Après le « Bovéthon » : en défense du principe d¹organisation

Pierre Rousset

6 février 2007

Avec le « Bovéthon », la gauche anti-libérale vient tristement d¹expérimenter une « nouvelle façon » de faire la politique ‹ nouvelle pour nous, car elle a déjà été mise en ¦uvre en d¹autres lieux. Bien rares sont les organisations qui s¹en réjouissent. Pourtant, les réactions au « coup de force électronique » restent remarquablement mesurées, alors que les principes de base de toute action militante ont été violés. Voilà qui soulève bien des questions et peut s¹avérer lourd de conséquences.

Ce texte n¹est pas écrit en défense des partis, ou du moins pas seulement des partis. Car ce qui est ici en cause, c¹est le principe même d¹organisation, quel qu¹en soit le domaine ou la forme : syndicats, mouvements, collectifsŠ Un principe dont dépend la qualité de l¹engagement politique, les conditions de la démocratie militante et de l¹efficacité durable ‹ si, du moins, on se place du point de vue de la transformation sociale. Je vais donc engager le fer sur cette question, sans diplomatie aucune, en choisissant d¹être incisif pour essayer d¹aller à l¹essentiel. Les nuances viennent après.

Il n¹est évidemment pas possible de traiter du « Bovéthon » sans évoquer le processus des candidatures unitaires tel qu¹il a été conduit. J¹en parlerai donc, mais sans prétendre l¹analyser de façon exhaustive. Je n¹en ai pas la compétence.

Une démarche plébiscitaire

La question qui me paraît importante ici n¹est pas l¹intérêt en elle-même de la candidature Bové. En fait, je pense que ‹Buffet et Besancenot mis à part‹ c¹était bien la plus intéressante. José Bové incarne en effet un pan du mouvement altermondialiste, des combat sociaux importants (agro-industrie) et un engagement de terrain qui le mène en prison. Des principaux candidats à la candidature, c¹était le seul qui ne soit pas un « institutionnel » : Mairie de Paris (Autain), Conseil d¹Etat (Salesse), député à vie (Braouezec), président de groupe parlementaire (la fausse-vraie candidature de Wurtz).

Si Bové s¹était inscrit dans une démarche collective (au sein des collectifs mais aussi en discutant avec les organisations politiques directement concernées), les conditions de son éventuelle candidature auraient dû être sérieusement discutée (je ne pense pas pour autant que cela aurait permis de régler les divergences d¹orientation avec le PCF sur la question du PS, d¹un bloc parlementaire et d¹une éventuelle participation gouvernementale). Mais José Bové a fait l¹inverse. Il s¹est présenté par une démarche individuelle, à côté des collectifs plus qu¹en leur sein (même s¹il avait des soutiens en leur sein) et sans discussions préalables avec les mouvements politiques. Le ver était dans le fruit, comme la suite des événements l¹a confirmé.

Premier temps : José Bové était « candidat à la candidature » de la gauche anti-libérale à la mi-2006. Le PC a fait savoir qu¹il n¹est pas une option acceptable et nombre de ses proches dans le collectif national ont renoncé à le soutenir. Il s¹est retiré lui-même de la compétition en novembre, alors que les collectifs locaux avaient commencé à voter et que les résultats lui étaient défavorables. En décembre, le processus de désignation d¹un(e) candidat(e) unitaire s¹est conclu sur un échec.

Deuxième temps : José Bové s¹est porté à nouveau candidat en janvier. Une pétition en sa faveur, mise en ligne sur Internet, a récolté 25.000 signatures à la veille d¹une réunion nationale d¹une partie des collectifs pour des candidatures unitaires, les 20 et 21 janvier 2007 à Montreuil (93). Le succès de la pétition et la présence dans la salle d¹un fort « groupe de pression » en faveur de Bové (qui, pour l¹occasion, avait renoncé à se rendre au FSM de Nairobi) ont fortement pesé sur le cours de la réunion. Le samedi matin, la majorité des composantes du collectif national est très réticente à l¹égard d¹une candidature qui risquait de seulement s¹ajouter aux autres ; elles ne l¹envisagaient que dans une démarche « unitaire », c¹est-à-dire conditionnelle : qui dépend du retrait de Buffet et Besancenot. Le dimanche midi, elles se sont ralliées ou ont laissé faire au prix de concession essentiellement de forme. [1]

D¹individuelle, la démarche de Bové est devenue plébiscitaire. Or, ce ne sont pas les « appareils » du PCF et de la LCR qui ont été violentés, mais bien les collectifs eux-mêmes. La seconde candidature Bové n¹est pas le produit de nouveaux débats dans les collectifs. Elle s¹est avant tout imposé de l¹extérieur du processus. Et par le pire des moyens : la pétition électronique. Il faut prendre la mesure du procédé.

C¹est une chose d¹utiliser les pétitions en ligne d¹Internet pour mener une campagne de solidarité avec un syndicaliste philippin ou iranien menacé ; c¹en est une autre quand il s¹agit d¹imposer une orientation politique à des mouvements. Dans le premier cas, il s¹agit d¹un acte de solidarité simple qu¹Internet ne fait que faciliter : avant on envoyait la lettre de soutien par fax et on signait la pétition sur le marché, maintenant on passe (aussi) par la Toile. Sur le fond, rien ne change. En revanche, tout change quand il s¹agit de peser sur les choix d¹orientation d¹un mouvement.

Le « Bovéthon » contre la démocratie militante

La définition d¹une orientation relève de la démocratie militante ‹si du moins on prétend construire des mouvements démocratiques. Toute organisation n¹est pas démocratique, mais toute démocratie militante implique une forme d¹organisation. On retrouve ici ce « principe d¹organisation » qui me semble si essentiel.

Quelle que soit l¹organisation, la démocratie militante repose sur des principes essentiels. Ce sont les militants (membres) qui décident sur la base d¹un engagement durable et dans des cadres qui permettent la discussion, la confrontation des analyses et des options. Or, aux dernières nouvelles, le « Bovéthon » avait atteint les 36.500 signataires. S¹il y avait autant de militants concrètement engagés dans le processus des candidatures unitaires (en plus de toutes celles et de tous ceux qui n¹ont pas signés !), cela se saurait ‹ et ce serait bien un événement ! Nombre de signataires sont membres actifs des collectifs, mais ce n¹est pas le cas de la majorité. Nous avons tous reçu, sur nos mails, des appels envoyés tous azimuts à signer la pétition. Est-ce que cliquer est un jeu ou un engagement ?

