VERSION NON EDITÉE – PROJET NON PUBLIÉ (NE PAS CITER)

Rapport remis par M. Jean Ziegler, Rapporteur Spécial de l’ONU sur le Droit à l’Alimentation
Addendum
Mission dans les Territoires Palestiniens Occupés

SOMMAIRE
– Résumé secret
– Introduction
– Vue d’ensemble sur la malnutrition et l’insécurité alimentaire dans les TPO
Au bord d’une catastrophe humanitaire
Causes de la crise alimentaire
– Cadre légal régissant le droit à l’alimentation dans les TPO
Statut des TPO du point de vue du droit international
Obligations des autorités israéliennes
Obligations des autorités palestiniennes
Autres textes et institutions fondamentaux pertinents
– Principales constations et préoccupations en matière de mise en application du droit à l’alimentation
La crise humanitaire et le droit à l’alimentation
Les violations du droit à l’alimentation
– Conclusions et recommandations

RESUME SECRET
(à insérer)
INTRODUCTION
Le Rapporteur Spécial a effectué une mission dans les Territoires Palestiniens Occupés du 3 au 13 juillet 2003. Il s’agissait de la première fois où le Gouvernement d’Israël ait officiellement reçu une mission d’un Rapporteur Spécial de l’ONU, qu’il a accueilli dans une lettre datée du 23 mai 2003. La mission a été menée à bien durant une période d’espoir, les négociations en vue de la mise au point de la Feuille de Route marquant quelques avancées et le cessez-le-feu tenant de manière durable. Le processus défini par la Feuille de Route, projet de paix dans lequel l’ONU a joué un rôle fondamental en tant que participant au Quartette, en particulier grâce à l’action de Terje Larsen, Représentant du Secrétaire Général de l’ONU, offre une réelle promesse de mettre un terme aux souffrances – terribles – tant des Israéliens que des Palestiniens. Le Rapporteur Spécial exprime ses profonde sympathie et compassion à tous les tués et blessés, Israéliens et Palestiniens. La population civile tant palestinienne qu’israélienne est en train de vivre une tragédie épouvantable. Les Israéliens vivent sous la menace d’attentats suicides de kamikazes palestiniens. Les Palestiniens, eux aussi, vivent dans la peur, des femmes et des enfants sont (trop) souvent tués chez eux ou dans des rues populeuses par des opérations armées israéliennes visant des dirigeants palestiniens. Depuis le début de la seconde Intifada, en septembre 2000, 820 Israéliens et
2 518 Palestiniens ont été tués, pour la plupart des femmes et des enfants innocents [i]. Des milliers d’autres civils innocents, israéliens et palestiniens, ont été grièvement blessés.
Cette mission a été entreprise en réponse à l’émergence d’une catastrophe humanitaire dans les Territoires Palestiniens Occupés. En conséquence des mesures sécuritaires imposées aux Territoires Occupés par la puissance militaire occupante, nous assistons aujourd’hui à une crise alimentaire allant s’aggravant et à l’augmentation du taux de malnutrition chez les Palestiniens. La mission s’était fixée comme objectif l’acquisition d’une meilleure compréhension des raisons de la crise alimentaire dans les Territoires – une crise qui semble absurde dans une région si fertile et habitée par une population dont les compétences en matière de commerce et d’agriculture se perdent dans la nuit des temps. Elle s’était donné pour but d’apporter des recommandations constructives afin d’améliorer la situation. Il n’était pas dans ses prérogatives d’examiner la question de la malnutrition en Israël. Si la malnutrition est un phénomène constaté chez les Israéliens les plus pauvres, elle n’atteint pas actuellement le niveau d’une crise, et elle peut être palliée si les budgets nécessaires sont consacrés aux indigents dans cette société [ii]. Dans les Territoires Palestiniens, en revanche, la faim et la malnutrition découlent exclusivement des mesures (politiques et militaires) imposées (par la puissance occupante).
Le Rapporteur Spécial a été reçu par des officiels du Gouvernement israélien à Tel-Aviv et à Jérusalem. Il a rencontré l’adjoint au Directeur Général du Ministère des Affaires Etrangères, ainsi que des responsables du Ministère de la Défense qui administre les Territoires Palestiniens Occupés, notamment l’Adjoint au Coordonnateur des Activités Civiles dans la Bande de Gaza et en Cisjordanie, M. Kamil Abu Rukun, et d’autres responsables de l’Administration Civile, ainsi que le Major Michael Bendavid, Chef de la Section Internationale, des Avocats Militaires et du Corps des Généraux. Il a rencontré également M. Yossef C. Dreizin, Directeur du Bureau de la Planification Hydraulique de la Commission de l’Eau. Le Rapporteur Spécial a eu, par ailleurs, l’opportunité de rencontrer les honorables dirigeants de partis politiques israéliens de l’opposition, qui sont aussi d’importants parlementaires à la Knesset. Toutefois, en dépit de ces rencontres, le Rapporteur Spécial ne s’est pas vu accorder un permis spécial qui aurait garanti sa liberté de se déplacer en Cisjordanie et dans la bande de Gaza, et il a été fréquemment arrêté à des checkpoints militaires, en dépit de la mise au point de l’ensemble des déplacements de la Mission à l’avance et d’un commun accord. Au checkpoint de Qalqiliya, un soldat israélien a visé délibérément et à très courte distance la voiture du Rapporteur Spécial. Par chance, le soldat n’a pas tiré, mais le Rapporteur Spécial (R. S.) a noté que ce genre d’incident se produit beaucoup trop fréquemment, et qu’il concerne y compris les personnels diplomatiques et onusiens.
Le R. S. a été reçu par l’Autorité Nationale Palestinienne en Cisjordanie et dans la Bande de Gaza. Il a eu l’honneur d’être reçu par le Président de l’Autorité Nationale Palestinienne, Yasser Arafat, ainsi que par le Négociateur en Chef Palestinien, M. Erekat, et les principaux ministres, dont ceux de la Santé, de l’Habitat et de l’Agriculture. Il a rencontré également des représentants du ministère du Travail, de l’Autorité Palestinienne de l’Eau, de l’Unité de Négociation de l’Organisation de Libération de la Palestine, ainsi que d’honorés membres du Conseil Législatif Palestinien. La mission a rencontré le Dr Zaid Zeedani, Directeur de la Commission Palestinienne Indépendante pour les Droits du Citoyen. Dans les différentes régions de la Cisjordanie et de la bande de Gaza, la mission a rencontré les responsables locaux – maires de villes et de villages, syndicalistes et universitaires.
A Jérusalem, le Rapporteur a apprécié hautement ses rencontres avec Michael Keating de l’UNSCO, ainsi qu’avec des hauts responsables de l’UNRWA, de la FAO, du WFP, de l’UNDP, de l’OCHA, de l’UNICEF, de l’ONFPA UNSCOORD et de la Banque Mondiale, qui lui ont apporté des informations fondamentales. Il souhaiterait exprimer ses remerciements aux agences de l’ONU pour leur efficace coopération, en particulier le Bureau du Haut Commissaire des Droits de l’Homme à Genève, et le représentant sur le terrain du Bureau du Haut Commissaire des Droits de l’Homme, pour leur efficacité et leurs compétences mises à disposition de la Mission. Il souhaite remercier le Commissaire Général M. Peter Hansen de l’UNRWA qui l’a reçu à Genève. Le Rapporteur Spécial souhaite également exprimer sa profonde estime au Dr Ernst Iten, Ambassadeur helvétique à Tel Aviv, et à M. Jean Jacques Joris, représentant de la Suisse auprès de l’Autorité palestinienne.
