Si les contours de l’opération restent flous, Nicole Klein préfète de Loire-Atlantique (aujourd’hui directrice de cabinet chez De Rugy) a depuis des semaines annoncé qu’il s’agirait d’expulsions « partielles », mais nous on sait que ce sont nos quotidiens et nos horizons qui sont directement menacés. Ils veulent rétablir l’État de droit dont on s’est -partiellement mais avec un certain succès- affranchis.

« Des escadrons s’approchent de nos terres en marge,
Hélicoptère au matin
j’entends déjà les sommations les charges
Bientôt la violence de l’État sur nous va s’abattre
Ne nous décourageons pas malgré ses ravages
Défendons la ZAD encore une fois
 »

2500 gendarmes mobilisés, pompiers, déménageurs et agents EDF réquisitionnés pour pouvoir nous couper le courant ; le cumul des chiffres et des moyens annoncés instaura un certain vertige dans les consciences, mais pas l’abattement. Je revois un ami relativiser « ouais bon ! on va prendre cher, on va vivre un mauvais moment mais on va s’en remettre ! ».

Un jour certainement pas comme les autres, un dimanche grisâtre, empreint d’un flottement singulier, qu’une bruine persistante renforce. Chacun.e -sachant l’inéluctable arriver- s’affaire à accueillir les personnes venues nous soutenir, à ranger ses derniers effets, planquer matos et bouffe, ériger des barricades.

J’évolue dans la torpeur de ceux qui savent qu’ils ne sont qu’à moitié prêts pour affronter ce qui va arriver, mais qui savent aussi qu’il est désormais trop tard pour y faire quelque chose.

Demain sera un champ d’bataille.

Quelqu’un prend la saine initiative d’organiser le blocage de la d281 dite « route des chicanes » et laissée nue depuis sa funeste « réhabilitation » par une partie du mouvement, les flics et la DIRO.
On coordonne l’action pour que le nord et le sud soient bloqués en même temps et ainsi mieux se prémunir d’une intervention des keufs, et nous voilà à une soixantaine sous la pluie à arranger pneus, bois et matériaux divers pour former des remparts de plusieurs mètres de haut.

La nuit venue, plusieurs tracteurs enchaînent les allers-retour sur la route des Fosses Noires, entraînant derrière eux des carcasses de voitures et des poteaux téléphoniques afin de renforcer la défense de cette artère si stratégique que constitue la d281.
Il est maintenant presque minuit. Beaucoup sont parti.es se reposer en prévision des longues et coûteuses journées qui s’annoncent. Barricade sud et Barricade nord sont maintenant gardées par des braseros que quelques âmes encerclent. Chacun.e s’assoit sur ce qu’il trouve, mange et boit en spéculant sur le lendemain.

Comment dormir quand on sait l’imminence de l’intervention et ce qu’elle suppose de brutalité et de ruines ? Je suis dans mon lit, éveillé, divaguant dans mes pensées. La présence de ma sœur, endormie à mes côtés m’apporte une chaleur salutaire. Elle sait l’importance d’être là sur zone, parmi nous, avec moi.

Soudain des explosions déchirent la quiétude de la nuit et brisent ma somnolence.
Il est 2h40 du matin.

« C’est sous les frontales et la peur que la semaine s’ouvre »

« Lundi 9 avril 2h40 dans la nuit 
VBRG en tête sur la d2-8-1 les convois arrivent par le nord et par le sud simultanément ;
Pris en étau et par surprise, trop peu nombreux.ses on recule
explosions-cris sommations-tirs réveillent qui dormaient, désormais
des colonnes de fumées noires épaisses s’élèvent vers le ciel, les fourgons défilent ;
Non ! Ne pas les laisser faire, empêcher leur progression par tous les moyens possibles et nécessaires ;
Engagé.es volontaires certes mais soldats malgré nous, nos avenirs incertains
on lutte et on endure, à force on s’habitue, journées sans soleil, nuits sans sommeil, hélicoptère drones et blindés au réveil.
 »

« Pas question d’laisser leur moral intact, leurs casques et fourgons sans impact ;
ami.e ne te retiens plus ils sont déjà à Lama ; jettent leur tout c’qu’il te plait sauf des insultes à leur mère et perd pas ton temps avec des bouteilles vides.
 »

« Ils ont pris contrôle de la route, se déploient partout
chiens en laisse, fusil d’assaut à l’épaule, sig sauer à la cuisse et le sourire narquois
on commence à trop les connaître
ca fait des mois déjà qu’ils stationnent et patrouillent jour et nuit ;
leur seule présence nous agresse ;
ils n’obéissent qu’à ce que leur raison autoriseles ordres et la frénésie
donc on reçoit des grenades qui pleuvent en salves assourdissantes
le sol est sale jonché de goupilles de cendres ; de pierres de verre éclatés d’flaques d’essence
tu comprends pas 
? »

« J’suis sur le front du front  là où on charge les brancards avant qu’ils repartent
emportant avec eux des corps criblés d’éclat
 »

 

 

A suivre.