Depuis le 1er janvier 2023, fini le rappel à la loi. C’est désormais l’avertissement pénal probatoire qui le remplace, une « alternative aux poursuites » bien chère payée. Contre ce nouveau jouet d’une justice toujours plus expéditive, toujours plus individualisante, trouvons des moyens de résister collectivement !

Depuis le 1er janvier, fini le Rappel à la loi. Dupont-Moretti le considère « trop faible pour être efficace ». Pas bienvenue au projet de « loi pour la confiance dans l’institution judiciaire » qui nous vomit son nouvel « avertissement pénal probatoire » (APP), une cartouche que le parquet utilise désormais pour sanctionner les manifestant.e.s en leur évitant soigneusement la case procès. Est-ce vraiment un cadeau ?

Ces derniers temps, les manifestant.e.s interpellé.e.s dans le cadre du mouvement social contre la réforme des retraites peuvent faire 24 ou 48h de garde à vue, se voir déferré.e.s au tribunal, pour finalement échapper au procès. On pourrait s’étonner du fait que le.la premier.e magistrat.e préfère envoyer les prévenu.e.s vers une voie de garage extrajudiciaire plutôt que de leur garantir un procès en bonne et due forme, avec accès au dossier, bénéficier d’un.e avocat.e, mais aussi de soutien au tribunal, et d’une possibilité de faire appel. En fait on échappe au procès, mais pas à la punition !

Faut rappeler qu’un « procès » signifie être jugé.e par « un-e juge du siège », ce que le.la procureur.e n’est pas du tout (magistrat.e du parquet). Avant d’arriver au procès, le pouvoir du.de la procureur.e est immense et à sens unique. C’est lui.elle, et ses services – les « parquetiers » qui dialoguent nuit et jour avec les comicos pour faire le tri entre les personnes gardées à vue aux quatre coins de la capitale – qui décident finalement des « orientations » d’un ou d’une prévenu.e lorsqu’iel est présenté.e devant la justice.

L’option « comparution immédiate » est toujours possible ; mais elle devient minoritaire dans des situations où il s’agit de légitimer les rafles effectuées en manif par des dispositifs de maintien de l’ordre complètement dépassés. Ces mesures « d’alternatives aux poursuites », comme nous en parlions déjà il y a 2 ans concernant les « ordonnances pénales », comportent de nombreux pièges.

L’Etat vous fait les poches – épisode 1312 : l’ordonnance pénale | 13 juin 2022

L’ordonnance pénale, c’est l’occasion d’être jugé.e coupable sans procès. Autant dire que les procs et les flics, ils adorent. Petite explication.

Le 1er janvier est donc entré en vigueur le nouvel « avertissement pénal probatoire ». Il remplace le fameux « rappel à la loi », en vigueur depuis 1999, à quelques détails près :

  • seul le.la procureur.e, ou ses « délégué.e.s », peuvent prononcer un APP (un RAL pouvait être adressé par un OPJ) ;
  • la signature de l’APP est conditionnée par le fait que le/la prévenu.e reconnaisse avoir commis les faits qui lui sont reprochés au moment du passage devant le.la délégué.e du proc
  • il s’agit, comme le RAL, d’un abandon des poursuites, ou plutôt d’un sursis de 2 ans (c’était 5 ans avec un RAL) : si rien ne se passe d’ici deux ans ; classement confirmé ; si la personne fait à nouveau l’objet d’une arrestation, le.la proc « peut » relancer des poursuites remontant au premier APP.
  • l’APP ne peut intervenir à l’égard d’une personne qui a déjà été condamnée ou à la suite d’un délit de violences contre les personnes ou d’un délit commis contre une personne dépositaire de l’autorité publique (entre autres : les flics) ou investie d’un mandat électif public.