Quand une organisation, dans un processus unitaire, bourre indûment les salles, cela se voit et cela peut être dénoncé. Mais comment mesurer le bourrage des listes électroniques ? Le paradoxe du « Bovéthon », c¹est que plus son succès numérique est grand, et plus il est évident qu¹il échappe aux démarches militantes.

Le « Bovéthon » a transgressé toutes les règles de base de la démocratie militante. Signe la pétition qui veut, sans avoir besoin d¹être membre de quoi que ce soit ni de s¹engager en rien, sans avoir ni la possibilité ni le devoir de passer par l¹épreuve du débat. Les « cliquants » n¹ont même pas besoin de se rendre dans un local et de payer les 20 euros qui leur donnent aujourd¹hui le droit de voter dans le Parti socialiste new look.

Pour nous, cliquer n¹est pas voter. Dégager un consensus sans vote réclame aussi (et peut être plus) un cadre de fonctionnement collectif. Cliquer n¹est pas collectiviser. Même à l¹ère des « réseaux », le rassemblement de signatures sur une liste électronique n¹est pas une forme « moderne » d¹organisation à opposer aux formes « anciennes » (les partis ?). C¹est la négation du principe d¹organisation.

Plébiscite et unité

Bien entendu, José Bové prétend s¹inscrire dans une démarche « collective » ‹il vient de le réaffirmer dans sa déclaration de candidature du 1er février. [2] En mai 2006 déjà, dans la réponse qu¹il avait publié dans Le Monde aux propositions d¹Olivier Besancenot, il exigeait « une démarche collective de campagne, bousculant les règles de l¹aventure individuelle et donnant la priorité au collectif plutôt qu¹à la starisation. » [3] Cela avait fait sourire à l¹époque. Venant de la star aux 36.500 signatures, cela fait rire. Il peut vraiment y avoir loin des écrits aux pratiques.

Le « Bovéthon » exprime-t-il, néanmoins, une « aspiration » unitaire ? Certes, mais toute démarche plébiscitaire s¹appuie sur des « aspirations » ; c¹est ce qui fait (ou peut faire) leur succès. Prétendre incarner une aspiration (en l¹occurrence légitime) en contournant les formes organisées d¹engagement, c¹est une tromperie. L¹utiliser pour forcer la main à la démocratie militante, c¹est une manipulation. Ce n¹est pas ainsi que l¹on ouvre de nouvelles voies politiques.

D¹individuelle, la démarche de José Bové est donc devenue plébiscitaire (ce qui est bien plus grave). Sa « Lettre aux 15.000 (premiers) signataires » de la pétition en sa faveur en témoigne tant elle est scandée par le « Je » : Je remercie, Je suis disponible, J¹appelleŠ : [4]

« La pétition (Š) est déjà un immense succès. Je tiens à remercier tous les signataires de la confiance qu¹ils me font et, surtout, du geste citoyen qu¹ils accomplissent pour forcer les appareils politiques à faire le choix d¹une candidature unitaire à l¹élection présidentielle J¹ai toujours dit que j¹étais disponible (Š). La dynamique populaire est en marche, la démarche unitaire reste un combat. Je n¹ai pas l¹intention de fuir mes responsabilités. C¹est pourquoi je voudrais lancer aujourd¹hui un appel à l¹espérance.

J¹appelle tous les citoyens (Š). J¹appelle tous les jeunes et habitants des quartiers populaires, toutes les victimes de discriminations (Š) J¹appelle tous les citoyens écologistes (Š) J¹appelle tous les militants des collectifs unitaires de la gauche antilibérale (Š) J¹appelle tous les élus antilibéraux (Š) J¹appelle Olivier Besancenot et Marie-George Buffet (Š) J¹appelle tous les collectifs unitaires (Š).

Chers amis, chers camarades,

Au vu de la poursuite de la mobilisation populaire et unitaire autour d¹une candidature de l¹alternative à gauche, je dirai, à la fin du mois de janvier, si je reste disponible pour l¹incarner sur le bulletin de vote. Un formidable mouvement est en passe de ruiner les logiques de division qui ont prévalu jusqu¹alors. Amplifions-le encore et nous gagnerons !

Fraternellement,

José

Voilà quand même une littérature assez inhabituelle dans nos milieux.

Le sens du mot « unitaire » à bien changé au fil des mois. En Septembre 2006, José Bové affirmait avec force (en gras dans le texte) « nous avons un devoir impérieux d¹unité. J¹aurais tendance même à dire : « L¹unité, sinon rien ! ». Voilà pourquoi, pour ma part, je souhaite dire les choses clairement : je n¹ai pas l¹intention d¹être candidat face à Olivier, si j¹étais choisi par les collectifs mais si la LCR refusait, en définitive, d¹apporter sa pleine contribution à notre campagne. Je n¹ai pas l¹intention non plus d¹être candidat face à Marie-George, si j¹étais choisi par les collectifs mais si le PCF, en définitive, décidait quand même de passer outre la volonté unitaire. ». [5] Le 23 novembre 2006 encore, il renvoyait précisément cette question pour expliquer sa décision de « retirer » sa « proposition d¹incarner » le « rassemblement ». [6]
Dans sa Lettre du 15 janvier 2007 et lors du week-end des comités du 20 et 21 janvier, il invoque la « démarche unitaire », mais sans plus lui donner le sens qu¹elle avait six semaines plus tôt (certaines composantes du collectif national cherchent à maintenir le cadrage politique antérieur ‹ ou sa fiction). Bové reprend, le premier février, lors de la conférence de presse lançant sa candidature, un ton plébiscitaire : pour répondre à l¹appel de « dizaines de milliers » de personnes, dit-il, « J¹ai décidé d¹accepter que mon nom incarne, sur le bulletin de vote, la volonté commune de battre la droite et l¹extrême droite et de redonner l¹espoir d¹une alternative à gauche ».

Les motivations de celles et ceux qui soutiennent aujourd¹hui José Bové sont variées. Certains veulent maintenir la dynamique des collectifs (ou son apparence). D¹autres se contentent de faire payer sa candidature à Buffet. D¹autres encore, tenant du « Tous sauf Besancenot », espèrent que l¹entrée en lice de Bové privera Olivier des dernières signatures de maires dont il a besoin. Des organisations suivent le train pour ne pas être larguées. Rares sont celles qui ont soutenu activement sa démarche, comme les Alter Ekolo et les Alternatifs. Rien de clair donc, car rien n¹a été réellement explicité. Il n¹est même pas certain que Bové maintienne jusqu¹au bout sa candidature. Cela dépendra pour une bonne part des sondages qui partent de très bas, malgré la notoriété du militant, mais devraient monter ‹à quel point ?

