POUR UNE REHABILITATION DU « SAUVAGE »
Un réquisitoire contre le Système (et ses alliés multiples)

Deux expériences personnelles vécues en Serbie au cours de l’été 2006
m’ont conduit
à écrire ce texte. J’étais alors inscrit au 79ème congrès annuel de
l’association
mondiale anationale [1] qui, alors, se déroulait à Belgrade. Je pus y
rencontrer de
nombreux amis en provenance de divers pays du monde.

En milieu de semaine, pour nous distraire des multiples séances de travail
qui se
succédaient, une excursion était prévue. Plusieurs autobus furent
affrétés à
destination d’un site touristique des Balkans. Durant notre voyage notre
guide ne
manquait pas de nous faire quelques commentaires au hasard de nos
rencontres.
Ainsi, pendant la traversée d’une agglomération importante, à l’approche
de l’un de
ces immeubles modernes aux verres miroitants qui commencent à se
banaliser, elle
attira notre attention sur l’édifice, nous faisant remarquer que dans son
pays
également l’on était capable de faire de telles réalisations, que l’on
était pas
« des sauvages ».

Deux jours plus tard, je fus choisi parmi les membres d’une délégation
reçue à la
mairie de Belgrade. Des rafraîchissements nous furent servis et un
échange de
propos entre les représentants de la municipalité et de notre association
nous fut
traduit. L’honorable magistrat eut alors des propos similaires à ceux de
notre
guide : il voulu nous faire convenir que les Serbes constituaient, somme
toute, un
peuple civilisé et non une bande de « sauvages des Balkans » tels que
certains se les
représenteraient.

Je me mis à alors à imaginer, non sans quelque frémissement, ce que ces
honorables
gens pouvaient penser des « vrais sauvages », en d’autres termes de tous ces
peuples
qui n’ont pas eu la chance de connaître les joies de la civilisation
moderne avec
ses autoroutes et ses gratte-ciels…
De fait, il existe un vaste complexe répandu dans toute la périphérie de
l’Occident
et que j’ai pu personnellement observer en Algérie, pays qui constitue ma
deuxième
patrie avec la France. Lorsqu’il me fut donné d’y séjourner, d’y
travailler, j’eus
le loisir d’observer les effets d’un certain sous-développement qui ravage
au moins
autant les esprits que l’environnement matériel.

En fait, il n’y a pas plus raciste envers les Algériens que les Algériens
eux-mêmes, lesquels se méprisent dans leur immense majorité. Nombreux
sont ceux qui
se plaisent à évoquer les réalisations de l’Islam au temps de sa
grandeur, à
Cordoue, Bagdad ou en quelqu’autre lieu, pour mieux mettre en relief,
aussitôt,
l’actuelle décadence qu’ils ressentent au plus profond d’eux-mêmes. « Ma
parole,
j’ai honte d’être Algérien! », j’ai fréquemment eu l’occasion d’entendre
cette
confession à la suite d’une discussion [2]. Franz Fanon, grand
tiers-mondiste qui
fut également psychiatre et pratiqua en Algérie, parle à ce sujet
d’intériorisation
voire d’épidermisation du sentiment d’infériorité du colonisé (Peau
noire, masque
blanc, 1952) ; cela vaut encore pour le décolonisé.

Réciproquement, cette auto-dévalorisation que l’on rencontre chez de
nombreux
« sous-développés » entraîne une sur-valorisation de l’Occident. On
connaît
l’ascendant que les Etats-Unis d’Amérique exercent encore aujourd’hui sur
le reste
du monde. Au début du XXème siècle, l’Europe exerçait une fascination
similaire. En
1912, le jeune Trotsky, futur dirigeant de la révolution d’Octobre et dont
le pays
allait bientôt ambitionner de se mettre en tête de l’histoire
universelle,
déplorait que, sur son sol russe où il ne voyait que « pauvreté et
grossièreté », une
telle civilisation occidentale « complexe et policée » n’ait pas germé.
« Pendant des
siècles, déplorait-il, nous avons vécu dans des cabanes de rondins dont
nous
bouchions les trous avec de la mousse! » (cité par Isaac Deutscher, Le
Prophète
armé, t. 1).

Que faut-il donc penser des habitants de ces vastes régions du monde où
le souffle
réputé bienfaisant de la civilisation ne s’est nullement attardé, où
des hommes ont
vécu en développant d’autres formes de société ? Paradoxalement, cette
même région
des Balkans que je visitai durant l’été 2006 faisait encore partie de ce
« pays de
sauvages » il y a mille ans; le nom que donnaient alors les géographes
arabes à
toute l’Europe centrale est évocateur: bilad es sqlabi, terre des esclaves
(terme
latin d’où est issu celui de slave [3]).