Il souhaite remercier aussi toutes les ONG internationales, israéliennes et palestiniennes qu’il a rencontrées à Jérusalem, à Ramallah, à Gaza et à Tel-Aviv. Ses vifs remerciements vont en particulier à M. Michel Dufour, délégué en chef du Comité International de la Croix Rouge à Jérusalem. Il coordonne le travail courageux et vaillant de toutes ces organisations qui oeuvrent à promouvoir les droits de l’homme dans les conditions terribles que nous connaissons. Le R. S. a rencontré de nombreuses organisations internationales, dont Agir Contre la Faim, Oxfam, Care International, Save the Children [Sauvez les Enfants] et Terre des Hommes, qui agissent afin de pallier à la crise dans les Territoires Palestiniens Occupés. Il a rencontré également de nombreuses associations israéliennes et palestiniennes, dont LAW [Société palestinienne de Protection des Droits de l’Homme], le Comité Public contre la Torture, Rabbins pour les Droits de l’Homme, Médecins pour les Droits de l’Homme, la Coalition Internationale pour l’Habitat, le Groupe des Hydrologues Palestiniens, le PARC, l’Institut des Recherches Appliquées [ARIJ]. Il a rencontré des intellectuels de grand renom, notamment Michael Warshawski, dont les ouvrages contribuent grandement à éclairer l’opinion publique en Israël et en France.
Il a rencontré également l’organisation israélienne B’Tselem, qui lutte pour les droits humains des Palestiniens, l’Institut Mandela qui observe les conditions de détention et l’état des prisons, ainsi que des avocats israéliens qui représentent les Palestiniens devant les tribunaux israéliens. Ce sont ces ONG qui sont porteuses d’espoir, car c’est principalement grâce à leur action que des ponts virtuels sont jetés et construits entre Israéliens et Palestiniens, en des temps où ces deux sociétés sont si totalement séparées l’une de l’autre par la mésentente – et aussi, trop souvent, la haine – mutuelle. Dans le climat actuel de défiance, ce sont ces organisations qui jouent un rôle décisif dans la facilitation de la prise de contact et du nouement d’un dialogue entre les deux parties.
L’équipe de la mission s’est rendue en Cisjordanie et dans la bande de Gaza. Ensemble ces deux régions forment les « Territoires Palestiniens Occupés » qui ont été occupés en 1967 et sont placés sous l’administration militaire israélienne depuis cette date. Ces territoires couvrent une superficie d’environ 5 800 kilomètres carrés, où vivent plus de 3,5 millions de Palestiniens. La bande de Gaza, pour sa part, représente la région du monde la plus densément peuplée : 1,3 million d’habitants doivent se presser sur un territoire exigu de 360 kilomètres carrés. Plus de 83 % des Palestiniens habitant la bande de Gaza vivent dans des camps de réfugiés. Dans la bande de Gaza, la mission a visité Beit Hanoun, Jabaliya, Khan Younis et la zone frontalière de Rafah. En Cisjordanie, la mission a visité Jérusalem, Bethléem, Ramallah, Jéricho et d’autres localités, en se déplaçant dans l’ensemble du territoire, dont Qalqiliya et Tulkarem où la « Barrière de Sécurité », dite aussi « Mur de Séparation » est en cours de construction. La mission a visité également la prison de Meggido, une prison israélienne où sont détenus des Palestiniens, au nord d’Israël, et une prison palestinienne où des Palestiniens sont détenus, à Jéricho. Le R. S. exprime ses remerciements aux différentes Agences de l’ONU et aux ONG qui ont organisé ces déplacements et l’ont accompagné au cours de ces inspections sur le terrain. Durant ces déplacements, il a eu l’occasion de parler avec des personnes des plus variées, dont des agriculteurs et agricultrices palestinien(ne)s, des commerçants et des transporteurs, des universitaires et des Palestiniens de toutes professions et conditions vivant dans les Territoires Occupés.
La situation des Territoires Palestiniens Occupés est en constante évolution, et elle est susceptible de changer très rapidement. Ce rapport reflètera donc uniquement la période durant laquelle l’équipe de la mission a visité les Territoires, mais il s’efforcera d’identifier les régions les plus durablement préoccupantes, et il espère que ces régions particulièrement en crise feront l’objet d’un suivi particulier, à l’avenir.
I – LA MALNUTRITION ET L’INSECURITE ALIMENTAIRE DANS LES T.P.O.
A – Une catastrophe humanitaire annoncée
Les TPO sont au bord d’une catastrophe humanitaire, conséquence de mesures militaires extrêmement sévères imposées par les forces militaires israéliennes d’occupation depuis l’éclatement de la seconde Intifada, en septembre 2000.
Les niveaux de malnutrition chez les Palestiniens se sont rapidement aggravés depuis l’imposition des mesures militaires susmentionnées. Une étude financée par USAID indique que « les territoires palestiniens, et en particulier la bande de Gaza, sont confrontés à une claire urgence humanitaire, en termes de malnutrition aiguë et grave [iii] ». La malnutrition grave dont il est fait état à Gaza équivaut aujourd’hui aux niveaux relevés dans les pays pauvres subsahariens, ce qui constitue une situation aberrante, étant donné que la Palestine était naguère une économie caractérisée par des revenus moyens. Plus de 22 % des enfants de moins de cinq ans souffrent aujourd’hui de malnutrition (9,3 % souffrent de malnutrition aiguë et 13,2 % de malnutrition chronique), à comparer à 7,6 % en 2000 (1,4 % souffraient alors de malnutrition aiguë, et 6,2 % de malnutrition chronique), d’après des relevés du PCBS [iv]. Près de 15,6 % des enfants de moins de cinq ans souffrent d’anémie aiguë [v], qui aura pour beaucoup d’entre eux des effets dommageables permanents sur leur développement futur, physique et mental. La consommation de nourriture a chuté de plus de 30 % per capita [vi]. Les pénuries alimentaires, en particulier en matière d’aliments protéiniques, ont été largement attestées [vii]. Plus de la moitié des foyers palestiniens ne peuvent plus avoir qu’un seul repas par jour [viii]. De nombreux Palestiniens avec lesquels le Rapporteur Spécial a pu converser ont indiqué ne survivre qu’en consommant du pain et du thé.
L’économie s’est pratiquement totalement effondrée et le nombre des gens extrêmement pauvres a triplé. Près de 60 % des Palestiniens vivent aujourd’hui dans une pauvreté aiguë (75 % à Gaza et 50 % en Cisjordanie). Le PNB par habitant a diminué de près de la moitié par rapport à il y a deux ans [ix]. Même lorsque des aliments sont disponibles, beaucoup de Palestiniens ne sont pas en mesure d’en acheter pour nourrire leur famille. Plus de 50 % des Palestiniens ont été contraints à s’endetter pour acheter de quoi se nourrir et ils sont nombreux à vendre tous leurs biens, en désespoir de cause [x]. Plus de la moitié des Palestiniens sont désormais totalement dépendants de l’aide internationale pour se nourrir et néanmoins, comme l’ont indiqué beaucoup des organisations charitables et humanitaires que la mission a rencontrées, l’entrée et le transport de denrées alimentaires dans les Territoires Occupés sont souvent refusés et les camions qui les transportent doivent rebrousser chemin. L’accès humanitaire est rendu très souvent difficile, tant pour l’ONU que pour les ONG humanitaires. Ainsi, en mai 2003, une délégation de l’UNSCO a été retenue à Gaza durant cinq jours, les forces d’occupation ne les laissant pas repartir. Le fait que les Palestiniens ne reçoivent pas assez de nourriture, qu’il s’agisse d’aides internationales ou non, se manifeste dans la détérioration rapide des niveaux de malnutrition évoqués plus haut.