Bové n¹est qu¹un candidat de plus. Loin d¹être un « trait d¹union », sa candidature se positionne contre le PCF et la LCR. Par son caractère plébiscitaire, elle joue durablement contre l¹unité. Mais il me semble évident que certains espèrent néanmoins que sa campagne permettra la cristallisation d¹un nouveau courant politique, qui s¹auto-qualifierait, j¹imagine, d¹« altermondaliste » .

Pourtant, l¹altermondialisme n¹est pas un courant politique défini. C¹est une nouvelle expérience historique partagée par une génération militante internationale, une configuration particulière de combats à l¹heure de la mondialisation capitaliste et de la tentative de marchandisation ultime de la société (« le monde n¹est pas une marchandise »), un creuset unitaire et internationaliste, une identité partagée par diverses composantesŠ Je pense qu¹aucune organisation ‹aucune‹ n¹a encore pleinement intégré toutes les implications de cette expérience (comme du féminisme et de l¹écologie, d¹ailleurs). C¹est beaucoup de choses, fort importantes ‹ pourtant, cela ne suffit pas à définir un courant politique. Pour le faire, il faut aussi intégrer des leçons plus anciennes : l¹histoire des luttes d¹émancipation ne commence pas en 1999, à Seatlle ! Or, sur ces questions (pouvoir, Etat, articulation des formes de lutte, bureaucratie, stratégieŠ), « l¹altermondialisme » se divise. Il est pluriel.

Parmi les leçons anciennes, il y a des principes d¹organisation et de démocratie militante, de démocratie populaire, de démocratie socialiste. Le fil rouge de ce texte. Au nom de ces principes, le « Bovéthon » n¹aurait jamais dû être accepté. C¹est un très mauvais départ que d¹y céder, pour qui veut construire une force « neuve » de transformation sociale.

L¹idéologie dominante domine

A ces objections, les tentants du « Bovéthon » rétorquent que « c¹est la faute aux appareils » ‹ comprenez appareils des partis, comme s¹il n¹y en avait pas bien d¹autres. Bref, la démarche plébiscitaire ne serait qu¹une réaction salutaire à la faillite ou aux pratiques manipulatoire des partis. Voilà une vision bien optimiste des choses.

Que « les » partis (issus du mouvement ouvrier) portent une lourde responsabilité dans la crise du politique ne fait guère de doute ‹ encore que je trouve injuste et injustifié que des courants révolutionnaires comme la LCR subissent l¹opprobre au même titre que la social-démocratie ou le stalinisme. Mais il est tout aussi évident que le « Bovéthon » reproduit un schéma aujourd¹hui véhiculé et valorisé par l¹idéologie dominante : la combinaison d¹un « présidentialisme » traditionnel et de la (non) « démocratie d¹opinion », c¹est-à-dire la généralisation des procédures plébiscitaires au domaine de la politique partidaire. Il est frappant de voir comment Sarkosy y a eu recours contre les Chiraquiens, Royal contre les éléphants du PS et le « Bovéthon » contre les composantes réticentes ou hostiles du collectif national. A l¹heure où la démocratie bourgeoise est vidée de son contenu par la mondialisation capitaliste, à l¹heure où le thème de la « gouvernance » remplace celui de la démocratie politique, l¹irruption du plébiscite et de la « démocratie d¹opinion » dans le champ des organisations représente un pas de plus dans l¹atomisation des « citoyens ». Ce n¹est pas de bonne augure que de les voir à l¹¦uvre dans nos propres milieux.

Le propre de l¹idéologie dominante est de dominer. Face à sa pression, la gauche critique a construit des défenses plus ou moins efficaces selon les cas. Par exemple, la capacité collective de résistance au discours dominant est beaucoup plus forte sur les questions sociales qu¹environnementales ‹ parce qu¹en matière sociale, les défenses ont été construites depuis beaucoup plus longtemps et de façon plus collective.

En ce qui concerne les principes d¹organisation, il a toujours été bien difficile de produire une culture alternative à celle de l¹ordre dominant ; en opposant (pour donner encore un exemple) une conception de l¹efficacité démocratique aux conceptions dominantes, « technocratique » (je ne sais pas quel est le meilleur terme pour la qualifier : poids des experts et des directions, verticalité du haut vers le basŠ). Mais il y avait néanmoins, en la matière, de solides acquis dans la gauche radicale : la nécessité de s¹organiser en permanence (dans des partis, syndicats, associationsŠ) pour agir dans la durée ; la nécessité d¹affirmer une capacité effective « d¹indépendance de classe » sans laquelle le combat pour la transformation sociale devient un mirage.

Ces acquis sont aujourd¹hui sérieusement érodés ; ce qui est une faiblesse, pas un progrès. Dans la jeunesse notamment, le lien entre mobilisations (ponctuelle ou répétées) et organisation durable (syndicale, partidaireŠ) n¹est plus aussi évident qu¹il le fut pour ma génération.

Les mécanismes de domination opèrent très efficacement dans le domaine des institutions ‹ dont les institutions élues. C¹est-à-dire, le domaine même sur lequel les collectifs pour des candidatures unitaires se sont constitués. Quand on s¹aventure sur ce terrain, il faut une organisation politiquement beaucoup plus solide que quand il s¹agit de coordonner des activités de solidarités ou de mener temporairement une campagne militante. Je me contenterai d¹illustrer ce propos par deux exemples.

Les mécanismes de cooptation des élus sont bien rodés. Les flux d¹argent ne sont pas les seuls mécanismes à l¹¦uvre, loin s¹en faut, mais ils ne sont pas les moins efficaces non plus. Un député militant au Parlement européen, comme ceux de la LCR (quand elle en a euŠ) remet 80% de son indemnité. Moi-même, quand j¹étais « fonctionnaire temporaire » de rang moyen au groupe de la GUE/NGL, je remettais 60% de mon salaire (on était bien payé). Ce n¹est pas une grosse cotisation (elle serait vraiment très grosse !), c¹est une remise à niveau, pour qu¹élus et membres des équipes parlementaires ne « s¹élèvent » pas au-dessus des permanents de leurs partis. Il n¹y a là rien que de très normal : il n¹y a aucune raison qu¹un militant gagne plus qu¹un autre permanent, simplement parce qu¹il est « versé » dans l¹activité parlementaire. Mais ce qui est normal n¹est pas pour autant courant. Rares sont ceux qui appliquent de telles règles élémentaires en dehors de LO, la LCR et les PC (dont c¹était la tradition, qui s¹étiole ou disparaît dans bien des pays).