Comment naquit le sous-développement ? Dès que l’homme a inventé la
civilisation,
il y a cinq mille ans, il a créé du développement inégal avec des
divisions du
travail – et, par suite, des relations de pouvoir , de plus en plus
riches,
diversifiées : entre nomades et sédentaires, entre ville et campagne,
entre manuels
et intellectuels… A mesure que l’histoire progressait, le monde
civilisé, à
partir des quelques régions fluviales chaudes du Moyen Orient et d’Asie
où il
naquit, n’a cessé d’étendre son aire, le plus souvent à l’encontre de
peuples non
civilisés, parfois, comme en Amérique, en ruinant d’autres civilisations
plus
fragiles.

Pourtant, jusqu’au milieu du XVIIIème siècle, les grandes civilisations
de l’Ancien
monde, d’Occident en Extrême-Orient en passant par la Perse et L’Inde,
connaissaient des niveaux de développement à peu près identiques, des
échanges
commerciaux plus ou moins équilibrés; l’économie et la technologie de
ces
différents pays étaient équivalentes. Un changement brutal s’est opéré
en fin de
XVIIIème siècle quand la révolution industrielle s’est enclenchée en
Angleterre,
puis étendue à quelques pays voisins et aux USA. Alors, la formidable
puissance
technologique atteinte par ce petit groupe de pays leur a permis
d’entreprendre la
colonisation et l’asservissement du reste du monde.

En quelques décennies, des pays qui avaient atteint de hauts niveaux de
développement comme l’Inde et la Chine ont vu leur infrastructure
économique
ruinée, le développement de nombreux autres fut entravé. Depuis lors, à
mesure que
la richesse croissait, les écarts de développement entre riches et
pauvres n’ont
cessé de se creuser [4].

Où faut-il chercher les responsables d’une situation si désastreuse ? Il
est un peu
facile de l’imputer à une collectivité en général comme « l’Occident ».
Ainsi, Walter
Rodney, un militant anti-colonialiste issu du Guyana (ancienne Guyanne
britannique), a publié en 1972 un ouvrage au titre éloquent: Comment
l’Europe
sous-développa l’Afrique. Selon d’autres auteurs, par contre, certains
peuples
seraient incapables de progrès. Une Camerounaise, Axelle Kabou, a émis
une une
telle hypothèse dans un
ouvrage au titre non moins évocateur : « Et si l’Afrique refusait le
développement »
? (L’Harmattan, 1991) [5]. Tout peuple est responsable de l’intégralité
de son
histoire, sans exclusive, y soutient-elle. Il y aurait donc des peuples
géniaux et
d’autres, incapables. Appartiendraient à cette dernière catégorie ceux
d’Afrique
notamment : ce continent d’où l’homme, pourtant, est parti à la conquête
de la
planète et qui abrita la plus ancienne des civilisations ;

Ni Rodney, ni Kabou n’ont raison, en réalité : ni « l’Europe », ni
« l’Afrique », ne
sont responsables de cette situation, mais certains européens (dirigeants
politiques, militaires, et autres chiens de garde intellectuels) et
certains
africains (collaborateurs du système, tels les « bounties », ainsi nommés
car ils ont
la peau noire et l’intérieur blanc). En fait, dès que naquit la
civilisation, avec
elle l’exploitation de l’homme par l’homme, les écarts de développement
se sont
creusés et ce Système, pour se développer, se rationnaliser, pour
universaliser sa
domination, profita d’innombrables relais, jusque parmi les plus opprimés.
Pour
administrer ses camps de concentration, le système nazi disposait de
collaborateurs
(Kapos) chez les détenus. « D’où a-t-il pris tant d’yeux, dont il vous
épie, si vous
ne les lui donnez ? Comment a-t-il tant de mains pour vous frapper s’il ne
les
prend de vous ? » demande La Boétie (Discours sur la servitude volontaire,
v. 1550).

Dès la plus haute Antiquité ce Système différentialiste reposant sur
l’asservissement de l’homme par l’homme – et de la femme avant lui , a
bénéficié
du soutien d’innombrables auteurs qui, plus ou moins directement, l’ont
légitimé
(comme on le voit ci-dessus avec Axelle Kabou). Ainsi, pour le Grec
Aristote
(Politiques, I, 6), l’esclave est né pour être commandé; le barbare ou
la femme ne
valent guère mieux. Pour la latin Varron (De re rustica), l’esclave est un
outil
parlant (instrumentum vocale), à la différence de l’outil commun qui
n’émet pas de
son (instrumentum mutum), ou de l’animal qui constitue une catégorie
intermédiaire
(instrumentum semi-vocale).

