(Suite de I et II : http://quebec.indymedia.org/fr/node/23638, http://quebec.indymedia.org/fr/node/24392)

La Psychologie est-elle une science ? Question tabou. Ce n’est certainement pas une science « dure », comme les Mathématiques ou la Physique. Elle ne comporte pas des calculs précis et vérifiables. Par définition, elle ne fait pas référence à des expériences vraiment reproductibles. Chaque individu, chaque « cas », est différent. De même que chaque situation. Mais force est de constater que la justice a trop souvent tendance à se servir des expertises dans ce domaine comme si la Psychologie était une science « exacte » et que, quoi qu’ils en disent, des psychologues et des psychiatres jouent très largement ce jeu. Le rôle des expertises est essentiel dans l’actuel système répressif, au point qu’elles font basculer des vies sans que les carrières des « sommités » qui rendent les avis s’en ressentent en cas d’erreur ou de comportement contestable.

La commission d’enquête parlementaire sur l’affaire d’Outreau rappelle que Jean-Luc Viaux à été l’auteur d’une « lettre ouverte » parue dans Le Monde du 25 mai 2004, suivie d’interviews à l’émission « Envoyé spécial » du 27 mai 2004, et dans Le Parisien du 4 juin de la même année. Soit, pendant le procès d’Outreau de première instance où l’intéressé était l’un des auteurs des expertises. L’expert s’en prenait publiquement, en plein procès, à ce qu’il considérait comme une mise en cause contestable de la parole des enfants et se montrait « en colère » devant ce qu’il appelait « l’absence de sérénité qui entoure ce procès ». Pour la commission parlementaire, « les interventions de M. Jean-Luc Viaux dans les médias, portant sur une affaire dans laquelle il intervenait à titre d’expert, constituaient une violation flagrante du devoir de réserve auquel est tenu tout auxiliaire, même occasionnel, de justice. Si cette obligation n’est pas prévue expressément par la loi n° 2004-130 du 11 février 2004 régissant le statut des experts judiciaires mais s’applique aux fonctionnaires (article 6 du statut général) et aux magistrats (CE, 5 mai 1982, Bidalou), on est fondé au demeurant à penser qu’il serait opportun de l’insérer dans la loi de 2004. » Il ne semble pas qu’en 2004, suite aux incidents qui ont accompagné le procès de première instance, il ait été fait état d’une quelconque suite disciplinaire donnée aux interventions de Jean-Luc Viaux dans les médias, même si l’avocat général les a qualifiées de « manquement déontologique ».

Certes, le statut des experts judiciaires ne mentionne pas l’obligation de réserve. Mais était-ce pour autant impossible d’évoquer dans la transparence la question de la responsabilité de Jean-Luc Viaux dans ces pressions médiatiques au cours d’une procédure où il était lui-même expert, et qui s’est soldée par des condamnations de justiciables déclarés innocents en appel ? L’obligation de réserve est une notion générale, créée par la jurisprudence du Conseil d’Etat, qui n’a pas besoin d’un texte de loi ou réglementaire spécifique pour s’appliquer. Elle ne figure pas, non plus, dans le statut général des fonctionnaires, contrairement à ce que laisse entendre le rapport de la commission parlementaire, mais elle s’applique néanmoins à l’ensemble de la fonction publique et à toute personne chargée d’un service public. A fortiori, à un expert de justice censé être impartial et devant présenter cette image aux citoyens. Surtout si l’expert est par ailleurs un fonctionnaire de haut niveau et connu dans son milieu professionnel.

Professeur à l’Université de Rouen et directeur d’un laboratoire de cette université, Jean-Luc Viaux a été également responsable pédagogique du diplôme « Psychologie et Sociologie du Crime » organisé en 2004-2005 par le CESDIP à l’adresse notamment de magistrats, de cadres de la police judiciaire et d’officiers de gendarmerie et de police. Il s’agit donc d’une « autorité académique » pouvant compter sur des appuis influents dans un domaine d’où le monde politique n’est pas absent. Juste avant le procès d’appel de l’affaire d’Outreau, on retrouve la signature de Jean-Luc Viaux dans une pétition de septembre 2005 en faveur d’un projet d’observatoire de la récidive. Plusieurs personnalités politiques apparaissent dans cette pétition, notamment le futur président de la commission d’enquête parlementaire sur l’affaire d’Outreau André Vallini. Devenu président de ladite commission, André Vallini ne figurera plus parmi les signataires. Mais la même initiative apparaît, avec une présentation légèrement différente, sur le site de Jack Lang ou sur celui des Verts, entourée d’un très large soutien politique. Autant d’éléments qui auraient dû, précisément, imposer une certaine rigueur, et dans le comportement de Jean-Luc Viaux en tant qu’expert, et dans le contrôle de son activité par ses autorités de tutelle. Mais un professeur d’université avec des « relations », ce n’est manifestement pas pareil qu’un manifestant anti-CPE.

