L’idée d’un référendum ne date pas d’hier (voir chronologie ci-dessous). Ne remontons pas à la Guerre civile de 1936, ni aux paysans qui, à coup de faucilles, se mirent à dézinguer les soldats occupant leurs terres en 1640, durant le conflit franco-espagnol. Jusqu’au Traité des Pyrénées de 1659 qui distribua arbitrairement la Catalogne entre deux empires. En se contentant des dix dernières années, la volonté de retrouver leur autonomie est croissante chez les habitant.es de cette petite région d’Europe. Aux élections régionales de 2015, face à une opposition très disparate, les indépendantistes avaient obtenu une majorité de sièges au parlement, sans pour autant atteindre la majorité en nombre de voix. Mais aujourd’hui encore, selon tous les sondages, plus de 70 % des catalan.es souhaitent pouvoir voter sur le sujet.

Approuvée le 6 septembre 2017 par le parlement de Catalogne, la question du référendum va en ce sens : « Voulez-vous que la Catalogne soit un État indépendant sous la forme d’une République ? Oui ou non. » Si c’est oui, une déclaration d’indépendance serait livrée à Rajoy en 48 heures ; si c’est non, de nouvelles élections au niveau de l’Autonomia auraient lieu. Ce vote, permis par les élu.es de la Candidatura d’Unitat Popular (CUP, bien à gauche) et Junts per el Si (JxSí centre gauche libéral) aux manettes dans le pays d’Orwell, a été annulé dès le lendemain par le Tribunal constitutionnel de Madrid. Une instance que le président de la Generalitat (instance de gouvernement régionale), Carles Puigdemont, ne reconnaît ni d’Ève ni d’Adam. Et un refus d’obéir que nombre de Catalan.es partagent.

Pas mal de militant.es de gauche, dont les plus révolutionnaires, voient même dans cette possibilité d’indépendance une échappée pour non seulement faire vivre et perdurer langue et culture, mais aussi rompre avec un État central structurellement corrompu, coresponsable de la crise et des expulsions massives de logement après l’explosion de la bulle immobilière de 2008. Une manière en somme de renouer avec des idéaux libertaires cristallisés par la Guerre civile contre l’extrême droite catholique de Franco. Réponse du gouvernement central de droite (Partido popular – PP), soutenu par le PSOE (Parti socialiste espagnol aussi socialiste qu’en France) : mobiliser tous les corps et les esprits nécessaires pour empêcher le vote prévu.

Et si l’exil changeait de camp ?

La semaine dernière, les 948 maires catalan.es se sont vu.es menacé.es d’arrestation en cas de tenue du référendum dans leur commune, dont l’ancienne squatteuse de Barcelone et désormais maire Ada Colau, pour qui « la solution générale passe par féminiser la politique, abaisser le niveau de testostérone et en finir avec le langage guerrier ». Estimable coup d’épée dans l’eau. Samedi 16, convaincu.es de leur droit à la désobéissance civile et du droit de leurs administré.es à décider de leur destin politique, 700 de ces élu.es ont répondu en bombant le torse lors d’une manifestation à Barcelone sous le slogan « Indépendance ». De quoi exciter le ministère de la Justice, qui a dès lors convoqué 40 de ces idylles récalcitrantes pour en découdre.

Urnes et tracts ont ensuite été saisis dans les imprimeries catalanes par la police d’État. Les bulletins sont maintenant à imprimer en DIY à la maison, et 6000 urnes cachées dans les caves d’on ne sait quel indépendantiste. C’est donc bulletin à la main que des centaines de manifestant.es sont venu.es le 8 septembre moquer la maréchaussée en pleine perquisition dans la fabrique del Vallenc, chantant gaiement « Mais y sont où les bulletins ? », « La voilà votre démocratie ! », ou l’hymne local « Els Segadors » préconisant un « bon coup de faucille », et qui refait surface après des décennies d’interdiction sous Franco.