Ces règles de fonctionnement sont essentielles quand on entre dans les institutions élues. Or, il ne s¹agit pas uniquement de convictions personnelles ‹ c¹est beaucoup demander aux individus que de s¹en remettre à leurs seules convictions. C¹est affirmer l¹indépendance de classe dans les institutions, le refus d¹une cooptation rampante, ce qui se fait difficilement sans organisation et sans beaucoup de clarté politique.

Autre point de résistance essentiel, le refus de la starisation et du « présidentialisme » propre à l¹actuelle politique bourgeoise. Nous ne sommes pas aidés en France, avec ce système pyramidal qui accorde tant de pouvoirs personnels au Président de la République ou aux maires dans leurs communes. On aurait pu nous croire immunisés contre ces dérives. La très grave crise que vient de traverser Attac nous rappelle que cela n¹est pas le cas, vu la façon dont des Cassen et Nikonoff ont pu jouer sur des statuts « présidentialistes ». Pouvoirs personnels et egos ne sont pas seulement de gros problèmes psychologiques, ce sont aussi de gros problèmes politiques. L¹exemple des Verts montre que des phénomènes de personnalisation peuvent s¹imposer même en l¹absence de présidence ; mais en règle général, on se porte mieux sans président (si ce n¹est ceux exigés par les statuts associatifs de 1901) et sans secrétaire général. La LCR n¹a jamais eu ni l¹un, ni l¹autre, et c¹est l¹une de ses qualités.

Les collectifs unitaires ont avancé l¹idée d¹une candidature collective ‹ une bonne idée , bien que difficile à imposer dans une présidentielle à la française. Mais le processus s¹est conclu sur la multiplication des candidatures individuelles, puis à laissé place au « Bovéthon ». Comment le comprendre.

Retour sur le processus des collectifs

Ce qui frappe, ce n¹est pas que la désignation d¹une candidature unitaire à la présidentielle ait échoué (l¹entreprise était très aléatoire), mais la façon dont elle a échoué : dans le morcellement et sans clivages politiques clairement définis.

Le 18 décembre 2006, les porte-parole (non PC) du collectif national ont lancé un « Appel aux militants communistes » pour qu¹ils ne maintiennent pas la candidature Buffet. [7] Le ton est solennel : « Nous nous adressons solennellement à nos camarades communistes, pour les adjurer de ne pas commettre l¹irréparable. Si Marie-George Buffet était désignée à l¹issue de leurs votes, un coup fatal serait porté à l¹espoir que nous avons, en commun, commencé à faire naître dans le pays. La possibilité historique de faire émerger une alternative au libéralisme et au social-libéralisme s¹en trouverait gâchée, ave pour seul résultat de favoriser l¹avènement d¹un bipartisme qui représente un véritable hold-up sur la démocratie. » Cependant, malgré cet enjeu « historique », en matière de candidatures à la candidature, la plus grande cacophonie règne ; elles sont plus nombreuses que jamais. Tous les noms sont ressortis du tiroir, avec quelques nouveautés en plus : Autain, Bové, Braouezec, Debons, Mélanchon, Salesse, un anonyme « militant communiste identifié avant tout par sa place dans le mouvement social », et last but not the least, Wurtz. Après deux années de « processus », les tenants du « consensus » n¹ont pas été capables de se mettre d¹accord entre eux sur une proposition sérieuse à opposer à Buffet.

Francis Wurtz (avec qui j¹ai très agréablement travaillé quand j¹étais au Parlement européen) n¹est pas candidat. Il n¹est pas non plus un militant communiste « identifié avant tout par sa place dans le mouvement social ». Membre de la direction du PCF depuis belle lurette, il est président du groupe de la GUE/NGL au Parlement européen. Il n¹y a aucun consensus au sein des collectifs locaux et au sein du collectif national pour le présenter. Pourtant, le 20 décembre 2006, Autain, Braouezec, Debons, Salesse publient un « appel de la dernière chance » où la non-candidature de Wurtz est présentée comme « le fait nouveau ». [8] Aux yeux du public, ces quatre signatures engagent dans une large mesure l¹aile non-PC du collectif national. Conclusion : la candidature de Wurtz, ça va ; celle de Buffet, ça va pas.

On aboutit au comble de la confusion politique ! Si l¹enjeu est « historique », s¹il n¹y a aucun problème majeur d¹orientation ou de fonctionnement avec le PCF, si la candidature unitaire peut-être celle d¹un dirigeant de parti et d¹une figure institutionnelle, si l¹unique différence entre Wurtz et Buffet tient du symbole (elle est secrétaire générale) ‹ faut-il renoncer à la « chance historique » pour cette seule question symbolique ?

C¹est à n¹y rien comprendre. Ou plutôt, on comprend bien que les derniers appels en faveur de Wurtz relevaient de la man¦uvre, pour peser sur les contradictions au sein du PCF. Cette fin sans gloire du processus illustre un choix qui remonte à loin : mener le combat au sein du collectif national de façon aussi peu politique que possible. Tout le monde sait qu¹il y a eu un gros problème d¹orientation avec le PCF (concernant les rapports avec le PS). Tout le monde sait qu¹il y a eu un gros problème de fonctionnement avec le PCF (le « bourrage des salles »). Que n¹a-t-on entendu, dans les couloirs, sur ces questions ! Mais publiquement, le combat n¹est mené, à partir de novembre, que sur le titre de M.-G. Buffet : la secrétaire générale. Un combat d¹autant plus opaque que ceux-là mêmes qui le mènent au sein du collectif national avaient bloqué la présentation, en septembre, d¹un amendement des collectifs des Bouches-du-Rhône qui précisait que les porte-parole de parti ne pouvaient pas être candidats à la candidature (il s¹agit de l¹un des amendements dits « d¹Aubagne » ‹ là où la réunion des collectifs s¹était tenu ‹ qui ont été mis au placard par le collectif national).

Non seulement, en décembre, Wurtz, ça va et Buffet, ça va pas. Mais en septembre, une candidature Buffet était légitime ‹ et illégitime en novembre.