B – Les causes de la crise alimentaire
Les bouclages et les entraves aux déplacements
Atteignant un niveau sans précédent, les limitations imposées aux déplacements des Palestiniens à l’intérieur des Territoires Occupés privent les Palestiniens non seulement de leur liberté de mouvement, mais aussi de leur droit à l’alimentation. L’imposition généralisée et durable de couvre-feu, les routes bloquées, les différents systèmes de permis de circuler, les barrages de sécurité et l’obligation de décharger et de recharger les camions aux points « frontaliers » imposée par les forces militaires occupantes sont à l’origine de la crise humanitaire. Une étude financée par l’USAID avance que « L’éclatement de l’Intifada, en septembre 2000 et les incursions militaires israéliennes qui l’ont suivie, ainsi que les bouclages et les couvre-feu, ont dévasté l’économie palestinienne et miné les systèmes sur lesquels la population palestinienne s’appuyait habituellement afin d’obtenir les produits (et services) de première nécessité, notamment la nourriture et les soins médicaux [xi]. » La Banque Mondiale a constaté que « la cause directe de la crise économique palestinienne est la fermeture des Territoires [xii]. » Les restrictions aux déplacements se traduisent par le fait que l’économie s’est presque totalement effondrée et que les Palestiniens sont nombreux à ne pas pouvoir se nourrir : ils ne peuvent plus se rendre sur leur lieu de travail, ni aller moissonner leurs champs ou simplement aller acheter de quoi manger. Pour de nombreux Palestiniens, cette incapacité à nourrir leur famille entraîne pour eux une perte de leur dignité humaine et un désespoir insondable, souvent à cause des brutalités et des humiliations auxquelles ils sont soumis aux checkpoints lorsqu’ils tentent de les franchir pour aller au travail ou pour aller acheter de quoi manger [xiii]. Comme l’a écrit Avraham Burg, l’honorable ex-porte-parole de la Knesset, aujourd’hui député du parti Travailliste : « Il est bien difficile de se faire une représentation de l’expérience humiliante vécue par un Arabe méprisé qui doit ramper, des heures durant, sur les routes défoncées et bloquées qui lui sont assignées [xiv] ».
Les bouclages ne font pas seulement obstacle aux déplacements entre les régions palestiniennes et Israël, mais aussi entre régions situées à l’intérieur des territoires palestiniens. Les routes sont fermées, entre pratiquement toutes les villes et tous les villages, au moyen de checkpoints servis par des soldats ou encore au moyen de barrières physiques prenant la forme de blocs de béton ou de profondes tranchées. La plupart des trajets, qui n’auraient pris que quelques minutes en temps normal, exigent actuellement plusieurs heures, voire des journées entières, même lorsqu’il s’agit simplement de se rendre au village voisin. Le R. S. a constaté qu’il est presque toujours possible de trouver un long circuit détourné à travers les collines, pour quelqu’un en bonne santé et supportant de longues marches. Mais pour une personne âgée, faible, affamée ou malade, c’est impossible. Ce constat semble rendre bien difficile la justification des bouclages en alléguant qu’il s’agirait de mesures de sécurité efficaces. Les mouvements de biens sont contrôlés au moyen du système « dos à dos », qui consiste en ce que tous les camions doivent être déchargé d’un côté d’un check-point et qu’ensuite leur contenu soit rechargé sur d’autres camions, de l’autre côté de ce checkpoint. Etant donné la multitude de checkpoints dans l’ensemble de la Cisjordanie et de Gaza, cette mesures augmente considérablement le coût de transport de la nourriture et des productions agricoles [xv]. Dans certains cas, on refuse le permis de franchir les barrages pour aller chercher de la nourriture ou transporter des produits agricoles, plusieurs journées durant, sans autre explication. A plusieurs checkpoints de Cisjordanie, le R. S. a vu des camions chargés de fruits et de légumes en train de pourrir au soleil.
Tout Palestinien doit détenir un permis pour effectuer tout déplacement important ou encore aller travailler en Israël. Plus de 100 000 emplois occupés par des Palestiniens ont été perdus, en Israël, avec le déclenchement de l’Intifada, leurs permis de travail et de déplacement ayant été révoqués. Mais les Palestiniens doivent demander des permis y compris pour pouvoir se déplacer d’une ville de Cisjordanie à une autre, et ces permis leur sont souvent refusés sans aucune explication [xvi]. Les couvre-feu, quelquefois en vigueur plusieurs jours d’affilée, confinent les populations de villes entières chez elles, dans un état d’arrêt domiciliaire virtuel [xvii]. Ces mesures rendent la vie quasi invivable et elles menacent très sérieusement la sécurité alimentaire de tous les Palestiniens. De nombreuses organisations non gouvernementales (israéliennes, palestiniennes et internationales) suggèrent que ces mesures militaires ne servent absolument pas les objectifs sécuritaires allégués, mais sont imposées en guise de punition collective. Elles ne visent pas une population spécifique, qui pourrait éventuellement représenter une certaine menace, mais elles ont plutôt pour effet principal d’affecter gravement la sécurité alimentaire de la plupart des Palestiniens.
Très peu des bouclages et des checkpoints ont été levés par les forces occupantes durant la période de la visite du R. S.. Même lorsque les armées occupantes se retiraient de certaines des villes palestiniennes, les tanks n’étaient pas retirés, dans la plupart des cas, au-delà des faubourgs immédiats de ces localités. Ainsi, le R. S. a visité Bethléem à un moment où l’armée occupante s’était retirée du centre-ville, dont elles venaient de remettre le contrôle à la police palestinienne, et néanmoins, même durant cette période de « retrait », les habitants de Bethléem avaient encore le sentiment de vivre dans une prison géante, entourée par des tanks retirés seulement jusqu’aux faubourgs immédiats de la ville [xviii]. La voiture même du R. S. s’est vu refuser le passage à un checkpoint militarisé, en sortant de Bethléem, et dut faire demi-tour dans l’espoir de trouver un autre chemin.
Les restrictions d’eau sont aussi sérieuses et préoccupantes que les pénuries alimentaires. A cause du système de checkpoints et de barrages routiers mobiles en vigueur, les camions citernes transportant de l’eau ne sont pas toujours en mesure de parvenir jusqu’aux villages, ou bien sont bloqués arbitrairement à certains checkpoints, privant d’eau certaines agglomérations durant plusieurs jours [xix]. La situation est particulièrement préoccupante dans 280 communes rurales des Territoires Occupés qui ne disposent pas de puits et ne sont pas raccordés aux réseaux d’eau potable, et dépendent de ce fait entièrement de l’eau livrée par des camions citernes municipaux et privés. Le prix de l’eau acheminée par tanker a connu une augmentation de 80 % depuis septembre 2000, en raison de l’augmentation des coûts de transport occasionnée par les barrages routiers. De plus, la qualité de la plupart des eaux acheminées par tankers ne satisfait plus aux critères du WHO [Water Health Organization] [xx]. Les cas de maladies transmises par des germes anaérobies continuent à augmenter, conséquence de la destruction des ressources en eau et de la dépendance accrue de ressources en eau de piètre qualité [xxi].
La destruction, l’expropriation et la confiscation des terres palestiniennes
Depuis la seconde Intifada, un niveau sans précédent de destruction et de confiscation de terres, de ressources en eau, d’infrastructures et d’autres ressources palestiniennes, ainsi que l’extension continue des colonies israéliennes dans les Territoires Palestiniens contribuent, également, à priver de nombreux Palestiniens de leur droit à l’alimentation.
La destruction de fermes et de vastes étendues de terres cultivées, dont des oliveraies et des orangeraies, ainsi que des puits d’irrigation, ont contribué à l’effondrement du secteur agricole palestinien. Dans la bande de Gaza, le R. S. a vu la destruction dévastatrice de l’infrastructure agricole, la démolition de bâtiments agricoles et le labourage délibéré de vergers, détruisant des centaines d’oliviers et d’orangers à Beit Hanoun peu après une incursion de l’armée israélienne. Il a vu la destruction de maisons d’habitation et de gagne-pain pour les Palestiniens à Khan Younis et à Rafah. Il a vu les bulldozers des forces d’occupation encore à l’œuvre à Rafah à l’endroit même où Rachel Corrie, une pacifiste américaine militante, fut tuée par un bulldozer blindé tandis qu’elle tentait de sauver une maison palestinienne de sa destruction programmée. Cela se passait en mars 2003. [xxii].