A mesure que l’histoire, et la marchandisation, ont progressé, ce
phénomène n’a
cessé de s’amplifier. « L’essor de la traite musulmane, écrit Olivier
Pétré-Grenouilleau, est inséparable de celui du racisme, moyen simple
mais
particulièrement efficace pour nier la dignité humaine des hommes que
l’on
entreprend de traiter en esclaves » (La traite des Noirs, PUF, 1997, p. 12).
Pour
Ibn Khaldūn (Al Muqaddima, 1382), les Noirs constituent « une humanité
inférieure, plus proches des animaux stupides ». Plus
récemment on retrouve une explication analogue chez Montesquieu d’après
qui « le
sucre serait trop cher si l’on ne faisait travailler la plante qui le
produit par
des esclaves ». Ceux-ci, « noirs depuis les pieds jusqu’à la tête (…) ont
le nez si
écrasé qu’il est presque impossible de les plaindre. On ne peut se mettre
dans
l’idée que Dieu, qui est un être très sage, ait mis une âme, surtout
une âme bonne
dans un corps tout noir » (L’Esprit des lois, XV, 5). Son contemporain
Voltaire ne
le contredit en rien : « La race des Nègres est une espèce d’hommes
différente de la
nôtre […] Ils sont originaires de cette partie de l’Afrique comme les
éléphants
et les singes ; ils se croient nés en Guinée pour être vendus aux Blancs
et pour
les servir. » (Essai sur les m½urs et l’esprit des nations, 1756). Mais il
n’y a pas
que les noirs à être victimes de cette opprobre. « Les paysans, affirme
Richelieu,
sont semblables aux mulets qui, étant accoutumés à la charge, se gâtent
par un long
repos plus que par le travail (cité par Braudel, Les Jeux de l’Echange,
1979). Nous
sommes toujours, ici, en présence de l’outil parlant des Latins.

Ne figure ci-dessus qu’un échantillon de ces propos différentialistes qui
ont été
tenus par des auteurs « civilisés » tout au long de l’histoire. Ceux-ci vont
culminer
en Occident avec les grandes idéologies nationalistes et colonialistes des
XIXème
et XXème siècles, au moment où l’Europe de l’Ouest accède à la
suprématie
planétaire. Et le mouvement socialiste n’est certainement pas exempt de
tels
préjugés. Les propos racistes de Marx sont bien connus : il traite
Lassalle de
négro-juif (lettre à Engels du 30/7/1862), et ressent un même mépris à
l’égard des
paysans, dont la classe « représente la barbarie au sein de la
civilisation » (Les
luttes de classe en France, 1850). Pour l’anarchiste Victor Serge (qui
signe Le
Rétif), « l’infériorité de certaines races – les nègres notamment ; par
rapport à la
race blanche est une observation anthropologique dont la véracité ne se
conteste
plus » (L’anarchie n° 343 du 2 novembre 1911). Peu de temps après, au
cours d’un
discours prononcé à l’enterrement des Lafargue (20 novembre 1911),
Lénine déclare
que les social-démocrates russes subissent « le joug d’un absolutisme
pénétré de
barbarie asiatique ». Plus généralement, qu’il fut arabe ou français,
colonisé,
ouvrier ou plus communément paysan, l’exploité a invariablement été
considéré comme
fainéant et/ou alcoolique.

Chez quelques auteurs, la légitimation des écarts de développement peut
prétendre à
une certaine rigueur scientifique. Montesquieu attribuait ainsi une grande
importance au climat, lequel aurait une influence décisive sur la nature
humaine.
Plus récemment, un auteur du XIXème, Trémeaux, a énoncé sa grande loi
selon
laquelle le développement humain serait proportionnel à la richesse
géologique du
sol où l’on vit : « Tel sol, tel produit » (Origines et transformations de
l’homme et
des autres êtres, Hachette, 1865). Et les thèses de Darwin qui sont
apparues à la
même époque ont encore pu être récupérées par l’idéologie raciste.