On en arrive à la façon dont le processus a été conduit par « l¹aréopage » ‹ à savoir, l¹essentiel des composantes non-PC du collectif national. C¹est un ensemble politiquement hétéroclite, et c¹est probablement l¹une des raisons pour lesquelles les choix politiques devaient rester implicites. Mais il n¹en a pas moins co-dirigé le processus avec le PCF ‹ d¹abord en alliance avec lui contre la LCR, puis en opposition, une fois la Ligue battue. Il y a probablement eu, en septembre 2006, un malentendu. L¹aréopage semble s¹être convaincu que Buffet se retirerait volontairement pour ne pas risquer un mauvais score à la présidentielle, et le PCF semblait convaincu que les « figures » de l¹aréopage accepteraient de se rallier à sa « candidature de rassemblement ». Si tel était le cas, cela expliquerait aussi pourquoi les divergences politiques ont été passées sous silence.

Quelles qu¹en soient les raisons, tel qu¹il a été conduit par l¹aréopage, le « processus » est devenu une entreprise de dépolitisation. J¹en prendrais deux exemples : la fameuse question de la « participation gouvernementale » et celle du « double consensus ».

Selon l¹aréopage (comprenant, rappelons-le, des représentants de deux des minorités de la LCR), les questions « risibles » soulevées par la Ligue sur la question des rapports avec le PS n¹étaient que « prétextes » visant à cacher son conservatisme d¹appareil et son refus de l¹unité. C¹était un jugement bien commode car si l¹on doit discuter d¹un désaccord reconnu, on peut écarter du revers de la parole un « prétexte risible ». Silence donc sur la réalité du problème (une fois un autre amendement d¹Aubagne enterré). Pourtant, si d¹aucun est en droit de juger que la position de la LCR était erronée, trop défensive ou « gauchiste », on ne pouvait pas honnêtement prétendre que la question des rapports avec le PS étaient totalement réglée par les textes adoptés en septembre 2006.

Le PCF était la principale force organisée dans le processus ‹et de loin ! Sa direction donnait des textes de septembre 2006 une interprétation très différente de celle de l¹aréopage, en prônant une orientation envers « toute la gauche » (incluant donc le PS). Le PCF est un parti « au 10.000 élus » dont le fonctionnement (permanents, financesŠ) et la surface politique dépendent aujourd¹hui de son insertion institutionnelle (beaucoup plus que de son implantation syndicale). Dans la grande majorité des cas, l¹élection de ses élus exige un accord avec le PS. On voit mal, dans ces conditions, comment il pourrait renoncer « en principe » à une alliance avec les socialistes ‹ et ce, quelle que soit l¹ampleur, bien réelle, de la crise qui le mine. Comme on voit mal comment, courant 2007, le PS pourrait cesser d¹être social-libéral pour les beaux yeux de la gauche anti-libérale.

Contre toute évidence, l¹aréopage a continué à dénoncer dans les objections de la LCR un « prétexte ». Pour des raisons tacticiennes d¹abord, mais probablement aussi pour des raisons plus profondes. Je crains que dans la gauche anti-libérale, on ne donne, en fait, pas tous la même importance à la question des blocs et alliances avec la social-démocratie réellement existante (voire avec le centre à peine gauche comme en Italie). Bien des défenses me semblent abaissées, ce qui explique probablement pour une part pourquoi la LCR a été si facilement isolée dans ce combat ?

Le clivage aujourd¹hui « pertinent » n¹est pas entre révolutionnaires et réformistes (même s¹il garde sa pertinence « stratégique »). En revanche,le clivage politique entre gauche radicale et gauche gouvernementale est d¹une brûlante actualité. Il se manifeste très concrètement dès que la droite « dure » perd, ou peut perdre, la majorité. Si l¹objectif est bien de construire une force politique indépendante réellement de gauche, alors ce qui s¹est passé au Brésil ou en Italie constitue un très sévère avertissement. De ce point de vue en effet, le prix à payer pour la participation gouvernementale est exorbitant.

Encore une fois, certains peuvent penser que la Ligue tire, dans la situation française, des conclusions erronées de cette préoccupation. Mais cette question n¹en concernait pas moins très directement les collectifs, puisqu¹ils se sont constitués pour intervenir dans la succession des échéances électorales de 2007. En septembre 2006, l¹aréopage a décidé de la tourner en ridicule. La priorité était alors un bloc avec le Parti communiste contre la Ligue. L¹argument, maintes fois répété, était qu¹une fois un accord conclu avec le PCF, la LCR ne pourrait que suivre : pas besoin donc d¹argumenter plus avant. Le raisonnement n¹était pas fauxŠ si l¹accord avec le PCF se faisait effectivement. Ce fut la rupture, mais sur le principe de la candidature Buffet (la secrétaire générale), pas sur son orientation. Exit la politique.

L¹autre exemple de processus « dépolitisant » concerne le « double consensus ». Comment les collectifs pouvaient-ils décider ? La réponse n¹est pas évidente du tout. Les collectifs ne correspondent en effet pas aux cas de figures « types ». L¹une des modalités de décision les plus éprouvées et les plus démocratiques est celle que l¹on peut mettre en ¦uvre lors d¹une grève (dans une branche) ou d¹une lutte territoriale, avec la représentation du bas vers le haut des comités de grèves ou des « conseils » locaux. Le recours au « consensus » ne remplace pas cette modalité « classique ». Il répond à d¹autres situations. Les composantes des forums sociaux, par exemple, sont extrêmement diverses, allant d¹un comité de solidarité local à une fédération syndicale forte de plusieurs centaines de milliers de personnes en passant par des réseaux et coalitions. Il n¹y a pas de vote démocratique possible, car il n¹y a pas de commune mesure entre les entités participantes. Mais le recours au consensus est positif : il permet de dégager des options communes tout en laissant une très grande liberté d¹initiative à chaque organisation, au sein de l¹espace commun.

Les collectifs n¹ont pas la « densité » d¹une structure de lutte commune (comme un comité de grève). Pour reprendre la formule de Daniel Bensaïd, « le dernier qui pousse la porte, vote », quel que soit son engagement réel dans le processus. [9] Mais le consensus à la mode des forums sociaux ne s¹applique pas non plus à leur situation, car ce n¹est pas un espace d¹actions. Je n¹ai pas vécu cette expérience de l¹intérieur et j¹avoue ne pas savoir quelles auraient été les modalités de décision démocratiques les plus appropriées. Comme le cas de figure peut se reproduire, il serait utile de réfléchir plus avant à cette expérience inhabituelle.