L’expropriation et la confiscation de vastes superficies de terres agricoles palestiniennes et de points d’eau continuent. La terre est confisquée, par exemple, en vue de la construction de la « Barrière de Sécurité », alias « Mur de l’Apartheid » [xxiii] tout au long de la limite occidentale des Territoires Occupés (voir ci-après). Des terres sont actuellement en cours de confiscation, également, à Jérusalem, afin de construire une autre muraille, qui coupe des villes telles Abu Dis et Sawahreh en deux. Gideon Levy écrit que le mur qui coupe Abu Dis en deux n’est rien d’autre qu’ « un abus collectif sans aucun rapport avec sa finalité affichée ». Aucun passage n’a été ménagé dans ce mur, mais la police des frontière permet aux gens de l’escalader et de passer par-dessus s’ils en sont physiquement capables, tout en saisissant l’occasion de les humilier lorsqu’ils tentent d’accomplir ce véritable exploit. « Une ville entière escalade le mur pour aller à l’école, pour aller à l’épicerie, ou encore au travail – jour après jour, après-midi après après-midi : des vieux, des jeunes, des femmes et des enfants [xxiv]. » La ville de Sawahreh n’est pas encore entièrement coupée en deux. Le 14 août, 50 000 Palestiniens ont reçu un ordre d’expropriation émanant du Ministère israélien de la Défense, leur ordonnant de quitter leurs maisons, en application d’une loi datant de 1949 qui autorise l’armée à procéder à « des évacuations d’urgence, en cas d’impérieuse nécessité ». Les Palestiniens expulsés sont informés qu’ils peuvent percevoir des compensations, mais seuls quelques-uns d’entre eux auront les moyens financiers de payer les services d’avocats capables d’obtenir ces dédommagements [xxv].
Les terres sont également confisquées pour étendre des colonies, construire des routes réservées aux seuls colons et des bandes de sécurité autour des colonies. Ainsi, le 21 mai 2003, le ministère du Logement a rendu public un marché pour la construction de 502 appartements neufs à Maale Adumim – une énorme colonie qui s’étend, depuis l’est immédiat de Jérusalem jusqu’à la région de Jéricho, coupant la Cisjordanie en deux [xxvi]. La puissance occupante exerce un contrôle de plus en plus draconien sur des étendues de terres palestiniennes de plus en plus vastes, confinant les Palestiniens dans des zones de plus en plus exiguës de leur terre « en suivant un plan prédéterminé de colonisation et de construction de routes de contournement, qui vise à garantir la pérennisation de la mainmise israélienne tant, directement, sur les terres confisquées qui ont été déclarées « terres de l’Etat » qu’en encerclant chaque village et ville palestiniens par des colonies et des « no man’s lands » ou des terrains d’exercice de l’armée [xxvii]. » Des routes réservées aux colons sillonnent les territoires palestiniens, saucissonnant la région et opérant à l’instar d’une autre forme de bouclage entravant les déplacements des Palestiniens. De nombreuses ONG tant internationales qu’israéliennes et palestiniennes, affirment que la confiscation en cours de la terre palestiniennes équivaut à une lente dépossession du peuple palestinien.
Une stratégie de « bantoustanisation »
Pour de nombreux intellectuels israéliens et palestiniens, ainsi que pour les commentateurs de par le monde, la politique de confiscation de terrains est inspirée par une stratégie sous-jacente d’isolation graduelle des regroupements de population palestiniennes aboutissant à des « bantoustans » séparés les uns des autres. Michael Warshawski a pu identifier une politique délibérée de « bantoustanisation » de la Palestine [xxviii]. Un analyste israélien de renom, Akiva Eldar, a décrit le recours explicite au concept de bantoustan par le Premier ministre Sharon, qui, par le passé, « a longuement expliqué que le modèle des bantoustans était la solution la plus appropriée au conflit [xxix] ». Le terme de « bantoustans » fait historiquement référence aux zones territoriales séparées assignées à la population noire pour y résider par l’Etat d’apartheid d’Afrique du Sud. Le recours aux bantoustans aurait pour effet de couper totalement les Palestiniens de leurs terres et de leurs ressources en eau et de les empêcher d’édifier une nation palestinienne dotée d’une authentique souveraineté et capable de satisfaire au droit à l’alimentation de sa population.
La construction de la barrière de sécurité / mur d’apartheid est perçue comme une manifestation concrète de cette volonté de « bantoustanisation », de même que l’extension des (et la construction de nouvelles) colonies et de routes réservées aux colons, qui découpent la Cisjordanie et la bande de Gaza littéralement en unités territoriales contiguës. A l’examen de cartes détaillées de l’orientation actuelle et planifiée de la barrière de sécurité / mur d’apartheid, ainsi que des colonies, cartes fournies au R. S. tant par les Autorités israéliennes que palestiniennes, ainsi que par les ONG compétentes, il est évident que cette stratégie de bantoustanisation est en cours d’application. Cela menace la potentialité d’un Etat palestinien viable doté d’une économie efficiente à même de nourrir sa population. D’après Jeff Halper, Coordonnateur du Comité Israélien Contre la Démolition des Maisons, la feuille de route offre une lueur d’espoir en ceci qu’elle fait explicitement référence à la « fin de l’occupation » dans les Territoires. Toutefois, ce document arrive malheureusement en des temps « où Israël apporte la dernière main à la campagne qu’il mène inlassablement depuis trente-cinq ans, visant à rendre l’occupation irréversible [xxx]. »
L’obstruction à l’aide humanitaire
Le gouvernement israélien a l’obligation, sous l’empire du droit international, d’assurer la survie des populations soumises à son occupation et de leur porter secours en tant que de besoin. Néanmoins, aujourd’hui, ce sont l’ONU et d’autres organisations internationales, ainsi que des ONG, qui sont obligées d’intervenir afin d’apporter des secours alimentaires aux Palestiniens. A l’époque de la mission (juillet 2003), l’UNRWA apporte une aide alimentaire à 1,2 millions de réfugiés palestiniens à Gaza (sur un total de 1,5 millions). Le CICR [Comité International de la Croix-Rouge] fournit de la nourriture à 50 000 familles (soit à environ 650 000 personnes), après avoir prolongé – exceptionnellement – son programme de secours alimentaire jusqu’au mois de décembre 2003. En dépit de ces efforts afin d’apporter une aide alimentaire et d’autres formes d’assistance, de nombreuses organisations font état du fait que l’accès humanitaire est souvent restreint, voire dénié totalement, par l’administration de la puissance occupante, par les checkpoints, les bouclages de localités, le système de chargement – rechargement des camions [« back to back »]. La visite de l’Envoyée personnelle du Secrétaire Général Catherine Bertini, en août 2002, visait à obtenir du gouvernement israélien des engagements spécifiques à faciliter l’accès à l’aide humanitaire des populations concernées. Toutefois, de nombreuses instances d’aide, tant internationales que locales, ont informé le R. S. que, bien que cette démarche ait produit quelques améliorations minimes dans l’accès à l’aide humanitaire, les engagements du gouvernement israélien vis-à-vis de Madame Bertini sont encore loin d’être respectés en totalité.
Si l’accès aux aides alimentaires humanitaires s’est grandement amélioré à court terme, à moyen terme l’aide alimentaire ne saurait représenter la réponse la plus appropriée à la crise. Le R. S. convient, avec Catherine Bertini, que la crise humanitaire découle entièrement de facteurs humains [xxxi]. Les pénuries d’aliments et d’eau potable ne sont en rien les conséquences de sécheresses ou d’inondations ou encore d’autre calamités naturelles. Les Territoires Palestiniens, avant la crise actuelle, disposaient de terres fertiles et connaissaient dans l’ensemble une économie bouillonnante, exportant des dizaines de tonnes d’olives, de fruits et de légumes vers Israël, l’Europe et les pays du Golfe. La crise actuelle, fabriquée par la main de l’homme, résulte des mesures impitoyables qui entravent les déplacements des personnes et le transport des biens, et qui ont amené l’économie palestinienne au bord de l’effondrement. La crise humanitaire pourrait, par tant, être rapidement soulagée si les entraves aux personnes et aux biens étaient immédiatement desserrées.