Le site web referendum.cat a été bien entendu fermé, puis rouvert derechef sous les plus folles appellations : referendum.love, referendum.ninja ou referendum.party – notamment grâce à l’équatorienne aide d’un certain Julian Assange. Chauffé dans son trône, le Tribunal constitutionnel a, dès la semaine dernière, missionné la Guardia civil pour faire des descentes dans les rédactions des journaux locaux, leur interdisant de publier toute communication en faveur du référendum. La Poste elle-même s’est fendue d’une note de services à ses employé.es pour empêcher les correspondances à ce sujet et contrôler au faciès les envois de tout.e usager.e. Et les abribus déshabillés de leurs affiches électorales.

Dans la bouche des plus droitistes du PPP (Parti populaire au pouvoir), le verrou du politiquement correct a déjà sauté : « On va gagner 10 à 1 », « Fini de rire », « On va les éclater », a-t-on pu entendre vociférer dans l’hémicycle. 140 agents des forces antiterroristes étaient sur le feu depuis une dizaine de jours, la police locale a vu ses effectifs grossis de 13 000 unités supplémentaires, 17 000 policiers nationaux ont été mobilisés, et les soldats dans les casernes environnantes se sont remis à faire des pompes. Des bateaux de croisière assiégeaient hier les ports de Barcelone et Tarragona, affrétés pour loger les forces de l’ordre fraîchement déplacées. Les comptes de la Generalitat ont été bloqués lundi 18 septembre, et les cartes de crédit des fonctionnaires locaux assujetties à l’autorisation préalables des banques et des tribunaux. Bref, dans ce territoire, le plus riche de l’État espagnol, les banques et les entrepreneurs paniquent, prêts à quitter le navire en moins de 24 heures si besoin, plutôt que de sortir de l’Europe. Et si, pacifiquement cette fois, l’exil changeait de camp ?

Démocratie représentative versus démocratie directe

Plus que la peur de ne plus voir les Catalan.es participer à l’Eurovision (incroyable mais vrai avertissement venu des medias nationaux), c’est la toute matérialiste angoisse d’une perte sèche au niveau du maché européen et mondial qui pousse le pouvoir central à agir aussi férocement. Déjà en 2015, avec la montée en flèche des désirs d’indépendance de la Catalogne, le ministère de la Justice avait menacé le président catalan d’alors, Artur Mas, d’utiliser l’article 155 de la Constitution, permettant au pouvoir central de récupérer les droits dévolus aux autonomies en cas d’atteinte à l’intérêt général. Et Rajoy faisait passer une Loi de Sécurité nationale ad hoc pour le cas catalan, modifiant les statuts du Tribunal constitutionnel et légalisant la destitution des présidents d’Autonomie en cas de trouble grave. La stratégie de Madrid était limpide : monter un mur législatif face à la légitimité grimpante des indépendantistes, pour pouvoir opposer deux visions de la démocratie – représentative versus directe – en cas de poussée populaire en Catalogne.

Hier, mercredi 20 septembre, c’est donc armé de tout cet arsenal légal que Rajoy a envoyé ses troupes dans les bureaux du gouvernement catalan (Sièges de l’Économie, du Travail, des Relations extérieures, etc). Dès potron minet, quatorze hauts fonctionnaires ont été mis en détention après quarante-et-une perquisitions ordonnées. Le motif ? Non pas le référendum en lui-même, mais l’utilisation d’argent public pour la propagande d’un référendum jugé illégal. L’intrusion de la Guardia civil, corps militaire symbolique rappelant la dictature, n’a pas tardé à faire réagir les barcelonais.es à la mémoire longue.

