Le député UMP Georges Fenech a reconnu que des citoyens déclarés innocents par la suite avaient effectué en France un total de 584 années de prison en 2004. Soit, plus de vingt fois le total des périodes de détention subies par les innocents d’Outreau.

On peut aisément comprendre que, dans un tel contexte, l’affaire d’Outreau n’a été qu’un bout de l’iceberg. Un cas particulièrement médiatisé, du fait du nombre des détenus et des annonces sensationnalistes répandues depuis l’automne 2001 sur un prétendu “réseau pédophile”. Il paraît évident que derrière une telle situation se trouvent des dysfonctionnements institutionnels profonds, et que la colère citoyenne qui s’est manifestée à l’occasion du procès d’Outreau exprimait une demande pressante de rectification globale. En vain.

L’article du 18 octobre d’Isabelle Debergue, faisant remarquer l’absence d’un projet de réforme de la justice dans le compte rendu du Conseil des Ministres du même jour, aura malheureusement été prophétique. Quarante-huit heures plus tard, la nouvelle vient de tomber : du projet déjà “minimal” et très largement symbolique de réforme de la justice annoncé il y a un mois et demi, les deux prétendues “mesures phare” à caractère institutionnel disparaissent jusqu’à nouvel ordre. Sans doute, à jamais, vu la proximité de la campagne présidentielle de 2007. Il s’agit :

a) d’une modification de la composition du Conseil Supérieur de la Magistrature ;

b) de l’introduction d’une prétendue “nouvelle faute disciplinaire” décrite comme suit : “la violation délibérée des principes directeurs de la procédure civile ou pénale, comme les droits de la défense, la présomption d’innocence ou le principe du contradictoire, sera désormais sanctionnée par une interdiction d’exercer pendant cinq ans des fonctions à juge unique (juge d’instruction, juge d’application des peines…)”. Il s’agissait en réalité d’une mesure de façade car, comme déjà signalé, les prétendues sanctions n’auraient été que des dispositions techniques d’organisation du service. Mais la notion même de faute disciplinaire des magistrats semble, en l’occurrence, s’être heurtée à une forte résistance.

C’est donc la mise à mort d’une “mini-réforme” qui était déjà, très largement, une apparence. Mais même l’apparence finit par tomber. C’est aussi l’aboutissement logique d’un processus d’étouffement des véritables problèmes institutionnels et politiques que soulève l’actuelle situation de la justice française. Une commission parlementaire avec un mandat limité propose des réformes limitées, dont seulement quelques points sont repris par le Garde des Sceaux, lequel finalement revient en arrière à la dernière minute… Mardi prochain, en Conseil des Ministres, il ne restera plus rien ou presque.

Ce n’est pas que ce n’était pas à craindre, mais ça n’enlève rien à la déception légitime que peuvent éprouver de nombreux citoyens. Raison de plus pour poursuivre l’analyse des causes profondes de ces dérives et en tirer toutes les conséquences.

Justiciable (France)

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