Mais force est de constater que la méthode du « double consensus » n¹a pas fonctionné. D¹abord, le consensus s¹est réduit à un droit de veto, sans le dynamisme qu¹il a dans les forums (du moins tant que la radicalité sociale le nourrit) : le choix tend à se faire sur la candidature qui fait le moins d¹ombre aux autres. C¹est un critère moins que minimum. Ensuite, 600, 700 ou 800 collectifs ne peuvent pas indiquer un (ou plusieurs) choix sans voter. Et pour qu¹un vote ne soit pas un vote, il faut qu¹il débouche sur un résultat indécis. Cela aurait été le cas si les votes (qui ne sont pas des votes) avaient donné entre 18 et 23% à chaque principal candidat(e). A 55% -20%, un vote devient un vote (surtout quand la bataille contre les « bourrages de salles » n¹est pas menée). Au-delà de ces aléas électoraux, si l¹on veut poser clairement le problème, le double consensus signifiait que la décision réelle devait revenir au collectif national (avalisée par l¹assemblée des collectifs), seul lieu où un consensus pouvait se négocier. Vu que ledit collectif était auto-proclamé, ce n¹était pas une procédure particulièrement démocratique. Elle a de toute façon échoué. Mais le recours au « double consensus » était lourd de tellement de non-dits qu¹il a contribué à rendre le processus politiquement opaque.

Le résultat des courses, c¹est que la bataille finale ne s¹est menée que sur le titre de Buffet : pas de secrétaire générale. Une bataille que l¹aréopage a menée avec de drôles de procédés. En septembre, il refuse que soit présenté l¹amendement d¹Aubagne spécifiant que les porte-parole des partis ne peuvent être candidats. En novembre, alors même que les collectifs sont en train de voter, il appelle à signer massivement sur Internet une pétition exigeant le retrait de Buffet car elle estŠ porte-parole. C¹était assez inélégant. Et cela créait un dangereux précédent anti-démocratique (le rapport des forces électroniques), dont le « Bovéthon » peut aujourd¹hui se réclamer.

A l¹arrière-plan

J¹ai indiqué en introduction à ce texte que je ne voulais ni ne pouvait tenter une analyse d¹ensemble du processus des candidatures unitaires. Je pense qu¹il est important de tenter cette analyse et que cela ne se fera que par des relectures critiques de ce qui s¹est passé. Cela vaut pour la Ligue, comme pour les autres composantes. Et cela demande une remise en contexte. Pour ne pas avoir l¹air de me défiler, je voudrais essayer de poser quelques jalons, sans prétendre conclure.

Le processus des collectifs répondait à une aspiration positive et légitime : s¹appuyer sur le succès mémorable de notre non au projet de traité constitutionnel pour avancer dans la construction d¹une force politique unitaire de la gauche radicale. Mais il s¹est engagé sur le terrain le plus difficile, là où les divergences sont les plus immédiates : le combat électoral. Je ne sais pas s¹il aurait pu commencer autrement, en consolidant les rapports politiques unitaires dans l¹engagement social. Toujours est-il qu¹il s¹est d¹emblée donné les élections de 2007 pour horizon premier. Je pense que c¹était une illusion de croire qu¹un mouvement politique unitaire pouvait englober l¹ensemble des composantes de la campagne du non, des Fabiusiens à la LCR ! Mais il était difficile de définir à priori les frontières possibles d¹un regroupement politico-électoral.

Dans les mois qui ont suivi, le champ de ces possibles s¹est malheureusement réduit :

– Tous les courants du PS engagés dans la campagne du « non » sont rentrés dans le rang (Mélenchon ne réapparaîtra que brièvement et bien plus tard, une fois les jeux faits).

– La rentrée sociale de l¹automne 2005 a été relativement calme. Il n¹y a pas eu interaction entre le processus des collectifs et des mobilisations sociales.

– Cette interaction ne s¹est pas non plus produite lors des luttes sur le CPE. Peut-être pour des raisons générationnelles (réticences dans la jeunesse face à l¹engagement politique + moyenne d¹âge élevée des membres des collectifs).

Le mouvement des collectifs est resté numériquement et politiquement important. Leur composition semble avoir été très variable suivant les endroits ; mais ils ont rassemblé bon nombre des militants actifs dans les luttes et solidarités locales. Cependant, le mouvement des collectifs s¹est aussi retrouvé socialement assez déraciné. Ce qui explique probablement pourquoi il n¹a pas permis l¹apparition de candidats à la candidatures « incarnant » les mouvements sociaux (à part José Bové qui n¹avait pas besoin des collectifs pour « émerger »).

Dans ces conditions, les rapports de forces entre organisations au sein des collectifs n¹a pas été compensé par un dynamique social radicale. Ces rapports de forces étaient très inégaux entre le PCF et les autres. Comme la suite des événements l¹a confirmée, la crise du PC, malgré son ampleur, n¹était pas telle qu¹elle l¹empêche d¹user de sa suprématie institutionnelle (l¹assurance d¹avoir les signatures pour la présidentielle) et numérique (l¹assurance d¹emporter les votes dans les collectifs et au sein même du parti). Or, c¹était avec le PCF que le désaccord politique majeur sur la question du PS était le plus aigu.

Puisque l¹on discute la politique de la Ligue, ajoutons un autre élément à la complexité de la situation. La capacité d¹intervention d¹une organisation dépend (entre autre) de son état « interne », tous les cadres syndicaux vous le confirmerons. On peut prendre des risques très importants quand son organisation est solide, car on pourra se replier en bon ordre si on échoue. Mais la LCR est divisée entre majorité et minorités ‹ et au sein de chaque plate-forme (nom donné aux regroupements internes). Elle est fragilisée. Dans ces conditions, les prises de risques sont plus dangereuses.

Certains vont voir dans ce propos le signe du « conservatisme d¹appareil » tant dénoncé. C¹est pourtant plus simple que cela. Le choix de la « ligne juste » dépend de beaucoup de facteurs ‹ dont les enjeux politiques objectifs et les aspirations certes, mais aussi le degrés d¹accord au sein du mouvement unitaire, les rapports de forces effectifs entre organisations et l¹état de votre propre parti (ou syndicat, association, etc.). Bien des critiques de la Ligue se retrouvent aujourd¹hui autour de la candidature de Bové. C¹est un regroupement d¹autant plus hétéroclite qu¹il s¹est réalisé dans l¹ambiguïté politique sur ses objectifs. Si ce regroupement perdure, il devra lui aussi faire des choix en tenant compte de son hétérogénéité.

Il n¹y avait pas de réponse simple à la question : comment faire un pas en avant dans la construction d¹une gauche de gauche, indépendante du PS, en France. La qualité d¹une organisation est évidemment de savoir trouver une réponse efficace à une question difficile ; ce que, en l¹occurrence, la LCR n¹a pas pu ou su faire (cela tient du constat plus que du jugement). Mais qui à la réponse ? Pas moi, en tout cas.