Les expertises signées par Jean-Luc Viaux avec Marie-Christine Gryson, récusée au cours d’une audience, avaient fait l’objet de nombreuses critiques de la part d’avocats et journalistes en juin 2004. Leurs rapports remis en juillet 2002 au juge d’instruction déclaraient notamment qu’aucun élément ne permettait de penser que les enfants Delay « inventent des faits ou cherchent à imputer des faits à des personnes non concernées ». Mais, à l’époque, l’enquête recueillait des récits accusant de viol un total de 38 personnes, avec des sévices et des meurtres d’enfants. Même si de tels propos n’avaient pas été tenus devant les experts, les rapports de ces derniers ont été ajoutés à l’ensemble du dossier et, d’après les avocats, utilisés par les juges pour rejeter toutes les demandes de mise en liberté. Or, comment est-ce possible qu’une expertise puisse ne pas porter sur l’ensemble des témoignages de l’enfant examiné ? Dans une telle situation, le forcing médiatique de Jean-Luc Viaux pendant le procès de première instance de mai et juin 2004 ne peut que soulever un certain nombre d’interrogations.

Le 17 novembre 2005, sévèrement mis en cause par l’avocat général et les avocats des parties au cours du procès en appel, Jean-Luc Viaux a déclaré devant les journalistes : « Quand on paie des expertises 15 euros, au tarif d’une femme de ménage, on a des expertises de femme de ménage ! » Ce que le commun des mortels a interprété comme une reconnaissance du caractère pour le moins incomplet ou superficiel du travail effectué. La question des tarifs étant une très mauvaise excuse pour un professeur d’université et directeur de laboratoire, fonctionnaire titulaire et bien rémunéré à ce titre, qui de surcroît pouvait faire officiellement mention de sa fonction d’expert judiciaire. Cette déclaration a été particulièrement mal perçue de l’opinion publique et a, notamment, contraint le Ministère de la Justice à engager une procédure demandant la radiation de Jean-Luc Viaux en tant qu’expert. Pourtant, déjà au cours des auditions de la commission d’enquête parlementaire, Jean-Luc Viaux a été relativement épargné. Lorsque la polémique a éclaté en juin dernier suite à la diffusion du rapport de la commission parlementaire, aussitôt contré par celui de l’IGSJ (Inspection Générale des Services Judiciaires) qui tendait à exempter Fabrice Burgaud de toute responsabilité susceptible de poursuites disciplinaires, personne n’a évoqué la question de la responsabilité des experts. Et lorsque, suite à des réactions de parlementaires, le Garde des Sceaux a saisi le Conseil Supérieur de la Magistrature à propos du juge Fabrice Burgaud et du procureur Gérald Lesigne, le silence sur les experts a été général.

Ce n’est que la semaine dernière qu’une information inattendue a circulé : Le Monde, dans un article daté du 12 octobre, fait état d’une décision du 29 mai de la formation disciplinaire de la Cour d’Appel de Rouen rejetant la demande de radiation de Jean-Luc Viaux, au motif que les propos tenus par l’expert « ne constituaient pas une faute disciplinaire », qu’ils étaient sans rapport avec les expertises sur lesquelles il venait d’être entendu et qu’ils « n’ont pas porté atteinte au fonctionnement de la justice ». Sans doute, la formation disciplinaire aurait pu difficilement tenir le même raisonnement si les déclarations répandues par l’expert en mai et juin 2004 avaient été prises en considération, mais l’article du Monde n’évoque aucun débat disciplinaire sur ce point précis. Or, les audiences de 2004 s’étaient soldées notamment par la condamnation de six accusés dont l’innocence a été reconnue en appel. Quant aux rapports des expertises effectuées par ce professeur, ils ont été jugés « extrêmement fouillés et individualisés », ce qui ne semble pas correspondre au sentiment général qui s’était dégagé des audiences. La nouvelle paraît dans les médias plus de quatre mois après la décision de la formation disciplinaire, dans des conditions telles que tout délai de recours a normalement expiré. Le Monde ne fait d’ailleurs état d’aucun recours du ministère public contre la décision de l’instance disciplinaire. Affaire apparemment close donc, mais quelque peu en cachette, pendant que l’attention générale se focalisait sur les poursuites disciplinaires contre deux magistrats.

Et que peut-on attendre de la procédure disciplinaire visant le juge Burgaud et le procureur Lesigne ? En réalité, Pascal Clément a déjà planté le décor. Son projet de réforme de la Justice prévoit une prétendue « nouvelle faute disciplinaire » que le Nouvel Observateur du 5 septembre dernier décrit comme suit : « la violation délibérée des principes directeurs de la procédure civile ou pénale, comme les droits de la défense, la présomption d’innocence ou le principe du contradictoire, sera désormais sanctionnée par une interdiction d’exercer pendant cinq ans des fonctions à juge unique (juge d’instruction, juge d’application des peines…) ». Un texte qui s’accorde avec l’allocution du Garde des Sceaux du 12 juin devant l’Académie des Sciences Morales et Politiques. Sauf que les mesures envisagées ne sont pas des véritables sanctions au sens du statut de la fonction publique. Le contenu réel d’un tel texte est celui d’une évaluation professionnelle suivie de mesures à caractère purement organisationnel et technique, sans contenu disciplinaire proprement dit. Les mots « discipline » et « sanction », employés dans un tel contexte, ne sont que des apparences à l’adresse du citoyen dont on espère qu’il se contentera de ces paroles.

En clair, les institutions françaises nous prouvent une fois de plus qu’elles n’ont aucune réelle volonté de se mettre en cause ni d’évoluer, qu’elles sont paralysées par des inerties chroniques et par une lourde maille d’entrecroisements d’intérêts.

Justiciable

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