« On est chez nous, on va crever ici s’il le faut ! Aller on passe ! » Retour sur la manifestation pour l’hôpital de Carhaix à Quimper

La journée avait démarrée bon enfant. Départ de Carhaix à 9h30 pour la préfecture de Quimper, avec 4 bus affrétés par des entreprises carhaisiennes et conduites par des chauffeurs bénévoles. Le groupe est rejoint sur place par de nombreuses personnes venues de tout le Centre-Bretagne en covoiturage. Au final ce seront 1000 personnes qui se retrouveront à 11h devant le pont sur l’Odet, barré par un camion des forces de l’ordre, dans le calme.

Peu de temps après, la délégation d’élu-e-s du territoire et de délégué-e-s du personnel de l’hôpital est reçue par le préfet. Elle quittera le rassemblement en suivant un groupe de sonneurs sonnant le Kan Bale an ARB, le chant de marche de l’Armée Révolutionnaire Bretonne de Glenmor, alors que peu de temps après un feu est allumé sur la route. Le reste de la manifestation se restaurera en attendant le retour de la délégation. Cependant, au bout de 2 heures d’attente, l’énervement se fait ressentir, le rassemblement se sentant une nouvelle fois ignoré et comprend que les institutions jouent la montre et comptent sur la démotivation des manifestant-e-s.

La tension monte. La catapulte, symbole historique de la lutte pour la maternité de l’hôpital de Carhaix, est déployée à quelques mètres du camion de gendarmerie. Quelques pétards éclatent. Un élu, agriculteur carhaisien, écharpe républicaine en travers du corps, lâche un cri du coeur : « on est chez nous, on va crever ici s’il le faut ! Aller on passe ! ». La foule charge le cordon, complètement pris au dépourvu. Les gazeuses policières sortent en catastrophe, gazant autant les manifestant-e-s que les premiers rangs des gendarmes, n’ayant pas eu le temps de mettre leur masque. La foule est repoussée temporairement. Un manifestant jette un pétard et est immédiatement chargé par les gendarmes. La foule contre-charge et le libère, et tient le pavé face aux gendarmes, lançant des fusées de détresse et en entonnant la Blanche Hermine de Gilles Servat. Les gendarmes paniquent, inondent la zone d’un épais nuage de gaz lacrymogènes et la foule est obligée de se replier dans le centre-ville.

La tension redescend, le rassemblement se reconstitue calmement. La délégation quitte la préfecture. Bilan : « nous n’avons rien obtenu » annonce Christian Troadec, maire de Carhaix. La députée du territoire, Mélanie Thomin (NUPES) dénonce « un effondrement de l’hôpital public », Raymond Messager du Département Finistère apporte aussi tout son soutien au mouvement. Nous tenons à souligner un silence assourdissant, une absence totale de prise de position de la part de Loig Chesnais-Girard, président de la Région Bretagne, qui pourtant n’a pas eu de problème à soutenir récemment un projet d’autonomie pour la Bretagne sur le modèle Corse. Le prétexte avancé étant que la santé n’est pas dans le domaine de compétences de la Région. Si c’est le cas pourquoi donc le Département Finistère, pourtant d’étiquette LR, réussit malgré tout à prendre position et soutenir la lutte ? Serait-ce un choix politique de la part de Chesnais-Girard ? Si c’est le cas, son choix est d’ignorer la situation de l’accès aux soins des centre-bretons et des centre-bretonnes.

La fin de la journée est amère. Une nouvelle fois, il a fallu plus de 2 heures et demi de tergiversations aux représentants de l’état français pour au final opposer une nouvelle fois un mur aux revendications légitimes du Centre-Bretagne. Quelle est la suite ? « Ceux qui résident à la préfecture de Quimper devraient se souvenir de notre mobilisation de 2008. S’il faut le refaire, nous le referons ! », « Nous reviendrons ».

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Décès d’une fillette de 6 mois par manque de service d’urgence à l’hôpital de Carhaix : un nouveau symptôme de l’abandon des campagnes bretonnes par l’état français. Où en est la lutte des campagnes contre l’État ?