Et pas l¹aréopage non plus.

Une fois qu¹elle a été battue en septembre 2006, face au bloc PCF-aréopage, la Ligue n¹a plus pu peser sur les décisions du collectif national. Ce collectif a été piloté par le PC d¹une part et l¹aréopage d¹autre part. Il est étrange qu¹à l¹heure du bilan, bien des critiques des « appareils » l¹oublient. Et que les premiers concernés se défaussent de toute obligation autocritique : « Nous étions responsables, mais c¹est la faute aux autres ».

Jennar a publié sa « part de vérité » autocritique, lui qui n¹avait qu¹une responsabilité secondaire dans la conduite des affaires. [10] Mais les autres membres de l¹aréopage, dont la responsabilité était pourtant bien plus importante ? La question vaut pour les deux minorités de la Ligue qui en étaient membres. Bien que minoritaires dans la LCR, elles appartenaient au bloc majoritaire dans le collectif national. Elles ont tout à fait librement mise en oeuvre leur politique. Elles doivent donc, elles aussi, présenter leur bilan, au lieu de se contenter de dénoncer la direction de la LCR.

D¹aucun se réfugient dans la politique fiction en faisant « comme si » un fort dynamisme social irriguait les collectifs ; « comme si » le PCF pouvait choisir la rupture radicale avec le PS ; « comme si » la crise de ce parti était telle qu¹elle annulait sa prépondérance institutionnelle et numérique ; « comme si » il aurait suffit que la direction de la Ligue intègre l¹aréopage pour que tout devienne possible ; « comme si », en définitive, la direction de la LCR portait l¹entière responsabilité de l¹échec collectif. Si la situation avait été tellement favorable, ladite direction de la LCR n¹aurait pas eu les moyens (ni d¹ailleurs la volonté !) de tout gâcher.

La politique fiction a une fonction : éviter d¹avoir à rendre des comptes.

Or, des comptes mériteraient d¹être rendu, tant le pilotage du collectif national par l¹aréopage a été calamiteux, de l¹enterrement des amendements d¹Aubagne à la tragi-comique défense de la candidature Wurtz.

Un « espace parti »Š de transformation sociale ?

A en croire ses porte-parole, la campagne Bové sanctionnerait la faillite des partis (PCF et LCR confondus) et annoncerait un nouveau type de regroupement politique. Lequel ? Puisqu¹ils se situent sur le terrain électoral, les « bovétistes » vont devoir traiter comme les autres de programmes et d¹alliances. Comme les autres, ils vont devoir construire un ensemble de structures locales, régionales, nationales (un « appareil » !). Comme les autres, ils vont devoir définir leurs rapports aux mouvements sociauxŠ

Tous les partis ne se ressemblent pas. La LCR ne ressemble au PCF ni par son orientation plus radicale, ni par ses modalités beaucoup plus démocratiques de fonctionnement interne, ni par son rapport plus « égalitaires » aux mouvements sociaux. Les partis changent aussi. Par bien des aspects, la Ligue d¹aujourd¹hui ne ressemble pas (pour le meilleur et pour le pire) à ce qu¹elle était il y a 20 ans. Le débat est largement ouvert sur ce que peut (et doit) être un parti politique aujourd¹hui ‹ et se préparer à ce qu¹il devra être demain.

Le débat avec les « bovétistes » sur ces questions pourrait être intéressant si vraiment ils veulent construire du neuf, côté organisations politiques. Mais le veulent-ils ? La question se pose en effet : les mêmes porte-parole annoncent que si les sondages ne donnent pas 8 à 10 % d¹intentions de votes, ils retireront la candidature Bové (en mars seulement, ce qui peut empêcher d¹autres candidats, plus constants, d¹obtenir les indispensables 500 signatures). Voici un comportement plutôt volage. Ni dans la façon dont le regroupement autour de Bové s¹est réalisé (sous la contrainte du « Bovéthon »), ni dans la façon dont sa candidature est aujourd¹hui présentée (le regard sur les sondages), on ne perçoit les contours d¹un parti de type nouveau.

Comme toute organisation, les partis (quelles que soient leurs formes) se construisent dans la durée. Est-ce à quoi s¹engagent José Bové, son entourage immédiat et ses soutiens ? Mystère. On verra. Mais pour l¹heure, l¹apparence reste celle d¹un « coup » politique et médiatique. Par-là même assez destructeur. La machine à diviser s¹est à nouveau emballée.

Les ténors de l¹aréopage ont pour perspective, selon la formule d¹Yves Salesse, de construire « une nouvelle force, un nouvel espace (je dirai : un nouveau regroupement politique). » [11] Pour Claude Debons, ce « nouvel espace politique », prendrait « une forme ³mouvement² (plutôt que parti traditionnel) de type ³confédéral², un fonctionnement décentralisé et en réseau appuyé sur les collectifs locaux et des coordinations départementales et/ou régionales » [12] L¹objectif n¹est pas un « front » électoral, ou une coalition, ou un simple cadre de coopération unitaire : il s¹agit bien, selon les termes de Salesse, de constituer un « parti de transformation sociale ». Notre ambition aussi.

Mais en quoi un parti est-il un « espace » ? On comprend ce qu¹est un espace de rencontres, de convergences, de débats. Les forums sociaux ouvrent de tels espaces que les mouvements peuvent investir pour préparer les luttes à venir. Mais les « espaces » ne luttent pas ‹ seules les organisations combattent. Qui dit « parti de transformation sociale » implique « parti de combat » (même si la formule est désuète) ou on raconte des salades.

Que cache l¹usage moderne mais à contresens du terme d¹espace quand on discute de la création d¹un parti militant, fut-il new look ? Quand au « fonctionnement en réseau », répond-il vraiment aujourd¹hui à tous les besoins ? Ces questions sont d¹autant plus problématiques que la nouvelle « façon » de faire de la politique de l¹aréopage est inquiétante. Le regroupement de demain est censé prendre forme dans le processus engagé dans le cadre des collectifs. Or :

– Les ténors de l¹aréopage (et José Bové lui-même) n¹hésitent pas à surfer sur les illusions les plus étonnantes. Ainsi, Debons écrit encore, le 5 janvier dernier, que la perspective était « ³la gagne², d¹être ³dans le carré de tête², de ³changer la donne à gauche et d¹y battre le social-libéralisme² ». « Nous visons bien toujours, même si c¹est différé, une ambition majoritaire à gauche ». Puisque « l¹ambition autour de l¹objectif de candidatures communes aux élections présidentielles et législatives était de réunir tout l¹arc de force des tribunes de la campagne référendaire contre le TCE ». Aucun militant politique un tant soit peu expérimenté ne peut penser que la gauche « de transformation sociale » pouvait être électoralement majoritaire en 2007. Laisser croire que nous aurions pu être majoritaire aujourd¹hui si la Ligue n¹avait pas trahit l¹espoir unitaire, c¹est attiser une haine destructrice. Et ce mensonge démagogique peut cacher l¹ambition d¹être majoritaireŠ avec le PS.

