D’abord, cette année, les boniments (sarko-)chiraquiens n’ont pas suscité ce que Chirac lui-même nommait en Juin « les commentaires pseudo-intellectuels ». Les inepties libérales ne méritent jamais d’être redoublées par la glose journalesque – elles le seront de toute façon dans la presse écrite à 99% sous contrôle des Dassault, Lagardère et quelques autres. Mais l’absence de ces « analyses à chaud » télévisuelles a naturellement des allures de censure qu’on ne peut tout de même pas imputer à la grille horaire des Bouygues ni à leur célèbre ménagère de plus ou moins 50 ans puisque Rance 2 n’a pas non plus commenté « l’évènement ».

« Tout d’abord, j’aimerais rendre un hommage appuyé à l’Armée (les trois armes) qui fait un travail extraordinaire », a déclaré le Résident. Sur ce point il aurait pu laisser Drücker, du service dit public, le faire, comme cela ne manquera pas d’arriver très bientôt. Pour ces gens-là, les valeurs de la démocratie sont solubles dans les institutions qui permettent aux heureux élus spectaculaires de s’auto-congratuler. Rien à voir avec la politique, mais avec ce qui la phagocyte et qui la ronge de l’intérieur.

Après des considérations de politique extérieure sur la guerre en Palestine et au Liban, dont il ressort que Chirac soutient le plus fort (Israël), dont les formes d’exploitation sont les plus compatibles avec la configuration européenne, Chirac a été invité à en venir à la question des sans-papiers, soutenus par les citoyens de France.
Les sans-papiers sont « des gens qu’on en peut pas laisser s’installer définitivement » parce qu’ils auraient mis leurs enfants à l’école. D’ailleurs, l’école est obligatoire en France. Voilà pour l’électorat d’extrême-droite, qui prêche l’idée d’une invasion, d’un raz-de-marée des étrangers sur le territoire. Chirac lui-même parle d’ « inondation » aux alentours de 2050 « si on ne fait rien », entendre la suite, côté socio-libéral, « pour le développement de l’Afrique ». Rien de neuf, donc : il s’agit d’approfondir les déséquilibres sociaux en Afrique par davantage de capitalisme, davantage de contrats captifs d’équipement et de commerce, tout à la faveur des entreprises françaises. Le maître mot de développement ne sera jamais que le cheval de Troie grossier des investisseurs, spéculateurs, profiteurs, parasites du travail, dont on connaît déjà les aboutissements inéluctables attachés à la logique du profit qui le meut : pillage des ressources, entretien de dictatures locales pour maintenir l’ordre, destruction des synergies socio-économiques, installation d’une petite et moyenne bourgeoisie néo-coloniale (PME de Français en Afrique) à côté des personnels des multinationales, jamais en synergie avec des équilibres locaux (détruits), propagation du salariat et du sous-salariat, creusement des écarts sociaux à mesure que les valeurs capitalistes remodèlent le paysage économique, social et écologique. Mais ce n’est pas grave si le développement est celui de la misère et de la violence, à proportion du développement des valeurs en bourse.

Chirac est pour la création d’un « service public de l’orientation » (rattaché à quel ministère ?) : il s’agit de conseiller de manière à éviter l’engorgement préjudiciable dans le domaine du travail, à tout le monde : l’économie et les jeunes bien sûr.
A noter que Chirac pose des personnes et des processus sur un même plan, celui de l’économie. C’est donc le MEDEF qui dira (et financera) ce qui vaut d’être appris, qui redéfinira de proche en proche l’Education. La citoyenneté atteindra son ultime point de virtualité et de mensonge : être citoyen, ce sera définitivement, faire le petit soldat pour la guerre de la sainte Croissance.

Ne pas toucher au code du travail sans une concertation avec les organisations syndicales et professionnelles… Quoi de neuf ? cela n’engage à rien surtout quand on accorde la même importance à l’avis des centrales les plus fournies en adhérents qu’aux petits syndicats les plus réactionnaires, patronaux ou pro-patronaux qui représentent des intérêts privés et minoritaires.

L’ « actionnariat ouvrier » pour ne pas dire la participation : il faut pouvoir se constituer un patrimoine en travaillant. Tout est dans le mot pouvoir, et ce ne sont jamais les ouvriers (et pourquoi pas les employés plus largement ?) qui l’auront. « Je fais confiance au ministre des finances pour se concerter avec les organisations compétentes afin d’encadrer la gestion des options sur titre [stock options] » : les actionnaires peuvent en effet faire confiance à Breton pour défendre leurs intérêts, pas ceux de la population toute entière. Mais dans la mesure où Chirac veut enliser tout le monde dans la perspective capitaliste en obligeant les travailleurs à financer les investissements de leurs employeurs en échange d’une retraite, d’un pécule, d’un « patrimoine », bref de quelque chose, les options sur titre ont nécessairement de l’avenir.

« Je ne suis pas à l’heure du bilan mais de l’action, il y a suffisamment à faire pour ne pas s’interroger sur le sexe des anges. » C’était le trait ultime d’esprit de la saison, avant les descentes de slip au fort de Brégançon. Aucune chance en effet de s’interroger sur le sexe des anges : Chirac n’est pas un ange ; il est seulement au-dessus des lois, qu’il interprète en fonction de ces intérêts privés et de classe, de ce qu’il nomme plus précisément « la France ».

Là, le résident ayant achevé de s’échauffer les muscles zygomatiques si nécessaires à son rictus faisant office d’autorité intellectuelle et morale, l’entrevue s’est accélérée en zig-zaguant entre les dénégations de préoccupation électoraliste, Guy Drut qui « a payé », et les habituels boniments nationalistes sur la puissance de la France dans le monde, agrémentés d’allusions aux réformes en cours et à venir qui verront les droits des non-capitalistes se rétrécir comme peau de chagrin avec la mise sous surveillance municipalo-policière des enfants des familles en difficultés (« protection de l’enfance »), la mise sous verrous psychiatriques des vieux et des moins vieux qui dévient mentalement, de la norme capitalistique générale (« réforme des tutelles ») , « la parité ».
La question des pensions des anciens combattants africains est réglée : ces pensions ridicules sont versées depuis 2002, ce qui est mieux que rien du tout depuis 1958 quand elles avaient été gelées. « Evidemment » il faut aller vers une égalité des pensions des Africains et des Français ; mais ce sera nécessairement progressif et assez long… Pas si long, en fait, juste le temps que ces anciens combattants s’éteignent…

Conclusion (qui n’a pas été celle de l’entrevue) : Chirac a raison quand il dit qu’ « on n’est jamais trop à l’écoute de

sa

majorité. » et que « les réformes ne sont pas difficiles à faire ». En matière de démocraturisation on peut sans doute toujours mieux faire, il y a heureusement un dauphin dont l’aileron n’est pas seulement suspect, pour prendre la relève, ou pour fournir au P.S. toute excuse pour l’avenir (« sans nous la démocratie périssait »).