II – CADRE JURIDIQUE DU DROIT ALIMENTAIRE DANS LES T. P. O.
La crise humanitaire constatée aujourd’hui dans les Territoires Occupés résulte de violations évidentes du droit à l’alimentation. En vertu des droits humains internationaux et du droit humanitaire, le gouvernement d’Israël, de par son occupation des Territoires palestiniens, a la responsabilité de garantir les besoins fondamentaux de la population civile palestinienne. Le gouvernement israélien est responsable de la satisfaction du droit à s’alimenter de la population palestinienne, et il a l’obligation d’éviter de violer ce droit. Sous l’empire du droit international, l’établissement de colonies dans des territoires occupés est interdite, ainsi que les punitions collectives à l’encontre de la population civile. Ce chapitre définira le droit à l’alimentation et présentera le cadre légal régissant le droit à l’alimentation dans les Territoires Occupés, y incluses les obligations de la puissance occupante, Israël.
Le droit à l’alimentation est avant tout le droit d’être en mesure, pour une personne, de se nourrir elle-même, grâce à un accès physique et économique à la nourriture. Le droit à l’alimentation a été défini exhaustivement dans la 12ème Observation Générale du Comité des Droits Economiques, Sociaux et Culturels. En s’inspirant de cette Observation, le R. S. caractérise le droit à l’alimentation comme « le droit d’avoir un accès régulier, permanent et sans entrave, soit directement, soit au travers d’une transaction financière (commerciale), à une nourriture quantitativement et qualitativement adaptée et suffisante qui soit aussi une nourriture correspondant aux traditions culturelles du peuple auquel appartient le consommateur, et qui soit à même de garantir une vie, individuelle et collective, satisfaisante, digne, et exempte de toute crainte » (E/CN.4/2001/53). Le droit à l’alimentation inclut l’accès à l’eau potable et à l’eau d’irrigation nécessaire à une production agricole de subsistance (A/56/210 ; E/CN.4/2003/54). Comme cela a été souligné dans l’Observation Générale 12, le droit à l’alimentation implique trois niveaux différents d’obligation – les obligations de respecter, de protéger le droit à l’alimentation et, enfin, d’y satisfaire.
Statut des T. P. O. du point de vue du droit international
Sous l’empire du droit international, la Cisjordanie, Jérusalem Est et la bande de Gaza sont définis comme « Territoires Occupés », et Israël comme « Puissance Occupante ». Ceci a été confirmé par le Conseil de Sécurité [xxxii] et l’Assemblée Générale de l’ONU. Ces territoires sont considérés « occupés » en application d’un des principes fondamentaux du droit international – l’inadmissibilité de l’acquisition de territoire(s) par la guerre. Ceci a été confirmé par le Conseil de Sécurité depuis sa Résolution 242, adoptée le 22 novembre 1967. Le processus d’Oslo n’a pas changé le statut des Territoires Occupés, et ceci a été souligné par le Conseil de Sécurité [xxxiii], l’Assemblée Générale, le CICR et les Hautes Parties Contractantes à la Quatrième Convention de Genève.
Le droit international applicable aux Territoires Palestiniens Occupés inclut tant le droit humanitaire que la garantie des droits de l’Homme, bien que ceci soit contesté par le gouvernement d’Israël. Israël, en effet, conteste l’application (de jure) de la 4ème Convention de Genève, relative à la Protection des Personnes Civiles en temps de Guerre (mais il en accepte néanmoins de facto les attendus humanitaires). Ce gouvernement conteste également que les droits de l’Homme internationaux s’appliquent dans les Territoires Palestiniens Occupés. Toutefois, la plupart des pays et des corps constitués de l’ONU, dont le distingué R. S. chargé d’examiner la situation des droits de l’Homme dans les T. P. O., le Professeur John Dugard [xxxiv], ont exprimé l’avis que tant le droit humanitaire international que les droits de l’Homme s’appliquent dans ces Territoires.
En termes de droit humanitaire, le Conseil de Sécurité, l’Assemblée Générale, le CICR, les Hautes Parties Contractantes à la Convention de Genève, ainsi que la Commission des Droits de l’Homme de l’ONU ont réitéré de manière répétée que (cette) Convention s’applique de jure à la situation des T. P. O.. D’après la Cour Suprême israélienne [xxxv], les seuls textes qui s’appliqueraient dans les Territoires seraient ceux des Règlements de La Haye de 1907 concernant les lois et usages de la guerre terrestre, dont les Articles 42 à 56 sont relatifs à des territoires occupés, attendu que ces Règlements sont constitutives du droit international reçu. Toutefois, la 4ème Convention de Genève est, elle aussi, constitutive du droit international reconnu, et cela a été confirmé par la Cour Internationale de Justice [xxxvi] et le Conseil de Sécurité, et, par conséquent, cette loi devrait elle aussi être invocable devant la Cour Suprême d’Israël. Cela vaut également pour la Troisième Convention de Genève, relative au Traitement des Prisonniers de guerre [xxxvii].
En termes de droit international humanitaire, l’applicabilité de ce droit a été réitéré par le Conseil de Sécurité, l’Assemblée Générale, la Commission des Droits de l’Homme, le Comité pour les Droits de l’Enfant, le Comité Contre la Torture et le Comité pour l’Elimination de la Discrimination Raciale. L’applicabilité du droit des droits de l’Homme a été également confirmée par l’Accord intérimaire dans lequel Israël et le Conseil Palestinien sont convenus d’exercer leurs pouvoirs et responsabilités « en respectant dûment les normes et principes internationalement reconnus des droits de l’Homme et de l’état de droit » [xxxviii].
De plus, comme l’a réaffirmé l’Assemblée Générale à de multiples reprises [xxxix], le peuple palestinien détient le droit à s’autodéterminer, en vertu de quoi il devrait pouvoir disposer librement de ses richesses et ressources naturelles, dont la terre et l’eau et, en aucun cas, il ne devrait se voir privé de ses propres moyens de subsistance [xl]. Le processus d’Oslo, qui a abouti à l’émergence de l’Autorité palestinienne, et la feuille de route, qui vise à créer un Etat palestinien démocratique, indépendant et viable d’ici au 1er janvier 2005, renforcent et confirment ce droit.
Les obligations de la Puissance Occupante : Israël
En tant que puissance occupante, le Gouvernement d’Israël a certains droits et obligations précis, en vertu du droit humanitaire, dont l’interdiction des punitions collectives et de construire des implantations. Ceci n’a pas été remis en cause par le processus d’Oslo, et cela a été confirmé par le Conseil de Sécurité le 7 octobre 2000, qui a exhorté « Israël, en tant que Puissance Occupante, à observer scrupuleusement ses obligations et responsabilités légales sous l’empire de la 4ème Convention de Genève [xli].
Comme l’a souligné le R. S. dans ses rapports précédents (A/56/210 ; E/CN.4/2002/58), de nombreuses lois du droit humanitaire visent à garantir que la population soumise à occupation a accès à une nourriture et une eau satisfaisantes. Certaines de ces lois sont de nature préventive, d’autres concernent les secours d’urgence et l’assistance humanitaire et d’autres, enfin, s’attachent à garantir l’accès à la nourriture de catégories de population spécifiques, dont les prisonniers.
La première obligation de la Puissance Occupante est de respecter l’accès à la nourriture et à l’eau potable de la population palestinienne, et son accès aux ressources, dont les terres agricoles et l’eau d’irrigation nécessaire lui permettant de produire et de disposer d’une nourriture adaptée à ses besoins. Pour le droit humanitaire, les propriétés privées ne peuvent être confisquées (articles 33 et 47 de la 4ème C. de Genève), la réquisition de terres ne peut être imposée, sauf pour nécessités militaires (article 52 des Règlements de La Haye), et toute destruction de biens appartenant à des individus ou à des collectivités ou encore à l’Etat ainsi qu’à d’autres collectivités publiques, est interdite par l’article 53 de la 4ème C. de Genève, à moins que cette destruction ne soit rendue absolument nécessaire par les opérations militaires. Pour la même raison, l’évacuation d’une région donnée est interdite, sauf si des raisons militaires impérieuses l’exigent, et dans ce cas, une assistance spécifiques doit être assurée et les déplacements de population être effectués tout en satisfaisant aux conditions assurant une alimentation satisfaisante (article 49, para. 2 et 3 de la 4ème C. de Genève). L’article 49 (6) de la 4ème C. de Genève interdit à Israël de transférer toute partie de sa propre population civile à l’intérieur des territoires occupés.
