Au fil des attentats et des massacres commis par les islamistes à travers le monde, les yeux s’ouvrent. Il apparaît progressivement qu’il s’agit bel et bien d’un {nouveau totalitarisme} visant la domination universelle. Ce réveil traverse les générations, les milieux, les origines, bousculant les Européens mais aussi les musulmans eux-mêmes. Il rompt avec la complaisance, le relativisme, le déni et l’incrédulité qui prévalaient jusqu’alors. Chacun cherche à comprendre et à faire face. Ces réactions salutaires signifient peut-être la renaissance d’un désir de reconstituer un peuple, c’est-à-dire de s’affirmer et de se battre pour l’existence de sociétés et d’individus émancipées et égalitaires. Mais elles peuvent aussi pousser les populations à recourir à l’État, au Leader, au Parti, au Patriotisme ou à la violence, ce qui pourrait sonner le glas d’un projet démocratique déjà agonisant. C’est pourquoi il nous faut nommer l’ennemi, claire­ment, en établissant des lignes de front qui fassent pièces aux discours d’extrême droite, d’où qu’ils viennent.

Padamalgam… Pic et pic et colégram

Il s’agit avant tout d’éviter l’amalgame entre l’islamisme et les pratiques religieuses musulmanes. Mais la ritournelle « Pas d’amalgame », entonnée à tort et à travers, n’a fait que rendre la situation plus confuse.

D’abord, l’accusation d’« islamophobie », popularisée par les ayatollahs iraniens, est en elle-même un amalgame grossier et culpabilisateur. Elle veut faire passer pour du racisme une défiance vis à vis de l’islam qui peut avoir des causes di­verses : pour des réfugiés, la crainte de revivre une décennie noire (Algériens), ou d’être persécutés (apostats, juifs, chrétiens d’Orient ou d’Afrique) ; pour des libre-penseurs, comme nous, la volonté d’en finir avec toutes les supersti­tions et la tartufferie qui les accompagne.

Ensuite, le mantra « Pas d’amalgame » a toujours été employé par les idéologies meurtrières pour se donner une ap­parence acceptable. Un communiste dira que le « vrai » communisme n’a jamais été appliqué, qu’il n’a rien à voir avec les régimes stalinien, maoïste ou castriste, ni même avec le PCF. Certains chrétiens prétendront qu’ils n’ont pas à assu­mer l’Inquisition ou les Croisades puisque rien de cela ne serait dans la Bible. La situation actuelle des musulmans face à l’islamisme est identique, et il faudra bien un jour qu’ils se débarrassent de cette « Maladie de l’islam », d’une manière ou d’une autre.

« L’islam n’est rien d’autre que ce qu’en font les musulmans » (Fouad Zakariya)

Il n’y a donc pas d’Islam idéal, coupé des réalités humaines. Chacun peut tirer du Coran la sourate ou le hadith qui l’arrange et l’interpréter à sa façon. Tout livre sacré dit ce qu’on veut bien lui faire dire, servant ainsi les intentions de ce­lui qui le cite.

L’islam qui se manifeste bruyamment aujourd’hui est un ensemble de nouvelles pratiques agressives qu’on peut ap­peler extrême droite musulmane, néo-islam ou techno-islam. Elles se distinguent clairement de la foi du charbonnier qui prévalait partout jusque dans les années 1980 en imposant au fidèle un dogme qui ne peut mener qu’à la sécession, à la « désintégration » des sociétés qui se réclament de la sortie des religions, des Lumières, des mouvements ouvriers, des courants féministes. On passe de la bigoterie traditionnelle vieillissante au projet collec­tif de domination des âmes, de la famille, du quartier, du pays, visée strictement et absolument incompatible avec les héritages des tenants de l’émancipation. Les liens entre ce néo-musulman-là et le djihadiste sont évidents puisqu’ils sont en désaccord avec les moyens, mais partagent les mêmes objectifs.

De l’islamisme dans tous ses états à l’État islamique

Depuis 2006, il est évident que les caricatures de Mahomet ne sont pas l’obsession de quelques illuminés : les po­pulations refusant tout blasphème sont nombreuses dans les pays musulmans mais aussi dans de nombreux quartiers européens. En France, face à des actes atroces, les louvoiements, les revirements et les condamnations du bout des lèvres par les Frères Musulmans (Majoritaires dans l’UOIF, le CFCM et les mosquées) et une partie de leurs affidés permettent de distinguer nettement les tenants du néo-islam des autres musulmans.

De même, le sort des opprimés dans les zones du monde où l’islamisme règne (« le baluchon ou la putréfaction ») fait écho à ce qui se passe ici dans tous les milieux dominés par ces néo-musulmans : la marginalisation des athées, la persé­cution des hérétiques ou des homosexuel(les), ou encore les attaques contre les juifs lors des manifestations pro-pales­tiniennes. Les conversions systématiques des conjoints, pour peu qu’ils soient acceptés par les proches, relèvent de la même intolérance viscérale qui vide peu à peu des pays entiers de leurs minorités.

Partout ou l’islamisme s’affirme, les femmes, et les filles de plus en plus jeunes, sont reléguées au statut d’objet sexuel par leur dissimulation de la sphère publique. En Europe, nombreuses sont celles qui font de cette servitude un choix militant qui va souvent de pair avec d’autres engagements : contre le mariage gay, l’ABCD de l’égalité… Depuis que la France a découvert le « foulard islamique » en 1989, la surenchère vestimentaire n’a pas cessé. Les « tenues isla­miques » touchent aujourd’hui les mâles à l’apparence de plus en plus belliqueuse et intimidante et imposent ainsi leurs revendications perpétuelles.