Que s’est-il passé ? Retour sur les derniers mois à Carhaix

Au cours de l’été 2023, les urgences de l’hôpital de Carhaix avait déjà été totalement fermées, les patient-e-s en danger devant se rendre aux hôpitaux de Morlaix, Quimper ou Brest (50 min en voiture dans les 2 premiers cas, 1h pour le 3e) pour se faire soigner. A la rentrée, en septembre 2023, les urgences avait été rouvertes mais « régulées », c’est-à-dire uniquement de jour ! Impossible d’être accueilli entre 18h30 et 8h30 ! Et c’est toujours le cas maintenant, en témoigne le drame qui vient d’avoir lieu.

Il y a peu, des élu-e-s et des membres du Comité de Défense de l’hôpital avaient déjà alerté sur les risques imminents de cas mortels suite au manque de service de nuit, mais nous ne pensions pas que le cas se présenterait aussi vite… C’est donc dans la nuit du 27 au 28 septembre qu’une fillette de 6 mois est décédée à la gendarmerie de Carhaix (un des parents étant gendarme), suite à des problèmes respiratoires.

Pourtant, la population n’était pas restée passive, bien au contraire ! Déjà le 18 mars, lors de l’annonce de la loi RIST, une manifestation avait rassemblé plus de 5000 personnes dans les rues de Carhaix. Le 4 septembre, face à l’incompréhension de la fermeture du service de nuit, 3000 personnes, dont de très nombreux élu-e-s du Centre-Bretagne, s’était rassemblé à nouveau, avec de plus une délégation de pompiers de la ville de Carhaix, qui avait manifesté en uniforme (rappelons que les pompiers professionnels, tous comme les policiers, ont interdiction de manifester en uniforme).

Le 7 septembre, 200 manifestant-e-s s’étaient rassemblés devant la préfecture et une délégation composée d’élu-e-s et de délégué-e-s syndicaux avait été reçue par un représentant du préfet, qui leur avait assuré que « la région prévoit le maintien des urgences de Carhaix 24h/24h et 7 jours sur 7 ».

Évidemment, aucune promesse écrite n’avait été donnée. Une semaine plus tard, le ton était monté : le 14 septembre une délégation avait été reçue dans les locaux quimperois de l’ARS (Agence Régionale de Santé) par la directrice de l’ARS Bretagne et la directrice du CHRU Brest-Carhaix. Rappelons que c’est cette même directrice du CHRU de Brest-Carhaix qui avait récemment déclaré, par rapport à la fermeture de la maternité, « qu’une femme en Guyane peut faire trois jours de pirogue pour accoucher. Les centre Bretonnes peuvent bien faire trois quarts d’heure de route pour accoucher à Brest ».

Suite aux piétinements des négociations, une centaine de manifestant-e-s avaient débordé les services policiers et occupé pendant 5 heures les locaux de l’ARS, empêchant les 2 directrices de quitter les lieux. Malheureusement, les manifestant-e-s avaient du quitter les lieux sans obtenir gain de cause, mais en promettant une prochaine manifestation, plus « musclée » cette fois-ci !

Cette nouvelle manifestation arrive ce samedi 30 septembre devant la préfecture de Quimper à 11h, seulement 2 jours après le drame qui secoue Carhaix. C’est une manifestation unitaire : les syndicats, la Mairie de Carhaix, les Comité de Défense et de Vigilance, même les clubs de foot locaux et le Motocultor, récemment arrivé sur Carhaix, appellent au rassemblement. Philippe Poutou est aussi annoncé dans le cortège !

Les campagnes contre l’Etat

Le cas carhaisien est symptomatique de notre époque, de nos gouvernements et de nos campagnes. Le libéralisme des gouvernements des dernières années n’a pas cessé son travail de sape, qui se solde par des morts, un décompte partiel annonçant au moins déjà plus de 150 mort-e-s au niveau français par faute de prise en charge efficace, chiffre sûrement largement sous-évalué.

Pour n’en citer que quelques autres, ce sont aussi des services dans les hôpitaux bretons de Guingamp, Landerneau, Concarneau, Lannion, Plöermel, Redon, Vitré, Fougères, Le Palais, et tant d’autres, qui sont menacés. le sentiment d’abandon par les services publics s’est généralisée dans toutes les campagnes bretonnes : fermetures d’écoles, de services d’hôpitaux, désertification médicale, difficulté d’accès aux services administratifs, transition numérique brutale, fermeture de gare et de lignes de train etc.