En tant que Puissance Occupante, le gouvernement israélien a, de plus, l’obligation de fournir les ressources (dont la nourriture et l’eau) si les ressources disponibles dans les Territoires ne conviennent pas (en quantité et en qualité). En vertu du droit humanitaire, la Puissance Occupante doit assurer la fourniture à la population de la nourriture et de l’eau et apporter les denrées alimentaires nécessaires (art. 55), et si tout ou partie de la population n’est pas approvisionnée de manière adéquate, elle doit convenir de plans de secours en direction de cette population et elle doit en faciliter la mise en place et la mise en œuvre par des Etats ou des organisations humanitaires impartiales, tel le CICR (art. 59). Dans la situation actuelle, des agences, dont l’ONU et le CICR, distribuent des vivres à la population palestinienne, mais cela ne saurait en rien réduire les obligations qui incombent à Israël en tant que puissance occupante (article 60 de la 4ème Convention de Genève).
Le droit humanitaire prend les impératifs militaire en considération. La Puissance Occupante a le droit de prendre des mesures – militaires ou administratives – destinées à garantir la sécurité de ses forces armées ou de son administration d’occupation dans les Territoires Occupés, dès lors que les mesures ainsi prises sont rendues absolument nécessaires par les opérations militaires, ne sont pas interdites, sont proportionnées, et n’empêchent pas la Puissance Occupante de respecter l’obligation qui lui est faite d’assurer les besoins fondamentaux des habitants des Territoires Occupés. Par ailleurs, d’après le droit humanitaire, la Puissance Occupante n’a par définition pas le droit de prendre des mesures relatives à la sécurité de ses citoyens vivant dans des colonies situées sur les Territoires Occupés, dès lors que la création d’implantations est illégale en elle-même, comme l’a souligné l’Article 49 (6) de la 4ème Convention de Genève. Ce point a été réaffirmé à plusieurs reprises par l’Assemblée Générale de l’ONU, le CICR et les Hautes Parties Contractantes aux Conventions de Genève, ainsi que par le Conseil de Sécurité.
L’Etat d’Israël a ratifié tous les instruments principaux de protection des droits de l’Homme qui garantissent le droit à la nourriture ; en particulier, le Pacte International sur les Droits Economiques, Sociaux et Culturels (article 11), la Convention des Droits de l’Enfant (articles 54, 27) et la Convention pour l’Elimination de la Discrimination envers les Femmes (article 12), sans formuler aucune réserve quant à l’applicabilité de ces Conventions dans les Territoires Occupés (palestiniens). Il doit aussi respecter la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme (article 25), qui est devenue à bien des égards une partie coutumière du droit international. Toutefois, le gouvernement israélien maintient qu’il ne peut être tenu de respecter ces instruments des droits humains dans les actions qu’il mène dans les Territoires Occupés, au prétexte que lorsque c’est le droit humanitaire qui s’applique, les droits de l’Homme ne s’appliquent pas, et que les instruments de défense des droits de l’homme ne sont pas valables pour des régions qui ne sont pas soumises à sa souveraineté territoriale et à sa juridiction [xliii]. Le R. S. rappelle, toutefois, que l’applicabilité du droit humanitaire n’est pas exclusive du respect des droits de l’Homme, et que le droit à la nourriture, à l’instar de tous les droits humains, s’applique y compris durant une période d’occupation, chose qui a été réaffirmée de manière répétée par le Conseil de Sécurité et l’Assemblée générale. Il souligne que le Comité des Droits Economiques, Sociaux et Culturels, ainsi que d’autres Comités d’experts, ont insisté à dire que les droits de l’Homme « s’appliquent dans tous les territoires et à toutes les populations soumis effectivement à son contrôle » [xliii]. Le R. S. rappelle, par ailleurs, qu’un Etat est responsable des actes de ses autorités dans des territoires situés à l’extérieur de sa juridiction de jure, et donc dans des territoires occupés, comme argumenté en 1992 par le Rapporteur Spécial sur la situation des droits de l’Homme au Koweït sous occupation irakienne [xliv], ainsi que récemment par le Comité des Droits de l’Homme [xlv] et il rappelle aussi que la Convention Internationale sur les Droits Economiques, Sociaux et Culturels ne comporte aucune clause de limitation territoriale.
En vertu des accords d’Oslo, il est reconnu qu’une part importante des responsabilités du gouvernement israélien dans les Territoires a été transférée à l’Autorité Palestinienne, en matière administrative et sécuritaire dans la bande de Gaza (sur 74 % de la bande de Gaza, en mars 2000) ainsi que dans la zone A (18,2 % des Territoires, en mars 2000) et, pour les questions administratives seulement, dans la zone B (21,8 % des T. P. O. en mars 2000). Toutefois, la situation a évolué depuis septembre 2000, l’armée ayant repris le contrôle de la plupart des Territoires autour et à l’intérieur des zones A et B. Il n’y a, de ce fait, aucun doute quant aux obligations qui sont celles du gouvernement israélien, eu égard au droit à l’alimentation, dans les Territoires palestiniens, aujourd’hui. Le R. S. souligne que la grande majorité des T. P. O. est soumise au contrôle total – tant militaire qu’administratif – de l’armée d’occupation, et qu’il en va de même en matière d’accès (entrées et sorties) des (et vers les) zones sous administration palestinienne, comme il a pu le vérifier durant ses déplacements dans la bande de Gaza, à Ramallah, à Bethléem, à Jéricho, à Qalqiliya, à Tulkarem, etc.
Israël est, par conséquent, soumis à l’obligation de respecter, de protéger et de satisfaire au droit à l’alimentation de la population palestinienne dans les T. P. O., sans discrimination (A/56/210). Ces trois niveaux d’obligation de respecter, de protéger et de rendre effectif le droit à l’alimentation ont été soulignés dans le Commentaire Général 12 du Comité des Droits Economiques, Sociaux et Culturels. L’obligation de respecter le droit à l’alimentation implique qu’Israël ne devrait prendre aucune mesure susceptible d’affecter négativement les accès physiques et économiques existants à la nourriture et à l’eau potable de la population palestinienne, ni de limiter la disponibilité ou la qualité de cette nourriture et de cette eau. L’obligation de mettre en application le droit signifie que le gouvernement d’Israël doit prendre les mesures nécessaires afin de faciliter l’accès à la nourriture et à l’eau de la population palestinienne (en leur permettant de se nourrir par eux-mêmes), et ce n’est qu’en dernier recours qu’il doit distribuer de la nourriture et de l’eau aux gens qui n’ont pas accès à la nourriture et à l’eau. Dans ce cas, les bénéficiaires des programmes d’aide alimentaire ne doivent en aucun cas être considérés comme des bénéficiaires passifs, mais toujours comme des ayant droits, éligibles à une nourriture et à une eau en quantités et en qualité idoines. Enfin, le gouvernement d’Israël a, en vertu des droits de l’Homme et du droit humanitaire, l’obligation de fournir une nourriture et une eau appropriées aux prisonniers palestiniens. Le R. S. a souligné, également, que l’Article I de l’Amendement envisage qu’en aucun cas un peuple ne devrait être privé de ses propres moyens de survie.