L’idéologie totalitaire islamiste qui prend comme support l’identité religieuse prospère sur l’appauvrissement culturel. En Iran, en Arabie saoudite ou au Qatar, on détruit les sites archéologiques pré-musulmans ; Sur le web, on se bricole une sous-culture de bazar et une estime de soi entièrement fondée sur l’appartenance religieuse. Le mode de vie calé sur les préceptes fondamentalistes s’impose de gré ou de force dès que le nombre de ces bigots hallucinés devient significatif : la mosquée évince alors peu à peu les autres lieux de vie sociale ; la nourriture, les comportements, les pa­roles se revendiquent d’une « pureté » (Hallal) contre la « souillure » (Haram) du pays d’accueil deve­nu terre d’infi­dèle (Dar el koufar) – tout en utilisant les possibilités des technologies occidentales.

L’endoctrinement étatique en terres conquises se traduit en Europe par la prolifération discrète d’écoles confes­sionnelles où peuvent être enseignées, selon leurs sources de financement, diverses approches de la Charia, radicalement inconciliable avec l’enseignement humaniste. La multiplication de prénoms belliqueux et coraniques inconnus il y a peu marque du sceau de la guerre la génération suivante.

L’autoritarisme et la violence des pouvoirs islamiques – Guide Suprême, Califat ou Royauté – ont leur équivalent chez les militants néo-coloniaux de la cause islamiste en Occident : la terreur sourde qu’ils dégagent s’exercent aussi bien dans les « débats » où l’insulte et l’humiliation sournoise s’invitent rapidement, que dans l’imposition rampante des croyances, obsessions et tabous les plus délirants. Un paternalisme fondamental et indiscutable modèle ces person­nalités paranoïaques et complotistes, élevées dans des rapports de forces intimes et géopolitiques, et pour qui seule la violence purificatrice tranche les situations.

Enfin, la conquête militaire de l’islamiste guerrier a son symétrique ; {l’islamiste patient, voire souriant}, des sociétés occidentalisées. Il s’aligne tactiquement et progressivement sur les préceptes de l’extrême-droite musulmane au fil des recu­lades des populations européennes. Il ne condamne alors volontiers le terrorisme et la brutalité que pour mieux ca­cher un accord final avec leurs visées ultimes : la domination mondiale d’Allah. Peut-être la réalisation récente de son fantasme par l’État Islamique (Daech) va-t-il lui faire réaliser la folie qui l’habite et le guide.

L’extrême droite musulmane n’est pas la population musulmane

Face à cette inquiétante mobilisation des troupes, un nombre indéterminé de croyants résistent et maintiennent les pratiques normales de leurs aïeux. Ils indiquent, encore trop discrètement, que leur héritage religieux a été, est et sera encore compatible avec les valeurs et principes issu de l’Occident. A ce titre, ils sont les premières cibles de l’extrême droite musulmane, pour qui ils ne sont pas assez musulmans.

Ils et elles ont depuis longtemps accepté la multitude des opinions et le principe du débat argumenté. Leurs familles acceptent la mixité sexuelle, ethnique, religieuse, politique. Reléguant les croyances les plus grotesques au rang de bo­niments, la pratique de leurs cultes se fait sans ostentations dans le cercle hospitalier de leur vie privée. Lucides sur l’oppression de l’intégrisme musulman, ils retiennent le moins pire de leur culture religieuse et le meilleur de leur culture maghrébine ou moyen-orientale. Ils s’inscrivent dans la continuité des flux migratoires du passé en refusant le chantage aux origines : à Rome, ils mangent, boivent et s’habillent comme les romains. Certains d’entre eux, sur la pente qui prévalait encore il y a trente ans, ont peu à peu admis leur athéisme, retrouvant là le courant éman­cipateur que l’Occident lui-même semble délaisser. Invisible aujourd’hui, leur attitude doit redevenir la normalité.

Renaissance d’un projet d’émancipation

Car une civilisation intègre d’autant plus les cultures étrangères qu’elle est elle-même forte, vivante et créative. De­puis un demi-siècle, l’Occident a perdu ce qui faisait sa force : non pas le déchaînement de la violence militaire ou économique mais l’activité permanente de peuples entiers luttant contre toutes les dominations. C’est ce vide patent qui rend possible le déferlement de l’islamisme sur son sol.

Ce vide spirituel n’a à proposer aux nouveaux-venus que l’hystérie consumériste, l’arrivisme décomplexé et la came­lote identitaire. Opposer à ce cynisme une religiosité agressive, c’est redoubler d’insignifiance : l’islam contemporain est à la spiritualité ce que la pornogra­phie est à l’amour ; une singerie mécanique et obscène, infiniment frustrante, qui exige des doses croissantes pour maintenir une satisfaction. Comme les totalitarismes de la IIIe Internationale stali­nienne et du IIIe Reich hitlérien, le totalitarisme né du troisième monothéisme met à l’épreuve le sens que nous don­nons à l’existence. Que celui-ci soit moribond ne fait aucun doute : il nous semble, à nous, que renouer avec ce que notre histoire a pu engendrer de plus précieux pour l’humanité entière est le premier réflexe à adopter.

La fixation sur la laïcité, elle-même comprise par les néo-musulmans comme un prétexte à leur projet d’expan­sion, doit être rattachée au courant qui l’a porté : l’éradication finale des systèmes religieux et l’interrogation ouverte, illimi­tée sur la vie, le monde, la mort et la réappropriation par nous tous de nos conditions d’existence. Il est possible que nous assistions à ces prémisses erratiques et incertains.

Collectif Lieux Communs – Janvier 2015