Je me souviens d’un jour faste où nous agitions frénétiquement les grilles du centre de rétention de Lesquin (1), comme si soudainement nous avions trouvé la force d’arracher du sol les barbelés de ce monde. Nous n’étions pas si nombreux/ses. Les flics étaient tout autant, et notre agitation ne les faisait pas marrer. Derrière leurs visières humides, ils nous lançaient des regards hésitants entre le mépris et l’angoisse. Nous savions que nous n’arracherions pas ces grilles, mais le simple fait de les avoir tordu devant leurs yeux, en criant notre révolte, montrait la force de notre volonté. Et c’était déjà pas mal.

La lutte contre les centres de rétention incarnait alors notre détermination politique. Au point qu’au camp no border de Calais, au sommet de Vichy, aux balades contre la machine à expulser et à la manif no border du 15 mai 2010 à Paris, les cordons de police étaient si compactes que nous avions du mal à respirer. Nous avions peu de chances, mais au moins nous vivions notre colère et nous occupions la rue. Notre lutte était vivace. Et ça emmerdait le pouvoir.

Entre temps, les chemises brunes se sont succédées aux fonctions ministérielles consacrées à la chasse aux étrangers : Hortefeux a laissé la place à Besson, qui a laissé la sienne à Guéant. Et ils n’ont rien à envier à un(e) Le Pen, qui n’aurait pas mieux fait qu’eux. La dernière loi en date, dite « loi Besson », adoptée le 16 juin 2011, a encore un peu plus serré la vis. Les portes des centres de rétention ne cessent de s’ouvrir pour accueillir toujours plus d’étrangers en attente d’être « reconduits ». L’objectif de l’année est de 30 000. Il n’y a rien à ajouter, tout le monde sait déjà.

Nos ardeurs semblent être retombées. Les pièges dans lesquels nous sommes tombés, les manif terminées en queue de poisson, les copains/ines pris.es dans le filet, tout ça n’a pas aidé à retrouver la pêche (désolé pour la pitoyable métaphore filée). Certain.e.s continuent, aux côtés des tunisiens, des inculpé.e.s de Vincennes, des habitant.e.s de la rue des Sorins et des rroms, mais quelque chose manque. On dirait qu’on s’accroche, qu’on tire sur les coins du draps, qu’on résiste localement, mais qu’on ne contre-attaque plus vraiment. Qu’en est-il de notre hargne ?

Dans nos moments de doute, on espère que quelque chose va reprendre, qu’une mèche va s’allumer et qu’une nouvelle énergie va redonner vie à notre combat, mais il semble que personne n’ose plus croire qu’on puisse se rassembler publiquement pour dire merde à cet état des choses. Et pourtant, qu’est-ce qui nous empêche de reprendre vraiment ? Je sais bien que l’endroit est mal choisi pour poser la question, mais quand même, des réponses seraient bienvenues.

Lutter collectivement contre les taûles, contre les expulsions, contre les rafles de sans papiers, c’est quand même pas devenu une utopie ? Si certain.e.s d’entre nous lançaient maintenant une balade contre la machine à expulser, personne ne viendrait ? Pourtant, il faudra bien qu’on s’y remette (sans préjuger de ce que chacun.e fait à son échelle bien sûr, puisque nous continuons tous d’une certaine manière).

Voilà, c’était juste un pavé dans la vase. Parce que nos luttent semblent s’engoncer dans un profond marécage et parce que je n’ai pas envie de continuer d’attendre que la mèche s’allume toute seule. Des réponses, même sous la forme d’insultes et d’invectives, m’aideront à comprendre. Et je sais ne pas être tout seul dans ce cas.

Une petite action qui était passée inaperçue à l’époque :
http://www.dailymotion.com/video/x5zehu_action-contre-l…_news

(1) Lors d’un rassemblement contre l’expulsion en charter d’afghans arrêtés sur le littoral du Nord Pas de Calais.