Les obligations de l’Autorité palestinienne
L’Autorité Palestinienne, en l’absence d’Etat palestinien indépendant, n’est partie prenante dans aucun des instruments légaux protégeant les droits humains ni dans le droit humanitaire international. Toutefois, elle est tenue, à travers le processus d’Oslo, de respecter les droits de l’Homme internationaux, dont le droit à l’alimentation. D’après l’Article XIX de l’Accord Intérimaire israélo-palestinien sur la Cisjordanie et la bande de Gaza, les autorités palestiniennes sont convenues d’exercer leurs prérogatives et leurs responsabilités « en tenant le plus grand compte des normes et des principes internationalement reconnus en matière de droits de l’Homme et d’état de droit ».
Dans le cadre du processus d’Oslo, certaines responsabilités importantes en matière d’administration et de sécurité ont été transférées à l’Autorité palestinienne dans les zones A et B, en mars 2000. Dans ces régions, l’Autorité palestinienne, par conséquent, est dotée de responsabilités importante en matière de questions relatives à la nourriture et à l’eau. Toutefois, la situation a évolué, depuis septembre 2000 et, aujourd’hui, la puissance occupante a repris le contrôle de la majorité des T. P. O., y compris à l’intérieur et autour des zones A et B. De plus, les forces armées d’occupation ont détruit la plupart des infrastructures de l’Autorité palestinienne, et il est aujourd’hui très difficile, même pour les personnels de l’Autorité palestinienne, de se déplacer à l’intérieur des T. P. O. Tous ces facteurs ont considérablement réduit le contrôle de l’Autorité palestinienne sur les Territoires ainsi que sa capacité à garantir que la population de ces régions a accès à une nourriture et une eau satisfaisantes. Il en résulte qu’aujourd’hui l’Autorité palestinienne n’a aucune obligation de respecter, de protéger et de mettre en application le droit à la nourriture des Palestiniens vivant dans les zones A et B, sauf là où elle exerce un contrôle effectif et, cela, dans la mesure où des ressources sont disponibles.
Dans les zones où elle exerce effectivement son contrôle, l’Autorité palestinienne développe actuellement une Stratégie Nationale de Sécurité Alimentaire et elle mène à bien divers programmes sociaux, dont l’aide apportée à 36 000 foyers dans le cadre du programme des Cas Sociaux Difficiles du ministère des Affaires Sociales. bien que l’Autorité palestinienne ait fréquemment été accusée de corruption et d’incompétence par les Palestiniens ainsi que par d’autres acteurs (xlvi), la Banque Mondiale note que ce programme est efficacement mené et qu’elle ne constate virtuellement aucune déperdition d’aides en direction de personnes qui n’en justifieraient pas [xlxii]. La Banque Mondiale relève également que l’Autorité palestinienne est en cours de réforme et affirme qu’en ce qui concerne la fourniture des services sociaux fondamentaux, l’Autorité palestinienne a fait aussi bien qu’elle pouvait le faire compte tenu de la difficulté de la situation, avec notamment les restrictions imposées aux déplacements des personnels administratifs et des ministres de l’Autorité palestinienne [xlviii]. Toutefois, le Rapporteur Spécial a ressenti une certaine préoccupation en raison d’informations faisant état de plaintes de nombreux détenus des prisons palestiniennes qui ne recevraient pas une alimentation suffisante, lesquels rapports ont été confirmés par plusieurs ONG. Il souhaite souligner que l’Autorité palestinienne a l’obligation de respecter le droit à l’alimentation des prisonniers qu’elle détient, comme souligné par les engagements auxquels elle a souscrit dans le cadre de l’Accord intérimaire et du Mémorandum de Wye River [xlix].
Autres textes et institutions fondamentaux pertinents
La gamme des lois régissant la situation dans les T. P. O. forme un système très complexe. Elle comporte des éléments hérités du droit ottoman, du droit mandataire britannique, du droit jordanien en Cisjordanie et du droit égyptien dans la bande de Gaza, de la juridiction militaire israélienne, ainsi que de lois palestiniennes plus récentes et de lois du droit international.
Selon les Règlements d’Urgence édictés par le gouvernement israélien en 1967, le Commandant militaire de la Puissance Occupante a la compétence lui permettant de publier des Ordres Militaires s’appliquant aux T. P. O. A l’aide de ces ordres militaires, la puissance occupante a pris le contrôle de milliers d’acres de terres dans l’ensemble de la Cisjordanie et de la bande de Gaza, afin d’y construire des colonies ou des routes de contournement. Les quatre méthodes ci-après sont utilisées afin de s’assurer du contrôle de la terre : (i) la déclaration et l’enregistrement au cadastre d’une terre sous la qualification de « terre d’Etat », (ii) la réquisition de la terre pour des besoins militaires, (iii) la déclaration d’une terre propriété abandonnés et enfin (iv) la confiscation pour utilité publique. Toutefois le R. S. insiste sur le fait que toutes les saisies de terres en vue de la construction de colonies dans les T. P. O. sont constitutives de violations de la 4ème Convention de Genève, qui prohibe la création de colonies, ainsi que sur le fait que toute confiscation de propriété privée dans les Territoires occupés est une violation des Règlements de La Haye. De plus, la prise de contrôle de toute propriété de la population palestinienne ou de l’Autorité palestinienne représente une violation du droit du peuple palestinien à disposer librement de sa richesse et de ses ressources naturelles, droit conforme à son droit à l’autodétermination. Comme l’a spécifié le Conseil de Sécurité dans sa résolution 465, « toutes les mesures prises par Israël afin de modifier le caractère physique, la composition démographique, la structure et / ou le statut institutionnel des territoires et autres territoires arabes occupés depuis 1967, y compris Jérusalem, ou toute partie des mêmes, n’a pas de validité légale et (…) « la politique et les pratiques d’Israël consistant à installer certaines parties de sa population, ainsi que de nouveaux immigrants, dans lesdits territoires, constitue une violation flagrante de la 4ème Convention de Genève (…) ainsi qu’une très sérieuse obstruction à l’établissement d’une paix globale, équitable et durable, au Moyen-Orient » [l].
Les accords d’Oslo sont importants, également, si l’on veut comprendre les problèmes liés à la terre, à l’eau et aux colonies, dans les Territoires occupés. La plupart de ces problèmes sont traités dans l’Accord Intérimaire de 1995 et dans ses annexes. D’après l’article 40 de l’Annexe III de l’Accord Intérimaire de 1995, le gouvernement d’Israël a reconnu les droits d’accès à l’eau des Palestiniens en Cisjordanie, et un Comité Conjoint de l’Eau a été créé afin de traiter tous les problèmes relatifs à l’eau et au réseaux d’assainissement en Cisjordanie, y compris la protection des ressources hydriques et des systèmes d’évacuation des eaux usées, et prévoyant un échange d’informations. En ce qui concerne la Bande de Gaza, les deux parties sont convenues que l’Autorité palestinienne est responsable de l’eau et des égouts des Palestiniens, tandis que la société de distribution d’eau israélienne Mekorot est responsable des réseaux d’eau fournissant les colonies et les installations militaires. Le R. S. a rencontré plusieurs officiels palestiniens, qui ont déclaré être déçus par le fait que toutes les décisions du Comité Conjoint de l’Eau doivent faire l’objet d’un consensus, ce qui signifie dans les faits que le Gouvernement israélien a opposé son veto à tout nouveau forage et à toute nouvelle installation de tout à l’égout en Cisjordanie.