Que penser de ces différentes thèses ? De fait, la géographie joue un
rôle
indéniable dans l’histoire humaine. Elle explique pourquoi les Lapons
n’ont pas pu
développer de civilisation. Comme l’araignée aime la chaleur, l’ours
polaire la
banquise, l’homme « civilisé » prise les régions littorales, fluviales ou
maritimes,
des pays chauds ou tempérés. Celles-ci offrent le meilleur rendement à
la
production et à la circulation du capital humain, matériel ou culturel.
Voilà
pourquoi la civilisation est apparue à
l’origine près des grandes voies d’eau navigables d’Egypte ou de
Mésopotamie,
pourquoi elle n’a connu ses plus beaux développements qu’à proximité de
mers
fermées – en Egée, Méditerrannée ou Japon avant de connaître
le grand essor
du commerce international qui a demarré à la Renaissance à partir de
l’Europe
atlantique avec les grandes découvertes et le désenclavement du monde.

Nous sommes tous des immigrés, seule la date d’arrivée compte. Au regard
de ce qui
précède on peut comprendre pourquoi ceux qui, au cours de l’histoire des
grandes
migrations humaines, réussirent à s’enraciner en certains lieux précis
ont pu, de
ce fait, bénéficier d’un avantage certain. La science, aujourd’hui, a
établi qu’il
n’existe qu’une seule espèce d’homme. Par conséquent, si les hasards de
la dérive
des continents avaient abouti à une autre conformation de la géographie
terrestre,
la révolution industrielle, qui aurait alors été accomplie par d’autres,
en
d’autres lieux, aurait néanmoins abouti à un même développement
inégal, une
hiérarchisation similaire de la planète. Mais alors le « civilisé » aurait
été un
homme à la peau noire ; ou jaune ; ou rouge ; le « sauvage », terroriste,
communiste
ou encore intégriste, un blanc ; « Une loi de nature fait que toujours, si
on est le
plus fort, on commande ; ce n’est pas nous qui avons posé ce principe ou
qui avons
été les premiers à
appliquer ce qu’il énonçait : il existait avant nous et existera toujours
après, et
c’est seulement à notre tour de l’appliquer, en sachant qu’aussi bien vous
ou
d’autres, placés à la tête de la même puissance que nous vous feriez de
même « 
(Thucydide, Histoire de la guerre du Péloponnèse).

Cette situation est-elle désespérée ? « Les hommes naissent et demeurent
libres et
égaux en droit ». Les révolutionnaires de 1789, qui abolirent l’esclavage
(avant que
Napoléon ne le rétablisse), ont posé le principe d’une humanité
juridiquement,
politiquement homogène. Leurs successeurs socialistes ont posé un autre
principe
fondamental, corrélatif, celui de l’abolition de l’exploitation de l’homme
par
l’homme. Aujourd’hui, parmi ceux qui se veulent les héritiers de cette
tradition,
nombreux sont ceux qui ont perdu de vue ces objectifs fondamentaux,
universalistes.
Plus ou moins consciemment, ils se font les complices du Système. Bien
plus
nombreux qu’on ne l’imagine, les chiens de garde sont parmi nous ;

Il serait faux, cependant, d’affirmer que rien n’a changé. Dans le monde
riche,
privilégié, de gros progrès ont été réalisés en faveur de certaines
catégories
opprimées, à commencer par les femmes ; certaines autres sont
réhabilitées : les
homosexuels, les handicapés, les juifs ; On demande pardon, on indemnise ;
Il
faudra bien, tôt ou tard, que l’homme demande pardon à l’homme pour tout
ce qu’il
lui a fait. La grande lutte émancipatrice pour la reconnaissance du droit
à une vie
décente pour chacun, donc pour tout exploité, pour toute victime du
différentialisme, n’est pas terminée. Il faut continuer le combat!

Annexe I
Sur l’effet « pharisien capitaliste ». A mesure que le Système progressait,
il s’est
diversifié et hiérarchisé en diverses « économies-monde ».

Schématiquement, comme Braudel l’a montré, une économie-monde est un
système
hiérarchisé avec des zones périphériques de plus en plus défavorisées
comportant
des formes d’exploitation de plus en plus grossières à mesure que l’on
s’éloigne du
centre.

Au milieu du XIXème siècle, grâce à la révolution industrielle, une
Economie-monde
planétaire s’est instituée avec un centre privilégié, riche, des
libertés
politiques, des hauts salaires. « Le prolétariat anglais s’embourgeoise de
plus en
plus », écrit Engels à Marx le 7 octobre 1858, en poursuivant que « pour
une nation
qui exploite le monde entier c’est assez normal ».

Pourtant, à peine quelques décennies avant cette époque, les pires
formes
d’exploitation pouvaient être observées en Angleterre avec les débuts de
la
révolution industrielle. Alors l’ouvrier, comme Marx le rapporte, vendait
non
seulement son travail, mais encore « femme et enfants », devenant ainsi
lui-même
« marchands d’esclaves » (Le Capital, livre I).