Ces territoires ruraux subissent aussi le plus l’inflation délirante des carburants couplée à une quasi inexistence de transports en commun.Sur les dernières années, des exemples concrets de luttes viennent en tête : la fermeture de la maternité de Carhaix en 2008, pour le Centre-Bretagne, les portiques de l’écotaxe de 2013 pour la Bretagne, et la hausse de la taxe de carburants de 2018 pour toute la France. Les campagnes sont donc assez bonnes pour payer l’impôt, mais pas assez bonnes pour avoir des services publics !

Mais la tradition de résistance est ancrée dans les campagnes, qui semblent calmes jusqu’à la dernière minute précédant l’explosion. Certains services de l’état français ne manquent en effet pas de moyen : Macron va annoncer la mise en place de 200 nouvelles brigades de gendarmerie en milieu rural ! Serait-ce une anticipation des nombreuses explosions à venir ?

Déjà en 2008, lors de la fermeture de la maternité de l’hôpital de Carhaix, de violents affrontements avait paralysé la ville de Quimper pendant plusieurs semaines, des manifestant-e-s avaient notamment tenté de forcer les grilles de la préfecture avec un chalumeau. Le maire de la ville Christian Troadec avait déclaré à l’occasion que « nous allons utiliser tous les moyens, y compris légaux, pour gagner notre combat ». Et iels avaient obtenu gain de cause : le 25 juin 2008, le tribunal administratif de Rennes avait condamné l’État à rouvrir la maternité, considérant qu’il organisait l’insécurité sur le territoire !

En 2013, lors de la mise en place de l’écotaxe, mesure ciblant particulièrement les campagnes, mais aussi la fermeture d’abattoirs, un mouvement social rural explose en Bretagne. Les portiques brûlent, des abattoirs sont occupés. Ce mouvement, interclassiste comme c’est souvent le cas en campagne, monte en puissance de la même manière que celle des futurs Gilets Jaunes : il adopte un symbole, le Bonnet Rouge, et c’est aussi lors d’un 3e samedi consécutif de manifestation nationale bretonne que les violences apparaissent : un manifestant aura sa main arrachée lors de l’assaut du portique de Pont-de-Buis. A la fin d’un conflit dur et très violent, 14 portiques (sur les 20 détruits dans l’héxagone) auront été détruits en Bretagne. L’état français sera forcé d’abandonner son projet, aventure ayant coûté des milliards au contribuable.

En 2018, alors que le gouvernement libéral d’Emmanuel Macron annonce une hausse de la taxe sur le prix des carburant, mesure ciblant particulièrement une nouvelle fois les classes populaires rurales, nouvelle explosion. Au bout du 3e samedi de manifestation en décembre 2018, la colère éclate : la police est débordée, l’Arc-de-Triomphe est envahi, les Champs Élysées brûlent. Pendant de longues semaines, tous les samedi, les centres des grandes villes seront paralysés, théâtre d’affrontements très violents entre forces de l’ordre et manifestant-e-s, issu-e-s en majorité des populations rurales et périurbaines.

En Bretagne se met en place une stratégie de rassemblement nationaux bretons itinérants, passant successivement de Quimper à Rennes, de Rennes à Nantes et ainsi de suite, en n’épargnant aucune des grandes villes bretonnes : Lorient, Brest, Saint-Brieuc, Morlaix, etc. Malgré un échec des revendications politiques du mouvement, Emmanuel Macron annoncera une annulation de la hausse de la taxe sur les carburants.

Ces luttes, qui font écho à des luttes rurales plus vieilles comme la révolte des Bonnets Rouges de 1675 ou la guerre des Rustauds en Alsace et en Lorraine, ont toujours la même base, celle d’une injustice de l’état, des institutions dirigeantes, d’une injustice directe et clairement identifiable.

Si les campagnes ne se soulèvent que rarement, en comparaison de la fréquence importante des mobilisations syndicales ou radicales urbaines, leurs luttes et leurs victoires restent nombreuses. Incompréhensibles par les élites politiques et médiatiques, imprévisibles par les forces de l’ordre, les explosions rurales montent vite en violence et ne s’arrêtent que lorsque leurs population sont satisfaites.

Les campagnes sont abandonnées socialement et régulièrement réprimées par l’état français, mais elles ne sont pas vaincues, ni en Bretagne ni ailleurs.

A tou-te-s les campagnard-e-s, allié-e-s aux camarades des villes, nous ne serons pas vaincu-e-s !