L’APP est tout simplement un chantage : si tu acceptes de reconnaître avoir commis les faits qui te sont reprochés, on abandonne les poursuites… Mais même sans poursuites, le.la procureur.e possède différentes armes de coercition. Les pièges de l’APP sont à peu près ceux du RAL, en pire :

  • « Interdiction de paraître » dans certaines zones pendant maximum 6 mois : pratique pour punir un-e manifestant-e d’être allé.e protester dans la rue ;
  • « Contribution citoyenne auprès d’une association d’aide aux victimes ». Attention, ce n’est pas une amende : si vous payez il n’y plus aucun recours possible, pas de contestation, pas d’appel ! On parle de plusieurs centaines d’euros, et il faut savoir que l’association en question, en bon escroc, vient réclamer le blé avec insistance dès les premiers jours après la signature du papelard.
  • Imposer à la personne de « se dessaisir de l’objet de l’infraction au profit de l’État », ca peut-être le téléphone si parmi les infractions il y a le refus de donner son code pin, sans possibilité de le récupérer. Il n’est pas saisi pour être exploité, puisque les poursuites sont abandonnées, c’est donc du racket plutôt mal maquillé.
  • Il peut être demandé à la personne d’effectuer, à ses frais, un « stage de citoyenneté » dans une asso, ou, pire, un commissariat !

Ce sont les « délégué.e.s du procureur » (DPR) qui sont chargés de notifier aux personnes cet avertissement et les mesures scélérates en option. Ces DPR, il faut s’en méfier : ce sont d’ancien.nes flics ou magistrat.e.s, qui arrondissent leurs fins de mois pour jouer aux supplétifs du parquet. Ils n’ont aucun pouvoir à part vous transmettre la décision du.de la proc. Mais passent leur temps à vous sermonner et à faire la morale, tout en vous incitant à signer, en dissimulant de façon plus ou moins sournoise le fait que la reconnaissance de la culpabilité est actée par la signature, sans quoi sacrebleu ça va barder !

Tout ca c’est du bluff : vous pouvez très bien partir sans signer le document. Mais lisez-le bien, pour voir si l’APP est versé sec, sans rien d’autre, ou si vous avez en plus une interdiction ou une somme à verser. Si vous ne signez pas, le.la DPR sera furax mais peu importe. La coord antirep et ses avocat-es continuent de vous conseiller de ne pas signer, ni même de respecter ces mesures complémentaires : n’ayant pas été jugé formellement, aucune restriction ne peut vous être imposée, surtout pas une interdiction d’aller et venir. Pareil pour le harcèlement possible par « l’association d’aide aux victimes » : ignorez les appels et les mails. Ce qu’on risque ? Que le.la procureur.e réouvre les poursuites qu’il avait décidé d’abandonner. Rien d’autre.

Si le.la procureur.e décide de classer l’affaire sans suites avec cet APP, c’est soit que le dossier ne comportait pas suffisamment d’éléments à charge, soit que l’infraction reprochée n’était pas assez grave aux yeux du parquet pour justifier un déferrement en correctionnelle en vue d’une éventuelle condamnation. Autant d’éléments qui permettent de se rassurer quant au risque réel de poursuites ultérieures en cas de non-respect de l’APP : si le.la proc a classé l’affaire, c’est qu’iel a déjà estimé, au vu du dossier, qu’il était inopportun de vous poursuivre.

Maintenant, quand on a fait 1 ou 2 jours de gav, plus 20h passées au dépôt du palais de justice, et qu’on apprend que finalement on échappe à la comparution immédiate, on peut facilement se laisser bercer par les sirènes du DPR. Continuez à garder le silence, ne signez rien, ne cédez pas à la pression, prenez le papier que l’on vous tend, et sortez calmement.

Ça a l’air naïf de le dire comme ça, mais pour être réellement blanchi.e par la justice, c’est-à-dire relaxé.e, il faut d’abord être jugé.e. Or un avertissement n’est pas un jugement. Idem si l’on vous propose une « composition » ou une « ordonnance pénale » (avec une « petite » amende en bout de course), comme si c’était un cadeau : c’est une manière de vous sanctionner sans jugement. Alors autant ne pas coopérer, N’en déplaise aux procs : le seul risque étant d’avoir un procès, cela permet au moins d’avoir accès au dossier d’accusation, sans quoi on ne peut préparer sereinement sa défense.

https://paris-luttes.info/avec-l-avertissement-penal-16749?lang=fr