– L¹aréopage et la candidature Bové surfent aussi sur le rejet des partis ‹un rejet dont on comprend bien les raisons mais qui prend des tournures très dangereuses. Le site du Collectif pour des candidatures unitaires (http://www.alternativeunitaire2007.org/spip/) présente des contributions qui ne s¹attaque plus seulement au PC et à la LCR, aux partis « traditionnels », mais aux simples militants politiques eux-mêmes. Tous illégitimes ! De quoi sera donc fait le regroupement de demain ? En ce domaine aussi, la démagogie est à haut risque.

– Le nouveau regroupement prend forme uniquement (ou presque) sur le terrain électoral. Nombre de ses « figures » sont habituées des institutions (Conseil d¹Etat, mairies, ParlementŠ). Ce n¹est pas le meilleur point de départ pour construire un parti de transformation sociale. En effet, pour pouvoir s¹engager sur le champ institutionnel sans en être otage, le centre de gravité d¹un tel parti doit être son enracinement social, son investissement dans les luttes.

– Le fonctionnement du collectif national n¹a pas été une école de démocratie. Les questions dérangeantes et les voix dissidentes ont été noyées avec l¹adoption des textes par acclamations, comme en septembre 2006 quand les amendements d¹Aubagne on été interdits de débat, ou par des « mouvements de foule ». L¹appel au consensus et le fonctionnement de réseau informel a trop souvent permis à une direction autoproclamée de prendre autoritairement les décisions.

Est-ce que le nouveau regroupement politique s¹annonce plus démocratique que les partis existants ? Rien n¹est moins sûr.

Organisation et auto-émancipation

Il ne faut pas se satisfaire de la situation existante ? Certes. Mais comment mener le débat ? Trois remarques à ce sujet, en guise de conclusion.

– On ne fera pas l¹économie d¹une bataille à contre-courant en défense du principe d¹organisation. Il ne faut pas faire vertu d¹un constat (« la jeunesse, aujourd¹huiŠ »). Nous vivons à l¹heure d¹Internet ? Mais un réseau électronique n¹est pas une forme d¹organisation militante. Ce n¹est qu¹une forme de communication ‹ la question est de savoir entre qui, au service de quoi. Entre des structures, pour faciliter des pratiques collectives ? Entre des individus qui se contentent de réagir « à la carte » et dans l¹instant, ponctuellement ? Tout combat exige continuité ‹ donc organisation. Si on ne gagne pas cette bataille politique-là, on abaissera les derniers ponts-levis de l¹indépendance de classe en ouvrant tout grand la voie à l¹idéologie dominante.

– La « transformation sociale » est un combat ; un combat difficile. Le champ de réflexion sur le renouvellement des formes d¹organisation et d¹action est largement ouvert. Mais quoi qu¹il soit, le « parti de transformation sociale » ne peut pas être un « espace politico-électoral ». Il faut se garder des modes intellectuelles.

– La « transformation sociale » (une révolution) est un processus d¹auto-émancipation. C¹est tout particulièrement de ce point de vue-là que la réflexion sur les organisations et leurs contradictions doit poursuivre. La question n¹est pas nouvelle. Elle a été posée par Marx, par Rosa Luxemburg (le « parti de masse » et « la dialectique des conquêtes partielles »), par Lénine (« L¹Etat et la révolution ») et par bien d¹autres. Il y a du neuf ? Certes : la double faillite de la social-démocratie et du stalinisme, par exemple. Mais tout projet d¹auto-émancipation exige une démocratie « par en bas » : contrôle des populations sur leurs luttes, des militants sur leurs mouvements, des membres sur leurs partis.

C¹est ce type de démocratie que le « Bovéthon » a contourné, et c¹est bien le problème.

Notes

[1] La majorité des composantes du Collectif national jugeaient, avant le week-end des 21-22 janvier, qu¹il fallait dorénavant renoncer à présenter un candidat à la présidentielle et s¹engager sans plus tarder dans la préparation des législatives. Les conditions qui étaient mises à une éventuelle candidature Bové, dans la logique unitaire antérieure (le retrait de Buffet et Besancenot), rendaient sa présentation très improbable. Plusieurs des porte-parole actuels de la candidature Bové étaient alors contre sa proposition. Voir les textes de janvier 2007 rassemblés dans la rubrique : http://www.europe-solidaire.org/spip.php?rubrique154

_ [2] José Bové, Déclaration de candidature, 1er février 2007 : http://www.europe-solidaire.org/spip.php?article4922

_ [3] José Bové, « Olivier, causons, mais vite ! », tribune parue dans Le Monde du 10 mai 2006 : http://www.europe-solidaire.org/spip.php?article2169

_ [4] Lettre de José Bové aux 15.000 signataires, 15 janvier 2007 : http://www.europe-solidaire.org/spip.php?article4710

_ [5] Contribution de José Bové aux collectifs unitaires, 9 septembre 2006 : http://www.europe-solidaire.org/spip.php?article4821

_ [6] José Bové, Lettre aux collectifs unitaires, 23 novembre 2006 : http://www.europe-solidaire.org/spip.php?article4087

_ [7] Porte-parole du collectif national, « Appel aux militants communistes », 18 décembre 2007 : http://www.europe-solidaire.org/spip.php?article4361

_ [8] Autain Braouezec, Debons, Salesse, « l¹Appel de la dernière chance et le fait nouveau », 20 décembre 2006 : http://www.europe-solidaire.org/spip.php?article4375

_ [9] Daniel Bensaïd, « Lettre à Michel Husson », 5 janvier 2007 : http://www.europe-solidaire.org/spip.php?article4681

_ [10] Raoul Marc Jennar, 15 janvier 2007, « Ma part de vérité » : http://www.europe-solidaire.org/spip.php?article4711

_ [11] Yves Salesse, 10 janvier 2007, « Continuons ensemble » : http://www.europe-solidaire.org/spip.php?article4912

_ [12] Claude Debons, 5 janvier 2007, « Quelques questions pour débattre de la suite » : http://www.europe-solidaire.org/spip.php?article4911