« Le FC Barcelona, fidèle à son engagement historique pour la défense du pays, de la démocratie, de la liberté d’expression et du droit des peuples à décider d’eux-mêmes, condamne toute action qui peut empêcher le plein exercice de ces droits » a communiqué le célèbre Barça. « En une matinée, Rajoy a plus fait avancer l’indépendance de la Catalogne que 10 chaînes humaines, 15 référendums et 27 diadas 1 », affirmait Gerardo Técé, l’un journalistes indépendants espagnols les plus populaires. « Ils ont commis une grande erreur. Nous voulions voter et ils ont déclaré la guerre », a lancé Jordi Sanchez, président de l’Assamblea nacional catalana, la plus grosse organisation indépendante des partis de Catalogne. Puigdemont, le président de la Generalitat a quant à lui été clair : « L’État espagnol vient de suspendre de facto le gouvernement de Catalogne et a établi un état d’exception. […] Nous sommes appelés à défendre la démocratie, et nous devons donner une réponse massive et citoyenne pour défendre la Catalogne avec les seules armes que nous avons : l’attitude pacifique et civile. […] Nous ne reculerons pas. » Ada Colau a donné son soutien entier à la Generalitat « Rajoy a tort de penser qu’il réussira à nous faire peur. Nous descendrons dans la rue pour défendre nos droits et libertés. Il va rencontrer un peuple plus uni que jamais. »

Or la rue n’a pas attendu la maire de Barcelone pour agir : dès ce matin, les avenues de la capitale se remplissaient, d’heure en heure crescendo. Défendant leur droit à l’autodétermination et réaffirmant la légitimité du référendum, des dizaines de milliers de Barcelonnais.es se sont rassemblées devant les principaux lieux perquisitionnés au cri de « Contre les forces d’occupation » et « Nous voterons », empêchant parfois la Guardia civil d’intervenir. Des matelas et de la nourriture ont commencé à circuler sur les Ramblas, accompagnés du mot « La nuit, nous la passerons ici ». De l’Andalousie à la Galice, les appels à manifester pour le droit de décider ont fleuri au fil de la journée dans plus de 40 villes. À Madrid, la Puerta del Sol, lieu des premières occupations de places qui durèrent plusieurs mois lors du mouvement du 15-M, se remplissait en ce début de mercredi soir.

Avant la nuit…

Et un ami photographe de Barcelone, entendant vers 19h les clameurs sous ses fenêtres me disait au téléphone : « Bon, ben là, je vais sortir, j’en ai marre de regarder tout ça sur Twitter. C’est un pas un délire d’indépendantistes, c’est une question toute simple de démocratie. Même ma mère, qui regardait tout ça de loin ces dernières semaines, est déjà en train de manifester ce soir. Pour elle, voir la Guardia civil intervenir de la sorte, ça fait remonter de très mauvais souvenirs de famille. C’est une image terrible que donne Rajoy, par rapport à un mouvement populaire qui ne demande qu’à pouvoir voter. Maintenant que les flics de Madrid quadrillent la ville, ils ne vont pas partir. Barcelone va être occupée comme ça jusqu’à la date prévue du référendum, qui n’aura donc peut-être pas lieu. Et alors ? On va être dans la rue, tous les soirs, on a l’habitude maintenant depuis 2011 ! Tout ça, c’est très bon pour nous : on ne demande qu’une chose, c’est plus de justice sociale, plus de liberté, et en face, ils nous envoient l’armée. Aucun.e catalan.e ne va prendre une Kalashnikov contre les flics de Rajoy, mais on va être beaucoup à affronter cette stratégie de la peur. »

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Pour aller plus loin :

En castillan :

Le fil d’actualité d’El Diario.

En catalan :

Le fil Twitter d’un journaliste de La Directa qui suit les rassemblements en cours.

Le supplément sur l’autodétermination et la désobéissance civile de La Directa.

Ou les analyses d’El Critic, par exemple ici et ici.

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Klaktualiés, un mot dur à dire dans un monde dur à fuir, est une nouvelle rubrique de Jef Klak en ligne. Vous êtes les bienvenu.es pour nous proposer de textes, des images, des vidéos ou des sons sur l’actualité nationale et internationale, en nous écrivant à lesite@jefklak.org

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Note:

1- La Diada Nacional de Catalunya est la fête nationale de la Catalogne, symbole national selon l’article 8.1 de son statut d’autonomie. Depuis 1886, chaque année, elle commémore la dernière défense de Barcelone le 11 septembre 1714. Elle a été célébrée clandestinement sous le gouvernement de Franco. Et a été l’occasion de grands rassemblement pro-indépendance ces dernières années.