Marx fait état de rapports « bien-pensants » établis par des commissions
anglaises
dénonçant cette situation. Il poursuit alors par une affirmation
célèbre (dont j’ai
parfois fait usage) : « le pharisien capitaliste dénonce lui-même la
bestialité
qu’il a créée, qu’il éternise et exploite ».

Aujourd’hui, on peut observer un phénomène similaire qui a pris une
dimension
planétaire avec nos modernes ONG et leur dames patronesses des deux sexes
qui ne
cessent de dénoncer l’exploitation des femmes et enfants du tiers monde
dont elles
(ils) profitent plus ou moins directement ;. Les pharisiens capitalistes
n’ont
cessé de proliférer ;

Annexe II
Montesquieu et l’esclavage

Les propos racistes de Montesquieu que nous avons rapportés ci-dessus sont
controversés. Pour beaucoup d’exégètes il faut les prendre au deuxième
degré.
Montesquieu, auteur des Lumières, « anti-esclavagiste » présumé, aurait
éprouvé une
« généreuse indignation » à l’encontre de ce système et emploierait « le
procédé de
l’ironie » pour déconsidérer la thèse esclavagiste.

Voilà ce que l’on enseigne aux millions d’élèves des écoles de France
dans le
célèbre cours de littérature française « Lagarde & Michard » (in.
XVIIIème siècle,
Bordas, 1970, p. 108).

Cette grossière manipulation occidentalo-centriste ne résiste pas à
l’analyse. On
sait que Montesquieu est l’auteur de la théorie des climats. En gros la
vertu se
situe au nord, le vice au midi. « Approchez vous des pays du midi vous
croirez vous
éloigner de la morale même ; des passions plus vives multiplieront les
crimes »
écrit-il dans l’Esprit des lois (XIV, 2).

Bref, plus l’on descend vers le sud et plus on s’éloigne de l’Humain.

N’oublions pas que Montesquieu, notable de Bordeaux (l’un des principaux
ports
négriers français), possède tout comme Voltaire des actions dans des
compagnies
pratiquant la traite. Ce commerce honteux a besoin de légitimation et il
convient
de rejeter hors de l’humanité ceux qui en sont l’objet.

Il reste que Montesquieu aura été un grand progressiste ; mais dont
l’universalisme, tout comme celui de Marx, est encore bien partiel ; Nul ne
peut
sauter par-dessus son temps…

Djémil KESSOUS

(1) Créée à Prague en 1921, l’association mondiale anationale (SAT en
Espéranto)
est une association socio-culturelle réunissant des membres venant du
monde entier
et de différentes origines politiques de gauche. Bien que, parmis ses
membres,
nombreux sont les « électrons libres », elle comporte diverses fractions
(communistes, libertaires, libre-penseurs, pacifistes, ecolos, etc…). Il
ne
s’agit pas, à proprement parler, d’une association espérantiste mais
d’une
association qui a opté pour l’espéranto comme langue de travail.

(2) Il m’est encore arrivé d’entendre une chose similaire de la part de
quelque
Français, mais bien moins fréquemment.

(3) Plus proche de cette Serbie, en Croatie, se trouvait plus précisément
l’Esclavonie, devenue aujourd’hui Slavonie.

(4) « Si l’on excepte les sociétés dites primitives, écrit Paul Bairoch,
on peut
avancer, avec assez de certitude, que jusqu’à la fin du XVIIème siècle
les écarts
dans les niveaux de développement économiques et techniques des divers
pays étaient
peu importants. Le niveau des pays aujourd’hui développés était alors
voisin,
voire, dans certains cas et certains domaines, inférieur à celui de
beaucoup de
pays qui font aujourd’hui partie du Tiers-Monde » (Le tiers-monde dans
l’impasse,
1971). « En 1820 l’amplitude entre le pays le plus prospère et le moins
prospère
était légèrement supérieure à 3 contre 1, en 1870, elle pouvait
s’exprimer par un
ratio de 7/1, en 1913 de 11/1, en 1950 de 35/1, en 1973 de 40/1 et en 1992
de 72/1
(Angus Maddison, L’économie mondiale 1820-1992, OCDE, 1995).

(5) Citons encore le journaliste du Monde Stephen Smith selon qui
« L’Afrique meurt
d’un suicide assisté » (Pourquoi l’Afrique meurt, Calmann-Lévy, 2003).

L’Universaliste janvier 2007 n° 76
R.U. 98 rue Michel ange 75016 Paris