelle elle est intégrée et qu’elle reproduit plus ou moins consciemment.

Les Assemblées Générales,ont été par excellence le lieu d’une telle reproduction. Ce n’est
rien de moins que leur bureaucratisation de fond en comble, par l’action combinée des syndicats
et organisations majoritaires, qui a conduit à la sclérose du mouvement. De ce fait, elles n’ont été
qu’une pépinière de commissions,comités et pinailleries.

Exclusivement centrées sur la question du blocage, elles se sont dès l’origine, par principe, fer-
mées à toute émergence possible d’une vision de la logique capita-liste dont toutes les lois ne sont
que le produit. Elles se sont fermées à toute forme de projetvéritable de société. Même aux
moments les plus forts du mouvement, ou la question du blocage était acquise, au moment ou les
anti-bloqueurs avaient déserté les lieux, alors que les discussions pouvaient prendre de la hauteur, les A.G. restaient aveuglément et quasi mécaniquement tendues vers l’objectif de faire voter le blocage.

Leur fonctionnement effectif peut se résumer à ceci : avaliser la plupart des propositions d’un comité de lutte noyau-
té par les syndicats étudiants réformistes. Ce comité de lutte devenait, de fait, un comité décisionnel, en contradiction avec la
souveraineté de l’AG.

Ainsi les AG des étudiants tel-
les qu’elles se sont déroulées lors
de ce mouvement, loin d’être un
lieu de discussions, de proposi-
tions d’organisation émanant de
chacun des individus en lutte, loin
d’être le lieu d’une critique sociale effective, n’ont été qu’un lieu de discours.

En fait de critique et de projet de société, la seule juxtaposition de revendications partielles, dont celle du réengage-
ment financier de l’Etat qui ne signifie pas autre chose que larevendication, portée par les étudiants, de leur propre reconnais-
sance par la logique qui les écrase. Le mouvement étudiant n’afait ainsi que préparer purement
et simplement les conditions de sa propre soumission, de son propre échec. Il faut ici souligner que
le seul point des discours qui rencontrait l’adhésion des grévistes comme de leurs opposants était
celui de la croyance en la valeur des diplômes et du travail qu’ilsimpliquent. L’illusion la mieux par-
tagée du milieu étudiant, quelles que soient les directions politiques, ne signifie à son tour pas
autre chose que la volonté d’intégration à cette froide mécanique
sans sujet qu’est la logique capitaliste elle-même. Comme l’ensemble des grèves syndicalistes,
celles des étudiants, de politique qu’elle était encore en 68, s’est transformée en grève revendicative dans un premier temps pour en être réduite aujourd’hui au rang de grève défensive.

Pourtant, c’était du mouvement contre le CPE que le mouvement étudiant actuel prétendait avoir tiré les leçons. Or, c’était
bien contre la société capitaliste dans son ensemble, et contre les moyens que son idéologie met en œuvre pour toujours tuer dans l’oeuf toute forme auto-organisée et autodéterminée, qu’une partie des acteurs du mouvement contre le CPE s’était élevée.

Malgré cela, là où les différents groupes se
réclamant de la tendance « Ni
CPE, ni CDI » avaient commencé à
se coordonner en vue d’une cri-
tique radicale et globale du travail
forcé lui-même, en vue du refus
d’un avenir qui serait toujours
celui de l’exploitation en bonne et
due forme au-delà du seul CPE, le
mouvement actuel s’est enferré
dans le refus d’une seule loi qu’il
s’est révélé finalement incapable
de repousser, étant d’ores et déjà
au pied du mur.

Force est donc de constater que le bénéfice des leçons, des avancées en matière d’organisation et de modes d’action, n’a pas
profité pour cette fois. La seule « leçon » retenue a été d’ordre tactique. Mais retenue ne veut pas dire comprise ; tout au contraire.

La tactique des blocages, expérimentée lors du CPE, avait certes largement contribué au succès dumouvement. Mais ce succès a été le produit non des blocages en eux-mêmes mais de la critique générale du système dans laquelle ils s’inscrivaient. Ne retenant de cet ensemble que l’outil, convaincus qu’ « à moins de cent » on pouvait bloquer, par tous les temps, une fac de 30 000 étudiants, une partie du mouvement s’est obstinée à jouer la carte du blocagepour le blocage. Peut-être espé-
raient-on comme cela « radicaliser » les étudiants en lutte.

En fait,ce sont les non-grévistes qui se sont radicalisés, organisés(d’ailleurs efficacement) et opposés au blocage jusqu’à le faire
sauter. Ce que les organisations d’extrême-droite n’avaient pu réaliser, une tactique faussement révolutionnaire (puisque décon-
nectée de son fond idéologique) est parvenue à le faire.

Dans une situation sociale générale explosive, certains étudiantEs ont tout de même cherché à sortir de la fac, à unir leur mouvement à celui des travailleurs en lutte.

Les tentatives faites dans ce sens n’ont jamais rencontré le soutien qu’elles méritaient, et la volonté « d’élargir le mouvement »
est restée lettre morte. L’étape actuelle du mouvement étudiant
se clôt donc par un triple échec :
*idéologique,
* organisationnel et
* tactique

Cet échec est aussi le nôtre.

Bien qu’ayant analysé assez rapidement la situation et compris l’impasse tactique dans lequel le mouvement s’enfermait, nous n’a-vons pas été en capacité d’en modifier le cours. Il nous semble cependant que les trois lignes de force qui se dégagent en creux de notre critique (inscription de la lutte dans une analyse du système, organisation d’assemblées populaires, souplesse tactique) sont de nature, si nous parvenons à les porter comme il convient, à modifier la suite des événements.

Car il y aura bien d’autres événements…

Julien

(NB : Cet article fait référence à la
situation toulousaine