Les accords d’Oslo traitent également de la responsabilité du gouvernement israélien eu égard aux colonies israéliennes. D’après l’article XII de l’accord intérimaire : « Israël continuera à assurer la responsabilité (…) de la sécurité générale des Israéliens et des colonies, en vue de sauvegarder leur sécurité interne et l’ordre public, et il disposera des pouvoirs de prendre toute mesure nécessaire afin d’assurer cette responsabilité. » Le R. S. souhaite souligner que toutes les provisions prises dans le cadre des accords d’Oslo ne devraient en aucun cas porter atteinte aux protections déjà garanties auparavant aux Palestiniens par les droits de l’Homme internationalement reconnus et le droit humanitaire. Comme énoncé à l’article 47 de la 4ème Convention de Genève, « Les personnes protégées vivant en territoire occupé ne peuvent en aucun cas et d’aucune manière se voir dénier les bénéfices de la présente Convention en vertu d’un quelconque changement introduit, à la suite de l’occupation d’un territoire, dans les institutions ou dans le gouvernement dudit territoire, ni au moyen d’un quelconque accord conclu entre les autorités du territoire occupé et celles de la puissance occupante (…) ». En 2001, le CICR a rendu public le communiqué ci-après devant la Conférence des Hautes Parties Contractantes à la Quatrième Convention de Genève :
« Le CICR a exprimé une préoccupation croissante au sujet des conséquences en termes humanitaires de la création de colonies israéliennes dans les territoires occupés, en violation de la 4ème Convention de Genève. La politique de colonisation a souvent signifié la destruction de maisons palestiniennes, la confiscation de terres et de ressources en eau, et la parcellisation des territoires. Les mesures prises afin d’étendre les implantations et de protéger les colons, entraînant la démolition de maisons, les réquisitions de terres, le bouclage de régions entières, les blocages routiers et l’imposition de couvre-feu de longue durée, ont également contribué à gravement porter atteinte à la vie quotidienne de la population palestinienne. » [li].
Le R. S. a rencontré les honorés membres du Conseil Législatif Palestinien créé en 1996, dont tous les Présidents des principales commission parlementaires. Les réalisations de ce Conseil sont impressionnantes. Ainsi, par exemple, la Loi sur l’Eau (3/2002) adoptée le 17 juillet 2002 représente une proposition permettant d’unifier les législations (différentes) en vigueur en Cisjordanie et à Gaza. Cette loi reconnaît le droit de chaque personne à un approvisionnement en eau convenable (article 3) ainsi que d’en obtenir le service, elle crée une institution, l’ « Autorité de l’Eau », dont les taches et les responsabilités sont définies en détail. Le R. S. a déjà souligné le fait que les capacités et les ressources disponibles, pour les autorités palestiniennes, sont très limitées. Toutefois, les nouvelles lois palestiniennes représentent un moyen important de mettre en application le droit à l’alimentation dans les T. P. O.
III PRINCIPALES CONSTATATIONS EN MATIERE DE LA MISE EN APPLICATION DU DROIT A L’ALIMENTATION
A – La crise alimentaire
Le R. S. a été profondément alarmé par la détérioration rapide des niveaux de malnutrition et de pauvreté ainsi que par la dégradation de l’accès des Palestiniens à la nourriture et à l’eau potable. La dépendance croissante de la population palestinienne vis-à-vis de l’aide alimentaire, au moment même où les restrictions imposées à l’accès des humanitaires restaient en vigueur, souligne la vulnérabilité de la population palestinienne. Au cours des conversations du R. S. avec les autorités israéliennes, celles-ci ont reconnu qu’il y a bien crise humanitaire dans les Territoires Occupés, et elles n’ont pas cherché à mettre en cause les statistiques faisant état d’une augmentation de la malnutrition et de la pauvreté des Palestiniens. Toutefois, elles y voient la conséquence, certes regrettable, mais inévitable, de mesures sécuritaires absolument nécessaires afin d’éviter des attaques contre des citoyens israéliens. Le R. S. ne remet pas en cause les besoins d’Israël en matière de sécurité, et il comprend les risques encourus quotidiennement par les citoyens israéliens vivant en Israël. Toutefois, du point de vue du R. S., les mesures prises actuellement sont totalement hors de proportion, car elles provoquent la faim et la malnutrition de civils palestiniens d’une manière qui équivaut à l’imposition d’une punition collective à la société palestinienne. Comme l’a noté Amnesty International, il n’est pas licite de punir une population entière en raison des actes de certains, très peu nombreux, de ses membres [lii].
Des responsables du ministère israélien de la Défense et de l’Administration Civile ont informé le R. S. du fait qu’elles étaient en train de prendre certaines mesures spécifiques dans certaines circonstances, afin de tenter d’alléger les souffrances découlant de la situation humanitaire. Le site web des Forces Israéliennes de Défense publie une liste de certaines de ces actions. [liii]. Toutefois, le R. S. a remarqué que ces mesures isolées semblent avoir des effets limités sur la situation actuelle. Il pense que, ainsi que l’a affirmé la Banque Mondiale, « la cause immédiate de la crise économique palestinienne est le bouclage (des territoires) » [liv] et que, par conséquent, ce n’est qu’en levant ce régime de blocus que la catastrophe humaine pourra être évitée.
Le R. S. est également gravement préoccupé par la destruction et la confiscation continues de terres, de puits et d’autres ressources en Palestine. La confiscation incessante de terres palestiniennes rendra totalement impossible l’option d’un Etat palestinien indépendant, capable d’assurer durablement une économie et un secteur agricole viables et qui soit en mesure d’assurer que le droit à l’alimentation soit garanti à la population palestinienne.
B – Les violations du droit à l’alimentation
Le R. S. est préoccupé par les nombreuses violations caractérisées du droit à l’alimentation. Dans le chapitre ci-après, il souligne les violations des différentes obligations découlant de l’engagement à respecter le droit à l’alimentation. Comme souligné dans le Commentaire Général n° 12 du Comité des Droits Economiques, Sociaux et Culturels, ces obligations impliquent celle de respecter, de protéger et de mettre en application le droit à l’alimentation.
L’obligation de respecter le droit à l’alimentation
L’obligation qui lui est faite de respecter le droit à l’alimentation signifie, pour la puissance occupante, qu’elle ne doit rien entreprendre qui risque d’interrompre ou de détruire l’accès existant à la nourriture des Palestiniens. Il s’agit d’une obligation immédiate, qui requière de la Puissance Occupante qu’elle évite de restreindre, de dénier ou de détruire l’accès physique ou économique existant ou disponible à une nourriture et une eau convenables.
Bouclages et couvre-feu
L’imposition étendue de bouclages, de couvre-feu et de systèmes de permis de circuler est constitutive d’une violation de l’obligation de respecter l’accès existant à la nourriture, et ils menacent l’accès tant physique qu’économique des Palestiniens à la nourriture. Les Palestiniens se sont même vu interdire l’accès à la nourriture car ils étaient consignés chez eux par des couvre-feu prolongés, et parce qu’il y a des pénuries alimentaires dans les commerces en raison des bouclages [lv]. Les mesures militaires spécifiques, mises en place aux seuls fins de protéger les colons dans les Territoires Palestiniens Occupés sont illégales, les colonies étant elles-mêmes illégales aux yeux du droit international.
L’OCHA a relevé, en 2003, qu’ « en raison des restrictions aux déplacements, la distribution et la commercialisation de produits alimentaires a été sévèrement affectée, désorganisant de ce fait la stabilité de l’approvisionnement alimentaire et affectant sévèrement l’économie des populations paysannes / rurales » [lvi]. Une étude de l’USAID rendue publique en septembre 2002 a montré que « les interruptions d’approvisionnement dues aux couvre-feu, aux bouclages, aux incursions militaires, aux fermetures de frontières et aux checkpoints ont affecté la disponibilité d’aliments clés riches en protéines, en particulier de la viande, de la volaille et des produits laitiers, et notamment du lait en poudre et du lait destiné aux bébés » [lvii]. Cette étude a montré que les couvre-feu ont représenté la principale raison, en Cisjordanienne, qui fait que les gens mangent moins, en particulier dans la ville de Naplouse, qui a été soumise au couvre-feu durant 1 797 heures du 21 juin au 6 septembre 2002, ainsi qu’à Tulkarem, qui a été soumise au couvre-feu durant 1 486 heures durant la même période, tandis que les villes de Ramallah et de Bethléem étaient elles aussi sévèrement affectées [lviii]. De ses conversations avec l’UNRWA, le R. S. a appris qu’en dépit de l’excellente récolte de 250 000 tonnes d’olives en 2002, les Palestiniens n’ont pas pu en vendre